La Directive cadre européenne sur l'eau 2000 (DCE 2000) engage les Etats-membres à réaliser une estimation de l'état écologique et chimique des cours d'eau, en vue d'atteindre une bonne qualité des eaux de surface (comme des eaux souterraines et estuariennes). Pour l'état écologique, on a recours à des indicateurs biologiques qui répondent aux pollutions chimiques ou aux modifications hydromorphologiques en même temps qu'ils mesurent la biodiversité. La démarche n'est pas nouvelle : plusieurs biotypologies ont été développées au XXe siècle, en particulier après les grandes pollutions commencées dans les années 1960. Mais la DCE 2000 a systématisé la pratique. Juliane Wiederkehr a soutenu une intéressante thèse doctorale consacrée à l'estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour cette évaluation de l'état écologique des cours d'eau.
Comme l'observe J. Wiederkehr, "en hydrobiologie, il est acquis que de nombreuses incertitudes existent dans les protocoles d’évaluation des milieux aquatiques. En effet, la communauté scientifique connaît la complexité des écosystèmes, d’autant plus lorsque s’y ajoutent les activités humaines. Cette complexité apporte une variabilité importante, difficilement appréciable, qui ne peut être approximée que par le biais d’expérimentations ou de modèles. De plus, la plupart des mesures effectuées en hydrobiologie repose sur des protocoles s’appuyant sur les connaissances et l’expérience des hydrobiologistes. Ceux-ci s’appropriant les normes, leur subjectivité se retrouve au cœur des évaluations. Ainsi, les incertitudes associées à l’évaluation de la qualité des cours d’eau, au travers des indices biologiques, forment une thématique d’actualité majeure, en particulier pour les différents compartiments biologiques (oligochètes, diatomées, poissons, invertébrés et macrophytes)."
Les sources d'incertitude sont donc nombreuses : mosaïque d'habitats sur un même site offrant des lieux hétérogènes de prélèvement et récolte, fluctuation naturelle (spatiale et temporelle) des populations sur les substrats ou selon les méso-habitats, définition de la surface ou volume correct des collectes, choix de la méthode technique d'échantillonnage (agitation, peignage), effet opérateur (erreurs d’extraction et d’identification), sous-traitement quantitatif de l'échantillon, difficulté de prise en compte des taxons rares…
Des erreurs pouvant représenter 20 voire 25% du score total
On constate (non sans une certaine inquiétude) à la lecture de ce travail que l'accumulation de ces erreurs peut entraîner une variation de l’IBG (Indice biologique global) DCE jusqu'à 5 points d’écart, soit 25% de la note, et une variation de l’I2M2 (Indice invertébrés multimétriques) de 0,2, soit 20% de la note. Ce sont certes des valeurs maximales, mais elle peuvent très bien conduire à un déclassement ou surclassement erroné du cours d'eau analysé (dont la note détermine en général 4 ou 5 classes de qualité). Les gestionnaires en charge de la DCE sont d'ailleurs conscients du problème, puisqu'ils demandent des estimations d'incertitude, ce sur quoi ont travaillé divers projets européens depuis les années 2000 (AQEM, STAR, WISER). Une meilleure communication sur ces incertitudes serait bienvenue dans le discours des "sachants" lorsque les indicateurs viennent à se matérialiser dans des analyses et des décisions de terrain.
Outre l'intérêt de comprendre les principes et quelques éléments d'histoire de la bio-indication, exposés de manière claire, cette thèse montre de notre point de vue le caractère "work in progress" des constructions de connaissances en hydrobiologie / hydroécologie, avec au sein de la communauté savante beaucoup de débats, à différents niveaux (de la perfectibilité des méthodes à la discussion sur les trajectoires d'équilibre des écosystèmes ou les priorisations en stratégie de conservation / restauration). L'impact réglementaire à effet immédiat de la DCE 2000 et de ses déclinaisons nationales ne cesse donc de surprendre. On a l"impression assez nette que les décisions ont été prises avant de déployer les outils censés les fonder et valider, cela sur un calendrier manquant de réalisme (15 à 30 ans pour rétablir les écosystèmes dans leur état de référence présumé). Le gestionnaire de l'eau se réclame de l'écologie, mais sans forcément prendre la mesure de la complexité du vivant et des systèmes devant répondre à ses normes et ses évaluations.
Référence : Wiederkehr J (2015), Estimation des incertitudes associées aux indices macroinvertébrés et macrophytes pour l’évaluation de l'état écologique des cours d'eau, thèse, U Strasbourg, École doctorale des Sciences de la terre et environnement, 212 p.
Image : collecte de macro-invertébrés, Photo © Eawag, Elvira Mächler, tous droits réservés.
Bravo, il faut savoir douter de tout: des IBGN, des Mac 20, de la typologie de Vernaux...quand les arguments manquent, on finit par remettre en cause les évaluateurs...classique. Cent fois bravo et pourquoi ne pas proposer à la seule structure objective et non partisane, OCE, d'établir l'état des lieux de nos masses d'eaux et surtout les solutions. Le petit tableau avec point rouge et point vert comparant la qualité des rivières avec et sans seuil, voilà un document objectif et fiable. C'est à mourir de rire....
RépondreSupprimerLes arguments ne manquent pas vraiment, je suis toujours en retard d'une bonne vingtaine de recensions et on peut déjà en lire beaucoup sur ce site. La "remise en cause des évaluateurs", je ne sais pas trop ce que cela veut dire. Vous prenez comme une attaque personnelle les résultats de cette thèse? Ou vous pensez qu'il faut prendre les rapports des gestionnaires (ou d'ailleurs les résultats quelconques d'un champ scientifique) comme parole d'évangile? En tout cas merci de nous lire.
RépondreSupprimerIl faut surtout observer que notre association a toujours exigé que l'ensemble des évaluations de qualité DCE 2000 soient faites sur l'ensemble des masses d'eau françaises, non seulement qu'elles soient faites mais qu'elles soient publiées dans des formats accessibles à tous les citoyens (et non éparpillées sur 50 sites dans des formats divers), et que leur communication inclue la précision sur l'incertitude de la mesure (comme cela se fait en communication scientifique vers le grand public, cf GIEC, et comme l'exige de toute façon l'UE). Tout cela est déjà lisible à ce lien de 2012 :
RépondreSupprimerhttp://www.hydrauxois.org/2012/12/etat-chimique-et-ecologique-de-nos_18.html
Nous n'avons pas de crainte particulière des mesures de qualité écologique / chimique, nous déplorons au contraire leur manque de rigueur et de couverture du territoire.
Je rejoins votre point de vue "rivière libre" l'article présentant le tableau comparatif est vraiment" incroyable d'objectivité", n'importe quelle personne ayant une sensibilité concernant les milieux aquatiques démonte ce document en moins de 10 minutes, maintenant ils publient des articles présentant les castors comme dégradant la rivière, a quand le prochain article sur le bienfait des espèces invasives pour l'augmentation totale de la biodiversité sur un bassin?
RépondreSupprimerDes "castors dégradant la rivière"... c'est amusant ce que cela trahit comme interprétation. On évoque un article peer-reviewed qui compare l'impact des seuils à ceux des barrages de castors, et cela devient un article incriminant les castors. Sinon, il faut croire que le schéma avantage / inconvénient des rivières avec / sans seuil marque les esprits, vu comment vous ne pouvez pas vous empêcher d'en parler. Rassurez-vous, il se diffuse très bien et vous nous donnez l'envie de le diffuser plus encore.
SupprimerAh oui, les "espèces invasives", pas question qu'elles rentrent chez nous et qu'elles comptent en "diversité", non mais puis quoi encore! En bassin de Seine, nous avons donc à supprimer dans les meilleurs délais des carcassins (commun, argenté, doré on fera un lot), des carpes, des ables de Heckel, des ides mélanotes, des blageons, des pseudorasboras, des silures, des poissons-chats, des ombres, des ombles, des truites arc-en-ciel, et encore une dizaine d'autres sans doute. Tous des étrangers en situation irrégulière, introduits récemment par des passeurs (qu'on appelle pêcheurs souvent). Heureusement, de vaillants et vigilants défenseurs des rivières pures de chez pures vont nous garantir des cours d'eau exactement similaires au peuplement de l'an 9500 avant notre ère, cet âge béni où nous sortions des glaces et où le vilain humain se réduisait à trois pékins cueillant des baies.
RépondreSupprimerVous mélangez tout ici, en particuliers espèces autochtones, étrangères (ou importées) et invasives. Oui les espèces invasives doivent être retirées des écosystèmes dans lequel elles se trouvent, afin de ne pas perturber, ou faire disparaître les espèces présentes (qu'elles soient autochtones ou importées).
SupprimerComme vous aimez les métaphores, on peut assimiler les plans d'eau, sur des rivières en tête de bassin versant, à la création de stades de foot climatisés, ou de pistes de ski couvertes dans les pays du golfe, où topographie, géologie et température n'y sont pas propices...
Le coquelicot en France, c'est une espèce invasive, étrangère, autochtone, allogène, indésirable... ? Pourquoi supprimer les retenues, lacs, étangs qui sont à peu près tous artificiels en France ? Pour prendre une métaphore comme vous, c'est ni mieux ni pire qu'une forêt primaire qui a été supprimée de longue date puis remplacée de nombreuses fois dans l'histoire selon les usages des sols. Pourquoi voulez-vous donc pratiquer sur la rivière ce que l'on ne pratique sur aucun autre milieu / paysage de France (à savoir un pseudo-retour à des conditions originelles inconnues)??
Supprimer@Archy89 : un essai intéressant d'un écologue, Jacques Tassin, "La grand invasion. Qui a peur des espèces indésirables", Odile Jacob, 2014. Le modernisation puis la globalisation ont en l'espace de deux siècles fortement accéléré les transferts d'espèces, dans les rivières comme ailleurs. La question posée en filigrane est donc ce que l'on désigne comme l'état naturel de référence, ce que cela implique si l'on veut sérieusement le restaurer ou le "figer". On ne peut pas montrer la plus grande sévérité avec certaines pratiques / certains aménagements, et tolérer par ailleurs d'autres altérations anciennes, durables, massives (comme les usages de sols et des berges du bassin, les pollutions diffuses, les empoissonnements volontaires ou accidentels, etc.).
SupprimerSur les plans d'eau en tête de bassin, nous n'attendons justement pas des métaphores, mais des mesures objectives. Déjà les mesures DCE sur le tronçon (sont-elles impactées?, l'état chimique / écologique est-il dégradé? comment s'établit le rapport de cause à effet?). Ensuite les mesures propres aux retenues (que trouve-t-on dedans et autour... car il serait incroyable qu'une retenue soit abiotique, vide de biodiversité).
A propos de ce que dit "riviere libre", je me demande en effet pourquoi on utilise encore la typologie de Verneaux. Je l'observe ici dans des analyses Onema de rivières (analyse diagnostique ou de suivi). Vu qu'un gros travail de normalisation et d'intercalibration européenne a été fait pour produire l'IPR, puis l'IPR+, quel intérêt de prendre comme grille d'interprétation de l'état piscicole une biotypologie des années 1970? Cela a peut-être un sens particulier, mais ce serait intéressant de savoir lequel.
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