Le travail était d'autant plus
nécessaire que l'on ne disposait pas jusqu'à présent de données
systématiques sur la Seine et ses affluents cote-doriens :
« les informations récentes obtenues dans le cadre des
suivis DCE [directive cadre sur l'eau] sont insuffisantes pour
dresser un état des lieux complets de la situation piscicole du
réseau hydrographique […] Quant aux affluents, ils n'ont jamais
fait l'objet d'investigation exhaustive de leur peuplement ».
Il s'agit donc d'un « état zéro », en quelque sorte.
Une tête de bassin à socle marneux
et calcaire
La Seine a un lit de 85 km en Côte
d'Or, département où elle prend sa source (Source-Seine, canton de
Venarey-les-Laumes). Ce parcours représente 11% de la longueur
totale du fleuve (777 km). Le bassin versant cote-dorien de la Seine
totalise 632 km, sur un socle géologique qui est essentiellement
composé de marnes et calcaires. Ce terrain très perméable peut
provoquer des infiltrations dans les failles et dolines, voire des
assecs (zones où la rivière suit son lit souterrain avec de
ressurgir en surface).
La Seine est assez rapidement renforcée
par des affluents en Côte d'Or. Après 25 km de cours, elle reçoit
les eaux du Revinson (long lui-même de 17 km et alimenté par la
Coquille, 10 km). A 37 km de sa source, la Seine est rejointe par le
Brevon (long de 32 km). L'étude du Sicec et de la Fédération
départementale de pêche a concerné au total 21 stations réparties
sur 8 masses d'eau : le cours de la Seine elle-même, le Brevon,
le Revinson, la Coquille, les affluents de la Coquille, le réseau des ruisseaux formant des affluents directs de la Seine en Côte
d'Or.
- la qualité physique (Indice
d'attractivité morphodynamique, IAM, ou simple description vitesse
de courant, hauteur d'eau, rapport substrat/support, température) ;
- la qualité physico-chimique et la
présence de certains polluants ;
- les peuplements macrobenthiques
(Indice biologique global normalisé, IBGN ;
protocole MAG20,
pdf, diverses sous-indices de mesures structurelles et
hydro-écologiques comme EPTC, RQE, Cb2, etc.), désignant des genres
de crustacés, mollusques ou ici insectes (Chloroperlidae, Perlidae,
Perlodidae) connus pour être des marqueurs de qualité de l'eau ;
- les peuplements piscicoles enfin,
analysés par pêche électrique (méthode Delury) compte tenu de la
faible profondeur des tronçons concernés. L'espèce la plus
caractéristique et la plus exigeante pour sa reproduction est la
truite fario. Certaines espèces d'accompagnement (chabot, vairon,
loche franche) donnent également des indications de qualité.
Une qualité physique et
physico-chimique dégradée
La qualité physique (morphodynamique)
du bassin de Haute Seine laisse à désirer : 80% des stations
sont en état mauvais ou très mauvais. Les causes en sont les
suivantes : sévérité des étiages, diversité moyenne des
substrats, colmatage du fond par des matières fines, piétinement
bovin et affaissement des berges, absence de ripisylve (arbres de
rive) impliquant la hausse des températures et l'absence de caches
racinaires, les obstacles à l'écoulement et étangs artificiels
favorisant eux aussi le colmatage ou la hausse des températures.
La qualité physico-chimique n'est pas
toujours plus enviable. La totalité du linéaire présente des
concentrations trop fortes en ammoniaques et phosphates (NH^4+,
PO4^3-). Les nitrates (NO^3-) ont un niveau conforme à la DCE sur la
plupart des sites, mais ils sont néanmoins en quantité trois à dix
fois supérieure au niveau optimal pour la vie aquatique. Les
concentrations de ces substances chimiques augmentent lors des
étiages, augmentant le stress sur la vie aquatique. Les matières
organiques se prêtent par ailleurs à l'oxydation, et consomment en
conséquence l'oxygène dissout présent dans les cours d'eau. Dans
certains cas (Revinson), le taux d'oxygénation approche de sa
valeur-limite pour les espèces qui en dépendent (la « biocénose
aérobie »), même si le bassin reste dans un état global
correct de ce point de vue.
Le rapport souligne que « la
pollution par les matières organiques, provenant essentiellement de
l'épuration défectueuse des communes et de l'activité agricole
(épandage d'engrais et de fumier / lisier, rejets de stabulation,
piétinement et déjection des bovins au niveau des berges et dans le
lit des cours d'eaux), est le problème majeur de l'altération de la
qualité physico-chimique des eaux du bassin de Seine ».
Les HAP s'ajoutent aux pollutions
agricoles et domestiques
Mais les rejets de matières organiques
par les réseaux domestiques et les activités agricoles ne sont pas
les seules en cause. La Seine et le Brevon présentent une « forte
altération » par les hydrocarbures aromatiques
polycycliques (HAP), des molécules carbone-hydrogène provenant
essentiellement de la combustion du charbon et du pétrole
(carburant, fioul). Ces composés étant hydrophobes (insolubles dans
l'eau), ils pénètrent préférentiellement les sédiments et les
matières en suspension. Comme le rappellent le rapport, « ils
vont affecter en tout premier lieu les espèces benthiques
(macro-invertébrés et poissons) entraînant la disparition des
espèces les plus polluosensibles. Possédant un fort pouvoir de
bio-accumulation, les HAP vont transiter dans tous les maillons de la
chaîne alimentaire des cours d'eau et s'accumuler dans les tissus
des espèces situées au sommet de la pyramide trophique ».
Cette pollution
indirecte par les combustibles fossiles rappelle au passage tout
l'intérêt qu'il y a de développer des sources d'énergie non
carbonées, parmi lesquelles figure l'énergie hydraulique. Les
effets des fossiles ne se limitent pas à la concentration
atmosphérique et au forçage radiatif des gaz à effet de serre,
ils concernent également l'eau et la vie aquatique, qu'il s'agisse
de l'acidification des océans ou de la pollution des rivières.
La conséquence logique de la présence
des HAP, phosphates, nitrates et ammoniaques est que les peuplements
macrobenthiques les plus sensibles à la pollution (groupes 8 et 9)
ont quasiment tous disparu du bassin de la Seine cote-dorienne. Mais
ce constat doit être nuancé car, au regard de critères retenus par
la directive-cadre sur l'eau, les autres peuplements sont dans un
très bon état, voire un état de référence dans les parties amont
des rivières. L'altération reste donc relative.
Des peuplements macrobenthiques
et piscicoles perturbés
et piscicoles perturbés
S'agissant des peuplements piscicoles,
les situations sont contrastées. Dans l'ensemble, en dehors des
zones les moins touchées par l'influence humaine, la population de
truite fario est plutôt déficitaire par rapport à ce que l'on peut
attendre d'un hydrosystème équivalent en très bon état
écologique : le déficit va de 20 à 100 %, avec une moyenne de
50% sur l'ensemble des stations. Il existe des fluctuations fortes
sur certaines rivières comme le Brevon, avec des zones proches de
l'optimum et d'autres à présence nulle. Le chabot et la loche
franche sont également déficitaires dans l'ensemble du réseau
étudié, le vairon ayant une présence plus équilibrée. L'ombre a
été réintroduit par la fédération de pêche, le blageon
(cyprinidé rhéophile) a fait sa réapparition.
Au total, on a relevé 8 espèces dans
la Seine (contre 5 signalées voici l'inventaire de 1992), autant
dans le Brevon, 7 espèces dans le Revinson, 5 espèces dans les
affluents du Revinson. Les ruisseaux affluents de la Seine ont une
biodiversité très variable, de 2 à 8 espèces.
Au final, très peu de stations peuvent
justifier d'un très bon écologique au regard des peuplements
macrobenthiques et piscicoles. L'étude ne permet d'attribuer avec
précision (c'est-à-dire avec une mesure relative de chaque facteur)
les causes de cette situation. Néanmoins, les auteurs concluent,
pour l'ensemble du réseau hydrographique : « La
qualité globale de l'eau demeure le facteur limitant essentiel du
réseau hydrographique. L'analyse des eaux de surface montre le
caractère vulnérable des secteurs karstiques avec une importante
contamination aux nitrates liées aux activités agricoles des
plateaux, engendrant d'importantes prolifération alguales. Toute
action restauratrice engagée verra ses effets pénalisés plus ou
moins rapidement par ce facteur prépondérant ». S'y
ajoutent « assèchement des zones humides, captages,
drainages ».
Les obstacles à l'écoulement – qui
intéressent au premier chef notre association dédiée à la
promotion du patrimoine et de l'énergie hydrauliques – figurent
également parmi les facteurs limitant la biodiversité piscicole :
l'étude souligne que cette cause est dominante sur le linéaire de
la Seine (obstacle infranchissables en montaison) et sur certains
secteurs du Brevon (étangs à eaux réchauffées, faible
circulation, potentialisant une pollution locale par l'assainissement
défectueux). Enfin, l'absence de ripisylve peut être un facteur
dominant sur certains tronçons (Revinson) car elle signifie un
défaut de cache et un réchauffement estival important.
En conclusion
D'abord, il convient de souligner la
grande qualité du rapport publié par le Sicec et la FDAAPPMA 21. La
méthodologie est décrite et référencée, les annexes donnent
toutes les mesures réalisées, la synthèse est claire. Il manque
éventuellement des résumés pour un plus large public, pas toujours
familier avec le vocabulaire de l'hydro-écologie, de
l'hydromorphologie et de l'hydrobiologie. Il conviendrait aussi de
mieux préciser comment sont fixés les peuplements de référence
(permettant de dire que telle espèce est sous-représentée sur un
tronçon) : en l'absence de données historiques, puisqu'il
s'agit d'un « état-zéro », on ne sait pas comment est
évalué le niveau de truite, loche ou chabot « normal »
d'un cours d'eau. Mais la qualité de l'étude est bienvenue à
l'heure où les réformes de continuité écologique entendent
imposer des priorités d'action sont parfois contestées. La
cohérence du prochain classement des rivières avec l'étude menée
en Haute Seine sera examinée – notamment le choix de classer
en liste 1 (ce qui suppose un « très bon état écologique »)
et la désignation des espèces cibles.
Ensuite, et pour en venir à ces
priorités d'action, la conclusion de l'étude ne permet nullement de
désigner les obstacles à l'écoulement comme la cause principale
d'altération de la biodiversité. L'absence de profondeur historique
interdit à ce stade de corréler les dégradations observées à des
facteurs dégradants, mais les polluants agricoles, domestiques et
HAP sont néanmoins désignés comme le premier facteur limitant de
toute restauration écologique. Comme on l'a signalé lors des débats
des derniers mois sur les aménagements écologiques de l'Armançon,
la circulation des poissons sera d'abord la circulation des poisons
si les causes premières d'altération chimique de l'eau ne sont pas traitées en priorité. Et la France est, hélas, très en retard de ce
point de vue. Il n'empêche que le franchissement d'obstacles, le bon
transport solide assurant des substrats diversifiés et les
régulations de température sur certains plans d'eau sont des
facteurs localement pénalisant, et appelant une action commune avec
les propriétaires d'ouvrages hydrauliques en vue de définir les
meilleures solutions.
Enfin, pour passionnante et nécessaire
qu'elle soit, cette étude ne dévoile qu'une dimension de la Seine
et de ses affluents. Une rivière n'est pas seulement un phénomène
naturel (domaine aquatique), mais elle est aussi et toujours un
phénomène culturel, social et désormais technique (domaine
hydraulique). Les temples des Lingons en l'hommage de Sequana (déesse
des eaux de la Seine) comme les forges gauloises installées au fil
des ruisseaux proches des sources de la Seine rappellent que
l'histoire des hommes et celles de leurs rivières se sont mêlées
très précocement sur les terres bourguignonnes. C'est donc un
patrimoine complexe allant de l'état physique, chimique et
biologique de l'eau jusqu'à l'histoire et l'avenir de ses usages
humains qu'il s'agit aujourd'hui de penser, et d'aménager, pour
léguer aux générations futures des rivières de qualité.
Référence : Sicec,
FDAAPPMA 21, Etude des peuplements piscicoles et macrobenthiques de
la Seine et de ses affluents au regard de la qualité physique et
chimique de l'hydrosystème. Défnition d'un état initial (2011),
2012.
Images : toutes les images
de cet article (hormis la dernière) sont extraites du rapport. Tous
droits réservés Sicec/FDAAPPMA21.
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