Raison n°1 : le diagnostic ONEMA sur la ruine et non-entretien est inexact
La DDT a délégué au représentant de l’ONEMA sur la Haute-Seine cote-dorienne le soin de procéder au diagnostic du moulin. Si l’Office est supposé avoir une bonne connaissance des milieux aquatiques, il n’est pas spécialement qualifié en analyse hydrotechnique.
Deux bureaux d’études réputés pour leur excellente connaissance du patrimoine hydraulique (Moulin & patrimoine, Jacquel & Chatillon) ont déjà observé que le rapport de l’ONEMA fondant le constat de ruine était entaché d’erreurs ou d’approximations, et que les ouvrages pouvaient difficilement être considérés comme étant en ruine au sens que la jurisprudence donne à ce terme.
Quant à l’absence d’entretien, c’est évidemment intenable : M Bouqueton a assuré déblaiements, nettoyages, consolidation des rives, suppression des végétaux parasites et des gravois, bref un entretien et une mise en sécurité conformément à la déclaration préalable et au permis de construire acceptés par… la DDT en 2011.
Refuser un ré-examen dans un cadre gracieux, c’est donc se diriger tout droit vers un contentieux qui sera selon toute probabilité perdu par la préfecture. Qui a intérêt à une telle issue, alors qu’il y a tant à faire sur nos rivières ?
Raison n°2 : la notion de ruine est très restrictive en droit
Le Conseil d’Etat a plusieurs fois explicité la doctrine juridique dans le domaine de la ruine des ouvrages hydrauliques, comme nous l’avions déjà rappelé sur ce site. En septembre 2010, le Guide pratique relatif à la police des droits fondés en titre a été publié par le ministère de l’Ecologie à destination des agents administratifs. Ce Guide précise très explicitement en page 11 :
«La jurisprudence différencie le délabrement de l'ouvrage et l'état de « ruine », ce dernier entraînant la perte du droit. La ruine signifie qu'un des éléments essentiels permettant d'utiliser la force motrice a disparu ou devrait être reconstruit totalement (canal d'amenée ou de fuite, seuil, fosse d'emplacement du moulin ou de la turbine. Si ces éléments peuvent être remis en marche avec quelques travaux de débouchage, de débroussaillage, d'enrochement complémentaire ou de petite consolidation, le droit n'est pas considéré comme perdu».
Comme les termes mêmes de l’arrêté du 14 juin 2013 le rappelle, seuls les éléments « en bois » sont absents de l’ouvrage : il va de soi que la validité des droits d’eau et des règlements d’eau n’a jamais été attachée à la persistance des organes d’origine en bois, ce qui serait absurde puisque ces organes putrescibles s’altèrent facilement et se changent souvent (tous les 25-30 ans). Jamais la doctrine juridique des droits et règlements d’eau n’a exigé la présence des organes mobiles en bois pour reconnaître la potentialité d’un usage de la puissance hydraulique au droit d’un ouvrage.
Raison n°3 : la mobilisation des riverains est massive
Au cours de l’été, période pourtant peu propice à la mobilisation, plus d’un millier de nos concitoyens ont d’ores et déjà signé la pétition appelant à revoir la décision préfectorale. C’est considérable, et la toute récente couverture médiatique de «l’affaire du moulin du Boeuf» (Bien Public, France 3) ne va pas manquer de renforcer cette dynamique à la rentrée.
Une mobilisation semblable, mais de moindre ampleur, s’était observée en 2012 à Semur-en-Auxois quand le barrage de la ville était menacé de destruction. C’est un fait incontournable : les citoyens sont très attachés aux ouvrages hydrauliques, ils n’acceptent pas que les seuils et barrages soient menacés de destruction ou interdits de restauration.
Nos territoires sont ainsi attachés à leur patrimoine, à leur paysage, à leur potentiel énergétique aussi. Vouloir les en priver par des décisions perçues comme autoritaires et lointaines n’aura qu’un seul effet : empêcher toute réussite de la continuité écologique, accroître la distance entre l’administration et les administrés.
Raison n°4 : la continuité écologique n’est nullement menacée
Les attendus de l’arrêté préfectoral du 14 juin 2013 suggèrent que la décision est essentiellement motivée par des craintes concernant la continuité écologique — il en va probablement de même pour le premier diagnostic de l’ONEMA.
Notons d’abord que le récent classement des rivières au regard de la continuité écologique invoqué par l’administration dans son arrêté de 2013 est indifférent au problème de droit, qui est seulement sur le fond la validité d’un acte administratif (règlement d’eau du XIXe siècle). Il existe une confusion manifeste de la valeur des attendus dans le texte de l’arrêté, confusion de même ordre que celle ayant conduit en 2012 le Conseil d’Etat à condamner le Ministère de l’Ecologie pour sa circulaire de 2010.
Mais surtout, ces craintes pour l’écologie sont infondées. Le projet de M. Bouqueton tient évidemment compte du classement des rivières et il est parfaitement respectueux de la continuité des milieux aquatiques, qu’il s’agisse du transit sédimentaire comme du franchissement piscicole. Par ailleurs, la faible hauteur de chute au droit du moulin du Boeuf impose le choix d’un dispositif ichtyophile (roue hydraulique), de même nature que celui choisi à Gomméville… où la préfecture a tout à fait accepté le projet de restauration porté par M. Rommel, maire de la commune. Par ailleurs, un nombre croissant de travaux scientifiques montrent que l’effet tampon des retenues de seuils et barrages jouent un rôle positif dans l’auto-épuration des rivières, permettant la protection contre les pollutions diffuses et aiguës, voir ici et ici)
Ni les salmonidés, ni les anguilles ni la charge solide ne seront bloqués au moulin du Bœuf : M. Bouqueton connaît les droits, mais aussi les devoirs des maîtres d’ouvrage hydraulique. Il entend bien les assumer.
Par ailleurs, les équilibres écologiques et hydrologiques sont tout aussi bien menacés par le réchauffement climatique et la dépendance de notre société aux énergies carbonées : par son volet énergétique, le projet de réhabilitation du moulin du Boeuf s’inscrit donc dans la protection à long terme des milieux. Installer une roue sur un moulin est autrement judicieux que tolérer les (trop fréquentes) chaudières à fioul, qui ont parfois pollué gravement et durablement les rivières du Châtillonnais lors de fuites accidentelles.
Raison n°5 : les premières erreurs de la politique de l’eau sont déjà dépassées
Les plus hautes autorités publiques, à commencer par le ministère de l’Ecologie lui-même, ont reconnu ces derniers mois que la politique de l’eau présentait de graves problèmes dans sa gouvernance comme dans son efficacité, en particulier pour la restauration de continuité écologique.
Pour la seule année 2013 ont été rendus publics le rapport de la Cour des Comptes pointant les dysfonctionnements de l’ONEMA, le rapport du Conseil général de l’environnement et du développement durable observant le manque de concertation et d’information auprès des propriétaires d’ouvrages hydrauliques dans la mise en œuvre de la continuité écologique, le rapport Lesage d’évaluation de la politique de l’eau exigeant une bien meilleure écoute des citoyens par les pouvoirs publics… sans compter l’évaluation encore en cours de la qualité des bases de données sur l’eau, qualité remise en question dans le cadre du rapportage français de la Directive-cadre européenne de 2000.
Concernant les rapports entre l’Etat et les propriétaires d’ouvrages hydrauliques, ces différents travaux convergent pour en appeler à l’apaisement et au dialogue. Il serait dommage que la Côte d’Or persiste dans une voie désormais condamnée, celle de l’incompréhension menant au contentieux et au conflit. La Trame verte et bleue du Grenelle et la Loi sur l’eau et les milieux aquatiques n’ont jamais signifié la destruction programmée de tous les ouvrages en rivière. Et les élus de nos territoires ne cautionnent nullement un tel extrémisme.
Dans la politique de l’eau comme ailleurs, le mieux est l’ennemi du bien. Le jugement des représentants de la République ne doit pas être obscurci par quelques voix ultraminoritaires exigeant des mesures radicales, irréalistes et inapplicables. Ceux-là ne sèment que la division et ne récoltent que l’inertie !
Raison n°6 : un dialogue constructif est ouvert avec la DDT
M. Bouqueton est un membre très actif de l’ARPOHC et de la Coordination HYDRO 21 qui rassemble les associations côte-doriennes attachées au patrimoine, à l’environnement et à l’énergie hydrauliques. Nos associations défendent aussi un principe de responsabilité : nous reconnaissons que les ouvrages ont des effets sur les rivières, nous souhaitons trouver des corrections adaptées et proportionnées.
Nous avons rencontré en février dernier le service de l’eau de la DDT 21, dans le but d’ouvrir un dialogue constructif pour nos rivières. A la suite de cette première réunion, et d’une campagne d’information auprès de nos adhérents, nous avons remis en août un mémo technique de travail rassemblant des questions concrètes pour mettre en œuvre le franchissement piscicole et le transit sédimentaire sur les rivières classées du département.
Ces démarches ont pour but de réussir la continuité écologique et d’éviter les contentieux que l’on observe un peu partout en France — le tribunal de Pau condamnant le non-respect des obligations d’information et de procédure contradictoire dans l’imposition d’une mesure de police de l’eau, le tribunal d’Orléans condamnant le non-respect du droit administratif dans la destruction d’un barrage, et tant d’autres procédures en cours autour de ces questions complexes...
Souhaitons-nous que cette crue procédurière déferle sur toutes les rivières classées de Côte d’Or? Certainement pas!
La DDT a d’ailleurs reconnu cet été 2013 le caractère légal du barrage de Semur-en-Auxois, dont elle avait initialement contesté le règlement d’eau. La même issue doit être choisie pour le moulin du Bœuf : c’est la voie du bon sens, de l’apaisement des esprits et de l’équilibre pour nos territoires.