20/03/2015

Agence de l'eau Loire-Bretagne: un scandaleux exercice de propagande

L'Agence de l'eau Loire-Bretagne vient de publier un numéro spécial de sa luxueuse revue quadrichromique où elle se félicite de "30 ans d'action en faveur des milieux aquatiques" (voir références). Pour les rivières, les motifs de cette autocélébration sont douteux. On apprend en effet en lisant ledit fascicule que 30% des cours d'eau seulement sont en bon état écologique (au lieu des 66 à 100% attendus en 2015) et que "cette situation reste stable depuis 2006". Il faut en déduire que des centaines de millions d'euros ont été dépensés en 10 ans sans qu'on observe l'effet significatif de ces dépenses sur la qualité des rivières. Au lieu d'un satisfecit, on attendrait surtout un audit de cet échec.

50% des rivières dégradées à cause de la morphologie : un chiffre choc
Nous allons nous attarder sur un point qui apparaît très mis en valeur dans cette publication (premier chiffre de la page 2, voir image ci-dessus) : "50% des cours d'eau du bassin Loire-Bretagne risquent de ne pas atteindre le bon état 2021 du fait de la morphologie".

Voilà un chiffre choc. Mais d'où vient-il? En fouillant dans la publication, on lit page 8 que ce chiffre aurait été établi par l'état des lieux des eaux de bassin 2013. Dont acte, nous examinons la méthodologie de cet état des lieux (cf référence ci-dessous). Nous trouvons en pp. 29 et suivantes de l'état des lieux l'explication de la méthode. Les auteurs se sont contentés d'évaluer des pressions (soit par analyse de bassin sur données réelles soit à dire d'expert) et des états de tronçons de rivière, puis de faire une règle de trois. Ci-dessous le tableau donnant sa base au calcul des fameux 50% (cliquer pour agrandir).

50% des rivières dégradées à cause de la morphologie : un chiffre bidon
Soyons clair : ce chiffre choc n'a aucune valeur scientifique, et donc aucune valeur d'aide à la décision. Il est à peu près aussi fiable qu'une boule de cristal, un jeu de tarot ou un marc de café. Trois problèmes majeurs se posent en effet dans la méthode de l'AELB.

Mesures DCE 2000 incomplètes. Chaque masse d'eau du bassin ne dispose pas de l'ensemble des mesures exigées par la directive cadre européenne sur l'eau. Il faudrait des campagnes systématiques, pondérées spatialement (moyenne sur chaque tronçon et non site isolé pas forcément représentatif) et temporellement (moyenne selon la durée significative de la campagne de mesure et le temps de relaxation du milieu), cela sur l'ensemble des indicateurs chimiques (plus de 40), physico-chimiques (plus de 10), biologiques (5 critères de qualité) et morphologiques (plusieurs marqueurs berges et lit). Or, ce n'est pas le cas. Par exemple, de l'aveu même de la publication 2015, 70% seulement des masses d'eau disposent de mesures (et non de simulations). Mais celles dont les mesures sont complètes sont moins nombreuses encore : ainsi, l'état des lieux admet que "la moitié des cours d'eau font l'objet de mesures" sur l'état écologique, en précisant que les mesures sont partielles (par exemple pas d'état macrophytes sur la plupart des sites). Quant aux analyses de l'état chimique (qui a évidemment  un impact écologique), voir plus bas.

Mesures de variation de l'état écologique incomplètes. Outre la carence dans les mesures réglementairement exigibles par la DCE 2000, le tableau des facteurs de variation de l'état écologique d'un cours d'eau est incomplet en Loire-Bretagne. D'une part, il existe une dimension de variabilité naturelle (physiographique ou stochastique) des indicateurs biologiques mesurés pour la DCE 2000 (voir par exemple Marzin 2012). D'autre part, il existe des pressions non prises en compte dans l'état des lieux comme le réchauffement climatique depuis plusieurs décennies, l'introduction d'espèces invasives et les pathogènes émergents, les plus de 400 micropolluants présents dans les rivières (non intégrés dans le suivi DCE et non mesurés en routine), les effets directs et indirects de la pêche, etc. Le panel des pressions est ainsi incomplet, la variation naturelle inconnue : l'influence anthropique ne peut être sérieusement évaluée, encore moins le poids relatif de tel ou tel facteur.

Absence de modèle descriptif et explicatif. Le défaut le plus évident de l'état des lieux de l'Agence de l'eau Loire-Bretagne concerne l'absence totale de modèle d'interprétation des (trop rares) mesures. Quand on veut expliquer un phénomène complexe dépendant d'une série de variables quantitatives et qualitatives, on doit faire appel à des techniques d'analyses factorielles ou dimensionnelles. Celles-ci permettent de mesurer la significativité des calculs, d'estimer le poids relatif des facteurs de co-variance et l'inertie totale (la variance globale) prise en compte par le modèle (voir par exemple Villeneuve 2015). Encore s'agit-il là d'une première étape de l'analyse, un vrai modèle scientifique d'évolution des populations étant passablement plus compliqué qu'une approche statistique permettant de dégager des corrélations. Mais dans l'état des lieux Loire-Bretagne, on n'a rien de tout cela pour appuyer les 50% : juste une règle de trois des plus sommaires sur des données non fiables.

Un état des lieux qui comporte des aveux proprement hallucinants… comme l'absence d'état chimique!
Notre expérience nous indique que les volumineuses publications accompagnant la politique de l'eau ne sont généralement lues que par un cercle étroit de spécialistes (et quelques associations engagées, heureusement). C'est probablement la raison pour laquelle on y découvre des perles qui feraient bondir toute personne sensée si elle les découvrait et les comprenait.

On lit ainsi en page 87 (chapitre III-2-b) de l'état des lieux Loire-Bretagne :

«L’agence de l’eau, en charge du programme de surveillance des eaux, a conduit en 2009-2010 les premiers calculs de l’état chimique avec les règles de l’arrêté appliquant la directive cadre. Pour différentes raisons précisées ci-dessous, elle a rencontré des difficultés à exploiter des résultats acquis et n’a pas pu valider les évaluations dans un contexte aussi fragile. Depuis 2009, avec l’accord des instances de bassin, l’agence de l’eau considère non pertinent et impossible de calculer et de publier un état chimique.»  

Les «raisons précisées ci-dessous» sont simplement que les substances indiquées dans la DCE 2000 sont difficiles à mesurer, que ce soit le métaux, les HAP, les pesticides, les résidus médicementeux, etc. Quinze ans après la directive-cadre, le plus important bassin français en terme de linéaire de rivières est donc contraint d'admettre qu'il ne sait pas établir le bilan de l'état chimique pour chaque masse d'eau et pour l'ensemble hydrographique régional. C'est consternant, mais plus consternant encore que le Comité de bassin et l'Etat avalisent cette dérive sans sourciller. Que font donc les associations de défense de l'environnement comme FNE, pourtant lourdement subventionnées et capables de mobiliser des experts pour dénoncer ces dérives? On se le demande...

Conclusion : un peu moins de bureaucratie, de lobbies et d'idéologie, un peu plus de bon sens... et de bonne science
Il existe une solide et récente littérature scientifique française et internationale mettant en garde contre la précipitation dans les opérations de restauration morphologique des rivières, dont les effets biologiques sont souvent modestes à nuls (Palmer 2005, Doyle 2005, Palmer 2010, Bernhardt 2011, Louhi 2011, Stanrko 2012, Haase 2013, Lorenz 2013, Verdonschot 2013, Morandi 2014, Nilsson 2014). Nous en ferons une synthèse prochainement. Il n'est pas acceptable que les Agences de bassin et les autorités en charge de l'eau persistent à ignorer ces travaux et à reproduire des perceptions biaisées ou des généralisations douteuses. Nous espérons de ce point de vue que des chercheurs vont s'engager dans le débat public sur l'eau pour rappeler quelques conclusions de leurs disciplines, notamment que les mesures de restauration des rivières exigent des travaux autrement plus sérieux sur la caractérisation des impacts à différentes échelles, sur la définition d'objectifs réalistes et sur le suivi scientifique des effets environnementaux des mesures prises.

L'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'est pas capable de fournir des mesures complètes ni des modèles réalistes. Pour ces raisons, elle n'est pas plus capable d'améliorer depuis 2006 l'état des rivières car elle ne sait pas cibler les impacts réels sur chaque bassin versant et doser les réponses à ces impacts. Le Conseil Général de l'Orne a d'ores et déjà signalé qu'il refusait le SDAGE 2016-2021 (celui de Loire-Bretagne comme celui de Seine-Normandie). Le Conseil Général de Loir-et-Cher a exigé un moratoire sur la continuité écologique. La Cour des Comptes a sévèrement épinglé les Agences de l'eau pour leur gestion défaillante des pollutions. Ce n'est que le début, car tous les signaux de la politique de l'eau sont au rouge.

Nous appelons bien évidemment nos consoeurs associatives de Loire-Bretagne à réfuter l'état des lieux 2013 du bassin hydrographique, à refuser le SDAGE 2016-202 qui en découle et à travailler avec nous aux procédures judiciaires qui permettront d'établir les responsabilités de ces échecs et de ces manipulations si mal travesties.

Références citées
AELB (2013), Etat des lieux du bassin Loire-Bretagne, lien pdf
AELB (2015), «30 ans d'actions en faveur des milieux aquatiques», L'Eau en Loire-Bretagne, n°89, mars 2015, lien pdf

2 commentaires:

  1. je croyais que c'était vous qui faisiez de la propagande.
    vos titres ont du punch, mais ils détournent la réalité par les mots

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