Stefan Schmutz et ses collègues (Université des sciences de la vie et des ressources naturelles, Vienne), en collaboration avec des confrères tchèques, allemands et suisses, ont analysé la réponse des populations de poissons à des opérations de restauration hydromorphologique. Ces travaux pouvaient concerner des reméandrements, des reconnexions, des élargissements de lit ou des petites modifications des écoulements (pas de suppression d'obstacles). Pour mener à bien cette analyse, 15 paires de rivières similaires, mais tantôt aménagées tantôt non aménagées, ont été comparées en Europe centrale et septentrionale. Les auteurs ont évalué le délai de réponse (entre 1 et 17 ans après la restauration), le niveau de qualité morphologique après travaux, la longueur du linéaire concerné. Sur les paramètres biologiques, ils ont mesuré la diversité de Shannon, la richesse spécifique, la richesse / densité de espèces rhéophiles (aimant le courant vif) et eurytopes (tolérantes à des conditions très différentes). Au sein des rhéophiles, ils ont distingué la taille des espèces concernées.
Principaux résultats (voir aussi image ci-dessus, cliquer pour agrandir) : 43 espèces ont été recensées (20 rhéophiles, 15 eurytopes, 8 limnophiles) auxquelles s'ajoutent 3 espèces exotiques. Onze paires de rivières sur quinze ont conservé le même type de communautés de poissons, une est passée de salmonidés à non-salmonidés, trois ont évolué en sens opposé.
La restauration morphologique a eu des effets significatifs pour 5 métriques (sur 13). La richesse spécifique ne s'est en moyenne améliorée que d'une espèce. La densité des seuls rhéophiles de petite taille (+ 24%) est significative après test du seuil de significativité (correction de Bonferroni). La diversité de Shannon-Wiener est sans changement notable, tout comme la densité totale. Sur la métrique ayant l'évolution la plus significative (densité du petits rhéophiles donc), aucune différence n'est trouvée selon l'importance du chantier de restauration. Un effet positif est trouvé pour des longueurs restaurées supérieures à 1,95 km (mais la variation est observée à partir de 3 sites sur 15 essentiellement). En terme de délai de réponse, les changements les plus importants sont notés avant 3 ans et après 12 ans et demi.
Les auteurs, après avoir rappelé la difficulté de cerner les effets exacts des restaurations écologiques de rivière, concluent notamment : "Notre étude démontre que le poisson répond de manière cohérente à des mesures de restauration hydromorphologique par une augmentation des rhéophiles et un déclin des eurytopes. Il semble y avoir une réponse non-linéaire à l'âge de la restauration, avec des effets positifs à court et long termes, mais moins prononcés à moyen terme. L'effet de la restauration augmente avec la qualité de l'habitat et la longueur du linéaire restauré. Cependant, la pratique et la technique actuelle de restauration ne permet pas une récupération complète des espèces perdues ou des densités de populations." Ils émettent ensuite diverses hypothèses à vérifier par un suivi scientifique plus rigoureux et plus large des restaurations de rivières.
Commentaires : quels coûts socio-économiques pour quels bénéfices environnementaux?
Les résultats de S. Schmutz et al. sont assez représentatifs de ce que l'on trouve dans la littérature spécialisée en analyse de la restauration de rivière. Les assemblages de poissons sont modifiés, dans un sens généralement prévisible (on favorise des écoulements lotiques à habitats variés, on trouve davantage de rhéophiles inféodés à ce type d'habitats). Mais l'évolution est globalement modeste, même après un long délai.
Cela pose évidemment la question de la légitimité sociale des approches de la rivière. Un certains nombre d'experts, chercheurs, ingénieurs, techniciens et gestionnaires estiment tout à fait satisfaisants ce type de résultats. Il en va de même pour des usagers de tel syndicat de pêche ou des militants de telle association. Il reste que les opérations de restauration ont un coût important (nous en développerons un exemple prochainement) et que la conclusion souvent tirée de ce type de recherche ("aménageons de manière toujours plus ambitieuse des linéaires toujours plus longs") promet de faire exploser ces coûts. Or, quand on explique aux citoyens ce qui se cache derrière des termes savants et compliqués – et parfois volontairement compliqués pour étouffer le débat sous la parole dominante de quelques "sachants" –, le consensus est rarement au rendez-vous. Car on comprend que l'argent public ne sert pas à "sauver la rivière", comme certains sauveurs autoproclamés le revendiquent de manière fort excessive, mais d'abord à augmenter la densité locale de quelques espèces de poissons, dont beaucoup sinon toutes ne sont menacées ni sur la rivière, ni sur le bassin, ni sur leur aire de répartition européenne.
Qu'est-on prêt à sacrifier au juste pour de tels résultats? A budget limité (par définition), les autres dépenses de qualité de l'eau sont-elles prioritaires ou non par rapport à celles-là? Ces questions sont légitimes ; refuser ou éviter de les poser ne l'est pas.
Référence : Schmutz S et al (2015), Response of fish assemblages to hydromorphological restoration in central and northern European rivers, Hydrobiologia, e-pub, doi 10.1007/s10750-015-2354-6
Illustrations : extraites de l'article, tous droits réservés.
31/08/2015
28/08/2015
Une thèse sur les incertitudes liées aux indicateurs biologiques de qualité de l'eau
La Directive cadre européenne sur l'eau 2000 (DCE 2000) engage les Etats-membres à réaliser une estimation de l'état écologique et chimique des cours d'eau, en vue d'atteindre une bonne qualité des eaux de surface (comme des eaux souterraines et estuariennes). Pour l'état écologique, on a recours à des indicateurs biologiques qui répondent aux pollutions chimiques ou aux modifications hydromorphologiques en même temps qu'ils mesurent la biodiversité. La démarche n'est pas nouvelle : plusieurs biotypologies ont été développées au XXe siècle, en particulier après les grandes pollutions commencées dans les années 1960. Mais la DCE 2000 a systématisé la pratique. Juliane Wiederkehr a soutenu une intéressante thèse doctorale consacrée à l'estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour cette évaluation de l'état écologique des cours d'eau.
Comme l'observe J. Wiederkehr, "en hydrobiologie, il est acquis que de nombreuses incertitudes existent dans les protocoles d’évaluation des milieux aquatiques. En effet, la communauté scientifique connaît la complexité des écosystèmes, d’autant plus lorsque s’y ajoutent les activités humaines. Cette complexité apporte une variabilité importante, difficilement appréciable, qui ne peut être approximée que par le biais d’expérimentations ou de modèles. De plus, la plupart des mesures effectuées en hydrobiologie repose sur des protocoles s’appuyant sur les connaissances et l’expérience des hydrobiologistes. Ceux-ci s’appropriant les normes, leur subjectivité se retrouve au cœur des évaluations. Ainsi, les incertitudes associées à l’évaluation de la qualité des cours d’eau, au travers des indices biologiques, forment une thématique d’actualité majeure, en particulier pour les différents compartiments biologiques (oligochètes, diatomées, poissons, invertébrés et macrophytes)."
Les sources d'incertitude sont donc nombreuses : mosaïque d'habitats sur un même site offrant des lieux hétérogènes de prélèvement et récolte, fluctuation naturelle (spatiale et temporelle) des populations sur les substrats ou selon les méso-habitats, définition de la surface ou volume correct des collectes, choix de la méthode technique d'échantillonnage (agitation, peignage), effet opérateur (erreurs d’extraction et d’identification), sous-traitement quantitatif de l'échantillon, difficulté de prise en compte des taxons rares…
Des erreurs pouvant représenter 20 voire 25% du score total
On constate (non sans une certaine inquiétude) à la lecture de ce travail que l'accumulation de ces erreurs peut entraîner une variation de l’IBG (Indice biologique global) DCE jusqu'à 5 points d’écart, soit 25% de la note, et une variation de l’I2M2 (Indice invertébrés multimétriques) de 0,2, soit 20% de la note. Ce sont certes des valeurs maximales, mais elle peuvent très bien conduire à un déclassement ou surclassement erroné du cours d'eau analysé (dont la note détermine en général 4 ou 5 classes de qualité). Les gestionnaires en charge de la DCE sont d'ailleurs conscients du problème, puisqu'ils demandent des estimations d'incertitude, ce sur quoi ont travaillé divers projets européens depuis les années 2000 (AQEM, STAR, WISER). Une meilleure communication sur ces incertitudes serait bienvenue dans le discours des "sachants" lorsque les indicateurs viennent à se matérialiser dans des analyses et des décisions de terrain.
Outre l'intérêt de comprendre les principes et quelques éléments d'histoire de la bio-indication, exposés de manière claire, cette thèse montre de notre point de vue le caractère "work in progress" des constructions de connaissances en hydrobiologie / hydroécologie, avec au sein de la communauté savante beaucoup de débats, à différents niveaux (de la perfectibilité des méthodes à la discussion sur les trajectoires d'équilibre des écosystèmes ou les priorisations en stratégie de conservation / restauration). L'impact réglementaire à effet immédiat de la DCE 2000 et de ses déclinaisons nationales ne cesse donc de surprendre. On a l"impression assez nette que les décisions ont été prises avant de déployer les outils censés les fonder et valider, cela sur un calendrier manquant de réalisme (15 à 30 ans pour rétablir les écosystèmes dans leur état de référence présumé). Le gestionnaire de l'eau se réclame de l'écologie, mais sans forcément prendre la mesure de la complexité du vivant et des systèmes devant répondre à ses normes et ses évaluations.
Référence : Wiederkehr J (2015), Estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour l’évaluation de l'état écologique des cours d'eau, thèse, U Strasbourg, École doctorale des Sciences de la terre et environnement, 212 p.
Image : collecte de macro-invertébrés, Photo © Eawag, Elvira Mächler, tous droits réservés.
Comme l'observe J. Wiederkehr, "en hydrobiologie, il est acquis que de nombreuses incertitudes existent dans les protocoles d’évaluation des milieux aquatiques. En effet, la communauté scientifique connaît la complexité des écosystèmes, d’autant plus lorsque s’y ajoutent les activités humaines. Cette complexité apporte une variabilité importante, difficilement appréciable, qui ne peut être approximée que par le biais d’expérimentations ou de modèles. De plus, la plupart des mesures effectuées en hydrobiologie repose sur des protocoles s’appuyant sur les connaissances et l’expérience des hydrobiologistes. Ceux-ci s’appropriant les normes, leur subjectivité se retrouve au cœur des évaluations. Ainsi, les incertitudes associées à l’évaluation de la qualité des cours d’eau, au travers des indices biologiques, forment une thématique d’actualité majeure, en particulier pour les différents compartiments biologiques (oligochètes, diatomées, poissons, invertébrés et macrophytes)."
Les sources d'incertitude sont donc nombreuses : mosaïque d'habitats sur un même site offrant des lieux hétérogènes de prélèvement et récolte, fluctuation naturelle (spatiale et temporelle) des populations sur les substrats ou selon les méso-habitats, définition de la surface ou volume correct des collectes, choix de la méthode technique d'échantillonnage (agitation, peignage), effet opérateur (erreurs d’extraction et d’identification), sous-traitement quantitatif de l'échantillon, difficulté de prise en compte des taxons rares…
Des erreurs pouvant représenter 20 voire 25% du score total
On constate (non sans une certaine inquiétude) à la lecture de ce travail que l'accumulation de ces erreurs peut entraîner une variation de l’IBG (Indice biologique global) DCE jusqu'à 5 points d’écart, soit 25% de la note, et une variation de l’I2M2 (Indice invertébrés multimétriques) de 0,2, soit 20% de la note. Ce sont certes des valeurs maximales, mais elle peuvent très bien conduire à un déclassement ou surclassement erroné du cours d'eau analysé (dont la note détermine en général 4 ou 5 classes de qualité). Les gestionnaires en charge de la DCE sont d'ailleurs conscients du problème, puisqu'ils demandent des estimations d'incertitude, ce sur quoi ont travaillé divers projets européens depuis les années 2000 (AQEM, STAR, WISER). Une meilleure communication sur ces incertitudes serait bienvenue dans le discours des "sachants" lorsque les indicateurs viennent à se matérialiser dans des analyses et des décisions de terrain.
Outre l'intérêt de comprendre les principes et quelques éléments d'histoire de la bio-indication, exposés de manière claire, cette thèse montre de notre point de vue le caractère "work in progress" des constructions de connaissances en hydrobiologie / hydroécologie, avec au sein de la communauté savante beaucoup de débats, à différents niveaux (de la perfectibilité des méthodes à la discussion sur les trajectoires d'équilibre des écosystèmes ou les priorisations en stratégie de conservation / restauration). L'impact réglementaire à effet immédiat de la DCE 2000 et de ses déclinaisons nationales ne cesse donc de surprendre. On a l"impression assez nette que les décisions ont été prises avant de déployer les outils censés les fonder et valider, cela sur un calendrier manquant de réalisme (15 à 30 ans pour rétablir les écosystèmes dans leur état de référence présumé). Le gestionnaire de l'eau se réclame de l'écologie, mais sans forcément prendre la mesure de la complexité du vivant et des systèmes devant répondre à ses normes et ses évaluations.
Référence : Wiederkehr J (2015), Estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour l’évaluation de l'état écologique des cours d'eau, thèse, U Strasbourg, École doctorale des Sciences de la terre et environnement, 212 p.
Image : collecte de macro-invertébrés, Photo © Eawag, Elvira Mächler, tous droits réservés.
26/08/2015
Les barrages des moulins ont-ils autant d'effets sur la rivière que ceux des... castors? (Hart et al 2002)
La question de l'effet des effacements de barrages et de la nécessité d'en prioriser les opérations a été posée aux Etats-Unis plus tôt qu'en Europe, en raison des évolutions législatives datant des années 1970 (Clean Water Act, Endangered Species Act) et des premières mesures de "renaturation" sur le continent nord-américain.
David D Hart et ses sept collègues (principalement écologues et hydrobiologistes) ont publié en 2002 un article de réflexion sur le sujet. Ils observent : "la réponse attendue à l'effacement est souvent fondée sur la connaissance des grands barrages (eg > 15 m de hauteur) d'hydro-électricité ou de contrôle des crues, qui peuvent altérer considérablement la qualité de l'eau et le régime du débit, alors que la plupart des barrages supprimés sont des structures relativement petites (moins de 5 m) qui peuvent avoir moins d'effet sur les écosystèmes de la rivière. Il existe peu d'information sur les impacts écologiques de ces petits barrages, cependant, et des études en nombre limité ont amené des résultats variables".
Voulant illustrer leur propos, les chercheurs comparent les effets des barrières naturelles (chutes, obstacles créés par des embâcles, barrages de castor) avec ceux des petites barrages de moulin ou d'irrigation (1-5 m) et ceux des grands barrages (> 15 m). Voir la figure ci-dessous.
Il en résulte qu'à leur yeux, l'impact des petits barrages sur les débits, la température de l'eau, le transport des sédiments, la biogéochimie, la migration biologique et l'habitat est comparable à celui des barrages de castor ! Même s'il ne faut pas négliger le rôle paysager et morphologique de cet infatigable rongeur semi-aquatique, on connaît pire en terme de dénaturation des rivières.
Evidemment, tel n'est pas l'avis de nos gestionnaires français de rivières, qui prennent une mine catastrophée en voyant quelques sédiments dans une retenue de moulin et décrète qu'il s'agit là d'une intolérable atteinte à l'intégrité de la rivière… Que diront-ils quand les castors (espèce protégée dont on encourage l'expansion) prendront la place des moulins? Plus sérieusement, comme nous l'avons déploré auprès de nos interlocuteurs Dreal et Onema, il n'existe aujourd'hui aucun indice intégré qui permettrait de déterminer l'impact de chaque ouvrage (selon la hauteur, la superficie du remous, la distance à la source et la zonation, le temps de séjour de l'eau, etc.) et d'aménager en priorité ceux qui représentent des altérations importantes. La conséquence : on efface à tort et à travers, souvent des très petits ouvrages, en ciblant surtout des objectifs halieutiques, et en profitant d'opportunités politiques ou économiques plutôt qu'en visant des effets environnementaux cohérents. On "restaure de l'habitat" en présupposant qu'un certain linéaire d'habitat restauré représente toujours un gain significatif pour la rivière et son écosystème. Ce qui n'est probablement pas le cas.
Référence : Hart DD et al (2002), Dam removal: challenges and opportunities for ecological research and river restoration, BioScience, 52, 8, 669-682.
David D Hart et ses sept collègues (principalement écologues et hydrobiologistes) ont publié en 2002 un article de réflexion sur le sujet. Ils observent : "la réponse attendue à l'effacement est souvent fondée sur la connaissance des grands barrages (eg > 15 m de hauteur) d'hydro-électricité ou de contrôle des crues, qui peuvent altérer considérablement la qualité de l'eau et le régime du débit, alors que la plupart des barrages supprimés sont des structures relativement petites (moins de 5 m) qui peuvent avoir moins d'effet sur les écosystèmes de la rivière. Il existe peu d'information sur les impacts écologiques de ces petits barrages, cependant, et des études en nombre limité ont amené des résultats variables".
Voulant illustrer leur propos, les chercheurs comparent les effets des barrières naturelles (chutes, obstacles créés par des embâcles, barrages de castor) avec ceux des petites barrages de moulin ou d'irrigation (1-5 m) et ceux des grands barrages (> 15 m). Voir la figure ci-dessous.
Il en résulte qu'à leur yeux, l'impact des petits barrages sur les débits, la température de l'eau, le transport des sédiments, la biogéochimie, la migration biologique et l'habitat est comparable à celui des barrages de castor ! Même s'il ne faut pas négliger le rôle paysager et morphologique de cet infatigable rongeur semi-aquatique, on connaît pire en terme de dénaturation des rivières.
Evidemment, tel n'est pas l'avis de nos gestionnaires français de rivières, qui prennent une mine catastrophée en voyant quelques sédiments dans une retenue de moulin et décrète qu'il s'agit là d'une intolérable atteinte à l'intégrité de la rivière… Que diront-ils quand les castors (espèce protégée dont on encourage l'expansion) prendront la place des moulins? Plus sérieusement, comme nous l'avons déploré auprès de nos interlocuteurs Dreal et Onema, il n'existe aujourd'hui aucun indice intégré qui permettrait de déterminer l'impact de chaque ouvrage (selon la hauteur, la superficie du remous, la distance à la source et la zonation, le temps de séjour de l'eau, etc.) et d'aménager en priorité ceux qui représentent des altérations importantes. La conséquence : on efface à tort et à travers, souvent des très petits ouvrages, en ciblant surtout des objectifs halieutiques, et en profitant d'opportunités politiques ou économiques plutôt qu'en visant des effets environnementaux cohérents. On "restaure de l'habitat" en présupposant qu'un certain linéaire d'habitat restauré représente toujours un gain significatif pour la rivière et son écosystème. Ce qui n'est probablement pas le cas.
Référence : Hart DD et al (2002), Dam removal: challenges and opportunities for ecological research and river restoration, BioScience, 52, 8, 669-682.
23/08/2015
Continuité écologique : comment l'administration a détourné la volonté du législateur et imposé une vision dogmatique
La lecture de l'article L 214-17 C env. introduisant la continuité écologique dans la loi sur l'eau de 2006 est claire : le législateur a en tête l'amélioration des montaisons pour les poissons grands migrateurs (amphihalins) ; et il ne remet pas en question l'existence des obstacles à l'écoulement, dont il demande des aménagements fonctionnels. Depuis 10 ans, l'administration a totalement changé l'esprit de ce texte pour le transformer en machine de guerre dédiée à la destruction des ouvrages hydrauliques et à la soi-disant "renaturation" des rivières. Ce scandale démocratique n'a jamais été accepté sur le terrain, provoque d'innombrables protestations au bord des rivières et ne pourra donner lieu qu'à une explosion des contentieux d'ici 2017, délai théorique du classement des rivières. Le dossier de la continuité écologique a été pourri par les jeux de couloir de positions extrémistes et irréalistes : il exige aujourd'hui une reprise en main politique, de toute urgence.
Les parlementaires ont adopté en 2006 la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), dont une disposition pose le principe de classement des rivières à fin de continuité écologique. Deux classes de rivières sont créées : liste 1 et liste 2. Que dit au juste l'article L-214-17 C env voté par le législateur?
En liste 1 se trouvent des cours d'eau "qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique".
En liste 2 se trouvent les cours d'eau "dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."
Première dérive : des vrais migrateurs aux espèces mobiles (mais non migratrices), dont la plupart ne sont pas menacées ni vulnérables
On observe que la notion de poissons migrateurs est associée dans cet article aux espèces amphihalines "vivant alternativement en eau douce et en eau salée" – par exemple saumon, truite de mer, anguille, esturgeon, alose feinte, grande alose, lamproie marine, lamproie fluviatile. Ce sont aussi ces espèces qui sont désignées comme migratrices dans le plan de gestion des poissons migrateurs (Plagepomi) que chaque bassin hydrographique adopte. Et ce sont celles que l'on considère comme les plus vulnérables (à quelques exceptions près comme le chabot du Lez ou l'apron du Rhône). Le choix était donc cohérent.
Après le vote politique de la LEMA 2006 par les représentants élus des citoyens, la mise en oeuvre de la continuité écologique est revenue aux mains de l'administration française : décrets et circulaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie, classement des rivières avec documents justificatifs, travaux d'interprétation et d'orientation des services techniques des Agences de l'eau, application par les services déconcentrés DDT et Dreal, suivi et avis techniques de l'Onema. Dans cette phase échappant au contrôle démocratique direct, la restriction des migrateurs aux espèces ayant stricte obligation de migration à longue distance pour accomplir leur cycle biologique a été oubliée.
On constate ainsi que les services instructeurs de l'Etat exigent des dispositifs de franchissement piscicole pour des truites communes, des lamproies de Planer, des brochets, des chabots, des loches, des vairons, des cyprinidés rhéophiles et assimilés (vandoise, spirlin, goujon, chevesne, hotu, etc.). Cela pose plusieurs problèmes.
D'abord, si toute espèce de poisson tend à se déplacer dans le fluide qui forme son milieu de vie, cela ne signifie nullement que cette espèce est "migratrice". Les déplacements des individus seront en moyenne plus importants dans des zones sans obstacles (de nombreuses monographies l'ont observé), mais la présence d'obstacles (généralement en montaison seule, car la dévalaison est presque toujours ouverte et non traumatique) n'empêche pas pour autant l'établissement de populations stables, tant qu'il existe des habitats et des ressources alimentaires sur le linéaire offert à la mobilité des populations présentes. Il conviendrait de ne pas confondre la mobilité (le déplacement) comme stratégie opportuniste afin de trouver des habitats propices à la reproduction et à l'alimentation avec la migration comme programmation génétique déterministe du comportement de certaines espèces.
Ensuite, la plupart de ces espèces ajoutées aux migrateurs amphihalins sont en statut de "préoccupation mineure" dans la liste rouge de l'UICN et ne correspondent donc pas à une urgence écologique particulière. Leur ubiquité dans les rivières françaises jusqu'à date récente montrent que les obstacles naturels ou artificiels des cours d'eau, dont la présence est ancienne, ne conduisent pas à une pression d'extinction.
Enfin, plus on élargit le champ des espèces concernés par la continuité écologique, plus il est difficile d'obtenir des dispositifs fonctionnels de franchissement piscicole. Telle espèce a de faibles capacités de saut, telle autre de faibles vitesses de pointe ou d'effort… au final, le cahier des charges devient très compliqué par rapport aux "vrais" migrateurs qui sont adaptés (et pour cause) à de longs parcours de migrations. Cela conduit à favoriser la solution radicale de l'effacement des ouvrages, choix qui devient clairement disproportionné à son enjeu écologique réel. Cela conduit aussi à classer un grand nombre de rivières, au lieu de centrer la réforme de continuité écologique sur des parcours migrateurs historiquement attestés, en commençant par les grands axes fluviaux de pénétration vers les continents depuis les océans (et inversement en dévalaison).
Seconde dérive : du transit sédimentaire-piscicole à la restauration d'habitat et à la renaturation intégrale
En lisant les prescriptions de l'article 214-17 C. env. pour les rivières en liste 2 – celles qui ont un délai de 5 ans pour être aménagées (2017 ou 2018 selon les bassins), et qui sont donc le principal lieu de tension aujourd'hui –, on s'aperçoit que le législateur a été très sobre : il demande le "transport suffisant des sédiments" et la "circulation des poissons migrateurs".
Ce sont donc deux attentes fonctionnelles, précises, qui sont formulées. En aucun cas le législateur ne s'est avancé à poser que les systèmes hydrauliques créés par les ouvrages en rivières (lacs, retenues, biefs) seraient des habitats "dégradés" par rapport à des habitats "naturels" qu'il conviendrait de restaurer partout. Pas plus ne lit-on dans la décision des parlementaires une quelconque incitation à la destruction de ces ouvrages hydrauliques.
Le diagnostic d'un ouvrage dans la perspective du 214-17 C env devrait donc se limiter à une quantification du régime sédimentaire local et de la franchissabilité piscicole pour les migrateurs amphihalins, avec intervention uniquement en cas d'altération manifeste. Mais sur ce plan, la mise en oeuvre de la continuité écologique par l'administration et les établissements de bassin a donné lieu à une seconde dérive.
On observe dans les discours, les rapports et les interventions que les habitats spécifiques créés par les ouvrages hydrauliques sont déconsidérés car représentés comme "non naturels", non conformes au régime hydrologique local. Par exemple, on déplore que l'écoulement soit lentique et non lotique, que la température soit plus élevée (au moins en surface) ou plus stratifiée, que le miroir d'eau soit élargi et la ligne d'énergie modifiée, que le lit et la zone hyporhéique soient tapissés de sédiments plus fins, que les processus d'érosion-dépôt soient modifiés (sans que la volumétrie réelle et la dynamique temporelle de cette modification soient établis), etc. Parfois, on ajoute des considérations sur l'auto-épuration des rivières (mais presque jamais en réalisant un bilan chimique réel des molécules concernées sur le système analysé).
Toutes ces considérations savantes intéressent des spécialistes des milieux aquatiques qui débattent de leur pertinence (et ne sont pas toujours d'accord entre eux), mais elles sont fort éloignées d'une politique de l'eau applicables à 500.000 km de linéaire de rivières et probablement plus de 100.000 obstacles à l'écoulement. Ces considérations servent surtout d'alibi au nouveau dogme administratif : le bon ouvrage est celui que l'on a réussi à faire disparaître par la menace réglementaire et le chantage financier.
Alors que le législateur a reconnu la réalité des ouvrages hydrauliques en même temps que la nécessité de limiter leurs impacts fonctionnels par des aménagements, l'administration a tendu depuis 10 ans à nier la légitimité de l'existence de ces ouvrages et à poser la nécessité de les faire disparaître dans un horizon de "renaturation" intégrale, c'est-à-dire de recréation par ingénierie d'un habitat plus proche des conditions naturelles de la rivière. Ce dévoiement du projet initial opère sur la base d'un non-sens épistémologique, à savoir que la rivière aurait une "condition de référence" avec équilibre stationnaire dans le temps, et que l'on pourrait re-créer cette condition par simple suppression des ouvrages (voir la critique de Bouleau et Pont). Ce non-sens est particulièrement palpable dans le cas des ouvrages hdyrauliques qui modifient l'écoulement des rivières depuis l'époque romaine et des peuplements piscicoles qui ont été co-déterminé par l'action humaine depuis la même époque. Le dévoiement de la volonté du législateur par les autorités et gestionnaires opère aussi – mais nous développerons ce point important ailleurs – sur une caractérisation partielle sinon partiale des hydrosystèmes du point de vue de leur diversité biologique et de leur fonctionnalité physique, tant au plan de l'échelle spatio-temporelle où l'on évalue ces traits qu'au plan des métriques choisies pour les évaluer.
Le mieux est l'ennemi du bien : le politique doit exiger un virage pragmatique face à l'échec de la dérive dogmatique
En allant bien au-delà de la volonté initiale du législateur, l'administration a donc trahi la lettre et l'esprit de la loi votée en 2006. Elle a aussi créé d'elle-même les conditions d'échec de la réforme : l'extension et l'exigence accrues dans la définition des cibles de la continuité écologique ne mobilisent ni suffisamment de budgets dans les Agences de l'eau, ni suffisamment de moyens humains et techniques dans sa mise en oeuvre. Sans parler de la coopération des principaux concernés (propriétaires d'ouvrages hydrauliques, riverains), qui sont pour la plupart hostiles à l'idée de détruire leur bien (moins-value foncière, paysagère, patrimoniale, énergétique, etc.) et insolvables à hauteur des aménagements bien trop lourds qu'implique le niveau d'ambition totalement irréaliste posé depuis 10 ans.
Certes, on se plait à mettre en avant par films, plaquettes et sites Internet quelques opérations jugées comme des réussites (voir les retours d'expériences de l'Onema). On omet de signaler que ces cas sont fort minoritaires par rapport au nombre d'ouvrages à traiter sur les rivières, et que s'ils ont été réalisés en priorité, c'est précisément parce que les conditions s'y prêtaient, notamment l'accord du propriétaire à voir disparaître ses ouvrages et l'accord des riverains à voir changer la ligne d'eau. Ces artifices plus proches de la propagande que de l'information sont silencieux sur les cas innombrables où l'on a forcé la main à des personnes fragiles et isolées, où les maîtres d'ouvrage ont accepté l'altération du patrimoine à contre-coeur, où l'information des élus et riverains n'a pas été complète et n'a pas donné lieu à concertation ouverte, où le résultat des travaux n'a pas été jugé meilleur que l'ancien paysage dessiné par les ouvrages, où l'opération de restauration n'a fait l'objet d'aucun suivi scientifique digne de ce nom, etc.
La dérive administrative que nous avons mis en lumière – extension des populations piscicoles cibles au-delà des grands migrateurs, horizon de "renaturation" intégrale par suppression des zones anthropisées – produit donc l'échec de la continuité écologique, perçue par beaucoup comme une opération destructive guidée par une approche idéologique et extrémiste de la rivière, voire par des arrière-pensées peu avouables (comme divertir l'attention des causes plus importantes d'altération des bassins, liées aux changements d'usages des sols par urbanisation et agro-industrialisation ainsi qu'à la diffusion massive des polluants chimiques).
Cette dérive n'est pas sans effet sur la réussite de la politique française de l'eau : la volonté de recréer à grands frais de l'habitat naturel sur des rivières anthropisées de longue date n'est non seulement pas inscrite dans le L-214-17 C env, mais elle n'est certainement pas le critère sur lequel la France sera jugé par ses partenaires européens. Les directives nitrates et eaux usées (1991), la directive cadre sur l'eau (2000), la directive pesticides (2009) n'exigent pas que notre pays détruise son patrimoine hydraulique pluricentenaire, mais plus basiquement qu'il limite les dégradations opérées depuis les années 1950, à l'époque où la croissance économique se construisait dans l'indifférence à la dégradation environnementale.
Retour à la sobriété et au bon sens, c'est-à-dire à la vocation réelle du L-214-17 C env
Nous sommes en 2015, à mi-chemin du délai de 5 ans prévu par les classements de 2012-2013. S'il est d'ores et déjà trop tard pour tenir le délai vu le nombre considérable d'ouvrages hydrauliques concernés par l'article 214-17 C env, il est encore temps de revenir à des positions plus pragmatiques pour la suite. Par exemple :
Illustrations : seuil et ancien moulin sur le Serein, à hauteur de Montréal (89). La majorité des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de l'article 214-17 C env sont des chaussées de taille modeste, ayant recréé un équilibre hydrologique local de longue date et offrant in situ des faciès diversifiés. Sur d'autres plans (hélas non pris en compte par l'administration dans ses choix actuels), ces ouvrages apportent des témoignages sur l'usage historique des rivières, intéressants sur le plan culturel et patrimonial, ils possèdent une évidente dimension esthétique et paysagère, ils représentent un potentiel d'équipement énergétique bien réparti sur tous les territoires.
Les parlementaires ont adopté en 2006 la Loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA), dont une disposition pose le principe de classement des rivières à fin de continuité écologique. Deux classes de rivières sont créées : liste 1 et liste 2. Que dit au juste l'article L-214-17 C env voté par le législateur?
En liste 1 se trouvent des cours d'eau "qui sont en très bon état écologique ou identifiés par les schémas directeurs d'aménagement et de gestion des eaux comme jouant le rôle de réservoir biologique nécessaire au maintien ou à l'atteinte du bon état écologique des cours d'eau d'un bassin versant ou dans lesquels une protection complète des poissons migrateurs vivant alternativement en eau douce et en eau salée est nécessaire, sur lesquels aucune autorisation ou concession ne peut être accordée pour la construction de nouveaux ouvrages s'ils constituent un obstacle à la continuité écologique".
En liste 2 se trouvent les cours d'eau "dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."
Première dérive : des vrais migrateurs aux espèces mobiles (mais non migratrices), dont la plupart ne sont pas menacées ni vulnérables
On observe que la notion de poissons migrateurs est associée dans cet article aux espèces amphihalines "vivant alternativement en eau douce et en eau salée" – par exemple saumon, truite de mer, anguille, esturgeon, alose feinte, grande alose, lamproie marine, lamproie fluviatile. Ce sont aussi ces espèces qui sont désignées comme migratrices dans le plan de gestion des poissons migrateurs (Plagepomi) que chaque bassin hydrographique adopte. Et ce sont celles que l'on considère comme les plus vulnérables (à quelques exceptions près comme le chabot du Lez ou l'apron du Rhône). Le choix était donc cohérent.
Après le vote politique de la LEMA 2006 par les représentants élus des citoyens, la mise en oeuvre de la continuité écologique est revenue aux mains de l'administration française : décrets et circulaires de la Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie, classement des rivières avec documents justificatifs, travaux d'interprétation et d'orientation des services techniques des Agences de l'eau, application par les services déconcentrés DDT et Dreal, suivi et avis techniques de l'Onema. Dans cette phase échappant au contrôle démocratique direct, la restriction des migrateurs aux espèces ayant stricte obligation de migration à longue distance pour accomplir leur cycle biologique a été oubliée.
On constate ainsi que les services instructeurs de l'Etat exigent des dispositifs de franchissement piscicole pour des truites communes, des lamproies de Planer, des brochets, des chabots, des loches, des vairons, des cyprinidés rhéophiles et assimilés (vandoise, spirlin, goujon, chevesne, hotu, etc.). Cela pose plusieurs problèmes.
D'abord, si toute espèce de poisson tend à se déplacer dans le fluide qui forme son milieu de vie, cela ne signifie nullement que cette espèce est "migratrice". Les déplacements des individus seront en moyenne plus importants dans des zones sans obstacles (de nombreuses monographies l'ont observé), mais la présence d'obstacles (généralement en montaison seule, car la dévalaison est presque toujours ouverte et non traumatique) n'empêche pas pour autant l'établissement de populations stables, tant qu'il existe des habitats et des ressources alimentaires sur le linéaire offert à la mobilité des populations présentes. Il conviendrait de ne pas confondre la mobilité (le déplacement) comme stratégie opportuniste afin de trouver des habitats propices à la reproduction et à l'alimentation avec la migration comme programmation génétique déterministe du comportement de certaines espèces.
Ensuite, la plupart de ces espèces ajoutées aux migrateurs amphihalins sont en statut de "préoccupation mineure" dans la liste rouge de l'UICN et ne correspondent donc pas à une urgence écologique particulière. Leur ubiquité dans les rivières françaises jusqu'à date récente montrent que les obstacles naturels ou artificiels des cours d'eau, dont la présence est ancienne, ne conduisent pas à une pression d'extinction.
Enfin, plus on élargit le champ des espèces concernés par la continuité écologique, plus il est difficile d'obtenir des dispositifs fonctionnels de franchissement piscicole. Telle espèce a de faibles capacités de saut, telle autre de faibles vitesses de pointe ou d'effort… au final, le cahier des charges devient très compliqué par rapport aux "vrais" migrateurs qui sont adaptés (et pour cause) à de longs parcours de migrations. Cela conduit à favoriser la solution radicale de l'effacement des ouvrages, choix qui devient clairement disproportionné à son enjeu écologique réel. Cela conduit aussi à classer un grand nombre de rivières, au lieu de centrer la réforme de continuité écologique sur des parcours migrateurs historiquement attestés, en commençant par les grands axes fluviaux de pénétration vers les continents depuis les océans (et inversement en dévalaison).
Seconde dérive : du transit sédimentaire-piscicole à la restauration d'habitat et à la renaturation intégrale
En lisant les prescriptions de l'article 214-17 C. env. pour les rivières en liste 2 – celles qui ont un délai de 5 ans pour être aménagées (2017 ou 2018 selon les bassins), et qui sont donc le principal lieu de tension aujourd'hui –, on s'aperçoit que le législateur a été très sobre : il demande le "transport suffisant des sédiments" et la "circulation des poissons migrateurs".
Ce sont donc deux attentes fonctionnelles, précises, qui sont formulées. En aucun cas le législateur ne s'est avancé à poser que les systèmes hydrauliques créés par les ouvrages en rivières (lacs, retenues, biefs) seraient des habitats "dégradés" par rapport à des habitats "naturels" qu'il conviendrait de restaurer partout. Pas plus ne lit-on dans la décision des parlementaires une quelconque incitation à la destruction de ces ouvrages hydrauliques.
Le diagnostic d'un ouvrage dans la perspective du 214-17 C env devrait donc se limiter à une quantification du régime sédimentaire local et de la franchissabilité piscicole pour les migrateurs amphihalins, avec intervention uniquement en cas d'altération manifeste. Mais sur ce plan, la mise en oeuvre de la continuité écologique par l'administration et les établissements de bassin a donné lieu à une seconde dérive.
On observe dans les discours, les rapports et les interventions que les habitats spécifiques créés par les ouvrages hydrauliques sont déconsidérés car représentés comme "non naturels", non conformes au régime hydrologique local. Par exemple, on déplore que l'écoulement soit lentique et non lotique, que la température soit plus élevée (au moins en surface) ou plus stratifiée, que le miroir d'eau soit élargi et la ligne d'énergie modifiée, que le lit et la zone hyporhéique soient tapissés de sédiments plus fins, que les processus d'érosion-dépôt soient modifiés (sans que la volumétrie réelle et la dynamique temporelle de cette modification soient établis), etc. Parfois, on ajoute des considérations sur l'auto-épuration des rivières (mais presque jamais en réalisant un bilan chimique réel des molécules concernées sur le système analysé).
Toutes ces considérations savantes intéressent des spécialistes des milieux aquatiques qui débattent de leur pertinence (et ne sont pas toujours d'accord entre eux), mais elles sont fort éloignées d'une politique de l'eau applicables à 500.000 km de linéaire de rivières et probablement plus de 100.000 obstacles à l'écoulement. Ces considérations servent surtout d'alibi au nouveau dogme administratif : le bon ouvrage est celui que l'on a réussi à faire disparaître par la menace réglementaire et le chantage financier.
Alors que le législateur a reconnu la réalité des ouvrages hydrauliques en même temps que la nécessité de limiter leurs impacts fonctionnels par des aménagements, l'administration a tendu depuis 10 ans à nier la légitimité de l'existence de ces ouvrages et à poser la nécessité de les faire disparaître dans un horizon de "renaturation" intégrale, c'est-à-dire de recréation par ingénierie d'un habitat plus proche des conditions naturelles de la rivière. Ce dévoiement du projet initial opère sur la base d'un non-sens épistémologique, à savoir que la rivière aurait une "condition de référence" avec équilibre stationnaire dans le temps, et que l'on pourrait re-créer cette condition par simple suppression des ouvrages (voir la critique de Bouleau et Pont). Ce non-sens est particulièrement palpable dans le cas des ouvrages hdyrauliques qui modifient l'écoulement des rivières depuis l'époque romaine et des peuplements piscicoles qui ont été co-déterminé par l'action humaine depuis la même époque. Le dévoiement de la volonté du législateur par les autorités et gestionnaires opère aussi – mais nous développerons ce point important ailleurs – sur une caractérisation partielle sinon partiale des hydrosystèmes du point de vue de leur diversité biologique et de leur fonctionnalité physique, tant au plan de l'échelle spatio-temporelle où l'on évalue ces traits qu'au plan des métriques choisies pour les évaluer.
Le mieux est l'ennemi du bien : le politique doit exiger un virage pragmatique face à l'échec de la dérive dogmatique
En allant bien au-delà de la volonté initiale du législateur, l'administration a donc trahi la lettre et l'esprit de la loi votée en 2006. Elle a aussi créé d'elle-même les conditions d'échec de la réforme : l'extension et l'exigence accrues dans la définition des cibles de la continuité écologique ne mobilisent ni suffisamment de budgets dans les Agences de l'eau, ni suffisamment de moyens humains et techniques dans sa mise en oeuvre. Sans parler de la coopération des principaux concernés (propriétaires d'ouvrages hydrauliques, riverains), qui sont pour la plupart hostiles à l'idée de détruire leur bien (moins-value foncière, paysagère, patrimoniale, énergétique, etc.) et insolvables à hauteur des aménagements bien trop lourds qu'implique le niveau d'ambition totalement irréaliste posé depuis 10 ans.
Certes, on se plait à mettre en avant par films, plaquettes et sites Internet quelques opérations jugées comme des réussites (voir les retours d'expériences de l'Onema). On omet de signaler que ces cas sont fort minoritaires par rapport au nombre d'ouvrages à traiter sur les rivières, et que s'ils ont été réalisés en priorité, c'est précisément parce que les conditions s'y prêtaient, notamment l'accord du propriétaire à voir disparaître ses ouvrages et l'accord des riverains à voir changer la ligne d'eau. Ces artifices plus proches de la propagande que de l'information sont silencieux sur les cas innombrables où l'on a forcé la main à des personnes fragiles et isolées, où les maîtres d'ouvrage ont accepté l'altération du patrimoine à contre-coeur, où l'information des élus et riverains n'a pas été complète et n'a pas donné lieu à concertation ouverte, où le résultat des travaux n'a pas été jugé meilleur que l'ancien paysage dessiné par les ouvrages, où l'opération de restauration n'a fait l'objet d'aucun suivi scientifique digne de ce nom, etc.
La dérive administrative que nous avons mis en lumière – extension des populations piscicoles cibles au-delà des grands migrateurs, horizon de "renaturation" intégrale par suppression des zones anthropisées – produit donc l'échec de la continuité écologique, perçue par beaucoup comme une opération destructive guidée par une approche idéologique et extrémiste de la rivière, voire par des arrière-pensées peu avouables (comme divertir l'attention des causes plus importantes d'altération des bassins, liées aux changements d'usages des sols par urbanisation et agro-industrialisation ainsi qu'à la diffusion massive des polluants chimiques).
Cette dérive n'est pas sans effet sur la réussite de la politique française de l'eau : la volonté de recréer à grands frais de l'habitat naturel sur des rivières anthropisées de longue date n'est non seulement pas inscrite dans le L-214-17 C env, mais elle n'est certainement pas le critère sur lequel la France sera jugé par ses partenaires européens. Les directives nitrates et eaux usées (1991), la directive cadre sur l'eau (2000), la directive pesticides (2009) n'exigent pas que notre pays détruise son patrimoine hydraulique pluricentenaire, mais plus basiquement qu'il limite les dégradations opérées depuis les années 1950, à l'époque où la croissance économique se construisait dans l'indifférence à la dégradation environnementale.
Retour à la sobriété et au bon sens, c'est-à-dire à la vocation réelle du L-214-17 C env
Nous sommes en 2015, à mi-chemin du délai de 5 ans prévu par les classements de 2012-2013. S'il est d'ores et déjà trop tard pour tenir le délai vu le nombre considérable d'ouvrages hydrauliques concernés par l'article 214-17 C env, il est encore temps de revenir à des positions plus pragmatiques pour la suite. Par exemple :
- limitation de la première vague d'aménagement aux enjeux des grands migrateurs;
- priorisation des actions selon des axes cohérents de montaison pour ces espèces;
- analyse stricte des fonctionnalités sédimentaires et piscicoles au droit des ouvrages, sans prétention à renaturer tous les bassins versants, en acceptant les habitats spécifiques créés par les ouvrages;
- analyse conjointe des autres facteurs dégradants du bon état et priorité d'intervention en continuité longitudinale aux seules rivières non dégradées par d'autres facteurs chimiques ou morphologiques;
- choix des solutions les plus simples qui améliorent les fonctionnalités cibles du 214-17 C env;
- restriction des destructions aux seuls cas de consentement réel du maître d'ouvrage;
- financement public de l'ensemble de ces aménagements, puisqu'ils ont pour objet des enjeux d'intérêt général.
Illustrations : seuil et ancien moulin sur le Serein, à hauteur de Montréal (89). La majorité des ouvrages hydrauliques en rivières classées liste 2 de l'article 214-17 C env sont des chaussées de taille modeste, ayant recréé un équilibre hydrologique local de longue date et offrant in situ des faciès diversifiés. Sur d'autres plans (hélas non pris en compte par l'administration dans ses choix actuels), ces ouvrages apportent des témoignages sur l'usage historique des rivières, intéressants sur le plan culturel et patrimonial, ils possèdent une évidente dimension esthétique et paysagère, ils représentent un potentiel d'équipement énergétique bien réparti sur tous les territoires.
21/08/2015
Confiez votre ouvrage hydraulique au Sicec...
... et voilà ce qui arrivera. 19 août 2015, au petit matin : l'ouvrage Floriet a disparu de la Seine (Nod-sur-Seine, 21).
Ces travaux ont été menés en pleine alerte sécheresse sur le département, sous la direction du syndicat Sicec qui avait racheté le seuil en 2010 afin de mieux le détruire. Doivent encore disparaître sous les pelleteuses le moulin des Ecuyers à Châtillon, le moulin de la scierie de Cosne, le vannage du vieux moulin de Beaunotte sur la Coquille. On comprend sans difficulté qu'un nombre croissant d'élus locaux des bassins Seine et Ource s'inquiètent de cette politique destructive et ne souhaitent pas la voir appliquée sur les rives de leurs villages, dont le paysage est souvent dessiné par des ouvrages hydrauliques. Quant au bilan coût-bénéfice pour l'environnement de ces opérations financées sur argent public, il reste à établir. Nous y reviendrons prochainement à propos de l'effacement de la forge d'Essarois.
Edit, 27/08/2015 : suite à des échanges avec des lecteurs (voir commentaire), précisons que l'Onema a une station de mesure de qualité de la rivière à Nod-sur-Seine, notamment l'Indice poisson rivière (IPR) qui est l'indicateur piscicole retenu pour la directive européenne de qualité écologique des eaux (DCE 2000). L'IPR de 2013 signalait une qualité piscicole "bonne" de la Seine, avec score de 8,74. L'IPR de 2011 (rien en 2012) est "excellent" avec un score de 6,97. Il est donc important de comprendre que cette destruction sur argent public ne concernait pas une rivière présentant des problèmes graves pour le compartiment piscicole, puisque sur ce compartiment, la Seine à Nod est éligible au bon état écologique.
A lire sur le même sujet :
Désastre écologique à Vanvey
Rochefort-sur-Brevon se bat pour son patrimoine
Qualité de la Seine et de ses affluents en Côte d'Or
Ces travaux ont été menés en pleine alerte sécheresse sur le département, sous la direction du syndicat Sicec qui avait racheté le seuil en 2010 afin de mieux le détruire. Doivent encore disparaître sous les pelleteuses le moulin des Ecuyers à Châtillon, le moulin de la scierie de Cosne, le vannage du vieux moulin de Beaunotte sur la Coquille. On comprend sans difficulté qu'un nombre croissant d'élus locaux des bassins Seine et Ource s'inquiètent de cette politique destructive et ne souhaitent pas la voir appliquée sur les rives de leurs villages, dont le paysage est souvent dessiné par des ouvrages hydrauliques. Quant au bilan coût-bénéfice pour l'environnement de ces opérations financées sur argent public, il reste à établir. Nous y reviendrons prochainement à propos de l'effacement de la forge d'Essarois.
Edit, 27/08/2015 : suite à des échanges avec des lecteurs (voir commentaire), précisons que l'Onema a une station de mesure de qualité de la rivière à Nod-sur-Seine, notamment l'Indice poisson rivière (IPR) qui est l'indicateur piscicole retenu pour la directive européenne de qualité écologique des eaux (DCE 2000). L'IPR de 2013 signalait une qualité piscicole "bonne" de la Seine, avec score de 8,74. L'IPR de 2011 (rien en 2012) est "excellent" avec un score de 6,97. Il est donc important de comprendre que cette destruction sur argent public ne concernait pas une rivière présentant des problèmes graves pour le compartiment piscicole, puisque sur ce compartiment, la Seine à Nod est éligible au bon état écologique.
Désastre écologique à Vanvey
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20/08/2015
Continuité écologique : les 4 erreurs de Ségolène Royal (ou de ceux qui répondent à sa place, et qui trompent Mme la Ministre…)
L'association des Amis des moulins de l'Ain a demandé à son député, Xavier Breton, de saisir Mme Royal d'une question écrite à propos des problèmes rencontrés par les propriétaires de moulins dans le cadre de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Vous pouvez télécharger le document à cette adresse.
La réponse de Mme Royal – plus probablement de sa direction technique de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie – illustre le déni persistant des problèmes par les services de l'Etat.
"La restauration de continuité écologique des cours d'eau est une politique importante pour l'atteinte du bon état des eaux préconisé par la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE) de 2000"
C'est faux, c'est archi-faux et la répétition de ce mensonge en 2015 est pour le moins inquiétante sur la bonne foi du rédacteur de ce courrier. La DCE 2000 mentionne dans son Annexe V la "continuité de la rivière" parmi de nombreux autres facteurs d'appréciation de la qualité de l'eau courante, mais elle n'a jamais fait de l'hydromorphologie (en particulier du sous-compartiment de continuité longitudinale) une condition sine qua non du bon état écologique. Les études scientifiques les plus récentes montrent qu'il existe une faible corrélation entre les barrages en rivières et les indices de qualité biologique ou chimique de l'eau retenus par la DCE 2000, les opérations de restauration morphologique ne permettant presque jamais d'atteindre le bon état au sens de la DCE à partir d'une rivière dégradée. L'insistance sur la continuité écologique est un choix franco-français, ne répondant généralement pas à des urgences environnementales, ne correspondant à aucune obligation européenne réelle et pire encore, ne garantissant pas l'atteinte du "bon état" auquel nous sommes justement obligés vis-à-vis de l'Europe. Ce choix a été dicté à partir de 2004 par des lobbies en comité de bassin (FNE, FDPF) et par le poids interne de certains services au sein de l'appareil administratif (CSP devenu Onema, Dreal, personnels en charge des suivis techniques au sein de certaines Agences de l'eau, Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère). La continuité écologique a été ensuite sanctuarisée dans le cadre du Grenelle et de divers plans de gestion, parce que cela arrangeait certains lobbies de détourner l'attention sur des sujets mineurs pour la qualité de la rivière comme cela arrangeait certaines administrations de trouver un cache-sexe pour l'impuissance de l'action publique sur cette même qualité.
"Différentes solutions existent, allant de la suppression de l'ouvrage à l'ouverture régulière des vannes en passant par l'aménagement de passes à poissons, la réduction partielle de la hauteur de l'ouvrage ou l'implantation de brèches"
C'est exact, mais cela dissimule de manière malhonnête la réalité de terrain : les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema), les Agences de l'eau, les syndicats de rivière et de bassin versant font globalement pression pour favoriser la seule suppression des obstacles à l'écoulement. L'effacement total ou partiel des barrages est encouragé règlementairement (par le traitement facile et rapide de tout dossier d'instruction en ce sens), il est financé à 80% voire 100 %. Quand le propriétaire veut conserver son barrage, on le matraque par des études coûteuses et bavardes avec à la clé des travaux pharaoniques ne recevant que peu ou pas de subventions, mais énormément de contrôles réglementaires de qualité (dossiers longs, complexes, opaques). Il existe en France, dans l'appareil d'Etat, une idéologie de la destruction systématique du patrimoine hydraulique. Ce fait est connu de tous les acteurs de la question – de très hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau n'ont-ils pas confessé, en marge de réunions passées, que "laisser un ou deux moulins par rivière, c'est très suffisant" (donc détruire les dizaines d'autres que comptent généralement les rivières, c'est très nécessaire !). Tant que cette idéologie de la destruction des seuils et barrages – idéologie minoritaire voire marginale dans la société, idéologie punitive et destructive, mais hélas idéologie dominante chez certains concepteurs de la partie réglementaire du droit de l'eau en France –, ne sera pas exposée et dénoncée comme telle, les conflits continueront.
"Sans nier les difficultés que rencontrent les propriétaires de moulins, il ne me semble pas souhaitable que celles-ci conduisent à remettre en question la position équilibrée qui a été adoptée dans cette loi [LEMA du 30/12/2006] sur une problématique qui concerne de nombreux acteurs".
Il est trompeur de suggérer ainsi que la LEMA 2006 pose problème en soi : les députés et sénateurs ont souhaité en tout et pour tout faciliter "la circulation des poissons migrateurs" (article L-214-17 C env) dans des rivières "classées" (sans précision sur l'ampleur et le calendrier du classement). Ce sont les services du Ministère et des Agences de l'eau qui, de manière fort peu démocratique (c'est-à-dire par voie réglementaire avec un minimum de contrôle et de concertation), ont transformé cet objectif légitime en une immense usine à gaz, ajoutant des espèces de poissons qui ne sont pas réellement des migrateurs (ie dont la migration n'est pas un élément essentiel du cycle de vie et de reproduction), exigeant pour de très modestes et très anciens seuils des aménagements exorbitants dignes des capacités financières des grands barragistes EDF ou VNF, classant des rivières entières en liste 2 sans aucun réalisme sur la capacité de mise en oeuvre de cette réforme dans le délai de 5 ans prévu par la loi, et sans aucune priorisation sur les enjeux environnementaux ou les parcours de montaison des (vrais et grands) migrateurs.
"Une première mission a été confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) concernant la réalisation d'un diagnostic de la mise en oeuvre concrète du plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, ainsi qu'une évaluation des sources de blocages et de tensions."
Et donc ? Mme la Ministre oublie de mentionner que ce rapport du CGEDD déplore l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité, ce qui contredit l'idée émise plus haut selon laquelle le processus de décision aurait été "équilibré". L'absence de concertation a même été constatée par la plus haute instance de notre droit public, le Conseil constitutionnel, dans la QPC du 23 mai 2014. Une disposition législative relative à l'environnement a été reconnue comme non constitutionnelle car n'ayant pas sollicité la participation des citoyens lors de son élaboration, mais elle a été validée malgré tout par le Conseil… car il a été jugé qu'il serait trop compliqué de l'abroger! Ces épisodes (parmi d'autres) révèlent la dérive antidémocratique de la politique de l'eau, justifiant l'opposition totale des propriétaires, usagers et riverains ainsi que des élus locaux à une politique décidée sans eux, malgré eux, contre eux.
"Une deuxième mission a ensuite été confiée au CGEDD. Elle a pour objet d'organiser une table ronde nationale avec les représentants des propriétaires de moulins, de collectivités et d'associations de protection de la nature. (…) L'objectif est l'élaboration d'une charte sur les questions liées aux moulins et à la restauration de la continuité écologique".
Hydrauxois ne signera jamais une charte proposée par l'Etat français tant que celui-ci n'aura pas reconnu la pleine légitimité d'existence des moulins et de leurs ouvrages hydrauliques, et qu'il n'aura pas donné la liberté réelle (économique notamment) de choisir des solutions non destructives si ces ouvrages doivent être aménagés à fin de continuité écologique. Notre association appelle toutes ses consoeurs à défendre cette ligne, qui correspond à une base élémentaire de justice et de décence.
Car il est indécent de proposer une "charte" pendant que les services de l'Etat cassent des droits d'eau, que les préfets signent les arrêtés d'effacement, que les pelleteuses massacrent le patrimoine historique et le potentiel énergétique, que des décrets scélérats sont publiés pour décourager les propriétaires de restaurer leurs moulins. Il est indécent de laisser entendre que la concertation fonctionne correctement alors que les négociations autour de la charte sont au point mort, que partout en France, des élus et des riverains s'indignent de la défiguration de leur cadre de vie par les destructions de chaussées et de biefs, que la gabegie d'argent public frise l'obscénité dans une France en retard sur tous ses autres engagements sur l'eau (nitrates, eaux usées, etc.).
Plus que jamais, nous appelons donc ceux qui nous lisent :
- à signer et surtout à faire signer la demande de moratoire sur la continuité écologique, position unitaire nationale déjà soutenue par la FDMF, la FFAM, l'ARF et OCE, avec plusieurs autres partenaires en voie de nous rejoindre;
- à éviter tout engagement auprès d'un syndicat ou d'une administration risquant de mener à la destruction d'un ouvrage hydraulique;
- à refuser de mettre en oeuvre l'article 214-17 du C env en rivière classée L2 tant que l'Etat et les Agences de l'eau n'auront pas apporté toutes les garanties sur les bonnes conditions réglementaires, juridiques, environnementales et financières de cette mise en oeuvre.
La réponse de Mme Royal – plus probablement de sa direction technique de l'eau et de la biodiversité au Ministère de l'Ecologie – illustre le déni persistant des problèmes par les services de l'Etat.
"La restauration de continuité écologique des cours d'eau est une politique importante pour l'atteinte du bon état des eaux préconisé par la Directive cadre européenne sur l'eau (DCE) de 2000"
C'est faux, c'est archi-faux et la répétition de ce mensonge en 2015 est pour le moins inquiétante sur la bonne foi du rédacteur de ce courrier. La DCE 2000 mentionne dans son Annexe V la "continuité de la rivière" parmi de nombreux autres facteurs d'appréciation de la qualité de l'eau courante, mais elle n'a jamais fait de l'hydromorphologie (en particulier du sous-compartiment de continuité longitudinale) une condition sine qua non du bon état écologique. Les études scientifiques les plus récentes montrent qu'il existe une faible corrélation entre les barrages en rivières et les indices de qualité biologique ou chimique de l'eau retenus par la DCE 2000, les opérations de restauration morphologique ne permettant presque jamais d'atteindre le bon état au sens de la DCE à partir d'une rivière dégradée. L'insistance sur la continuité écologique est un choix franco-français, ne répondant généralement pas à des urgences environnementales, ne correspondant à aucune obligation européenne réelle et pire encore, ne garantissant pas l'atteinte du "bon état" auquel nous sommes justement obligés vis-à-vis de l'Europe. Ce choix a été dicté à partir de 2004 par des lobbies en comité de bassin (FNE, FDPF) et par le poids interne de certains services au sein de l'appareil administratif (CSP devenu Onema, Dreal, personnels en charge des suivis techniques au sein de certaines Agences de l'eau, Direction de l'eau et de la biodiversité au Ministère). La continuité écologique a été ensuite sanctuarisée dans le cadre du Grenelle et de divers plans de gestion, parce que cela arrangeait certains lobbies de détourner l'attention sur des sujets mineurs pour la qualité de la rivière comme cela arrangeait certaines administrations de trouver un cache-sexe pour l'impuissance de l'action publique sur cette même qualité.
"Différentes solutions existent, allant de la suppression de l'ouvrage à l'ouverture régulière des vannes en passant par l'aménagement de passes à poissons, la réduction partielle de la hauteur de l'ouvrage ou l'implantation de brèches"
C'est exact, mais cela dissimule de manière malhonnête la réalité de terrain : les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema), les Agences de l'eau, les syndicats de rivière et de bassin versant font globalement pression pour favoriser la seule suppression des obstacles à l'écoulement. L'effacement total ou partiel des barrages est encouragé règlementairement (par le traitement facile et rapide de tout dossier d'instruction en ce sens), il est financé à 80% voire 100 %. Quand le propriétaire veut conserver son barrage, on le matraque par des études coûteuses et bavardes avec à la clé des travaux pharaoniques ne recevant que peu ou pas de subventions, mais énormément de contrôles réglementaires de qualité (dossiers longs, complexes, opaques). Il existe en France, dans l'appareil d'Etat, une idéologie de la destruction systématique du patrimoine hydraulique. Ce fait est connu de tous les acteurs de la question – de très hauts fonctionnaires de la Direction de l'eau n'ont-ils pas confessé, en marge de réunions passées, que "laisser un ou deux moulins par rivière, c'est très suffisant" (donc détruire les dizaines d'autres que comptent généralement les rivières, c'est très nécessaire !). Tant que cette idéologie de la destruction des seuils et barrages – idéologie minoritaire voire marginale dans la société, idéologie punitive et destructive, mais hélas idéologie dominante chez certains concepteurs de la partie réglementaire du droit de l'eau en France –, ne sera pas exposée et dénoncée comme telle, les conflits continueront.
"Sans nier les difficultés que rencontrent les propriétaires de moulins, il ne me semble pas souhaitable que celles-ci conduisent à remettre en question la position équilibrée qui a été adoptée dans cette loi [LEMA du 30/12/2006] sur une problématique qui concerne de nombreux acteurs".
Il est trompeur de suggérer ainsi que la LEMA 2006 pose problème en soi : les députés et sénateurs ont souhaité en tout et pour tout faciliter "la circulation des poissons migrateurs" (article L-214-17 C env) dans des rivières "classées" (sans précision sur l'ampleur et le calendrier du classement). Ce sont les services du Ministère et des Agences de l'eau qui, de manière fort peu démocratique (c'est-à-dire par voie réglementaire avec un minimum de contrôle et de concertation), ont transformé cet objectif légitime en une immense usine à gaz, ajoutant des espèces de poissons qui ne sont pas réellement des migrateurs (ie dont la migration n'est pas un élément essentiel du cycle de vie et de reproduction), exigeant pour de très modestes et très anciens seuils des aménagements exorbitants dignes des capacités financières des grands barragistes EDF ou VNF, classant des rivières entières en liste 2 sans aucun réalisme sur la capacité de mise en oeuvre de cette réforme dans le délai de 5 ans prévu par la loi, et sans aucune priorisation sur les enjeux environnementaux ou les parcours de montaison des (vrais et grands) migrateurs.
"Une première mission a été confiée au Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) concernant la réalisation d'un diagnostic de la mise en oeuvre concrète du plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau, ainsi qu'une évaluation des sources de blocages et de tensions."
Et donc ? Mme la Ministre oublie de mentionner que ce rapport du CGEDD déplore l'absence de concertation dans la mise en oeuvre de la continuité, ce qui contredit l'idée émise plus haut selon laquelle le processus de décision aurait été "équilibré". L'absence de concertation a même été constatée par la plus haute instance de notre droit public, le Conseil constitutionnel, dans la QPC du 23 mai 2014. Une disposition législative relative à l'environnement a été reconnue comme non constitutionnelle car n'ayant pas sollicité la participation des citoyens lors de son élaboration, mais elle a été validée malgré tout par le Conseil… car il a été jugé qu'il serait trop compliqué de l'abroger! Ces épisodes (parmi d'autres) révèlent la dérive antidémocratique de la politique de l'eau, justifiant l'opposition totale des propriétaires, usagers et riverains ainsi que des élus locaux à une politique décidée sans eux, malgré eux, contre eux.
"Une deuxième mission a ensuite été confiée au CGEDD. Elle a pour objet d'organiser une table ronde nationale avec les représentants des propriétaires de moulins, de collectivités et d'associations de protection de la nature. (…) L'objectif est l'élaboration d'une charte sur les questions liées aux moulins et à la restauration de la continuité écologique".
Hydrauxois ne signera jamais une charte proposée par l'Etat français tant que celui-ci n'aura pas reconnu la pleine légitimité d'existence des moulins et de leurs ouvrages hydrauliques, et qu'il n'aura pas donné la liberté réelle (économique notamment) de choisir des solutions non destructives si ces ouvrages doivent être aménagés à fin de continuité écologique. Notre association appelle toutes ses consoeurs à défendre cette ligne, qui correspond à une base élémentaire de justice et de décence.
Car il est indécent de proposer une "charte" pendant que les services de l'Etat cassent des droits d'eau, que les préfets signent les arrêtés d'effacement, que les pelleteuses massacrent le patrimoine historique et le potentiel énergétique, que des décrets scélérats sont publiés pour décourager les propriétaires de restaurer leurs moulins. Il est indécent de laisser entendre que la concertation fonctionne correctement alors que les négociations autour de la charte sont au point mort, que partout en France, des élus et des riverains s'indignent de la défiguration de leur cadre de vie par les destructions de chaussées et de biefs, que la gabegie d'argent public frise l'obscénité dans une France en retard sur tous ses autres engagements sur l'eau (nitrates, eaux usées, etc.).
Plus que jamais, nous appelons donc ceux qui nous lisent :
- à signer et surtout à faire signer la demande de moratoire sur la continuité écologique, position unitaire nationale déjà soutenue par la FDMF, la FFAM, l'ARF et OCE, avec plusieurs autres partenaires en voie de nous rejoindre;
- à éviter tout engagement auprès d'un syndicat ou d'une administration risquant de mener à la destruction d'un ouvrage hydraulique;
- à refuser de mettre en oeuvre l'article 214-17 du C env en rivière classée L2 tant que l'Etat et les Agences de l'eau n'auront pas apporté toutes les garanties sur les bonnes conditions réglementaires, juridiques, environnementales et financières de cette mise en oeuvre.
19/08/2015
3e Rencontre de l’hydroélectricité en Bourgogne et en Franche-Comté
Les directions régionales de l’ADEME en Bourgogne et en Franche-Comté et la région Bourgogne organisent en partenariat avec l’Association Bourgogne Énergies Renouvelables la 3e rencontre de l’hydroélectricité en Bourgogne et en Franche-Comté, le 25 septembre 2015 à Cuisery en Saône-et-Loire.
Programme prévisionnel de la journée:
9h : Accueil
9h30 : Table Ronde « Construire son plan de financement »
11h : Témoignages
12h : Point d’actualité juridique
13h : Repas
14h30 : Visite du moulin de Cuisery
Forum avec des professionnels de l'hydroélectricité
Pour recevoir le programme complet de la journée ainsi que le bulletin d’inscription, merci de contacter l’association Bourgogne Énergies Renouvelables par :
• internet sur le site http://www.ber.asso.fr
• téléphone au 03.80.59.12.80
• courriel à hydro(at)ber.asso.fr
Programme prévisionnel de la journée:
9h : Accueil
9h30 : Table Ronde « Construire son plan de financement »
11h : Témoignages
12h : Point d’actualité juridique
13h : Repas
14h30 : Visite du moulin de Cuisery
Forum avec des professionnels de l'hydroélectricité
Pour recevoir le programme complet de la journée ainsi que le bulletin d’inscription, merci de contacter l’association Bourgogne Énergies Renouvelables par :
• internet sur le site http://www.ber.asso.fr
• téléphone au 03.80.59.12.80
• courriel à hydro(at)ber.asso.fr
16/08/2015
Rochefort-sur-Brevon (21) se bat pour préserver son patrimoine hydraulique
Le Brevon est un petit affluent châtillonnais en rive droite de la Seine, long d'une trentaine de kilomètres. Il trouve sa source à Echalot et conflue à Aisey-sur-Seine. La rivière s'inscrit dans une superbe vallée qu'apprécient tous les amoureux de la nature, mais aussi du paysage et du patrimoine : son cours est jalonné de nombreux ouvrages hydrauliques formant des plans d'eau dans leurs retenues.
Le village de Rochefort-sur-Brevon, encaissé au pied d'un pittoresque éperon rocheux, saisit le visiteur par la beauté inactuelle de son bâti. On y trouve 3 sites classiques du patrimoine sidérurgique de la Bourgogne du Nord : la forge du Haut, au pied de la chaussée formant un étang, la forge du Bas avec sa cheminée d'affinerie caractéristique et, environ deux kilomètres à l'aval, la fenderie, elle aussi adossée à un seuil créant un étang.
Le site fait actuellement l'objet d'une étude par le bureau Artelia, commanditée par le syndicat de rivière Sicec. Enjeu : la continuité écologique. Le diagnostic dressé en 2011 par la FDAAPPMA 21 avait désigné cette succession de retenues comme un point noir (réchauffement de l'eau, rupture de continuité longitudinale). Dans ce cas de figure, les syndicats de rivière et les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema) tendent à favoriser les effacements totaux ou partiels des ouvrages hydrauliques et de leurs plans d'eau.
Les élus du village ont voté une délibération rappelant leur attachement profond à l'intégrité paysagère et architecturale du site. Ils rappellent que l'envasement de l'étang est dû à la dégradation assez récente du système de vannage. Les élus souhaitent que soit engagée la restauration la forge du Haut et que soit envisagée une production hydro-électrique locale.
Les associations Hydrauxois et Arpohc :
- rappellent que l'acharnement actuel à détruire la maximum d'ouvrages relève d'une écologie punitive sans proportion avec les enjeux environnementaux réels ;
- souhaitent que l'argent public soit dépensé avec discernement, tant pour restaurer la qualité des rivières que pour préserver le cadre de vie construit au fil des siècles par les riverains ;
- soutiennent pleinement le choix des élus et habitants de Rochefort-sur-Brevon en faveur de solutions non destructives ;
- se placent à leur disposition pour toute démarche qui serait jugée utile à la préservation du patrimoine hydraulique et à sa valorisation énergétique, ainsi qu'à l'amélioration environnementale par des mesures simples, proportionnées et de bon sens.
Le village de Rochefort-sur-Brevon, encaissé au pied d'un pittoresque éperon rocheux, saisit le visiteur par la beauté inactuelle de son bâti. On y trouve 3 sites classiques du patrimoine sidérurgique de la Bourgogne du Nord : la forge du Haut, au pied de la chaussée formant un étang, la forge du Bas avec sa cheminée d'affinerie caractéristique et, environ deux kilomètres à l'aval, la fenderie, elle aussi adossée à un seuil créant un étang.
Le site fait actuellement l'objet d'une étude par le bureau Artelia, commanditée par le syndicat de rivière Sicec. Enjeu : la continuité écologique. Le diagnostic dressé en 2011 par la FDAAPPMA 21 avait désigné cette succession de retenues comme un point noir (réchauffement de l'eau, rupture de continuité longitudinale). Dans ce cas de figure, les syndicats de rivière et les services instructeurs de l'Etat (DDT, Onema) tendent à favoriser les effacements totaux ou partiels des ouvrages hydrauliques et de leurs plans d'eau.
Les élus du village ont voté une délibération rappelant leur attachement profond à l'intégrité paysagère et architecturale du site. Ils rappellent que l'envasement de l'étang est dû à la dégradation assez récente du système de vannage. Les élus souhaitent que soit engagée la restauration la forge du Haut et que soit envisagée une production hydro-électrique locale.
Les associations Hydrauxois et Arpohc :
- rappellent que l'acharnement actuel à détruire la maximum d'ouvrages relève d'une écologie punitive sans proportion avec les enjeux environnementaux réels ;
- souhaitent que l'argent public soit dépensé avec discernement, tant pour restaurer la qualité des rivières que pour préserver le cadre de vie construit au fil des siècles par les riverains ;
- soutiennent pleinement le choix des élus et habitants de Rochefort-sur-Brevon en faveur de solutions non destructives ;
- se placent à leur disposition pour toute démarche qui serait jugée utile à la préservation du patrimoine hydraulique et à sa valorisation énergétique, ainsi qu'à l'amélioration environnementale par des mesures simples, proportionnées et de bon sens.
Illustrations : Christal de Saint-Marc (DR) ; Christian Jacquemin (Arpohc)
15/08/2015
Yonne à l'amont de Pannecière: un effacement de seuil pollue la rivière
Nous publions ci-dessous le communiqué intégral de l'AAPPMA La Truite morvandelle à propos de la pollution de la rivière Yonne survenue au début du mois d'août, dans le cadre des opération de préparation d'un effacement total de seuil à l'amont du barrage (infranchissable) de Pannecière. Cette dégradation du milieu aquatique rappelle que les destructions de seuils ne sont pas des opérations anodines quant à la remobilisation des sédiments.
Inquiétude du monde de la pêche au sujet de l’Yonne à l’aval du réservoir de Pierre Glissotte. Les opérations de vidange en vue de l’effacement total de cet ouvrage, qui posait problème à la continuité écologique sur cette portion de rivière, se sont effectuées dans la dernière quinzaine de juillet.
L’AAPPMA La Truite Morvandelle avait été sollicitée pour prêter main forte au sauvetage des poissons présents dans la retenue ; ceux-ci n’étaient pas très nombreux, quelques truites, vairons, goujons et autres lamproies de planer ont été remis dans l’Yonne à l’amont, tandis que les quelques carpes , tanches et chevesnes ont été transférés en 2° catégorie, les écrevisses signal ont bien entendu été détruites.
Ces opérations ce sont bien déroulées jusqu’à ce qu’un petit orage vienne grossir un des ruisseaux affluent qui descend de Château-Chinon, ce qui a eu pour effet d’obstruer les grilles du barrage.
Lors de l’opération de dégrillage pour permettre l’écoulement de l’eau, des parties de la digue ont cédé, ce qui a eu pour effet l’évacuation de boues vers l’aval. Boues qui auraient dû être évacuées ou stabilisées dans un schéma de vidange normal et n’auraient pas du se retrouver dans la rivière.
Depuis, l’eau de l’Yonne qui s’écoule est de couleur gris noir et le fond est recouvert de sédiments boueux et ce jusqu’à l’entrée dans le lac de Pannecière. Il n’aurait pas été constaté de mortalité de poissons… mais on peut supposer que la micro faune qui vit, dans et sur le substrat est fortement impactée, et ce sur plusieurs années.
La Fédération de Pêche de la Nièvre, l’AAPPMA La Truite Morvandelle et la Sté de pêche de Corancy ont fait part de leur inquiétude auprès de l’ Office National de l’Eau et Milieux Aquatiques ainsi que de la Direction des Territoires qui suivent le dossier.
Illustration : © JB Dioux, source Esoxiste
Inquiétude du monde de la pêche au sujet de l’Yonne à l’aval du réservoir de Pierre Glissotte. Les opérations de vidange en vue de l’effacement total de cet ouvrage, qui posait problème à la continuité écologique sur cette portion de rivière, se sont effectuées dans la dernière quinzaine de juillet.
Ces opérations ce sont bien déroulées jusqu’à ce qu’un petit orage vienne grossir un des ruisseaux affluent qui descend de Château-Chinon, ce qui a eu pour effet d’obstruer les grilles du barrage.
Lors de l’opération de dégrillage pour permettre l’écoulement de l’eau, des parties de la digue ont cédé, ce qui a eu pour effet l’évacuation de boues vers l’aval. Boues qui auraient dû être évacuées ou stabilisées dans un schéma de vidange normal et n’auraient pas du se retrouver dans la rivière.
Depuis, l’eau de l’Yonne qui s’écoule est de couleur gris noir et le fond est recouvert de sédiments boueux et ce jusqu’à l’entrée dans le lac de Pannecière. Il n’aurait pas été constaté de mortalité de poissons… mais on peut supposer que la micro faune qui vit, dans et sur le substrat est fortement impactée, et ce sur plusieurs années.
La Fédération de Pêche de la Nièvre, l’AAPPMA La Truite Morvandelle et la Sté de pêche de Corancy ont fait part de leur inquiétude auprès de l’ Office National de l’Eau et Milieux Aquatiques ainsi que de la Direction des Territoires qui suivent le dossier.
Illustration : © JB Dioux, source Esoxiste
03/08/2015
Une rivière peut-elle avoir un état de référence? Critique des fondements de la DCE 2000 (Bouleau et Pont 2014, 2015)
Gabrielle Bouleau est socio-politiste, Didier Pont est hydro-écologue, tous les deux travaillent à l'Irstea (UR Aménités et dynamiques des espaces ruraux et UR Hydrosystèmes et bioprocédés). Ils viennent de publier deux articles ouvrant un débat assez fondamental sur la directive-cadre européenne sur l'eau (DCE 2000). Fondamental au sens propre, c'est-à-dire relatif au fondement même de la DCE 2000 : l'idée qu'il existerait un "état de référence" ou une "condition de référence" de la rivière, étant entendu que le succès d'une politique de l'eau se mesure par la conformité à cette référence. Analyse et commentaires.
La DCE 2000 impose aux Etats-membres de procéder à des mesures de l'état chimique et écologique des masses d'eau (près de 80 indicateurs au total d'ici 2018, les substances chimiques surveillées allant être élargies). Les mesures écologiques correspondent à des paramètres biologiques et physico-chimiques. Comme l'expliquent G. Bouleau et D. Pont, "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité."
L'état de référence, idéal managérial d'une politique du résultat...
Cette idée d'une condition de référence objectivée par la mesure (un indicateur chimique, physique et biologique) a été adoptée par les fonctionnaires (en petit nombre) de la DG environnement de la Commission en charge de la rédaction de la directive, ainsi que par le Parlement européen échaudé des difficultés rencontrées avec les Directives Nitrates et Eaux résiduaires urbaines de 1991. Les représentants des gouvernements des Etats-membres étaient à l'époque plus rétifs à l'idée d'objectifs contraignants. Les conditions de référence répondent à deux inspirations très différentes.
Sous l'angle politique et économique, "l’accent mis sur la performance quantifiable est une évolution récente qui caractérise la doctrine managériale du New Public Management et qui n’est pas spécifique au domaine de l’eau. Cette doctrine, connue pour ses applications initiales par le président américain Reagan et le Premier ministre britannique Thatcher, est depuis promue par l’OCDE (1995) et la Banque mondiale (Perrin, 2006). Elle vise à développer dans l’administration les méthodes de rationalisation des entreprises privées. Son succès s’explique parce qu’elle accompagne l’essor de l’industrie de l’audit et du conseil, en promettant aux financeurs et au pouvoir politique un contrôle plus facile, même si la complexité de la définition des missions de service public se réduit mal à quelques chiffres. L’obligation de résultat inscrite dans la DCE est la traduction à l’échelle européenne et dans le domaine de l’environnement d’un phénomène plus large".
Derrière la condition de référence se profile un modèle pression-impact-réponse (driving force, pressure, state, impact, response ou DPSIR) assez simple : on identifie la pression à son impact sur le milieu, on élimine ou limite la pression pour que le milieu réponde favorablement. C'est peut-être pertinent pour un système linéaire et réversible, mais il est probable que le vivant en général et la rivière en particulier soient plutôt des systèmes complexes (voire chaotiques) et non-réversibles…
… et vestige de l'écologie des années 1960
Sous l'angle écologique, l'idée d'état de référence de la rivière est venue de certains experts en écologie dont s'est entourée la DG environnement, et elle n'était pas présente dans la première rédaction (voir Loupsans et Gramaglia 2011 pour une analyse très intéressante de la genèse de la DCE et de différentes postures d'expertises). Dans la seconde version, notent les auteurs, "les indicateurs retenus ont été restreints au milieu aquatique, au détriment du sédiment, de la flore et de la faune caractérisant le corridor fluvial dans son ensemble. Les altérations hydromorphologiques sont davantage prises en compte que dans la version antérieure. Du point de vue socio-économique, la seconde version a abandonné les considérations patrimoniales et esthétiques. Ce partage des tâches entre l’écologie chargée de déterminer les normes environnementales et l’économie chargée d’optimiser des régulations, en jouant sur les prix une fois que les normes sont fixées, correspond à l’école néoclassique de l’économie de l’environnement".
La notion d'état de référence finalement retenue renvoie à une écologie des années 1960, "largement inspirée par le paradigme d’écosystème, une vision a priori de la nature centrée sur les espèces et surtout de la notion de climax qui lui a été rapidement associée (…) Chaque unité écologique est considérée comme relativement constante face à la variabilité environnementale et à même de s’autoréguler tel un organisme (Balance of Nature Concept). Elle passe par différentes phases pour atteindre un état climacique et s’y maintient jusqu’à modifications majeures de l’environnement global (sur un pas de temps long). Les écosystèmes représentent ainsi des structures prédictibles, même si les cycles de perturbation sont des parties intégrantes de leur fonctionnement (retour à un état antérieur 'optimal')." Cette vision est celle qui avait inspiré le Clean Water Act aux Etats-Unis, au début des années 1970.
Le caractère non-linéaire des écosystèmes et l'intrication nature-culture
Plusieurs problèmes se posent. Ce paradigme d'un écosystème stable dont l'intégrité serait perturbée transitoirement par l'activité humaine ne fait nullement consensus dans la communauté scientifique. Selon les observations plus récentes de l'écologie, "les écosystèmes, même lorsqu’ils subissent des modifications continues sur un gradient environnemental donné (naturel ou non), changent radicalement à partir d’un certain point (processus non linéaire) et ne sont pas à même de retourner à leur état initial lorsque l’on rétablit les conditions environnementales antérieures. Pour un même type d’écosystème, on peut donc avoir différents domaines de stabilité. On envisage ici clairement une composante 'chaotique' dans la trajectoire des écosystèmes".
Par ailleurs, l'opposition nature-culture (souvent imprégnée de jugements de valeur ou d'a priori ontologiques) n'a pas tellement de sens pour des systèmes aussi imbriqués à l'homme que le sont les rivières. Les auteurs observent : "une autre remise en question majeure de la notion de conditions de référence provient du constat que les modifications de son environnement par l’homme sont en fait significatives depuis plusieurs millénaires: la notion d’état non perturbé n’a plus de signification écologique. En reprenant l’idée d’écosystème et en l’élargissant, le concept de sociosystème (Fischer-Kowalski, 1997 ; Lapierre, 1992) reconnaît le caractère indissociable des caractéristiques naturelles et sociales de ces systèmes, et le rôle central des interactions homme-nature. Dans le champ de l’histoire environnementale et plus précisé- ment de l’écologie historique, les auteurs partent du postulat d’une coévolution de l’homme et de la nature sur le long terme (depuis le Néolithique) de type non déterministe, mais dialectique. Les activités humaines ne sont pas systématiquement perçues comme synonymes de destruction, elles sont aussi source de création de paysages".
Autre point mis en avant Bouleau et Pont pour souligner la faiblesse épistémologique de la condition de référence : la variabilité des écosystèmes due au changement climatique. Les équilibres hydrologiques et thermiques sont en passe d'être modifiés très rapidement (à l'échelle historique et géologique), et "il s’ensuit que les biocénoses dites de référence seront modifiées (…) La distinction entre variabilité naturelle et impacts anthropiques dans le fonctionnement des systèmes va apparaître de plus en plus artificielle. La modification climatique ne changera pas simplement l’état écologique non perturbé, mais également les impacts des altérations humaines sur les biocénoses (eutrophisation, couplage des régimes thermiques et de l’hydrologie, etc.) et toutes les incertitudes associées à l’évaluation".
Mauvais paradigme, mauvais résultats: l'ingénierie écologique n'atteindra pas les objectifs escomptés
Parmi les problèmes concrets que pose la condition de référence telle que définie par la DCE 2000, les auteurs soulignent la difficulté de parvenir au "bon état" : les rédacteurs de la Directive ont posé que l'état de la masse d'eau sera définie par la plus mauvaise note de l'un de ses indicateurs ("one fails, all fail"). Or, nombre de rivières sont déclassées par telle ou telle pollution diffuse (comme les HAP) qui ne remettent pas forcément en question leur fonctionnalité et qui seront difficiles à corriger. A cela s'ajoute que les bio-indicateurs ne répondent pas de manière univoque et précise à un seul type de pression, et que sur les zones aval les plus peuplées, ces pressions sont nombreuses et entremêlées.
L'ingénierie de la restauration écologique se trouve bien évidemment impactée par ces réalités. Elle agit massivement selon le schéma "nous corrigeons la pression, nous observons le résultat" qui se trouve souvent réducteur et simpliste. Résultat : les nombreux échecs de la restauration écologique et morphologique, dont nous avons relaté sur ce site quelques analyses scientifiques. Bouleau et Pont observent : "les résultats des restaurations sont souvent inattendus : le système ne retourne pas à son état antérieur (Suding et al., 2004). Ce résultat peut être expliqué par l’absence actuelle de systèmes permettant de définir une référence, un changement des conditions à des échelles supra-locales (paysage, bassin versant, climat), une modification irréversible de certains paramètres environne- mentaux, des modifications de la connectivité à l’échelle des bassins, la modification du cortège d’espèces, de nouvelles interactions biotiques et l’altération des feedbacks biotiques-abiotiques entraînant une modification durable des conditions bio-géochimiques (Henri et Amoros, 1995 ; Nilsson et al., 2007 ; Suding et al., 2004). Moss (2008) insiste également sur le temps de réponse qui est parfois très long et rend difficile l’évaluation des interventions. Sur ces bases, Hughes et al. (2005) concluent à l’impossibilité de définir des objectifs trop précis en matière de restauration".
Quelques commentaires
- Le travail de Gabrielle Bouleau et Didier Pont n'épuise évidemment pas son objet d'étude, mais il a le grand mérite d'ouvrir un débat nécessaire sur la construction de la politique de l'eau et la mobilisation de concepts scientifiques par les gestionnaires. L'approche croisée d'une socio-politiste et d'un écologue amène une interdisciplinarité bienvenue sur le thème de la rivière, qui n'est pas la chasse gardée du naturaliste (et qui n'est plus exactement un "phénomène naturel" à l'âge anthropocène).
- Il est notoire que la science et la politique ont des rapports compliqués. D'un côté, la "science politisée" a laissé de très mauvais souvenirs dans l'histoire, parce qu'elle a été synonyme de médiocrité et d'erreur scientifiques en même temps que de suspension de la critique démocratique au nom de supposées vérités savantes. D'un autre côté, les choix publics des sociétés démocratiques, complexes et ouvertes font de plus en plus appel à l'expertise scientifique comme le "moins mauvais guide" pour anticiper les conséquences des choix en question, ou pour circonscrire des normes visant l'intérêt général en santé, sécurité, environnement, etc.
- La "science normative" (c'est-à-dire la science directement productrice de normes) reste de notre point de vue une aberration démocratique et un dévoiement de l'exercice scientifique. La notion de "bon état" doit être clairement assumée comme une notion politique (ou gestionnaire), car la science n'a jamais eu vocation à définir ce qui est "bon" ou "mauvais". Là-dessus, les sciences de l'environnement (de l'eau parmi d'autres thèmes) offrent parfois dans leur communication une dommageable porosité à l'idéologie. Il faut s'en prémunir : on n'attend définitivement pas du chercheur qu'il pose en sauveur de la planète (certains excellent déjà dans cette posture, ils en font même un métier profitable…), mais qu'il publie des résultats d'observation et d'expérimentation avec des méthodes reproductibles, des données publiques et des conclusions réfutables. Nous avons déjà appelé plusieurs fois les chercheurs de l'eau à prendre des positions publiques sur la nécessaire prudence dans l'interprétation des travaux de l'écologie scientifique, et sur la nécessaire insistance concernant les incertitudes propres à la démarche scientifique. Des idées un peu floues peuvent vite devenir des contraintes fortes sous l'action réglementaire des administrations centrales, impactant ensuite le cadre de vie de millions de gens. Si l'enjeu est réel, cela ne pose pas problème ; s'il ne l'est pas, cela contribue à briser la confiance de la société en la science.
- Indépendamment de la notion de référence et de l'objectif d'état, le choix de la DCE 2000 d'imposer la réalisation, normalisation et publication des mesures de qualité chimique et écologique de l'eau nous paraît une bonne chose. Cela permet d'objectiver certains paramètres de la rivière, de nourrir les recherches scientifiques, de se référer dans le débat public à une réalité dont le diagnostic est au moins partagé (à l'imprécision de la mesure près, voire au bien-fondé de l'indicateur près, cf point suivant). Il reste d'ailleurs scandaleux qu'en 2015 la France ne soit pas capable de produire la totalité des indicateurs sur chaque masse d'eau, assorti d'une analyse de leur variabilité inter- ou intra-annuelle et d'une première modélisation des bassins versants. Ne pas se doter de ces mesures et outils, c'est ouvrir la porte à des préconisations du doigt mouillé, des pseudo-expertises de bureau sans base empirique, des choix dictés par des arrangements politiques locaux sans lien avec les priorités environnementales, etc.
- La critique de la notion de "condition de référence" doit conduire à une réflexion complémentaire sur les indicateurs de qualité aujourd'hui utilisés sur les rivières. Certains relèvent de l'éco-toxicologie : des mesures de concentration de substances chimiques ou de quantités physiques. Ils sont assez peu sujets à débat si ce n'est une discussion sur la concentration ou la quantité admissible pour la société (par exemple accepte-t-on tel ou tel taux de nitrate, de phopshore, etc.). D'autres en revanche sont des constructions paramétriques, des équations semi-empiriques où l'on choisit de pondérer certains facteurs. Par exemple l'indice de qualité piscicole poisson rivière (IPR puis IPR+) résulte d'un calcul complexe, ce n'est pas une simple comptabilité de poissons. Le choix dans les paramètres de l'indice n'a alors rien d'évident, il reflète une certaine approche du système étudié (par exemple désigner un assemblage d'espèces comme "intègre" ou une certaine fonctionnalité comme particulièrement digne d'intérêt). L'intelligence de ces bio-indicateurs (leur sens, leur portée, leur limite) peut se perdre quand ils deviennent de simples résultats chiffrés assortis à un qualificatif "bon / moyen / mauvais". Leur élaboration demande une assez large concertation dans la communauté chercheurs (et des validations par intercalibrage), car on risque toujours de construire de indicateurs ad hoc sur commande du gestionnaire public, mais sans réelle vertu explicative / prédictive au plan des sciences de l'environnement. Vouloir appliquer très vite ces indicateurs (dans une logique politico-administrative à horizon de 5 ans) pose problème sur la robustesse des conclusions qu'on en tire en terme d'aménagements.
- Exprimons enfin tout haut ce que de plus en plus d'observateurs pensent tout bas : le "bon état écologique" de 100% des masses d'eau (objectif officiel de l'UE) est un mythe, que l'on se place à l'horizon 2015, 2021 ou 2027. Au regard des conditions posées par l'état de référence comme rivière "naturelle" quasiment épargnée par l'homme, il paraît évident que les Européens ne parviendront pas à effacer en l'espace de trois décennies le poids des siècles voire des millénaires de modifications anthropiques des hydrosystèmes. Comme les hommes continueront de vivre près de l'eau, ces hydrosystèmes continueront d'être des "éco-bio-technosystèmes" échappant à la contrainte pseudo-déterministe d'une hypothétique naturalité (a fortiori l'assignation à une "intégrité" définie comme état stationnaire). Il serait bon de nourrir davantage de débats publics (et d'engager davantage de réflexions savantes) sur le sujet, au lieu d'euphémiser la chose dans les rapports alambiqués des gestionnaires pris au piège de leur ambition démesurée, mais ne voulant pas reconnaître certaines erreurs dans les choix institutionnels passés. Poser dès à présent les difficultés prévisibles de mise en oeuvre de la DCE éviterait de laisser prospérer quelques discours extrémistes et irréalistes selon lesquels seule la mauvaise volonté (de tel ou tel usager de l'eau désigné comme l'ennemi de la nature) expliquerait les mauvais résultats (d'une politique de l'eau forcément vertueuse si elle veut défendre ladite nature). Prendre l'environnement au sérieux, ce n'est pas anesthésier le débat par des bons sentiments ni interdire l'action par des postures maximalistes. Et, bien sûr ce n'est pas non plus le laisser-faire qui a conduit à des dégradations manifestes de l'eau et des milieux au cours du siècle passé.
- Travaillés par le poids d'une époque en état d'urgence permanent où l'on veut de l'efficacité à très court terme, les gestionnaires de l'eau se noient dans les programmes d'action à l'ambition superlative (suivie d'une déception prévisible). On aurait déjà besoin de construire une pensée de la rivière qui ne se résume pas à une politique technocratique du résultat ni à un culte fétichiste de la conservation.
Références :
Bouleau G, Pont D (2014), Les conditions de référence de la directive cadre européenne sur l’eau face à la dynamique des hydrosystèmes et des usages, Natures Sciences Sociétés, 22, 3-14
Bouleau G, Pont D (2015), Did You Say Reference Conditions? Ecological and Socio-economic Perspectives on the European Water Framework Directive, Environmental Science and Policy, 47, 32-41
Illustrations : Abbé Jean Delagrive, divers schémas in Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux y affluant, 1732-1737. Cette cartographie avait notamment pour but d'organiser le flottage du bois vers Paris et de modifier en conséquence les rivières, les canaux ou les ouvrages de génie civil.
La DCE 2000 impose aux Etats-membres de procéder à des mesures de l'état chimique et écologique des masses d'eau (près de 80 indicateurs au total d'ici 2018, les substances chimiques surveillées allant être élargies). Les mesures écologiques correspondent à des paramètres biologiques et physico-chimiques. Comme l'expliquent G. Bouleau et D. Pont, "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité."
L'état de référence, idéal managérial d'une politique du résultat...
Cette idée d'une condition de référence objectivée par la mesure (un indicateur chimique, physique et biologique) a été adoptée par les fonctionnaires (en petit nombre) de la DG environnement de la Commission en charge de la rédaction de la directive, ainsi que par le Parlement européen échaudé des difficultés rencontrées avec les Directives Nitrates et Eaux résiduaires urbaines de 1991. Les représentants des gouvernements des Etats-membres étaient à l'époque plus rétifs à l'idée d'objectifs contraignants. Les conditions de référence répondent à deux inspirations très différentes.
Sous l'angle politique et économique, "l’accent mis sur la performance quantifiable est une évolution récente qui caractérise la doctrine managériale du New Public Management et qui n’est pas spécifique au domaine de l’eau. Cette doctrine, connue pour ses applications initiales par le président américain Reagan et le Premier ministre britannique Thatcher, est depuis promue par l’OCDE (1995) et la Banque mondiale (Perrin, 2006). Elle vise à développer dans l’administration les méthodes de rationalisation des entreprises privées. Son succès s’explique parce qu’elle accompagne l’essor de l’industrie de l’audit et du conseil, en promettant aux financeurs et au pouvoir politique un contrôle plus facile, même si la complexité de la définition des missions de service public se réduit mal à quelques chiffres. L’obligation de résultat inscrite dans la DCE est la traduction à l’échelle européenne et dans le domaine de l’environnement d’un phénomène plus large".
Derrière la condition de référence se profile un modèle pression-impact-réponse (driving force, pressure, state, impact, response ou DPSIR) assez simple : on identifie la pression à son impact sur le milieu, on élimine ou limite la pression pour que le milieu réponde favorablement. C'est peut-être pertinent pour un système linéaire et réversible, mais il est probable que le vivant en général et la rivière en particulier soient plutôt des systèmes complexes (voire chaotiques) et non-réversibles…
… et vestige de l'écologie des années 1960
Sous l'angle écologique, l'idée d'état de référence de la rivière est venue de certains experts en écologie dont s'est entourée la DG environnement, et elle n'était pas présente dans la première rédaction (voir Loupsans et Gramaglia 2011 pour une analyse très intéressante de la genèse de la DCE et de différentes postures d'expertises). Dans la seconde version, notent les auteurs, "les indicateurs retenus ont été restreints au milieu aquatique, au détriment du sédiment, de la flore et de la faune caractérisant le corridor fluvial dans son ensemble. Les altérations hydromorphologiques sont davantage prises en compte que dans la version antérieure. Du point de vue socio-économique, la seconde version a abandonné les considérations patrimoniales et esthétiques. Ce partage des tâches entre l’écologie chargée de déterminer les normes environnementales et l’économie chargée d’optimiser des régulations, en jouant sur les prix une fois que les normes sont fixées, correspond à l’école néoclassique de l’économie de l’environnement".
La notion d'état de référence finalement retenue renvoie à une écologie des années 1960, "largement inspirée par le paradigme d’écosystème, une vision a priori de la nature centrée sur les espèces et surtout de la notion de climax qui lui a été rapidement associée (…) Chaque unité écologique est considérée comme relativement constante face à la variabilité environnementale et à même de s’autoréguler tel un organisme (Balance of Nature Concept). Elle passe par différentes phases pour atteindre un état climacique et s’y maintient jusqu’à modifications majeures de l’environnement global (sur un pas de temps long). Les écosystèmes représentent ainsi des structures prédictibles, même si les cycles de perturbation sont des parties intégrantes de leur fonctionnement (retour à un état antérieur 'optimal')." Cette vision est celle qui avait inspiré le Clean Water Act aux Etats-Unis, au début des années 1970.
Le caractère non-linéaire des écosystèmes et l'intrication nature-culture
Plusieurs problèmes se posent. Ce paradigme d'un écosystème stable dont l'intégrité serait perturbée transitoirement par l'activité humaine ne fait nullement consensus dans la communauté scientifique. Selon les observations plus récentes de l'écologie, "les écosystèmes, même lorsqu’ils subissent des modifications continues sur un gradient environnemental donné (naturel ou non), changent radicalement à partir d’un certain point (processus non linéaire) et ne sont pas à même de retourner à leur état initial lorsque l’on rétablit les conditions environnementales antérieures. Pour un même type d’écosystème, on peut donc avoir différents domaines de stabilité. On envisage ici clairement une composante 'chaotique' dans la trajectoire des écosystèmes".
Par ailleurs, l'opposition nature-culture (souvent imprégnée de jugements de valeur ou d'a priori ontologiques) n'a pas tellement de sens pour des systèmes aussi imbriqués à l'homme que le sont les rivières. Les auteurs observent : "une autre remise en question majeure de la notion de conditions de référence provient du constat que les modifications de son environnement par l’homme sont en fait significatives depuis plusieurs millénaires: la notion d’état non perturbé n’a plus de signification écologique. En reprenant l’idée d’écosystème et en l’élargissant, le concept de sociosystème (Fischer-Kowalski, 1997 ; Lapierre, 1992) reconnaît le caractère indissociable des caractéristiques naturelles et sociales de ces systèmes, et le rôle central des interactions homme-nature. Dans le champ de l’histoire environnementale et plus précisé- ment de l’écologie historique, les auteurs partent du postulat d’une coévolution de l’homme et de la nature sur le long terme (depuis le Néolithique) de type non déterministe, mais dialectique. Les activités humaines ne sont pas systématiquement perçues comme synonymes de destruction, elles sont aussi source de création de paysages".
Autre point mis en avant Bouleau et Pont pour souligner la faiblesse épistémologique de la condition de référence : la variabilité des écosystèmes due au changement climatique. Les équilibres hydrologiques et thermiques sont en passe d'être modifiés très rapidement (à l'échelle historique et géologique), et "il s’ensuit que les biocénoses dites de référence seront modifiées (…) La distinction entre variabilité naturelle et impacts anthropiques dans le fonctionnement des systèmes va apparaître de plus en plus artificielle. La modification climatique ne changera pas simplement l’état écologique non perturbé, mais également les impacts des altérations humaines sur les biocénoses (eutrophisation, couplage des régimes thermiques et de l’hydrologie, etc.) et toutes les incertitudes associées à l’évaluation".
Mauvais paradigme, mauvais résultats: l'ingénierie écologique n'atteindra pas les objectifs escomptés
Parmi les problèmes concrets que pose la condition de référence telle que définie par la DCE 2000, les auteurs soulignent la difficulté de parvenir au "bon état" : les rédacteurs de la Directive ont posé que l'état de la masse d'eau sera définie par la plus mauvaise note de l'un de ses indicateurs ("one fails, all fail"). Or, nombre de rivières sont déclassées par telle ou telle pollution diffuse (comme les HAP) qui ne remettent pas forcément en question leur fonctionnalité et qui seront difficiles à corriger. A cela s'ajoute que les bio-indicateurs ne répondent pas de manière univoque et précise à un seul type de pression, et que sur les zones aval les plus peuplées, ces pressions sont nombreuses et entremêlées.
L'ingénierie de la restauration écologique se trouve bien évidemment impactée par ces réalités. Elle agit massivement selon le schéma "nous corrigeons la pression, nous observons le résultat" qui se trouve souvent réducteur et simpliste. Résultat : les nombreux échecs de la restauration écologique et morphologique, dont nous avons relaté sur ce site quelques analyses scientifiques. Bouleau et Pont observent : "les résultats des restaurations sont souvent inattendus : le système ne retourne pas à son état antérieur (Suding et al., 2004). Ce résultat peut être expliqué par l’absence actuelle de systèmes permettant de définir une référence, un changement des conditions à des échelles supra-locales (paysage, bassin versant, climat), une modification irréversible de certains paramètres environne- mentaux, des modifications de la connectivité à l’échelle des bassins, la modification du cortège d’espèces, de nouvelles interactions biotiques et l’altération des feedbacks biotiques-abiotiques entraînant une modification durable des conditions bio-géochimiques (Henri et Amoros, 1995 ; Nilsson et al., 2007 ; Suding et al., 2004). Moss (2008) insiste également sur le temps de réponse qui est parfois très long et rend difficile l’évaluation des interventions. Sur ces bases, Hughes et al. (2005) concluent à l’impossibilité de définir des objectifs trop précis en matière de restauration".
Quelques commentaires
- Le travail de Gabrielle Bouleau et Didier Pont n'épuise évidemment pas son objet d'étude, mais il a le grand mérite d'ouvrir un débat nécessaire sur la construction de la politique de l'eau et la mobilisation de concepts scientifiques par les gestionnaires. L'approche croisée d'une socio-politiste et d'un écologue amène une interdisciplinarité bienvenue sur le thème de la rivière, qui n'est pas la chasse gardée du naturaliste (et qui n'est plus exactement un "phénomène naturel" à l'âge anthropocène).
- Il est notoire que la science et la politique ont des rapports compliqués. D'un côté, la "science politisée" a laissé de très mauvais souvenirs dans l'histoire, parce qu'elle a été synonyme de médiocrité et d'erreur scientifiques en même temps que de suspension de la critique démocratique au nom de supposées vérités savantes. D'un autre côté, les choix publics des sociétés démocratiques, complexes et ouvertes font de plus en plus appel à l'expertise scientifique comme le "moins mauvais guide" pour anticiper les conséquences des choix en question, ou pour circonscrire des normes visant l'intérêt général en santé, sécurité, environnement, etc.
- La "science normative" (c'est-à-dire la science directement productrice de normes) reste de notre point de vue une aberration démocratique et un dévoiement de l'exercice scientifique. La notion de "bon état" doit être clairement assumée comme une notion politique (ou gestionnaire), car la science n'a jamais eu vocation à définir ce qui est "bon" ou "mauvais". Là-dessus, les sciences de l'environnement (de l'eau parmi d'autres thèmes) offrent parfois dans leur communication une dommageable porosité à l'idéologie. Il faut s'en prémunir : on n'attend définitivement pas du chercheur qu'il pose en sauveur de la planète (certains excellent déjà dans cette posture, ils en font même un métier profitable…), mais qu'il publie des résultats d'observation et d'expérimentation avec des méthodes reproductibles, des données publiques et des conclusions réfutables. Nous avons déjà appelé plusieurs fois les chercheurs de l'eau à prendre des positions publiques sur la nécessaire prudence dans l'interprétation des travaux de l'écologie scientifique, et sur la nécessaire insistance concernant les incertitudes propres à la démarche scientifique. Des idées un peu floues peuvent vite devenir des contraintes fortes sous l'action réglementaire des administrations centrales, impactant ensuite le cadre de vie de millions de gens. Si l'enjeu est réel, cela ne pose pas problème ; s'il ne l'est pas, cela contribue à briser la confiance de la société en la science.
- Indépendamment de la notion de référence et de l'objectif d'état, le choix de la DCE 2000 d'imposer la réalisation, normalisation et publication des mesures de qualité chimique et écologique de l'eau nous paraît une bonne chose. Cela permet d'objectiver certains paramètres de la rivière, de nourrir les recherches scientifiques, de se référer dans le débat public à une réalité dont le diagnostic est au moins partagé (à l'imprécision de la mesure près, voire au bien-fondé de l'indicateur près, cf point suivant). Il reste d'ailleurs scandaleux qu'en 2015 la France ne soit pas capable de produire la totalité des indicateurs sur chaque masse d'eau, assorti d'une analyse de leur variabilité inter- ou intra-annuelle et d'une première modélisation des bassins versants. Ne pas se doter de ces mesures et outils, c'est ouvrir la porte à des préconisations du doigt mouillé, des pseudo-expertises de bureau sans base empirique, des choix dictés par des arrangements politiques locaux sans lien avec les priorités environnementales, etc.
- La critique de la notion de "condition de référence" doit conduire à une réflexion complémentaire sur les indicateurs de qualité aujourd'hui utilisés sur les rivières. Certains relèvent de l'éco-toxicologie : des mesures de concentration de substances chimiques ou de quantités physiques. Ils sont assez peu sujets à débat si ce n'est une discussion sur la concentration ou la quantité admissible pour la société (par exemple accepte-t-on tel ou tel taux de nitrate, de phopshore, etc.). D'autres en revanche sont des constructions paramétriques, des équations semi-empiriques où l'on choisit de pondérer certains facteurs. Par exemple l'indice de qualité piscicole poisson rivière (IPR puis IPR+) résulte d'un calcul complexe, ce n'est pas une simple comptabilité de poissons. Le choix dans les paramètres de l'indice n'a alors rien d'évident, il reflète une certaine approche du système étudié (par exemple désigner un assemblage d'espèces comme "intègre" ou une certaine fonctionnalité comme particulièrement digne d'intérêt). L'intelligence de ces bio-indicateurs (leur sens, leur portée, leur limite) peut se perdre quand ils deviennent de simples résultats chiffrés assortis à un qualificatif "bon / moyen / mauvais". Leur élaboration demande une assez large concertation dans la communauté chercheurs (et des validations par intercalibrage), car on risque toujours de construire de indicateurs ad hoc sur commande du gestionnaire public, mais sans réelle vertu explicative / prédictive au plan des sciences de l'environnement. Vouloir appliquer très vite ces indicateurs (dans une logique politico-administrative à horizon de 5 ans) pose problème sur la robustesse des conclusions qu'on en tire en terme d'aménagements.
- Exprimons enfin tout haut ce que de plus en plus d'observateurs pensent tout bas : le "bon état écologique" de 100% des masses d'eau (objectif officiel de l'UE) est un mythe, que l'on se place à l'horizon 2015, 2021 ou 2027. Au regard des conditions posées par l'état de référence comme rivière "naturelle" quasiment épargnée par l'homme, il paraît évident que les Européens ne parviendront pas à effacer en l'espace de trois décennies le poids des siècles voire des millénaires de modifications anthropiques des hydrosystèmes. Comme les hommes continueront de vivre près de l'eau, ces hydrosystèmes continueront d'être des "éco-bio-technosystèmes" échappant à la contrainte pseudo-déterministe d'une hypothétique naturalité (a fortiori l'assignation à une "intégrité" définie comme état stationnaire). Il serait bon de nourrir davantage de débats publics (et d'engager davantage de réflexions savantes) sur le sujet, au lieu d'euphémiser la chose dans les rapports alambiqués des gestionnaires pris au piège de leur ambition démesurée, mais ne voulant pas reconnaître certaines erreurs dans les choix institutionnels passés. Poser dès à présent les difficultés prévisibles de mise en oeuvre de la DCE éviterait de laisser prospérer quelques discours extrémistes et irréalistes selon lesquels seule la mauvaise volonté (de tel ou tel usager de l'eau désigné comme l'ennemi de la nature) expliquerait les mauvais résultats (d'une politique de l'eau forcément vertueuse si elle veut défendre ladite nature). Prendre l'environnement au sérieux, ce n'est pas anesthésier le débat par des bons sentiments ni interdire l'action par des postures maximalistes. Et, bien sûr ce n'est pas non plus le laisser-faire qui a conduit à des dégradations manifestes de l'eau et des milieux au cours du siècle passé.
- Travaillés par le poids d'une époque en état d'urgence permanent où l'on veut de l'efficacité à très court terme, les gestionnaires de l'eau se noient dans les programmes d'action à l'ambition superlative (suivie d'une déception prévisible). On aurait déjà besoin de construire une pensée de la rivière qui ne se résume pas à une politique technocratique du résultat ni à un culte fétichiste de la conservation.
Références :
Bouleau G, Pont D (2014), Les conditions de référence de la directive cadre européenne sur l’eau face à la dynamique des hydrosystèmes et des usages, Natures Sciences Sociétés, 22, 3-14
Bouleau G, Pont D (2015), Did You Say Reference Conditions? Ecological and Socio-economic Perspectives on the European Water Framework Directive, Environmental Science and Policy, 47, 32-41
Illustrations : Abbé Jean Delagrive, divers schémas in Cours de la Seine et des rivières et ruisseaux y affluant, 1732-1737. Cette cartographie avait notamment pour but d'organiser le flottage du bois vers Paris et de modifier en conséquence les rivières, les canaux ou les ouvrages de génie civil.
02/08/2015
Contrat global Cure-Yonne: un bilan mitigé
Le Contrat global Yonne-Cure 2009-2014 a fait l'objet d'une évaluation qui vient d'être publiée en ligne. L'exercice est important puisque nous sommes en phase de mise en place du prochain Contrat pour les cinq années à venir. Notre association avait participé au printemps à une réunion d'information et proposition sur la rivière Cousin, incluse dans le périmètre. Rappelons que ce Contrat est animé par le Parc naturel régional du Morvan et notamment financé par l'Agence de l'eau Seine-Normandie. Il concerne un périmètre de 2073 km2 et 103 communes sur 3 départements, essentiellement Yonne et Nièvre.
Le rapport d'évaluation ne constate pas de dysfonctionnements majeurs dans la mise en oeuvre du Contrat. Voici cependant quelques points de vigilance qui ont retenu notre attention à la lecture de l'évaluation.
Méthodologie. La consultation en vue de l'évaluation a concerné pour l'essentiel les politiques et les financeurs, avec quelques professionnels. L'eau est l'affaire de tous, l'évaluation de sa qualité et des actions pour cette qualité aussi. On ne le répétera jamais assez, il faut impliquer davantage la société civile qui est aujourd'hui "sans voix" aux comités de bassin ou aux instances de pilotage des contrats locaux et SAGE. Ce type d'évaluation pourrait donc inclure un panel assez large de répondants représentant le territoire.
Pas assez d'efforts sur les pollutions diffuses. La lutte contre ces pollutions avait une dotation relativement faible (1,074 M€, 3,6% du budget) mais le problème est surtout que 18% seulement de ce budget ont été consommés. On a dépensé 3 fois moins sur ce poste que sur la communication-animation, et 17 fois moins que sur la restauration des milieux aquatiques. Certes, les bassins versants sont relativement épargnés du fait de la faible démographie, mais il est regrettable que la lutte contre les pollutions soient si souvent la dernière servie. On aurait aussi aimé un meilleur score pour l'assainissement (la première dépense budgétaire, certes, mais consommée à 66% seulement de sa dotation).
Milieux aquatiques, des dépenses déséquilibrées. Au sein du volet des milieux aquatiques – 3,3 M€ au départ, consommé à 106% c'est-à-dire dépassé –, on regrette la ventilation des actions engagées. Notre association considère la connaissance des milieux comme indispensable, et très en retard : or sur 9 études prévues, 3 seulement ont été engagées. A comparer avec les 127% d'analyse de la continuité écologique (14 études au lieu de 11). La lutte contre les piétinements de berge est pareillement désavantagées (18% et 30% de réalisation sur les deux postes concernés). On observe que le poste complémentaire "Suivi des milieux", consistant en analyses de qualité de l'eau et inventaires d'espèces, est lui aussi réalisé partiellement (85% et 31% de la dotation).
Aménagement des ouvrages, un bilan euphémisé… et trompeur pour la suite. Le rapport d'évaluation note : "Le travail d’animation important a permis de convaincre de nombreux propriétaires d’ouvrages de réaliser des travaux de franchissement ou d’effacement. Les ouvrages classés 'Grenelle', qui n’étaient pas prévus initialement dans le contrat, ont notamment fait l’objet d’une animation renforcée. Néanmoins, des difficultés persistent : sur les gros ouvrages, l’ampleur des travaux induits rend le travail d’animation pour convaincre les propriétaires particulièrement long. Par ailleurs, sur certains territoires, une opposition s’est cristallisée autour de ce type de travaux, de la part des propriétaires qui mettent en avant la dimension patrimoniale de leurs ouvrages. Ces oppositions persistent en particulier sur les territoires où des syndicats de rivière existent mais sont peu actifs sur ces thématiques. Le travail d’animation sur cette thématique, et de pédagogie pour désamorcer les conflits, est à poursuivre." La "réticence" vient essentiellement du coût important des travaux et du fait que la destruction des ouvrages est proposée en première intention aux propriétaires – voire qu'elle est la seule financée publiquement. Par ailleurs, ce n'est nullement un problème de "pédagogie", mais de valeurs, de convictions et de connaissances : la plupart des propriétaires et riverains préfèrent la rivière aménagée à la rivière renaturée, et n'entendent pas engager des actions radicales (destructions) pour des bénéfices écologiques non convaincants. Ce problème va devenir aigu sur toutes les rivières classées Liste 2 du Contrat, en raison du délai réglementaire de 2017 pour le choix d'aménagement.
Evolution de l'état des milieux, une stagnation qui pose question. On dépense de l'argent public pour améliorer la qualité chimique et écologique de l'eau et de ses milieux. Et l'on attend donc des résultats. La comparaison des analyses 2009 et 2013 est mitigée. L’état écologique des 14 masses d’eau "grands cours d’eau" du territoire ne s'est pas amélioré : 10 en état constant, 2 en dégradation, 2 en amélioration. Le résultat est meilleur sur les 43 masses d’eau "petits cours d’eau", avec 18 en amélioration, 6 en dégradation et 19 en état constant. Au plan chimique, 3 grands cours d’eau et 7 petits cours d’eau restent en mauvais état, à cause de la pollution diffuse des HAP. Comme certaines des données 2009 n'étaient pas robustes, le rapport conclut : "On peut estimer que l’état 2009 à la masse d’eau est plutôt comparable de manière fiable à l’état 2013". Certes, le Morvan a la chance d'avoir des cours d'eau relativement préservés, ce qui implique des marges de progression moindres par rapport à des rivières très dégradées. Mais ce bilan très modeste posera question pour la légitimité des mesures du futur Contrat 2015-2020.
Suivi physico-chimique et écologique, à améliorer nettement. Le Parc a un Observatoire de la qualité des eaux depuis 1993, élargi en 2009 à la totalité du territoire du Contrat. Or, le suivi n'est pas assez étendu ni rigoureux. Par exemple en 2011, sur les 16 stations, 10 n’avaient jamais été suivies, et 6 avaient déjà été suivies une fois auparavant en 1991, 1993, 2004 ou 2008. Concernant l'évaluation des actions menées dans le cadre du Contrat, les premiers points de mesure n'ont été mis en place que pour des actions 2013, au lieu de démarrer dès 2009. Cela rejoint le point ci-dessus sur le défaut de connaissance : nous ne pouvons pas accepter que l'argent public soit dépensé sans diagnostic préalable complet et non biaisé sur l'état des milieux et des impacts ; et sans non plus disposer de mesure précise de l'effet obtenu en comparaison avec l'effet prévu. Cela d'autant que les résultats sur la qualité écologique ne parlent pas d'eux-mêmes et que dans certains domaines, les mesures envisagées sont coûteuses et mal acceptées…
Conclusion : l'association Hydrauxois sera vigilante sur la mise en oeuvre du prochain Contrat global Cure-Yonne, en particulier sur son domaine de compétence, à savoir la bonne prise en compte des intérêts des ouvrages hydrauliques, le niveau de collecte, construction et diffusion des connaissances scientifiques sur les milieux, la transparence sur les objectifs, l'efficacité et le coût des opérations dites de restauration écologique.
Référence : Sepia Conseils (2014), Evaluation du Contrat Global Cure-Yonne, 72 pages (lien vers pdf). Illustrations : issues du rapport Sepia, DR.
Le rapport d'évaluation ne constate pas de dysfonctionnements majeurs dans la mise en oeuvre du Contrat. Voici cependant quelques points de vigilance qui ont retenu notre attention à la lecture de l'évaluation.
Méthodologie. La consultation en vue de l'évaluation a concerné pour l'essentiel les politiques et les financeurs, avec quelques professionnels. L'eau est l'affaire de tous, l'évaluation de sa qualité et des actions pour cette qualité aussi. On ne le répétera jamais assez, il faut impliquer davantage la société civile qui est aujourd'hui "sans voix" aux comités de bassin ou aux instances de pilotage des contrats locaux et SAGE. Ce type d'évaluation pourrait donc inclure un panel assez large de répondants représentant le territoire.
Pas assez d'efforts sur les pollutions diffuses. La lutte contre ces pollutions avait une dotation relativement faible (1,074 M€, 3,6% du budget) mais le problème est surtout que 18% seulement de ce budget ont été consommés. On a dépensé 3 fois moins sur ce poste que sur la communication-animation, et 17 fois moins que sur la restauration des milieux aquatiques. Certes, les bassins versants sont relativement épargnés du fait de la faible démographie, mais il est regrettable que la lutte contre les pollutions soient si souvent la dernière servie. On aurait aussi aimé un meilleur score pour l'assainissement (la première dépense budgétaire, certes, mais consommée à 66% seulement de sa dotation).
Milieux aquatiques, des dépenses déséquilibrées. Au sein du volet des milieux aquatiques – 3,3 M€ au départ, consommé à 106% c'est-à-dire dépassé –, on regrette la ventilation des actions engagées. Notre association considère la connaissance des milieux comme indispensable, et très en retard : or sur 9 études prévues, 3 seulement ont été engagées. A comparer avec les 127% d'analyse de la continuité écologique (14 études au lieu de 11). La lutte contre les piétinements de berge est pareillement désavantagées (18% et 30% de réalisation sur les deux postes concernés). On observe que le poste complémentaire "Suivi des milieux", consistant en analyses de qualité de l'eau et inventaires d'espèces, est lui aussi réalisé partiellement (85% et 31% de la dotation).
Aménagement des ouvrages, un bilan euphémisé… et trompeur pour la suite. Le rapport d'évaluation note : "Le travail d’animation important a permis de convaincre de nombreux propriétaires d’ouvrages de réaliser des travaux de franchissement ou d’effacement. Les ouvrages classés 'Grenelle', qui n’étaient pas prévus initialement dans le contrat, ont notamment fait l’objet d’une animation renforcée. Néanmoins, des difficultés persistent : sur les gros ouvrages, l’ampleur des travaux induits rend le travail d’animation pour convaincre les propriétaires particulièrement long. Par ailleurs, sur certains territoires, une opposition s’est cristallisée autour de ce type de travaux, de la part des propriétaires qui mettent en avant la dimension patrimoniale de leurs ouvrages. Ces oppositions persistent en particulier sur les territoires où des syndicats de rivière existent mais sont peu actifs sur ces thématiques. Le travail d’animation sur cette thématique, et de pédagogie pour désamorcer les conflits, est à poursuivre." La "réticence" vient essentiellement du coût important des travaux et du fait que la destruction des ouvrages est proposée en première intention aux propriétaires – voire qu'elle est la seule financée publiquement. Par ailleurs, ce n'est nullement un problème de "pédagogie", mais de valeurs, de convictions et de connaissances : la plupart des propriétaires et riverains préfèrent la rivière aménagée à la rivière renaturée, et n'entendent pas engager des actions radicales (destructions) pour des bénéfices écologiques non convaincants. Ce problème va devenir aigu sur toutes les rivières classées Liste 2 du Contrat, en raison du délai réglementaire de 2017 pour le choix d'aménagement.
Evolution de l'état des milieux, une stagnation qui pose question. On dépense de l'argent public pour améliorer la qualité chimique et écologique de l'eau et de ses milieux. Et l'on attend donc des résultats. La comparaison des analyses 2009 et 2013 est mitigée. L’état écologique des 14 masses d’eau "grands cours d’eau" du territoire ne s'est pas amélioré : 10 en état constant, 2 en dégradation, 2 en amélioration. Le résultat est meilleur sur les 43 masses d’eau "petits cours d’eau", avec 18 en amélioration, 6 en dégradation et 19 en état constant. Au plan chimique, 3 grands cours d’eau et 7 petits cours d’eau restent en mauvais état, à cause de la pollution diffuse des HAP. Comme certaines des données 2009 n'étaient pas robustes, le rapport conclut : "On peut estimer que l’état 2009 à la masse d’eau est plutôt comparable de manière fiable à l’état 2013". Certes, le Morvan a la chance d'avoir des cours d'eau relativement préservés, ce qui implique des marges de progression moindres par rapport à des rivières très dégradées. Mais ce bilan très modeste posera question pour la légitimité des mesures du futur Contrat 2015-2020.
Suivi physico-chimique et écologique, à améliorer nettement. Le Parc a un Observatoire de la qualité des eaux depuis 1993, élargi en 2009 à la totalité du territoire du Contrat. Or, le suivi n'est pas assez étendu ni rigoureux. Par exemple en 2011, sur les 16 stations, 10 n’avaient jamais été suivies, et 6 avaient déjà été suivies une fois auparavant en 1991, 1993, 2004 ou 2008. Concernant l'évaluation des actions menées dans le cadre du Contrat, les premiers points de mesure n'ont été mis en place que pour des actions 2013, au lieu de démarrer dès 2009. Cela rejoint le point ci-dessus sur le défaut de connaissance : nous ne pouvons pas accepter que l'argent public soit dépensé sans diagnostic préalable complet et non biaisé sur l'état des milieux et des impacts ; et sans non plus disposer de mesure précise de l'effet obtenu en comparaison avec l'effet prévu. Cela d'autant que les résultats sur la qualité écologique ne parlent pas d'eux-mêmes et que dans certains domaines, les mesures envisagées sont coûteuses et mal acceptées…
Conclusion : l'association Hydrauxois sera vigilante sur la mise en oeuvre du prochain Contrat global Cure-Yonne, en particulier sur son domaine de compétence, à savoir la bonne prise en compte des intérêts des ouvrages hydrauliques, le niveau de collecte, construction et diffusion des connaissances scientifiques sur les milieux, la transparence sur les objectifs, l'efficacité et le coût des opérations dites de restauration écologique.
Référence : Sepia Conseils (2014), Evaluation du Contrat Global Cure-Yonne, 72 pages (lien vers pdf). Illustrations : issues du rapport Sepia, DR.
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