Un travail danois de phylogénie moléculaire montre que deux populations de truites, isolées dans des lacs par des ouvrages hydrauliques, s'y reproduisent depuis 600-800 ans et 200 générations, tout en conservant aujourd'hui une taille acceptable du pool reproducteur. Cette recherche rappelle la plasticité et l'adaptabilité du vivant, y compris pour des espèces migratrices en rivières fragmentées.
Les lacs Hald et Mosso sont situés sur le bassin versant du fleuve Gudera. Celui-ci est la plus grande rivière danoise, formée voici 12.000 ans au sortir de la dernière glaciation. Ces deux lacs ont été isolés entre 1200 et 1500 par l'implantation de barrages hydrauliques permanents associés à des monastères.
Michael M. Hansen et ses collègues de l'Université Aarhus ont voulu déterminer si l'isolement des populations de truites de ces lacs est observable dans la signature génétique des populations. Pour cela, ils ont analysé 44 microsatellites (des sites génétiques très variables) en comparant les truites des deux lacs à celles d'une zone à libre écoulement en aval de la même rivière, ainsi qu'à 9 sites danois sur d'autres rivières. Deux méthodes indépendantes ont été employées.
Les analyses génétiques montrent une divergence des populations des lacs Hald et Mosso, que l'on peut dater vers 600-800 années. La phylogénie moléculaire rejoint donc les données historiques et hydrauliques sur le bassin versant, ce qui confirme toute l'importance de cette technique pour l'analyse fine de l'évolution locale des peuplements (image ci-dessus, cliquer pour agrandir: à gauche, la zone géographique des deux lacs; à droite, les densités de probabilité de début de la divergence inter-populations).
La taille efficace de la population reproductrice est estimée à 153 et 252 individus pour les lacs, soit moins que les autres systèmes étudiés (de 244 à plus de 1000). Bien que ces valeurs ne soient pas élevées, "elles ne sont pas une cause de préoccupation en terme de conservation", observent les chercheurs. On trouve certaines populations de taille comparable dans les autres rivières non fragmentées de l'étude, et même des populations moins importantes dans d'autres travaux suédois. En revanche, les populations étant isolées et donc privées de brassage génétique, elles peuvent présenter moins de capacité adaptative vis-à-vis d'éventuels impacts futurs.
Une question intéressante est de savoir si, après environ 200 générations de reproduction locale, les truites en zones fragmentées présentent des évolutions comportementales. Un autre travail a montré que 40% des truites sont sédentaires dans le lac Hald, 44% migrent vers des affluents amont alimentant le plan d'eau et 15% dévalent vers la mer. Il existe donc encore un potentiel pour des migrations anadromes à longue distance, même si la grande majorité des truites de l'hydrosystème semble avoir évolué vers des déplacements courts.
Malgré la longue durée de l'isolement géographique, les conclusions de ce travail sont donc assez éloignées de certaines assertions alarmistes sur le risque d'appauvrissement génétique en rivières fragmentées. Même si l'on ne peut pas préjuger des impacts futurs (réchauffement notamment) sur les populations sténothermes et polluosensibles comme les truites.
Référence : Hansen MM et al (2014), The effects of Medieval dams on genetic divergence and demographic history in brown trout populations, BMC Evolutionary Biology, doi: 10.1186/1471-2148-14-122
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