Les 2e Rencontres régionales de l’hydro-électricité en Bourgogne ont été un franc succès, avec plus d’une centaine de participants. Il faut d’abord en féliciter les organisateurs, Bourgogne Energies Renouvelables et l’Ademe. L’association BER illustre ainsi sa forte implication dans l’animation de la petite hydro à l’échelle régionale. Et l’Ademe, comme l’a rappelé Lilian Geney en tribune, confirme le soutien efficace qu’elle procure aux porteurs de projets sur toutes les gammes de puissance. Plusieurs producteurs (Paul Joliet, Frère Guillaume, Philippe Bourotte) ont d’ailleurs témoigné de ce soutien à des restaurations de moulins ou d’usines dans l’Yonne comme dans la Côte d’Or.
L’Agence de l’eau Seine-Normandie portera la responsabilité de l’échec de la continuité écologique
La première partie de la journée a été consacrée à une tentative de conciliation entre la continuité écologique et l’énergie hydro-électrique. Hélas, on est encore (très) loin du compte. Emeric Bussy (DREAL) comme Mathieu Moes (Agence de l’eau Seine-Normandie) ont persisté à véhiculer en tribune des idées fausses, tenant plus de l’idéologie que de la science : il a par exemple été affirmé sans aucune preuve que les problèmes morphologiques liés aux seuils et barrages sont l’une des causes principales de déclassement de la qualité écologique des rivières de Bourgogne ou de Seine-Normandie. Cette assertion est infondée : aucun modèle hydrologique complet n’a jamais été conçu pour estimer le poids respectif des facteurs dégradants de la qualité de l’eau et pour valider sa robustesse sur un jeu de mesures transversales / longitudinales assez complètes. Les travaux scientifiques les plus récents suggèrent qu’en réalité, les obstacles à l’écoulement ont un effet relativement faible sur les milieux aquatiques (voir Van Looy et al 2014) comme sur le respect futur de nos obligations réglementaires vis-à-vis de l’Europe (voir Haase et al 2013). Et il en va de même sur l'auto-épuration des rivières, à propos de laquelle les chercheurs de l'Onema ont pris des positions beaucoup plus mesurées que ne le laisse entendre le discours de propagande que continue de tenir M. Moes dans ses présentations publiques.
Par ailleurs, Mathieu Moes a confirmé la politique absurde et inéquitable de l’Agence de l’eau Seine-Normandie, consistant à ne financer des passes à poissons que sur une faible hauteur des coûts (40 %) et dans des conditions extrêmement strictes (subventions limitées aux ouvrages dits « structurants », soit moins de 5 % des ouvrages en rivières classées L2). Tout le monde sait (à commencer par les services instructeurs de l’Etat, DDT et Onema) que ce refus de financer la continuité écologique nourrit un ressentiment de plus en plus fort chez les riverains et ne peut qu’aboutir à des contentieux et conflits d’ici 2018, les maîtres d’ouvrage n’étant pas solvables à hauteur des aménagements demandés tout en n’ayant aucune envie de céder au chantage inadmissible à l’effacement de leur bien. L’Agence de l’eau portera donc la responsabilité de l’échec de la politique de continuité écologique, comme elle porte déjà celle de l’échec dans la lutte contre les pollutions chimiques depuis 50 ans.
Le Sirtava oublie de préciser quelques détails peu reluisants sur ce qui se passe réellement en rivière…
La stratégie des syndicats de rivières (Vincent Govin, Sirtava), dont le financement dépend essentiellement des Agences de l’eau, ne fait que répercuter sur le terrain cette déplorable orientation. Vincent Govin s’est flatté de la présence d’un représentant EAF à la Commission locale de l’eau du SAGE de l’Armançon, ce qui est tout à fait exact. Il a omis de mentionner que la politique d’effacement du Sirtava lui a valu un soulèvement massif des élus, des associations et des citoyens de Semur-en-Auxois, entraînant en 2013 l’abandon de projet de destruction du barrage communal. Et que depuis cette date, le président du Sirtava ne daigne répondre ni aux courriers électroniques ni aux courriers recommandés de notre association, ce qui indique assez précisément ce qu’il faut penser de la prétendue « démocratie de l’eau » et de la supposée « concertation » à l’œuvre sur nos rivières. En dehors de quelques effacements en catimini dans la région de Cry et de Tonnerre, le Sirtava n’a pas le commencement d’une stratégie publiquement assumée sur le traitement des dizaines de seuils classés L2 du bassin versant de l’Armançon...
Pour ce qui du thème de l’énergie proprement dite, Bruno Charpentier (DREAL) a rappelé les chiffres de convergence issus de l’étude UFE-Ministère de l’écologie. En création de nouveaux sites, le potentiel de la Bourgogne est de 6,9 MW en puissance et 24,5 GWh/an en productible énergétique. En équipement de sites existants, les chiffres sont de 26,0 MW et 92,0 GWh/an.
Mais ces chiffres sont très partiels car l’étude UFE-Ministère exclut les puissances inférieures à 100 kW. Or, 80 % des 4000 moulins et usines hydrauliques que compte la Bourgogne ont moins de 100 kW (voir à ce sujet l’analyse du cas de la Côte d’Or par notre association). C'est dans ces petites puissances de 1 à 100 kW que se situe le plus gros potentiel de développement de l'hydro-électrcité bourguignonne, et non pas dans la limitation contre-productive de la réflexion publique à quelques aménagements EDF, VNF ou centrales de moyenne puissance. Hélas, l'Etat s'est lui-même enfermé dans le dogme de l'effacement des seuils de moulins, de sorte qu'il est condamné au déni de réalité ou à la schizophrénie quand il évoque par ailleurs la possible contribution de la petite hydro à la transition énergétique.
La transition énergétique demande de changer le logiciel dans les mentalités
Comme l’a rappelé le président de BER, la transition énergétique ne peut réussir que par un changement de modèle et de mentalité, notamment une prise en main par les particuliers et les collectives de l’autonomie énergétique dans les territoires. Un moulin même modeste peut produire de l’énergie pour plusieurs familles, contribuer à la décarbonation du chauffage et du transport. Il ne s’agit donc pas d’entretenir l’illusion que quelques grandes centrales (en hydro mais aussi en éolien, biomasse, solaire) suffiront à relever le défi. C’est le concept même de « centrale » qui est en question à travers la dissémination et l’auto-appropriation des moyens de production énergétique (voir par exemple ce que peut produire un modeste moulin bourguignon).
Pour développer cette énergie hydraulique, encore faut-il un cadre législatif et réglementaire accueillant. Ce n’est pas toujours le cas et Maître Jean-François Remy, avocat et producteur d’hydro-électricité, s’est attaché à décrire une dizaine de procédures judiciaires récentes montrant des désaccords d’interprétation entre les services de l’Etat et les propriétaires porteurs de projets. Me Remy a également signalé que deux fédérations de moulins portent au Conseil d’Etat une requête en annulation du nouveau décret de juillet 2014 qui modifie notamment le régime des droits d’eau fondés en titre. Du point de vue du droit, un des points remarquables de la continuité écologique comme de la transition énergétique est que les textes législatifs, ayant théoriquement plus de poids car émanant des débats de la représentation nationale, sont régulièrement dépassés voire vidés de leur substance par des textes réglementaires et des interprétations administratives ultérieures. De là l’impression d’une « bureaucratie de l’eau » dont les décisions opaques et parfois brutales ne respectent pas toujours le principe de gestion équilibrée et durable de l’eau pourtant inscrit par le législateur dans le Code de l’environnement.
Visite de la centrale de Brienon-sur-Armançon
Après une matinée de débats, l’après-midi a été consacrée à la visite du chantier de la centrale de Brienon-sur-Armançon, propriété de Bruno Chatillon, Laurent Maciaszek et Laurent Jacquel, membres du Bureau d’études Jacquel & Chatillon. Déjà équipée de trois turbines, cette centrale devait être aménagée à fin de continuité écologique, car elle est située sur un tronçon de l’Armançon classé Liste 2 au titre de l'art. 214-17 C env. L’aménagement a consisté à modifier les grilles de la centrale (élargissement de la section d’entrée, prise d’eau ichtyocompatible avec 20 mm d’écartement entre les barreaux pisciformes de la nouvelle grille), à construire une passe à poissons et une goulotte de dévalaison, à équiper le débit minimum biologique d’une vis d’Archimède. Cette dernière, conçue par Ritz-Atro, est censée tourner 8000 heures par an pour une production de 450 MWh/an (équivalent de consommation électrique hors chauffage de 150 foyers).
Les propriétaires ont souhaité faire de cette centrale une vitrine de l’excellence écologique. L’excellence a cependant un coût : plus de 1,1 M€ pour le chantier, ce qui est très élevé si l’on rapporte à la seule puissance installée de la vis (les équipements écologiques ne produisent aucun revenu et ils tendent plutôt à limiter le productible). Le temps de retour sur investissement dépasse les 14 ans malgré 50 % de subventions publiques.
La centrale de Brienon-sur-Armançon représente un bel effort qu’il convient de saluer, mais elle illustre aussi très bien le problème des réformes actuelles de continuité écologique : très coûteuses en argent public et privé, elles ne sont pas généralisables pour le petit millier de seuils et barrages classés de la région Bourgogne ; très complexes dans leur mise en œuvre en raison de l’hypervigilance technique et réglementaire des services instructeurs de l’Etat, elles découragent bon nombre de propriétaires de se lancer dans la modernisation écologique et énergétique de leur bien.
Au final : un grand bravo à l’Ademe et à BER pour leur soutien à la petite hydro dans un contexte difficile. Mais les problèmes de fond persistent et l’interprétation actuelle de la continuité écologique est incompatible avec le plein développement de l’énergie hydraulique.
Photographies : visuels de l'assemblée et du chantier de Birenon-sur-Armançon. Merci à Gérard L. pour les photos de la passe et de la vis.
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