"En 2013, les états des lieux montrent que l’une des principales causes de non-atteinte du bon état des cours d’eau, objectif fixé par la Directive Cadre sur l’Eau (DCE), est la rupture de la continuité écologique ainsi que les perturbations des débits notamment engendrées par la présence d’ouvrages hydroélectriques."
Quels "états des lieux" ? C'est une affirmation gratuite, sans référence, sans preuve ni démonstration. Les travaux scientifiques récents (Wang et al 2011, Dahm et al 2013, Van Looy et al 2014, Villeneuve et al 2015) convergent pour observer un faible impact des barrages (de la morphologie en général) sur les indicateurs biologiques de qualité des eaux à échelle des tronçons ou des bassins versants. Les premiers facteurs de dégradation sont la pollution chimique et les changements d'usage des sols (urbanisation, agriculture ou sylviculture intensive, altérations des berges), facteurs qui se sont nettement aggravés à partir du milieu du XXe siècle (Steffen et al 2015), en même temps que les prélèvements quantitatifs en eau ont augmenté. Dans le cas des moulins en particulier, la majorité sont présents depuis plusieurs siècles et ils ont créé de longue date un nouvel équilibre local sur les rivières. Les seuils de moins de 2 m sont généralement noyés en crue, et leur impact sédimentaire ou piscicole n'est pas comparable avec les grands barrages de navigation, de régulation ou d'énergie construits à partir du milieu du XIXe siècle. Barrages dont l'Etat fut souvent l'instigateur, et dont il est aujourd'hui encore souvent propriétaire ou actionnaire, sans montrer l'exemple de continuité écologique sur ses propres sites.
"Les chiffres parlent d’eux-mêmes : les 30.000 moulins soi-disant transformables en microcentrales hydroélectriques ne produiraient que 1 TWh, soit 0,2% de la production électrique nationale ! Et encore, ces chiffres sont tirés du rapport Dambrine dont même les pouvoirs publics reconnaissent aujourd’hui qu’il surestimait d’un facteur 31 les perspectives d’augmentation brute de la production hydroélectrique métropolitaine…"
D'abord, le Référentiel des obstacles à l'écoulement de l'Onema (V6.0, mai 2014) compte aujourd'hui environ 76.293 références, et le nombre définitif pourrait être de 120.000 (chiffre cité in Souchon et Malavoi 2012). Le "facteur 31" est sans doute une coquille du rédacteur pour facteur 3 (comparaison des productibles selon Dambrine 2006 et DGEMEDDE/UFE 2013). Mais FNE compare des poires et des bananes : d'une part, Dambrine 2006 a réalisé ses estimations avant la LEMA (loi sur l'eau) 2006 et le classement des rivières 2012 (donc sur un potentiel moins bridé qu'aujourd'hui) ; d'autre part, l'étude de convergence de la DGE du Ministère et de l'UFE exclut les sites de moins de 100 kW, c'est-à-dire qu'elle exclut… la très grande majorité des moulins de France ! Il faut noter que Dambrine 2006 lui-même n'a pas pris en compte les sites de moins de 10 kW, alors qu'ils sont très nombreux et que l'offre de turbine hydraulique "prête à poser" commence aujourd'hui à 0,7 kW. En ordre de grandeur, admettons que 60.000 moulins (la moitié des sites présumés en France déjà existants) soient équipés en moyenne à 10 kVA en injection et 5000 heures à puissance nominale, on obtient 3 TWh par an. Le chiffre est bien sûr modeste par rapport à la production électrique annuelle en France (550 TWh), mais la petite hydro-électricité ne prétend pas à autre chose qu'à apporter cette modeste part à la transition énergétique. En ordre de grandeur toujours, si l'on ajoute des sites faciles à créer sans impacter gravement les milieux, la petite hydro (moins de 100 kW) pourrait produire à terme l'équivalent de l'éclairage public en France (env 5 TWh/an). Affirmer que c'est quantité négligeable à l'heure où la transition post-carbone et la prévention du réchauffement climatique s'imposent comme la grand défi des générations présentes et à venir relève d'une curieuse conception de la prise en main par les citoyens de leur destin énergétique.
"La petite hydraulique représente une faible part dans le gâteau énergétique mais plus de 90% du potentiel hydroélectrique est aujourd’hui réalisé et la très grande majorité des sites propices sont déjà équipés"
Absurde et contradictoire. En même temps qu'il refuse l'équipement hydro-électrique des 60.000 à 100.000 moulins de France, FNE affirme que les "sites propices" seraient d'ores et déjà équipés. Par définition, les moulins se sont construits sur des "sites propices" à l'usage de la puissance de l'eau, leur génie civil est déjà en place donc leur ré-équipement n'est pas une défi très complexe : ils ont déjà produit à une époque où les technologies étaient moins maîtrisées qu'aujourd'hui, ils pourront reproduire demain sans difficulté majeure. Le coût d'installation du kW hydro-électrique peut descendre en dessous de 2000 euros sur des petites installations : ce sont essentiellement les contraintes environnementales (et le refus anormal d'aides publiques pour relever ces contraintes) qui renchérissent les projets. Plus largement, le potentiel hydro-électrique est considérable si l'on inclut outre les moulins les sites de moyenne et grande puissances, les STEP permettant de stocker et lisse les ENR intermittentes, les équipements des réseaux de distribution et assainissement, la création de retenues collinaires dans les zones où l'interception du ruissellement n'est pas dommageable, etc. Nous tenons le rapport de convergence DGE / UFE 2013 pour un travail très préliminaire, fortement bridé par les positions contestables de la Direction de l'eau et de la biodiversité du Ministère de l'Ecologie. Ce seul rapport indique déjà un potentiel global de l'ordre de 10 TWh/an (création de sites + équipement des sites existants), soit déjà une hausse de l'ordre de 15% de la production hydraulique continentale.
"Aujourd’hui, il existe 1870 unités de petite hydraulique pour une puissance unitaire moyenne d’un peu plus de 1 MW. Pour les moulins, c’est tout autre : quelques dizaines de kW tout au plus. Quant à l’aspect patrimonial du sujet, il en va de même : le fonctionnement des anciens moulins à eau était discontinu et lié à l’activité humaine (jours chômés, ...) et à la disponibilité des matières premières (blés par exemple). C’est à dire tout le contraire des centrales hydroélectriques modernes qui turbinent 365 jours par an, 7 jours sur 7, 24h sur 24 !"
FNE ne connaît visiblement pas grand chose à l'énergie hydraulique, ce qui ne l'empêche pas d'en parler avec aplomb. Un certain nombre de très grandes centrales hydrauliques sont utilisées presqu'uniquement en pointe, et non pas toute l'année. D'autres fonctionnent en pompage-turbinage. Toute centrale ou moulin au fil de l'eau (sans fonction réservoir) équipé correctement tourne toute l'année ou presque, il s'agit simplement d'une question de dimensionnement correct de la turbine par rapport au débit. Quant à l'argument du "quelques dizaines de kW", il est douteux alors que l'on soutient massivement en France l'énergie solaire des particuliers (quelques kW à moindre facteur de charge et plus fort coût social que l'hydraulique) ainsi que les modes de chauffage non carbonés (idem) ou l'électromobilité (idem). Un moulin est parfaitement adapté à l'époque contemporaine pour décarboner l'énergie d'une famille (pour les plus modestes), d'un quartier ou d'un village. Et comme ces moulins sont très répartis sur les territoires (cf ci-dessus carte du ROE) tout en bénéficiant d'une forte acceptabilité sociale, ils ont leur place dans tous les outils de planification de la transition (SRCAE, PCET, territoires à énergie positive, etc.).
Sans compter la probable grande différence d’impact (par exemple sur la dévalaison piscicole) entre roues hydrauliques et turbines.
Un certain nombre de moulins choisissent de s'équiper de roues ou de vis d'Archimède (hydrodynamiques) qui n'ont pas de mortalité et peu de morbidité connue. D'autres relancent des turbines à rotation lente (type Fontaine ou Francis) déjà présentes dans les chambres d'eau – car la plus grande partie des moulins de France se sont équipés de turbines entre 1850 et 1930. Pour tout nouveau projet dans un milieu à enjeu piscicole, les DDT imposent en cas de turbines à rotation rapide des grilles à espacement de 2 cm et des goulottes de dévalaison conçues pour limiter fortement le risque de mortalité et morbidité piscicoles. Les débits minima biologiques (ancien débit réservés) ont été portés à un plancher de 10%. Bref, la question de l'ichtyocompatibilité des prises d'eau est une réalité sur laquelle beaucoup de choses ont d'ores et déjà été faites en vue de limiter les impacts.
"Josselin de Lespinay, membre du réseau Eau de FNE réagit : « Et si le patrimoine doit être l’argument permettant à d’anciens moulins de s’équiper pour produire de l’électricité, ce même argument doit leur imposer de fonctionner de la même façon que lorsqu’ils étaient actifs : ni toute la journée, ni toute la semaine, ni toute l’année"
M. de Lespinay a visiblement envie de réguler la vie des gens en lieu et place de l"Etat, mais cela ne signifie pas que ses idées sont pour autant recevables. Ce qu'il propose est peu applicable avec des équipements modernes qui ne sont pas conçus pour démarrer et s'arrêter plusieurs fois par jour. Vouloir ré-imposer les pratiques hydrauliques du passé n'a guère de sens, en particulier dans un communiqué où l'on vante cinq lignes plus haut la modernité des centrales face au supposé archaïsme des moulins. Comme nous l'avons indiqué, l'ichtycompatibilité du turbinage et la fonctionnalité du seuil peuvent s'obtenir par d'autres moyens que la réplique des habitudes du XVIIIe siècle. Même l'Onema a beaucoup écrit à ce sujet, M. de Lespinay devait relire ses classiques…
Et bien sûr, vous pourrez encore lire sur Hydrauxois tout ce que FNE ne vous dit pas sur les avantages comparés de l'énergie hydraulique et sur la faisabilité de son déploiement :
- En finir avec une idée reçue: "Equiper un moulin? Cela ne produit presque rien!"
- Le bilan carbone de l'énergie hydraulique
- Le bilan environnemental (usage des métaux) de l'énergie hydraulique
- Le taux de retour énergétique (EROEI) de l’énergie hydraulique
- Energie hydraulique: la Cour des Comptes en appelle à la cohérence des politiques publiques
- Pas besoin de l'énergie hydraulique pour la transition? Vérité des chiffres, vanité des paroles...
- Un exemple local : ce que peut apporter la petite hydraulique à la transition énergétique en Côte d'Or
- Envie de produire ? 10 questions & réponses sur l'hydro-électricité
En conclusion
Nous partageons nombre de prises de position de France Nature Environnement quand cette fédération garde les pieds sur terre et défend les milieux menacés. Dans le domaine de l'eau, force nous est de constater que FNE a endossé sans aucun esprit critique une doxa déjà datée émanant des bureaux du Ministère de l'Ecologie, doxa que nombre de naturalistes de terrain ne valident pas quand il s'agit du cas spécifique des moulins à eau, doxa dangereuse et pour certains opportune car elle a détourné pendant un temps l'attention des citoyens sur les facteurs réels et massifs de dégradation des milieux aquatiques.
Ce n'est pas l'équipement énergétique des moulins qui est l'ennemi de l'écologie, mais tout au contraire l'abandon de leur culture hydraulique à l'époque du pétrole bon marché puis du tout-nucléaire. Un moulin équipé est un moulin géré, un moulin qui connaît, surveille et respecte l'hydraulicité de la rivière, un moulin qui peut adapter son génie civil ou ses pratiques à des contraintes piscicoles ou sédimentaires, un moulin qui peut aussi contribuer à lutter contre des dégradations locales (fermeture ponctuelle des vannes en cas de pollution aiguës, retrait de nombreux déchets des grilles, etc.). Méconnaître ces réalités et propager des informations fantaisistes ne grandit pas FNE. La défense de notre environnement vaut mieux que cela.