C'est l'occasion de rappeler en quoi
consiste le « droit d'eau », particulièrement selon la
loi de 1919. On appelle droit d'eau « fondé en titre »
la capacité d'un propriétaire d'ouvrage hydraulique d'exploiter la
force motrice de l'eau. Le propriétaire peut être un particulier,
une personne morale de droit privé, une collectivité territoriale
ou l'Etat. Il existe trois régimes différents :
• les moulins des cours d'eau
domaniaux, navigables et flottables, présents avant l'Edit de
Moulins de 1566 ;
• les moulins des cours d'eau
non domaniaux présents avant l'abolition des privilège féodaux (4
août 1789) ou aliénés pendant la Révolution ;
• les moulins ou usines présents
entre la Révolution et 1919, disposant d'un règlement d'eau au
moment de la promulgation de la loi de 1919.
Dans les trois régimes, le
propriétaire doit attester l'existence de son bien avant les dates
de référence (1566, 1789, 1919), et cela par tout moyen :
cartes anciennes, mention du site dans les documents d'archives ou
les actes administratifs. Il doit vérifier par ailleurs s'il existe
un règlement d'eau, règlement préfectoral qui spécifie les
conditions d'usage de l'eau au droit de l'ouvrage (un moulin du XVIe
siècle peut très bien avoir bénéficié d'un règlement d'eau
actualisé au XIXe ou au XXe siècle).
Le cas du
régime institué par la loi de 1919
La loi du 16 octobre 1919 a réglementé
l'usage de l'énergie hydraulique en France, après le rapide
développement de l'hydro-électricité ayant débuté dans les
années 1880. Cette loi (associée à divers décrets d'application
et secondée par les lois sur l'eau de 1992, 2006) précise qu'il
existe trois cas exceptionnels d'autorisation d'utiliser l'énergie
hydraulique, autorisation hors procédure et à durée illimitée :
• pour les usines autorisées
avant 1919 et d'une puissance inférieure à 150 kW (art. 18),
• pour les usines fondées en
titre d'existence légale (art. 29),
• pour les usines faisant partie
d'entreprises déclarées d'utilité publique (art. 29).
En d'autres termes, un propriétaire
d'ouvrage répondant à ces conditions peut exploiter l'énergie de
l'eau sans demander une autorisation ou concession à la préfecture.
Mais il va de soi que le propriétaire en question doit respecter
l'ensemble des obligations prévues dans le Code de l'environnement
et le Code de l'urbanisme, ainsi que les règlementations spécifiques
de la protection environnementale et fluviale (par exemple les sites
Natura 2000, la Trame bleue du Grenelle, etc.).
Le cas particulier du Foulon de la
Laume à Semur-en-Auxois est intéressant : le site peut en
effet témoigner de la présence d'un moulin existant au XVe siècle,
dont il reste certains éléments patrimoniaux ; de la présence
d'une usine et d'ouvrages hydrauliques à partir de 1891, ainsi que
d'un règlement d'eau de la même année, avec un équipement
inférieur à 150 kW. Soit deux régimes différents de fondé en
titre.
Il est à noter que le droit d'eau au
sens du fondé en titre d'avant 1789 ou de la loi sur l'énergie de
1919 ne requiert nullement le bon état des ouvrages concernés –
et pour cause, il faudrait que sur chaque moulin ou chaque usine de
France on trouve des éléments d'exploitation parfaitement
fonctionnels, datant parfois de plusieurs siècles, et ce n'est
évidement pas le cas ! La jurisprudence des tribunaux
administratifs, cours administratives ou du Conseil d'Etat reconnaît
donc que l'état de ruine n'est pas une condition suspensive du droit
d'eau. La circulaire MEEDDM 2010/3 du 25 février 2010 rappelle
d'ailleurs aux agents publics des éléments de jurisprudence en ce
sens. On peut annuler un droit d'eau si le seuil ou barrage a
quasiment disparu et n'existe plus qu'en traces ou vestiges (CE 2004,
arrêt 246929), mais ces conditions de délabrement sont extrêmes.
Le cas du Foulon de la Laume
Dans le cas du barrage de
Semur-en-Auxois, toutes les parties prenantes sont au moins d'accord
sur un point : bien loin d'avoir disparu ou de n'être présents
qu'à l'état de vestiges, le barrage et la digue forment des
obstacles très efficaces à l'écoulement ! Ils ont donc
conservé leur capacité à exploiter la force motrice de l'eau par
création d'une certaine hauteur de chute et redirection du débit
vers le canal d'amenée. Il existe par ailleurs une volonté
manifeste de donner un usage au barrage : convention de mandat
Sirtava-Commune de 2010 visant à un projet d'aménagement à fin de
continuité écologique, travaux municipaux d'entretien consignés
dans le registre de l'ouvrage, réalisation d'une visite technique
approfondie (VTA) par un bureau d'études hydrauliques, commande d'un
rapport sur l'usage énergétique du barrage (à notre association),
pose d'une échelle de mesure de chute nette par observation de la
remontée d'eau en canal de fuite, réunions d'information en mairie
avec des producteurs locaux d'hydro-électricité, annonce d'un futur chantier municipal et citoyen, etc.
Pour en avoir le cœur net, notre
association a transmis le dossier complet du barrage (y compris bien
sûr les documents Sirtava / Cariçaie) à deux experts indépendants
(ne se connaissant pas et n'habitant pas la région) : un
historien spécialiste de la concertation entre patrimoine historique
et continuité écologique ; un avocat expert en droit de
l'environnement et reconnaissance des droits d'eau. L'un comme
l'autre ont considéré comme manifeste l'existence du droit d'eau de
la Commune sur le site du Foulon de la Laume. Et fortement douté que
la Préfecture s'engage à une remise en cause de ce droit d'eau
comme le laissait entendre le diagnostic du bureau Cariçaie. Mais à
dire vrai, ce n'est pas le seul point critiquable de ce diagnostic,
comme nous l'avons rappelé ici
et comme le Collectif de sauvegarde du barrage l'a montré au cours
des 9 derniers mois.
Droits et devoirs des propriétaires
Au-delà du cas de Semur-en-Auxois,
notre association attire toutefois l'attention de tous les
propriétaires d'ouvrages hydrauliques d'Auxois-Morvan : ils
disposent certes de droits, que nous entendons bien sûr défendre,
mais aussi de devoirs, que nous entendons aussi rappeler. Notamment
le devoir d'entretenir leur bien.
En raison des nouvelles
règlementations de continuité écologique, l'administration va se
montrer beaucoup plus stricte dans les mois et années à venir. Et
cette rigueur sera fondée si le propriétaire laisse son bief, son
seuil et ses ouvrages à l'abandon, sans tenir compte de leurs effets
physiques et biologiques sur la rivière. Une gestion responsable et
raisonnable des biens riverains est aujourd'hui une condition sine
qua non d'un dialogue constructif entre tous les acteurs de l'eau.
Pour aller plus loin :
Rapport du Conseil d'Etat 2010 :
L'eau
et son droit (pdf)
Ministère de l'Ecologie 2010 :
Circulaire
relative à la mise en œuvre par l’Etat et ses établissements
publics d’un plan d’actions pour la restauration de la continuité
écologique des cours d’eau (pdf)
Ministère de l'Ecologie 2010 :
Guide
pratique relatif à la police des droits fondés en titre (pdf)
Ministère de l'Ecologie 2007 :
Guide
d'instructions relatif à la police des installations
hydroélectriques d'une puissance inférieure ou égale à 4500 kW
(pdf)
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