Une équipe de chercheurs de l'Université de Lisbonne, en étudiant les distributions de 7 espèces de poissons sur 196 sites de 3 bassins portugais, ne parvient pas à trouver une influence significative des obstacles à l'écoulement sur les peuplements piscicoles, que les espèces concernées soient patrimoniales ou exotiques. Des résultats similaires à ceux observés récemment au Canada, en Autriche, en Allemagne ou en France.
La perte de connectivité des rivières est supposée être l'un des impacts majeurs sur les populations de poissons. Pour vérifier cette assertion, Maria Teresa Ferreira, Paulo Branco et leurs collègues (Université de Lisbonne) ont analysé 196 sites réparti sur 3 bassins fluviaux : le Tage (700 km de linéaire, bassin versant de 24 800 km2), le Mondego (227 km, 6670 km2) et la Vouga (136 km, 3600 km2), carte ci-dessous.
Dans ces bassins, sept espèces bien réparties ont été analysées : deux espèces potamodromes, le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) et le nase ibérique (Pseudochondrostoma polylepis) ; deux espèces sédentaires cyprinidées, le Squalius alburnoides et le Cobitis paludica ; trois espèces exotiques, le poisson-moustique de l'Est (Gambusia holbrooki), la perche soleil (Lepomis gibbosus) et le chabot des Pyrénées (Gobio lozanoi).
Les obstacles à l'écoulement ont été repérés sur observation cartographique, à défaut d'un référentiel de recensement sur le terrain. Outre la connectivité, les chercheurs ont collecté quatre variables sur l'hydrologie des masses d'eau, huit variables sur la morphologie et cinq variables sur la qualité de l'eau, ainsi que des données climatiques.
Plusieurs techniques statistiques de modèles linéaires généralisés ont été employées, afin de minimiser le risque d'une mauvaise interprétation. Branco et ses collègues ont visé à vérifier si les variables de connectivité sont incluses dans les facteurs influant la distribution des poissons, si la comparaison des sites impactés / non-impactés par des obstacles permet de confirmer les modèles et si une classification hiérarchique peut situer l'importance de la continuité et des barrières migratoires comme prédicteurs des peuplements piscicoles.
Voici la principale conclusion des scientifiques : "Nos résultats indiquent un manque général d'influence des obstacles sur les distributions des poissons d'eaux douces. Les effets de l'environnement et des pressions humaines excèdent l'effet isolé des pertes de continuité". Et ils ajoutent : "un grand enjeu de programmation et d'effort financier sera associé à la restauration de rivières au cours des prochaines décennies. Il est donc important d'assurer un ratio coût-bénéfice maximum pour que les rivières tendent vers un statut de meilleure santé écologique".
Discussion
Le travail de Branco et al sur 7 espèces de poissons présents dans les rivières portugaises n'a rien de très surprenant au regard des autres données récentes de la littérature scientifique (par exemple Dahm et al 2013 en Autriche et en Allemagne, Mahlum et al 2014 au Canada, Van Looy et al 2014 et Villeneuve et al 2015 en France). Dans les études à grande échelle, les obstacles à l'écoulement ont bel et bien quelques effets sur la distribution relative des assemblages de poissons au sein et entre des tronçons de bassins versants, mais il est difficile de leur imputer une perte globale de biodiversité et d'y assigner une variation importante de la qualité piscicole (écologique en général) en regard des autres pressions subies par les rivières. Quand on supprime un obstacle, il est certain que le peuplement de la retenue va se modifier (et que sa morphologie va se normaliser avec la section de rivière concernée). La littérature abonde de monographies à ce sujet, mais on tend à confondre ces résultats tout à fait triviaux avec la démonstration d'un gain réel et significatif en terme de biodiversité totale ou même de protection d'espèces patrimoniales.
A cela s'ajoute que les peuplements de rivières ont été en permanence modifiés au cours des siècles et millénaires passés (Bouleau et Pont 2015, voir aussi Haidvogl et al 2015 et l'ensemble du n° spécial d'Aquatic Sciences sur cette question), de sorte que les espèces en place sont probablement le résultat d'adaptation à des pressions plus anciennes de sélection ainsi qu'à des mélanges de populations dus à des introductions volontaires ou accidentelles. L'idée qu'il faudrait supprimer le maximum de seuils (dont beaucoup pluriséculaires) afin de produire de l'habitat "renaturé" et destiné à accueillir un certain peuplement stable de référence n'a pas vraiment de sens – surtout à l'aube d'un réchauffement climatique qui va changer la donne pour tous les milieux continentaux. Cette idée déjà datée au regard du progrès de nos connaissances en écologie et évolution préside malheureusement à de nombreux travaux de restauration de rivière. Avec bien peu de considération pour le rapport coût-bénéfice évoqué par Paulo Branco et ses collègues.
Référence : Branco P et al (2012), Does longitudinal connectivity loss affect the distribution of freshwater fish, Ecological Engineering, 48, 70-78.
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