Un objectif affiché : évaluer les avantages environnementaux
L'Etude d'impact énonce en page 10 son objectif (mise en gras d'origine) : "L’étude de l’impact du classement des cours d’eau sur les usages est prévue à l'article L. 214-17 du Code de l’Environnement. C’est l’une des étapes clefs de la démarche de classement des cours d’eau. Cette étude doit permettre au préfet d’appréhender les coûts et les avantages économiques et environnementaux, marchands et non marchands qu’apporte le classement des cours d’eau au titre des listes 1° et/ou 2° de l’article L.214-17 du code de l’environnement. Elle doit notamment établir qu'il n’entraîne pas de coûts disproportionnés pour les autres usages au regard des avantages environnementaux à attendre."
La circulaire du 15 septembre 2008 (ministère de l'Ecologie), cadrant l'exercice de cette Etude d'impact, précisait quant à elle dès son introduction :
"Les classements sont un outil visant à atteindre les objectifs environnementaux de la DCE [Directive cadre sur l'eau]. Ainsi, les classements doivent répondre aux objectifs de bon état et de bon potentiel des eaux fixés par les schémas directeurs d’aménagement des eaux (SDAGE). L’étude de l’impact des classements tel que le prévoit la LEMA [Loi sur l'eau et les milieux aquatiques] appuie la démarche de révision des classements. Ainsi, cet outil permettra au préfet de justifier des avantages environnementaux des listes proposées."
Il s'agit donc d'abord de préciser le gain environnemental de la réforme proposée.
Un biais originel : la France ne respecte pas le cadrage européen
Comme nous l'avons longuement exposé dans un précédent article, le ministère de l'Ecologie trompe son monde depuis quelques années quand il affirme que les dispositions de la loi sur l'eau de 2006 ont pour objectif et pour effet principal de satisfaire les exigences de la directive-cadre sur l'eau 2000. L'Union européenne était très claire dans la démarche, les Etats-membres devaient se doter préalablement à toute programmation d'un outil de surveillance et connaissance complet des milieux aquatiques, outil permettant d'apprécier pour chaque masse d'eau :
- l'état chimique
- l'état biologique
- l'état physicochimique
- l'état hydromorphologique
Or, le centrage de l'action publique sur les obstacles à l'écoulement (LEMA 2006) ne représente qu'un sous-facteur de l'état hydromorphologique des cours d'eau, et ce centrage a été décidé en 2006 alors que la France ne disposait absolument pas des informations nécessaires sur les autres facteurs de qualité écologique (puisqu'ils n'étaient pas mesurés – et à dire vrai le sont encore peu, les masses d'eau où la totalité des mesures exigibles sont disponibles étant très rares).
Il est donc intrinsèquement mensonger de prétendre que le classement des rivières va permettre de satisfaire nos obligations européennes : ce classement apporte une place excessivement importante à un seul problème (l'obstacle à l'écoulement) dont rien ne démontre aujourd'hui qu'il est le principal problème des rivières françaises, et notamment de Seine-Normandie (voir pour ce qui concerne notre région les analyses sur le bassin Armançon et le bassin Haute Seine suggérant au contraire que l'obstacle à l'écoulement n'est nullement le premier facteur dégradant des rivières).
Un résultat navrant : aucune démonstration des avantages environnementaux
Sans surprise donc, l'Etude d'impact n'est pas en mesure d'apporter aux citoyens (ni plus tard au juge administratif quand il devra examiner la valeur du classement) le moindre élément d'information sur les différents facteurs dégradant les rivières et la hiérarchie de ces facteurs.
Sur le seul sous-aspect hydromorphologique formant l'apparente monomanie de la LEMA 2006 sous le label de continuité écologique, cette Etude est incapable de conclure à quoi que ce soit de probant. En page 24, le document admet cette carence dans un paragraphe sur les "limites de la méthode" :
La méthode de calcul utilise des coefficients par défaut. Celle-ci pourrait être affinée en prenant en compte des données plus précises, en particulier : recensement exhaustif des obstacles à la continuité, en particulier sur les très petits cours d’eau, indicateur de franchissabilité spécifique à chaque ouvrage, pour une ou plusieurs espèces données, relevé précis des dispositifs de franchissement, ainsi que leur fonctionnalité effective, identification de barrières de pollution ou de zones de rejet impactant les migrateurs, identification de zones de présence réelle ou supposée des espèces. Les données ouvrages existantes ne permettent pas d’obtenir de tels niveaux de précision.L'Etude d'impact reconnaît ainsi que ni les pollutions ni même... la présence réelle des espèces concernées (!) n'est établie pour valider ses calculs. En d'autres termes, elle utilise des "coefficients par défaut" qui ne correspondent pas à la réalité, et pour cause puisque les données existantes ne lui permettent pas de décrire cette réalité. Il paraît difficile de mesurer avec précision l'avantage environnemental pour une espèce dont on admet ignorer la présence au droit des obstacles étudiées, et dont on admet par ailleurs que l'on ne connaît pas mieux les autres facteurs impactants.
La même observation étant reproduite en page 27 pour les migrateurs holobiotiques (vivant dans un seul milieu, et non alternativement en eau salée et en eau douce comme les grands migrateurs amphihalins) : "Les limites sont similaires à celles de l’approche 'amphihalins' décrite précédemment. Il convient par ailleurs de noter que certaines espèces holobiotiques sont exigeantes et que les passes existantes pourraient ne pas être adaptées à leur franchissement. Ici également, les évaluations gagneraient en précision par la collecte d’informations de franchissement à l’ouvrage."
Bref, le modèle n'a pas le début du commencement d'un certain réalisme biologique sur le cycle de vie des poissons, il se contente d'additionner des franchissements à 0% (obstacle sans passe), 80% (obstacle aménagé avec passe) ou 100% (obstacle effacé). Pour conclure, ô surprise, que l'effacement de tous les obstacles donnerait la franchissabilité maximale. Cette simple addition dans l'abstrait, dont un élève de 3e serait capable, ne représente pas ce que l'on peut décemment appeler une analyse de l'avantage environnemental du classement comparé à ses coûts économiques et sociaux.
Une conclusion logique : nullité du classement
Il paraît donc clair qu'en l'état, le ministère de l'Ecologie et le préfet coordonnateur de bassin ne sont pas en mesure de préciser les avantages environnementaux du classement des cours d'eau de Seine-Normandie. Le document de justification ne comporte qu'une part minime des définitions européennes en vigueur du bon état écologique (donc du gain environnemental) sur les rivières de notre bassin hydrographique et, sur cette part minime, il n'est pas capable d'apporter une information exploitable.
La question qui se pose est désormais double : pour le juge administratif, apprécier la validité du classement (si ce juge dispose d'un minimum de sens commun, il devrait conclure à sa nullité) ; pour les citoyens (et leurs élus), comprendre comment on en est arrivé à de telles aberrations.
Nous avons souligné à plusieurs reprises ici – et nous continuons de penser – que la continuité écologique est une des dimensions indéniables de la qualité des milieux aquatiques et qu'une modernisation intelligente des ouvrages hydrauliques représente un enjeu intéressant, à condition d'être justifiée par des analyses scientifiques probantes et d'être couplée à une modernisation énergétique dont notre pays a besoin. Mais dans la politique de l'eau de la France depuis le début des années 2000, il y a eu un très étrange "hold up" au terme duquel certaines exigences européennes sur la qualité de l'eau (chimique, physique, biologique) ont été bâclées tandis qu'une seule dimension de l'hydromorphologie (obstacle à l'écoulement) a pris une importance de premier plan – au point que le classement des rivières est tout entier centré sur elle.
La (nouvelle) direction de l'eau et de la biodiversité au sein du ministère de l'Ecologie n'est pas obligée d'assumer les errements de ses prédécesseurs depuis 2006. Mais si elle persiste dans cette direction fort peu productive pour la qualité de l'eau – sans compter la négation du patrimoine historique, la destruction du potentiel énergétique, l'endettement des particuliers et des communes –, elle devra en assumer toutes les responsabilités.
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