La destruction du patrimoine hydraulique français sur impulsion de l'Etat avec complicité de quelques lobbies (FNE, FNPF) est devenu l'un des principaux points de contentieux sur nos rivières. Nous ne savons pas comment évolueront les négociations sur cette question dans les prochains mois, les prochaines années. Une chose est certaine : elles ne pourront pas aboutir tant que l'Etat sera représenté par les mêmes hauts fonctionnaires qui ont produit le désastre actuel, qui ont trahi l'obligation d'impartialité et de cohérence propre à l'action publique, qui ont foulé au pied la concertation et qui continuent de propager aujourd'hui encore des contre-vérités ou des approximations. En voici un exemple, le refus par ces hauts fonctionnaires de reconnaître que l'Etat privilégie ouvertement l'effacement des ouvrages hydrauliques… alors que leurs propres textes le démontrent depuis 2010 ! Quand le déni atteint ce point de non-retour, le débat n'est même plus possible.
Des participants aux réunions ministérielles de concertation sur la question des moulins nous disent que l'Etat (Direction de l'eau au Ministère de l'Ecologie), France Nature Environnement (FNE) et la Fédération de Pêche (FNPF) nient le fait que l'effacement des ouvrages hydrauliques jouit d'une faveur par rapport à leur aménagement non destructif, ou alors en renvoient la responsabilité aux seuls choix de financement des Agences de l'eau. On commence à entendre sur le terrain le même discours des DDT et Dreal, qui jurent la main sur le coeur qu'elles appliquent la loi sans parti-pris pour telle ou telle solution.
Des lobbies FNE et FNPF, nous n'attendons à dire vrai plus grand chose sur la question des ouvrages hydrauliques. Ils se sont déconsidérés par la propagation de fausses informations dans leurs supports de communication, par des choix agressifs à l'encontre des moulins (choix pas même reconnus ni acceptés par leurs bases), par leur incapacité à argumenter sur le fond de la question. Qu'ils continuent ainsi, leur procès en perte de crédibilité n'en est que plus aisé à instruire. Notons au passage que ces deux lobbies sont sous perfusion permanente des subventions massives du Ministère, abdiquent leur esprit critique pour faire la claque des politiques publiques sur la question de la continuité écologique et servent de faire-valoir de la "société civile" (qu'ils sont évidemment très loin de représenter dans son intégralité) dans la parodie de concertation en cours depuis 10 ans.
De l'Etat, en revanche, on exige un comportement de précision, de vérité et d'impartialité. C'est la condition même du respect de l'action publique. Et on attend déjà de l'Etat la cohérence minimale qui consiste à reconnaître ses propres choix. La désignation de l'effacement comme solution prioritaire figure noir sur blanc dans les circulaires du Ministère.
Dans la Circulaire d'application du 25 janvier 2010 relative aux modalités d'application du Plan d'actions pour la restauration écologique des cours d'eau (Parce 2009), voici le choix dicté par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie :
"Le seul moyen de rétablir vraiment la continuité écologique consiste à supprimer entièrement l’obstacle, donc l’ouvrage, et à rétablir la pente naturelle du cours d’eau. Ce type d’intervention doit être privilégié pour les ouvrages abandonnés, qui ne font plus l’objet d’une quelconque gestion et dont le maintien ne se justifie actuellement, ou potentiellement, par aucune utilité de sécurité, patrimoniale, sociale ou économique. La justification ou non d’une utilité potentielle tient compte d’une comparaison des avantages, notamment écologiques, entre la restauration éventuelle d’un usage et la restauration du cours d’eau. En tout état de cause, il est essentiel qu’un nombre conséquent d’ouvrages inutiles soit supprimé pour que ce plan de restauration atteigne ces objectifs de résultats."
C'est très clairement un appel à effacer les ouvrages, et les services déconcentrés (Dreal, DDT) de l'Etat ont été instruits en ce sens. Le seul garde-fou est la notion d'utilité des 1200 ouvrages concernés par le Parce 2009 – justification utilitariste proprement consternante, et qui portait par son arbitraire tous les contentieux à venir. Certains hauts fonctionnaires du Ministère n'ont pas caché dans les années passées qu'à leurs yeux, seul un ou deux moulins par rivière peuvent prétendre à cette "utilité" supposée, le reste état pour ces zélotes des vieilleries bonnes à détruire.
Dans la Circulaire du 18 janvier 2013 relative à la mise en oeuvre de l'article L-214-17 CE et du classement des rivières, la même Direction du même Ministère écrit :
"L’équipement d’un ouvrage avec un dispositif de franchissement ne compense jamais en totalité les dommages causés aux migrateurs (cumul de fatigue, retard accumulé, blessures inévitables, prédation en aval des barrages, ennoiement d’habitats, etc.). De plus, ces aménagements doivent être entretenus régulièrement pour conserver leur efficacité. En fonction de l’évaluation coût-bénéfice-intérêt de l’ouvrage, et notamment en cas d’ouvrages abandonnés, sans gestionnaire et sans usage, comme le précise la circulaire du 25 janvier 2010 de mise en œuvre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d’eau, la mesure préférable à prendre, quand elle est techniquement possible, est la suppression de l’obstacle par réalisation de brèches, ouverture, arasement, dérasement complet de l’ouvrage lui-même."
On notera que cette préconisation d'effacement de la part du Ministère de l'Ecologie est clairement en contradiction avec le texte de la loi de 2006, qui demande que tout ouvrage soit "équipé, entretenu, géré", et non pas détruit. Il se place tout autant en contradiction avec la loi de Grenelle 2009 qui a demandé un "aménagement" et qui a (volontairement à l'époque) supprimé toute mention de l'effacement. Quand le sommet de l'Etat montre l'exemple de l'excès de pouvoir, il ne faut pas s'étonner que la situation dégénère…
Enfin, la stratégie consistant à se défausser sur les Agences de l'eau n'a aucune consistance. La soi-disant autonomie entre le Ministère et les Agences est une légende qui a été déconstruite par le Conseil d'Etat dans le rapport L'eau et son droit (pp. 86-87) :
"L’article 83 de la loi du 30 décembre 2006 a également encadré l’action des agences de l’eau (…) les agences sont quasiment devenues à cette occasion, malgré leur autonomie financière et la représentation minoritaire de l’État au sein de leur conseil, un outil aux mains de l’État, qui les utilise pour appliquer sa politique de l’eau et pour financer les actions qu’il décide."
Toute personne connaissant le fonctionnement des Agences de l'eau sait que l'essentiel des préconisations et programmations y est conçu par les représentants de l'Etat dans les diverses commissions techniques, presque tous les élus étant dépassés par la complexité réglementaire et technique des questions liées à l'eau, les représentants économiques se contentant pour leur part de défendre leurs intérêts catégoriels. Dans les bassins où il existe une forte implantation de la production industrielle hydro-électrique (par exemple Rhône-Méditerrannée ou Adour-Garonne), l'Etat concède des politiques plus accommodantes (notamment parce qu'il est actionnaire de certaines de ces unités de production à travers EDF!). Lorsque ce n'est pas le cas (par exemple Loire-Bretagne ou Seine-Normandie), il donne libre cours à la positon dogmatique de l'effacement du maximum d'ouvrages, en particulier le déchaînement pour détruire les anciens seuils de moulins ou rendre inaccessible leur équipement écologique et énergétique (voir les lettres ouvertes à François Sauvadet et Joël Pélicot montrant textes à l'appui que les Agences accordent priorité financière à la destruction).
Rétablissons donc la vérité : l'Etat, à travers la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, a formellement prescrit la destruction des ouvrages hydrauliques comme la "mesure préférable à prendre". Le même Etat fait pression en faveur de l'effacement à travers les choix inégaux de financement public de certaines Agences de l'eau. Ce faisant, l'administration va très au-delà des prescriptions du législateur dans la loi sur l'eau de 2006 et la loi de Grenelle de 2009, qui excluaient l'effacement. Nous attendons un recadrage formel de cette orientation délétère, préalable à toute concertation, d'autant que le bilan des mesures de restauration morphologique des rivières est médiocre, que les ouvrages hydrauliques ne sont nullement la première cause de dégradation des milieux et que la science des rivières est encore très loin d'être robuste dans ses conclusions sur le sujet.
Conclusion : la concertation est impossible avec des interlocuteurs qui pratiquent le déni et la manipulation. La question des ouvrages en rivière ayant été pourrie par ces positions doctrinaires, elle ne pourra être correctement gérée que par la dénonciation de ce dogmatisme et par la reconnaissance de l'effacement comme mesure exceptionnelle, limitée au volontariat du maître d'ouvrage hors de toute pression économique, dans les cas où il est scientifiquement démontré que le bilan écologique est positif et justifie une dépense publique. Notons que la perte de crédibilité de l'Etat au sommet n'est pas de nature à permettre des relations pacifiées et positives avec les DDT, Dreal et autres représentants des services déconcentrés. Notons aussi que les négociations autour d'une supposée "charte" des moulins ne sont pas possibles sur la base d'une telle duplicité. Sans une reprise en main ferme du dossier avec remise à plat des problèmes et réévaluation de nos connaissances scientifiques, la politique de continuité produira un nombre croissant de conflits avec les riverains et propriétaires.
A lire en complément
Idée reçue #01 : "Le propriétaire n'est pas obligé d'effacer son barrage, il est entièrement libre de son choix"
Vade-mecum de l'association pour garantir le respect du droit lors des effacements d'ouvrages en rivière
Une autre politique est possible : face au scandale de la destruction du patrimoine hydraulique français, des centaines d'élus et d'institutions demandent déjà un moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. En 2016, ils saisiront directement et collectivement la Ministre de l'Ecologie sur cette question. Diffusez ce moratoire, pour que cesse le ballet macabre des pelleteuses et les dérives de l'administration, pour que le bon sens revienne au bord de nos rivières.
Illustration : la continuité écologique en action, destruction du patrimoine historique, du potentiel énergétique, du paysage de vallée. Ca suffit ! (Photo Simon Buckland, rivière Ellé).
Que les effacements soient plus financés que les autres scénario, il n'y a rien à redire d'un point de vue purement continuité écologique. Dans un cours d'eau sans obstacle, les sédiments et les poissons circulent toujours mieux que sur un cours d'eau barrés par des ouvrages mêmes équipés des plus belles passes à poissons. C'est une Lapalissade. Que des financeurs soient ambitieux et injectent de l'argent public dans les projets les plus ambitieux est vertueux. Quand aux lobbies dont vous parlez, vous usez exactement des mêmes méthodes: pressions sur les élues, travail en réseau, analyse subjective des éléments et gesticulations en tout genre au profit d'une petite minorité. Au bout du compte les propriétaires y trouveront leur compte et les cours d'eau s'en porteront mieux.
RépondreSupprimer@ anonyme : vous ne trouvez "rien à redire", c'est votre opinion. Sauf que le problème n'est pas là : les représentants de l'Etat mentent en refusant d'admettre qu'ils ont donné cette priorité aux effacements. On comprend pourquoi, elle n'est pas dans le texte de la loi. Pour qu'un débat soit possible, il n'est pas important que vous trouviez A "vertueux" ou "vicieux" (ou ce que vous voulez), il est important que vous ne disiez pas A un jour et non-A le lendemain.
RépondreSupprimerSur le reste, c'est du bla bla généraliste copié des plaquettes Onema ou Agence de l'eau, voir la rubrique Science pour des données plus précises :
http://www.hydrauxois.org/search/label/Science
La rubrique idées reçues pour le démontage des messages propagandistes les plus répandues :
http://www.hydrauxois.org/search/label/Id%C3%A9es%20re%C3%A7ues
Ce genre de généralités faisait encore son effet voici 3 ou 4 ans quand on découvrait le sujet. On sait maintenant que la politique de continuité écologique est très largement enflée par rapport à son objet et n'est pas capable d'apporter l'analyse coût-avantage complète de l'argent public qu'elle engage. Si vous êtes un acteur de cette politique, on comprend que vous défendiez vos postes de pouvoir et d'influence. Profitez-en tant qu'il est temps, ne comptez pas sur nous pour vous lâcher, ni dans la programmation de vos actions, ni dans la responsabilité de leurs conséquences à court / moyen termes.
"les cours d'eau s'en porteront mieux"... "les propriétaires y trouveront leur compte"... il semble que notre anonyme est adepte de la très célèbre méthode scientifique de M. Emile Coué, vulgairement connue sous le nom de méthode Coué. Vous énoncez une proposition, elle devient vraie, c'est tellement beau, tellement convaincant.
RépondreSupprimerLa rubrique science d'une association de défense des ouvrages et autres moulins, pourquoi pas...sans comité de relecture ou de conseil scientifique. Dire 100 fois un mensonge n'en fait pas une vérité disait un de vos membres.
RépondreSupprimer"La rubrique science d'une association de défense des ouvrages et autres moulins, pourquoi pas...sans comité de relecture ou de conseil scientifique. Dire 100 fois un mensonge n'en fait pas une vérité disait un de vos membres."
RépondreSupprimerLes études scientifiques citées sont (elles) peer-reviewed, vous pouvez discuter de leurs contenus, non ? La science n'est pas une religion réservée à des scientifiques qui seraient ses prêtres, c'est un corpus de connaissances et méthodes en libre-examen. Quand nous parlons d'un mensonge ou d'une manipulation, nous la citons ; pouvez-nous dire où nous avons menti (nous sommes trompés, avons trompé, etc.), au lieu d'un procès en suspicion non référencé ?
y a-t-il une prédiction de la faune d'une rivière, mettons, dans 100 ans ? merci
RépondreSupprimer@ Anonyme, 18:45 : il y a quelques projections de long terme associées au climat, plutôt sur les poissons, nous devons recenser une ou deux études à ce sujet. Forcément, les projections ont l'incertitude des modèles climatiques couplés aux modèles biologiques. Sur une telle durée, les populations peuvent changer pour diverses raisons (des épizooties, des espèces introduites, etc.)
RépondreSupprimer"Il n'y a rien à redire d'un point de vue purement continuité écologique", dit le premier commentateur. Le problème est le point de vue "purement continuité écologique". Comme le montre ce site, comme le montre l'actualité des contestations un peu partout en France, un ouvrage hydraulique concerne les points suivants : le droit de propriété, le droit des tiers, le patrimoine, le paysage, l'énergie, le risque bâti, le risque inondation, le bilan chimique azote et phosphore, les espèces invasives et pathogènes, le changement climatique, les divers usages sociaux.
RépondreSupprimerDonc, le point de vue "purement continuité écologique" est justement le problème : tout à sa "pureté", il n'arrive pas à élargir les oeillères et à voir tout ce qu'il y a autour.
Il faut ajouter que, sous l'angle même de la continuité écologique, bien des projets sont en peine de justifier leurs objectifs. Les sédiments, cela veut dire quoi au juste, quel volume, quel grain, quel déficit, quel intérêt? Les poissons d'accord, mais là aussi pour quel gain de richesse spécifique, de biomasse, de population? La "continuité écologique" n'est pas un mantra dont la seule évocation serait autojustificatrice, c'est désormais un programme de gestionnaires devant répondre des outils du gestionnaires, quantifier ses gains, justifier ses coûts, expliciter les services rendus par les écosystèmes. Nous sommes loin de tout cela. Le programme n'est pas "ambitieux", le programme n'est pas "vertueux", il est plus simplement bâclé dans la majorité des cas, exécuté à la va vit après une analyse sommaire de bureau d'étude (au mieux). Revendiquer la "science" est mal placé quand des articles scientifiques critiquent si sévèrement le manque de rigueur dans les opérations de restauration de rivière, en France, aux USA et dans divers pays européens.