L’administration a donc entrepris de revoir la cartographie des cours d’eau français (voir le pdf de l'instruction). La cartographie actuelle résulte d’un copier-coller de l’IGN jusque dans le moindre chevelu des têtes de bassins versants, avec des qualifications douteuses de cours d’eau. L’objectif sous-jacent était peut-être de faire répondre un linéaire hydrologique maximaliste aux exigences et prescriptions du Code de l’environnement ? Ce ne fut pas sans lourdes conséquences.
Cette actualisation, aussi légitime qu’indispensable, s’explique par les contentieux observés à l’encontre de ceux qui entretiennent l’espace rural. Elle doit aussi permettre de susciter auprès des propriétaires attentistes, la nécessité d’agir à nouveau … dans un cadre apaisé. Indépendamment du fait que ce très court délai pose problème, quelques rappels historiques sont nécessaires.
Cours d’eau : une définition fluctuante et repoussée par le législateur
La notion de «cours d'eau» n'a jamais été définie par la loi depuis la Révolution. Depuis celle du 19 août 1790 sur le «libre cours des eaux». Aucune des grandes lois sur l'eau – 1898, 1964, 1992 et 2006 – ne s'y est risquée, sans aucun doute par l'évolution permanente des usages, car une éventuelle cartographie postérieure à chaque loi aurait été différente.
L'administration régalienne avait initié, par circulaire ministérielle du 30 juillet 1861, un recensement précis des cours d'eau - localisation, longueur, largeur, profil, pente, surface et débit, etc. (tableau A des services hydrauliques départementaux des Ponts & Chaussées), tenu à jour périodiquement.
Plus récemment, par une circulaire du 2 mars 2005, le Directeur de l'eau au Ministère souhaitait définir à l'échelon des territoires la «notion de cours d'eau», fondée sur les seuls deux critères jurisprudentiels de l'époque : présence et permanence d'un lit naturel et permanence d'un débit suffisant la majeure partie de l'année. Il ajoutait que la concertation locale devait se faire avec les différents acteurs, en particulier la profession agricole, mais tenait à préciser que les « méthodes scientifiques » d'incidence d'évaluation d'aménagements ou d'opérations particulières n'avaient pas à interférer avec la législation, ni à constituer une référence pour les missions de police.
Il faisait là allusion à un avis du Conseil supérieur de la pêche (CSP), daté du 14 octobre 2002, qui définissait toute une série de critères hiérarchisés dont la condition de base était la présence d'un thalweg, présence qui, croisée avec un seul des critères mentionnés, emportait la qualification de cours d'eau. Or, ces critères du CSP – devenu Onema en 2006 – se retrouvent dans les éléments de cadrage de l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015. Ce n'est sans doute pas un hasard.
Aux deux critères jurisprudentiels mentionnés en 2005 est venu s'en ajouter un troisième, découlant d'un arrêt du Conseil d'État du 21 octobre 2011 : «constitue un cours d'eau, un écoulement d'eaux courantes dans un lit naturel à l'origine, alimenté par une source et présentant un débit suffisant une majeure partie de l'année».
Trois critères cumulatifs… mais des interprétations peuvent subsister
Les trois critères retenus pour définir un cours d'eau sont donc actuellement:
- présence et permanence d'un lit naturel à l'origine,
- permanence d'un débit suffisant une majeure partie de l'année,
- alimentation par une source.
Il est malheureusement à craindre que la prise en compte des éléments de cadrage – annexe 1 de l'Instruction du Gouvernement – ne lèveront pas toutes les ambiguïtés et pourraient continuer à alimenter des contentieux, ajoutés à ceux générés par le mot «suffisant» accolé au débit.
A titre d'exemple, il est précisé dans les éléments de cadrage, qu'en cas d'incertitude, un faisceau d'indices – repris de l'avis du CSP de 2002 – pourra être considéré. On pourrait être amené à juger de la présence de «coquilles vides ou non» (dans le critère de «présence de vie aquatique») ou à évaluer des «bras artificiels tels que des biefs» (dans le critère «lit naturel à l'origine»). Tous éléments, parfois subjectifs, sont laissés à la discrétion des services de l'Onema.
Le paragraphe «Concertation» de l’Instruction ministérielle est de même facture que celui qui avait présidé aux classements au L 214-17, dans des délais encore plus réduits et paraît avoir été rédigé pour ne pas encourir de censure du Conseil d'État ou des tribunaux administratifs. Entre autre chose, il préconise l'instauration éventuelle d'une commission Cours d'eau – comprenant a minima un agent de l'Onema, un représentant de la fédération de pêche, un élu local et un représentant de l'agriculture. Le logigramme de mise en œuvre de la méthode d'identification d'un cours d'eau en cas d'incertitude est rigoureusement impossible à mettre en œuvre dans les courts délais impartis. On observe par ailleurs que les propriétaires d'ouvrages hydrauliques ne sont pas intégrés a priori dans la concertation: si aucun bief n'est intégré dans la cartographie, c'est logique; mais si (comme on peut le craindre) certains services instructeurs tentent de désigner des canaux de moulins ou usines à eaux comme des cours d'eau, cela risque de produire des contentieux.
Entretien des cours d’eau : en profiter pour clarifier le statut des canaux et biefs
Le dernier paragraphe de l'Instruction concerne l'entretien courant des cours d'eau. Il se contente de demander l'établissement d'un «Guide des bonnes pratiques» sur le modèle de celui de la DGALN (direction générale de l'aménagement, du logement et de la nature), adapté aux conditions locales.
Or cet entretien pose des problèmes que l'article L 215-14, issu de la LEMA de 2006, n'a pas résolu, notamment en ce qui concerne les biefs ou canaux créés de la main de l’homme.
Avant la LEMA de 2006, l'article L 215-14 CE stipulait que l'entretien devait se faire afin «de maintenir l'écoulement naturel des eaux». Depuis la LEMA, l'entretien a pour objet «de maintenir le cours d'eau dans son profil d'équilibre», (divers articles du Code Rural définissant les opérations d'entretien) dans les conditions d'un décret du Conseil d' État. Ce décret du 14 décembre 2007 a créé l'article R 215-2 CE, qui détermine l'entretien selon les opérations prévues par le L 215-14 CE «sous réserve que le déplacement ou l'enlèvement localisé des sédiments...n'aient pas pour effet de modifier sensiblement le profil en long et en travers du lit mineur».
Outre que le mot «sensiblement» puisse donner lieu à des interprétations arbitraires, l'enlèvement des sédiments renvoie au L 214-1, expressément visé par l'instruction gouvernementale du 3 juin 2015, et conséquemment au R 214-1 CE, c'est à dire la nomenclature IOTA des travaux sur la rivière.
Le 3-2-1-0 de cette nomenclature expose ainsi l’obligation d’entretien :
entretien des cours d'eau ou de canaux, le volume des sédiments extraits au cours d'une année :
- supérieur à 2000 m3 : régime d’autorisation,
- inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est supérieur ou égale au niveau de référence S1 : régime d’autorisation,
- inférieur ou égal à 2000 m3 dont la teneur en sédiments est inférieure ou égale au niveau de référence S1 : régime de déclaration.
D'autre part, le 3-2-1-0 s'est vu adjoindre l'arrêté du 9 août 2006, complété par ceux du 23 décembre 2009, 8 février 2013 et 17 juillet 2014, qui détermine le niveau S1 : quantité de polluants exprimé en mg par kilo de sédiment sec, avec obligation d'analyse par laboratoire agréé.
Tout riverain ou propriétaire d'ouvrage hydraulique, désireux de satisfaire à ses obligations d'entretien, peut donc être obligé de faire face à des dépenses exorbitantes (analyses, enlèvement, voire traitement) du fait d'une situation dont il n’est pas responsable. Cela peut mettre en péril l'exploitation du droit d'eau des ouvrages hydrauliques.
Un groupe de travail ministériel travaillerait depuis octobre 2014 sur l'ambiguïté de l'interprétation de mot «canaux». Mais pendant ce temps, les décrets et arrêtés sont applicables et les contentieux s'accumulent.
Discussion
On peut souligner à ce stade les points suivants :
- il paraît douteux que cette révision de la cartographie, acceptée par la ministre dans un but légitime, puisse être réalisée de façon exhaustive et fiable compte tenu des délais impartis et des modalités de concertation;
- les ambiguïtés doivent être levées rapidement comme par exemple l’intitulé de l’art R214-1 du CE (sa rubrique 1.2.1.0 comprend « cours d’eau, plan d’eau ou canal ») permet de faire l’objet de prescriptions complémentaires à la restauration écologique. Or le mot « canal » n’entre évidemment plus dans le champ des critères cumulatifs énoncés;
- la responsabilité des riverains et propriétaires d'ouvrages hydrauliques concernant les opérations d'entretien et d'enlèvement des sédiments et atterrissements doit être revue et précisée ;
- ne seront donc plus « cours d’eau » :
- tout ce qui a été creusé de la main de l’homme : rigole, bief, béal et canal de fuite de moulin, canal d’irrigation…
- les ruisseaux en assec pendant de nombreux mois,
- les petits rus temporaires qui naissent avec les eaux de ruissellement;
- une sémantique consensuelle nationale devrait être utilisée. Le département de l’Ain, par exemple a publié la cartographie soumise à concertation. On y découvre :
- le « cours d’eau par défaut » serait celui identifié par un SIG et non contrôlé sur le terrain. C’est inadmissible dans la mesure où la marge d’erreur est trop forte pour le considérer «cours d’eau». On peut imaginer que cette cartographie s’effectuerait par étapes successives. Si c'est le cas, cet inventaire de «cours d’eau par défaut» doit être renommé «cours d’eau à valider» ou «cours d’eau à confirmer»,Notre conseil
- le « cours d’eau expertisé » signifie-t-il qu’il s’agit d’un postulat hors concertation? Le principe d’une expertise contradictoire doit être instauré, car en fonction de facteurs édaphiques et climatiques, l’analyse peut varier considérablement,
- la rubrique « non cours d’eau » est intéressante dans la mesure où elle confirme le caractère exhaustif de l’inventaire et évite les erreurs.
Nous encourageons les associations à se signaler à la Préfecture, à rappeler que les biefs sont des canaux artificiels non assimilables à des rivières et à signifier que si l'administration a un avis contraire, cet avis exige une procédure contradictoire.
Illustration : en haut, source CR, droits réservés. Les contentieux entre élus, exploitants et police de l'eau se sont multipliés ces dernières années, en raison du statut ambigu de certains chenaux. En bas, source Moulin Garnier, droits réservés. Il est aujourd'hui difficile de savoir si le curage d'un bief est libre, soumis à déclaration ou soumis à autorisation. Le texte réglementaire est ambigu, les services instructeurs tiennent des discours différents selon les départements.
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