16/11/2015

Protection du patrimoine des moulins, une première proposition

La FFAM a récemment tenté d'introduire un amendement de protection des moulins dans la future loi de patrimoine, mais la commission des lois a décidé, après échange avec la Ministre de la Culture, de retirer l'amendement (voir notre article). En revanche, Mme Fleur Pellerin a annoncé une concertation au niveau interministériel. Nous faisons ici une première proposition concrète d'évolution de notre droit dans le domaine des travaux en rivières impliquant la destruction d'un élément du patrimoine. Nous souhaitons que le dossier soit géré en toute transparence avec les associations impliquées comme avec les parlementaires mobilisés. Il est impératif de juger de la bonne volonté du gouvernement à protéger le patrimoine hydraulique, et non pas à engager des manoeuvres de coulisses visant à enterrer la question dans des commissions obscures. Les choses doivent être claires : nous ne voulons plus laisser les mains libres à l'entreprise folle, illégitime et antidémocratique de destruction du patrimoine hydraulique promue par la Direction de l'eau du Ministère de l'Ecologie, par les représentants de l'Etat dans les Agences de l'eau ou dans les établissements publics (Onema). Seules des évolutions juridiques précises et rapides pourront nous prémunir de l'arbitraire qui a cours en ce moment sur nos rivières.

Mme Fleur Pellerin a déclaré lors des échanges parlementaires récents : "Je puis cependant m’engager au moins à ce qu’un groupe de travail soit mis en place au cours des prochaines semaines, réunissant mes services et ceux de ma collègue chargée de l’environnement, ainsi que la Fédération française des amis des moulins et toute autre association concernée, pour recenser les cas qui présenteraient des difficultés particulières, de définir les principes d’une application adaptée des objectifs de continuité écologique aux problématiques des seuils des moulins patrimoniaux et pour renforcer le dialogue sur cette question entre les directions régionales des affaires culturelles – DRAC – et les directions régionales de l’environnement, de l’aménagement et du logement – DREAL –,afin que nous puissions trouver des solutions."

De notre point de vue, il convient d'éviter l'enfermement du dossier dans la constitution de listes d'ouvrages hydrauliques ayant un intérêt patrimonial, ce qui laisserait entendre que tous ceux absents de la liste n'en ont pas. Il faut répéter avec force que les moulins constituent le 3e patrimoine de France, après celui des églises et des châteaux. Le caractère patrimonial des ouvrages hydrauliques ne tient pas au caractère exceptionnel de l'architecture de tel ou tel d'entre eux, mais d'abord au fait que, présents sur toute rivière, ils portent témoignage de la manière dont se sont peuplées les vallées de France et dont toute l'économie de notre pays a pu fournir un travail productif au cours du millénaire écoulé – jusque depuis l'époque romaine pour les sites les plus anciennement équipés. De ce point de vue, tout moulin s'insère dans un réseau local et régional, tout moulin mérite réflexion avec de faire disparaître ses ouvrages hydrauliques (donc son identité intrinsèque de moulin).

Par ailleurs, il faut noter que la politique actuelle de continuité écologique détruit en priorité les seuils et barrages de moulins, mais qu'ils ne sont pas les seuls ouvrages concernés. Par exemple, on a pu observer sur le terrain que la mise hors d'eau permanente, périodique ou transitoire peut affecter des douves, remparts ou fortifications, des lavoirs, des biefs, des fondations d'habitat riverain, des paysages remarquables.

Retenons ce principe non négociable : nous n'avons pas à justifier au cas par cas l'intérêt patrimonial d'un ouvrage. Le respect du patrimoine hydraulique est la règle, c'est sa destruction qui doit être et demeurer l'exception. Ce sont donc les chantiers (normalement) exceptionnels de destruction qu'il faut examiner au cas par cas, et qui doivent justifier leur choix sur le plan culturel, pas seulement sur le plan biologique, chimique, morphologique.

Faire évoluer les dossiers d'autorisation de destruction d'ouvrages hydrauliques
En termes législatifs et réglementaires, nous proposons donc de travailler sur des évolutions transversales et globales, qui permettent de d'assurer la bonne prise en compte des enjeux culturels et patrimoniaux dans la politique de continuité écologique. La première urgence est de s'assurer que tout effacement inclut l'évaluation de l'intérêt de l'ouvrage.

Un effacement de seuil ou barrage relève des travaux "loi sur l'eau" régis par les articles R 214-1 CE et suivant. Concernant l'article R 214-1 CE, nous proposons l'ajout d'un titre VI. Le contenu de cette réglementation pourra être rédigé de la sorte :

Titre VI Impact sur le patrimoine historique et culturel
Les travaux entraînant la destruction totale ou partielle des ouvrages hydrauliques et canaux, ou leur mise hors d'eau permanente ou périodique impliquant une fragilisation potentielle du bâti, devront faire l'objet d'une évaluation de l'autorité administrative compétente dans le domaine de la connaissance, de la protection, de la conservation et de la valorisation du patrimoine et de la culture, ainsi que d'une concertation avec les associations ayant pour objet la défense et la promotion du patrimoine hydraulique.
L'autorité administrative compétente peut émettre toute prescription conservatoire.

Une telle évolution réglementaire nous paraîtrait saine car :
  • elle concerne les ouvrages menacés de destruction, donc elle cible directement les enjeux prioritaires en terme de protection patrimoniale;
  • elle sollicite l'avis des DRAC (ou des STAP) comme sont déjà sollicités en cas d'effacement les services Dreal-DDT-Onema, de sorte que l'équilibre de la réflexion administrative entre protection de la nature et de la culture sera garanti;
  • elle pose le principe de concertation, et évite ainsi ce qui est perçu comme dérive autoritaire de certains acteurs de l'eau (rappelons que les associations de moulins sont exclues des Comités de bassins et des Commissions locales de l'eau);
  • elle transfère la concertation et la réflexion sur le terrain, ce qui évite le travail impossible consistant à décider en comité fermé et au plan national quel ouvrage serait digne d'intérêt et quel autre pourrait être effacé de notre mémoire commune.
Une option alternative serait de modifier le contenu obligatoire du document d'incidence des travaux soumis à autorisation (article R 214-06 CE), mais cela exclurait des effacements d'ouvrages simplement soumis à déclaration (art R 214-1 CE) qui peuvent malgré tout présenter un intérêt patrimonial.

Nous souhaitons que les représentants des moulins en concertation avec le Ministère (ici la FFAM) portent cette proposition (ou s'en inspirent sur le principe) et tiennent les associations informées des positions des Ministère de la Culture et de l'Ecologie. Bien entendu, il conviendra d'en tenir également informés les parlementaires qui ont porté l'amendement et qui attendent une réponse sincère du gouvernement sur le sujet devenu très sensible de la destruction indue du patrimoine hydraulique français.

Illustration : la roue de l'Abbaye de Fontenay. La défense du patrimoine hydraulique ne doit pas concerner seulement quelques sites symboliques, mais se nourrir d'une réflexion élargie sur la place des réseaux de moulins dans la construction de nos vallées, l'histoire sociale et économique de nos territoires, la transformation et la persistance des modes énergétiques de production.

6 commentaires:

  1. La destruction indue du patrimoine hydraulique français...vous n'y allez pas avec le dos de la cuillère. Je m'interroge de savoir pourquoi ce patrimoine si précieux est menacée avec une simple loi qui propose d'améliorer la continuité dont majorité de propriétaires ne s'étaient guère souciés jusqu'à aujourd'hui. A regarder l'état de certains moulins, hormis quelques passionnés, la majorité semble traîner un fardeau. Au final, la petite hydro, ça rapporte peu, nécessite des investissements économiquement infondés, n'améliore jamais la qualité des cours d'eau et cause beaucoup de tracas aux propriétaires en plus des contraintes pour venir lever les vannes un week-end en cas de crue ou pour régler un débit réservé. Laissons les faire leur choix avec pragmatisme. D'ailleurs rien n'empêche de conserver un bâti remarquable et de réduire la chute du seuil. Possédez vous un ouvrage et si oui, comment gérer vous la réglementation inhérente à la continuité?

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  2. Nous avons l'impression d'avoir écrit cet article ,tellement nous y adhérons. . Seul bémol , Nous pensons que TOUTES les associations doivent y être associées car cette action et la mobilisation des élus ,est le fruit des interventions de chacune des parties concernées Si 80 députés ont signé cet amendement ,c'est bien à la demande de Toutes les associations confondues..
    . Pour l'association les amis des moulins . Rainville et la Forge de Longny .

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  3. @ Anonyme de 08:41 : personnellement (CFC, rédacteur de l'article), je ne suis pas propriétaire de moulin pour le moment. Quant à nos adhérents, la plupart ont des sites en état correct, sur des rivières dont le peuplement était en bon état même à l'âge d'or des moulins en activité (Cousin) ou n'a pas changé depuis un siècle (Armançon) ou n'a pas de réel enjeu de continuité (Serein), etc. Le problème : vous partez du principe que la réforme de continuité et le classement des rivières sont solidement fondés, ce qui n'est pas le cas, qu'ils exigent des aménagements dont le coût est proportionné au bénéfice, ce qui n'est pas le cas, etc. Je vous invite à lire ce site, en commençant par exemple par la rubrique Idées reçues ou par la rubrique Science.

    Par ailleurs, vous parlez d'un choix "avec pragmatisme", mais c'est mensonger et on est mal parti pour la discussion ou la concertation. Les propriétaires ont un pistolet sur la tempe car ils ont reçu les visites des agents de l'Etat + agence + syndicat les prévenant d'un air grave que leur ouvrage pose de gros problèmes (faux), ils ont une subvention totale pour effacer mais rien ou quasi rien pour aménager sauf montages exceptionnels et rares, etc. Il n'y a pas de "pragmatisme", il y a un chantage d'Etat que nous dénonçons. Donnez un choix réel (soit aucune subvention, soit la même dépense finale pour aménager / effacer) et vous verrez le choix des propriétaires.

    Enfin, les effacements sont bâclés (d'où leur moindre coût) et cet article (dans une série à venir) entend engager la correction de cet état de fait. Si vous êtes gestionnaire, on peut imaginer que vous n'avez rien à objecter à des normes de haute qualité (culturelle, écologique) pour les effacements. Vous verrez, si ces normes sont rappelées (cas de la protection des milieux et du droit des tiers) ou posées (cas ici de la culture et du patrimoine), il ne sera pas spécialement "pragmatique" d'effacer.

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  4. @ Rainville et la Forge de Longny : tout à fait, toutes les associations sont concernées, au demeurant Fleur Pellerin l'a rappelé dans son allocution au Parlement. Il se trouve que la FFAM porte la concertation sur ce sujet précis. Nous appelons bien sûr cette Fédération (dont nous ne sommes pas adhérent) a toute la transparence nécessaire au regard de sa responsabilité à représenter tous les ouvrages hydrauliques sans distinction. Ce choix de transparence a toujours été celui d'Hydrauxois, raison pour laquelle ce texte est public et ouvert à la discussion.

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  5. A ne pas oublier : un propriétaire négligent aujourd'hui ne signifie pas une propriété négligée demain! Amoureux des moulins, nous avons racheté un bien en piteux état pour le restaurer et lui rendre tout son éclat. Nous sommes nombreux à agir ainsi. Il ne faut pas que la question des moulins soit prise en charge par des gens qui sont indifférents à la culture et au patrimoine, car ils ne savent pas ce qu'ils font. On ne parle pas de la rivière mais de l'ouvrage en sa rivière, chacun ses compétences.

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  6. En tant que pêcheur je m'intéresse au problème de la continuité ecologique de La Juine.J'ai publié des articles anciens: La juine une rivière en danger et Le Paradoxe de La Juine sur Google.Je cherche un site hébergeur pour diffuser Le Paradoxe 2 de la Juine Merci
    guy.tricoche@outlook.com Adhérent à ASME91

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