05/03/2015

Qualité piscicole: les indicateurs synthétiques (IPR, EFI) plus sensibles à l'état chimique et à la dégradation globale qu'à la seule morphologie (Marzin et al 2012)

Les rivières et leurs peuplements évoluent en fonction de l'action humaine, mais aussi en fonction de divers facteurs physiques. Comment distinguer la réponse des indicateurs de qualité biologique à la variabilité naturelle des milieux et aux différentes pressions d'origine humaine? Comment savoir quels assemblages biologiques vont répondre à tel ou tel impact?

Une étude qui prend en compte la "physiographie" de la rivière
Pour répondre à ces questions, Anahita Marzin et ses collègues (Irstea, UR HBAN HYNES à Anthony, UR REBX à Cestas) ont analysé 290 rivières françaises de taille petite à moyenne (bassin versant de 1 à 13312 km2, médiane 99 km2), rivières sur lesquelles on disposait de mesures de qualité sur la période 2005-2008. Dans cet ensemble, 102 sites sont peu impactés avec un état écologique bon ou très bon selon le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (DCE 2000), tandis que les 188 autres présentent des impacts anthropiques d'intensité variable. Les indicateurs de qualité biologique concernent pour leur part les poissons, les macrophytes, les macro-invertébrés et les diatomées benthiques.

La variabilité naturelle a été analysée par des données "physiographiques" (en hydrogéologie, ce sont des variables physiques comme l'altitude, la largeur et pente moyennes du lit, la température moyenne de l'air, la distance à la source, etc.) tandis que les pressions anthropiques ont été intégrées dans quatre classes : dégradations globale (somme des impacts), hydrologique (par exemple prélèvement d'eau), morphologique (par exemple modification de taille du chenal) et qualité chimique de l'eau (par exemple concentration en nitrate et phosphates).

La présence d'une retenue (impoundment) a aussi été intégré comme variable qualitative supplémentaire. La modélisation statistique a consisté en une analyse factorielle en composantes principales (pour les données quantitatives) et en correspondances multiples (pour les données qualitatives).

L'état global du milieu et la qualité chimique de l'eau restent les premiers discriminants de réponse biologique
Les chercheurs ont donc tenté de modéliser l'intensité de la réponse (capacité d'un indicateur biologique à discriminer un facteur) et la sensibilité au changement (niveau de la réponse à la pression, par exemple capacité à répondre à un impact faible). Quels sont les principaux résultats de l'étude?

D'abord, le travaux d'A. Marzin et ses collègues confirme l'importance de la variabilité naturelle. Sur les sites peu impactés par l'homme, les deux-tiers des métriques de qualité montrent une variation significative. Les chercheurs en déduisent que "cette source de variabilité doit être prise ne compte avant de considérer les réponses biologiques aux facteurs de stress induits par l'homme".

La réponse des milieux aux facteurs d'impact a été plus marquée pour l'indice de dégradation globale. Ce sont les diatomées et les macro-invertébrés qui montrent la plus forte sensibilité, mais les poissons exhibent la plus forte intensité. Au sein des pressions spécifiques, la qualité chimique de l'eau produit les plus fortes intensité et sensibilité de la réponse. Les poissons tendent à montrer des sensibilités plus élevées que les autres compartiments biologiques pour des dégradations liées à l'hydrologie, à la morphologie ou à la présence de retenue.

Les auteurs observent que la réponse est d'autant plus forte que les pressions s'additionnent, et inversement. Ils parviennent à ce résultat en analysant selon les sites l'impact global (étape 1), l'impact humain additif (étape 2) et l'impact d'un seul facteur humain (étape 3) – par exemple, s'il n'y a plus qu'une seule pression, le niveau de réponse significatif des métriques piscicoles à l'hydrologie chute de 59% à 9%. Nous allons focaliser sur cette réponse des poissons, qui est un enjeu souvent mis en avant dans les politiques de continuité écologique.

Des indices de qualité piscicole DCE 2000 relativement peu affectés par la morphologie (mais d'autres le sont davantage)
Nous avons extrait ci-dessous des résultats quantifiés les valeurs piscicoles (cliquer pour agrandir). Pour interpréter ce tableau : les pourcentages indiquent la sensibilité (efficacité discriminatoire) de la réponse aux pressions humaines, soit la proportion de sites très impactés (gp4) dont les valeurs des indices biologiques sont dans les percentiles extrêmes (moins de 5% en sens décroissant ou plus de 95% en sens croissant  des valeurs des sites peu impactés = gp1). MetFUNC signifie métrique fonctionnelle, MetTAX métrique taxonomique, MetIND indice synthétique de qualité. La réponse est négative (-) ou positive (+), la sensibilité est basse (L), intermédiaire (I) ou haute (H). les unités des indices sont FI pour fish, RA pour abondance relative, S pour richesse spécifique.


On observe que les indices synthétiques de qualité piscicole utilisés pour le rapportage de la Directive cadre sur l'eau (IPR pour Indice Poissons Rivières et EFI pour European Fish Index) montre une sensibilité plutôt basse à la morphologie (22% et 15%) ainsi qu'à la présence de retenue (impoundment, mêmes scores). En comparaison, la sensibilité aux perturbations globales est de 49% pour l'IPR et 74% pour l'EFI. La sensibilité à la qualité de l'eau de 41% pour l'EFI (pas de score IPR), de 32% (IPR) et 21% (EFI) pour l'hydrologie. Les résultats montrent donc, en convergence avec d'autres travaux menés ces 5 dernières années, que la sensibilité piscicole à l'hydromorphologie est moindre que pour les autres facteurs impactant le bassin versant.

Dans le détail cependant, on voit que certaines métriques fonctionnelles sont plus "répondantes" à la morphologie : les espèces de poissons intolérantes aux variation de 02, les lithophiles ou les rhéophiles ont par exemple des scores de sensibilité marqués (à la morphologie et/ou à la présence de retenues). Les espèces ou assemblages concernés sont souvent des témoins de rivières en très bon état écologique, sensibles à un large spectre de dégradations.

Quelques remarques pour conclure
La DCE 2000 sur l'eau a imposé un suivi de qualité chimique, physico-chimique, biologique et morphologique des rivières européennes. C'est une excellente chose que l'on dispose d'un tel réseau de surveillance, mais aussi d'un tel effort de normalisation des indices de qualité. Aucune science d'observation (comme l'écologie) ne peut en effet parvenir à des conclusions robustes si elle ne dispose préalablement de données fiables sur les milieux dont il s'agit de comprendre la dynamique.

L'analyse qualitative in situ d'un hydro-éco-système apporte toujours des résultats de terrain intéressants, mais elle est complémentaire d'analyses comparatives et quantitatives permettant de comprendre les facteurs d'évolution des milieux à échelle des tronçons, des bassins versants et des grands réseaux hydrographiques. L'analyse d'Anahita Marzin et ses collègues s'inscrit dans un ensemble de publications ayant commencé à émerger à la fin des années 2000, disposant des mesures suffisantes pour commencer à estimer la variabilité naturelle et forcée des milieux aquatiques, ainsi que la sensibilité relative des populations biologiques.

Ces remarques sur la connaissance des milieux aquatiques concernent également la gestion de ces même milieux, en particulier par le domaine émergent de l'ingénierie écologique qui se donne des objectifs de résultat : il paraît difficile de vouloir restaurer des équilibres naturels (ou fonctionnels) si l'on n'a pas au préalable une idée correcte de l'impact relatif des déséquilibres à traiter.

Hélas, la politique de continuité écologique ne prend pas ce chemin en France, puisque les sommes considérables qui lui sont affectées profitent essentiellement à des analyses très locales par des bureaux d'étude, rédigeant souvent ce que leur financeur public (Agence de l'eau) ou privé (maître d'ouvrage) a envie d'entendre, et non pas à des diagnostics scientifiques complets à échelle de tronçons ou bassins versants, diagnostics qui pourraient être réalisés par la recherche académique. Par ailleurs, comme une étude OCE l'avait montré, on trouve des rivières classées L2, où les ouvrages hydrauliques sont nombreux mais où les scores IPR sont bons voire excellents : pourquoi prioriser aussi médiocrement les interventions en rivière, alors que les budgets sont limités et les altérations non morphologiques nombreuses ?

Cette précipitation à s'engager dans l'action sans information réelle sur les bénéfices attendus (en particulier sur le respect formel du bon état chimique et écologique au sens de la DCE 2000) est déjà peu compréhensible ; le refus de l'admettre de la part de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie l'est encore moins.

Référence :
Marzin A et al (2012), Ecological assessment of running waters: Do macrophytes, macroinvertebrates, diatoms and fish show similar responses to human pressures?, Ecological Indicators, 23, 56–65

2 commentaires:

  1. Toujours les mêmes biais dans l'interprétation des publications scientifiques. Les indices globaux sont faits pour répondre globalement à un ensemble de perturbation de l'écosystème à travers les déséquilibres biologiques. Une interprétation objective et plus fouillée montrerait que les espèces rhéophiles et intolérantes à l'oxygène sont très sensibles aux barrages et répondent fortement à cette perturbation. Les métriques fonctionnelles des indices permettent de préciser les impacts. Quand on supprime des habitats courant en les noyant sous des retenues, les espèces d'eau courantes et oxygénées régressent ce qui est somme toute assez logique et les poissons répondent très bien à ces phénomènes ds perte d'habitat. Il y a des critiques justes dans vos analyses sur la politique de continuité et sur le spriorisation mais elles sont discréditées par une orientation partisane et peu objective...

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    1. Nous sommes d'accord avec vous, quand on supprime un habitat lotique au bénéfice d'un habitat lentique, les espèces lotiques régressent toutes choses égales par ailleurs.

      Et alors?

      D'une part, il faut analyser la nature de la régression, notamment savoir si les espèces lotiques se maintiennent dans d'autres zones du même bassin. En ce cas, c'est une variation de densité locale, pas de quoi faire un fromage (une politique publique n'est pas un pinaillage de détails qui intéressent des experts seulement, elle doit être d'intérêt général et de motivation raisonnable).

      D'autre part, il faut analyser les peuplements et fonctionnalités du bassin modifié, en incluant les zones lentiques comme espaces anthropisés s'ajoutant aux autres. Nous n'avons pas à raisonner a priori en "anomalie" par rapport à une nature "dé référence", pas plus pour des plans d'eau et canaux en milieu aquatique que pour des champs, prairies, garrigues etc. en milieu terrestre. Ce sont tous des nouveaux écosystèmes ayant émergé dans l'histoire, dont il faut regarder sans préjugé les traits physiques, chimiques, biologiques (et aussi bien sûr économiques, sociaux).

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