Une des "idées fausses" prêtée par le Ministère au public est ainsi formulée : "Les poissons abondaient dans les rivières à l’époque où des dizaines de milliers de moulins fonctionnaient. Ces derniers n’ont donc pas d’impact sur la faune piscicole ! Il faut prendre des mesures ailleurs !"
(Remarquez au passage que le propriétaire de moulin ou le riverain, un peu idiot, s'exprime toujours sous forme exclamative et définitive).
Le procédé rhétorique est assez classique : le Ministère produit une idée extrême que personne (ou peu de gens) ne soutient réellement, et s'empresse d'annoncer triomphalement que l'idée est "fausse". En effet, les moulins peuvent tout à fait avoir des impacts sur la faune piscicole (positifs, négatifs) et l'on ne voit pas pourquoi ils n'en auraient pas. Ce que les propriétaires de moulins contestent et à très juste titre, c'est que l'impact piscicole des seuils et barrages serait important, en particulier quand il est comparé aux impacts des évolutions récentes de la société industrielle.
Le Ministère fait d'abord un pas dans la bonne direction en admettant : "Il apparaît sensé d’affirmer qu’au Moyen Age, bien avant les révolutions industrielle et agricole, lorsque la population était trois fois moins dense qu’aujourd’hui il y avait plus de poissons dans les rivières. Il semble aussi évident d’affirmer que les moulins ne sont pas les responsables uniques de la disparition de certaines espèces et de la diminution des effectifs ; dans le cas des grands migrateurs, la surpêche en mer et les grands barrages verrous ayant condamné l’accès aux meilleures frayères, ont une responsabilité indéniable dans cet effondrement."
Mais sans doute effrayé par l'audace de cet aveu, qui pourrait semer le doute sur le bien-fondé des destructions d'ouvrages formant le nouveau dogme de la Direction de l'eau et de la biodiversité, le site ministériel ré-affirme bien vite : "La relation directe entre le processus de disparition de la faune piscicole et les ouvrages en rivière, notamment transversaux est un fait, prouvé depuis longtemps."
Pour défendre ce point, le Ministère de l'Ecologie produit une reproduction du bulletin de 1861 de la Société d’agriculture, d’industrie, de science et d’art du département de la Lozère.
Ledit bulletin affirme que les salmonidés sont contrariés par des barrages trop élevés qu'ils ne peuvent franchir. Cela n'a rien de très renversant – de même qu'en remontant vers les têtes de bassins, les salmonidés trouvent de plus en plus de chutes naturelles qu'ils ne peuvent pas davantage franchir. Nous avions par exemple exposé comment le saumon a peu à peu disparu des têtes de bassin du Morvan au cours du XIXe siècle, en raison des rehausses d'ouvrages hydrauliques et nouveaux ouvrages plus élevés. Les travaux ichtyologiques cités dans cette analyse prenaient justement soin de souligner que le saumon n'avait pas disparu à cause des petits ouvrages de moulins, présents de longue date sur les rivières, mais des grands travaux modernes d'aménagement hydraulique, de la surpêche puis de la pollution.
Le principal problème dans cette prose ministérielle : aucun chiffre, aucune donnée scientifique. Nous ne remettons pas en question le grand intérêt de ce qui se disait dans les sociétés savantes de Lozère en 1861, mais nous restons sur notre faim. Il est simplement dit à la fin du texte ministériel, de manière assez cryptique pour les non-initiés : "l’étude de (Van Looy et al, 2014) a conclu : "les structures des communautés de poissons et d’invertébrés sont significativement modifiées par la présence d’obstacles à l’écoulement (seuils et barrages) à l’échelle du bassin.""
Les lecteurs d'Hydrauxois, qui ont été les premiers informés de cette étude dans le grand public, savent très bien ce qu'elle dit : les barrages (toutes catégories confondues, même les grands) représentent 12% seulement de la variance de l'indicateur de qualité piscicole sur le linéaire étudié par les chercheurs. Donc l'impact est faible (88% de la variation de qualité piscicole s'explique autrement), d'autant que la même étude trouve une corrélation positive et significative (0.19) avec la richesse spécifique (la diversité des espèces est plus importante dans les rivières plus fragmentées). Voilà des chiffres, pas des généralités. Ils ne nous convainquent certainement pas du bien-fondé de la politique de destruction systématique du patrimoine hydraulique par le choix radical de l'effacement.
Le Ministère affirme : "Les témoignages humains sur l’abondance de poissons conservent une dimension subjective importante. Ils ne reposent pas toujours sur des données scientifiques ni sur des protocoles d’évaluation qui permettent d’établir des comparaisons." Eh bien que le Ministère arrête donc de citer des bulletins de sociétés savantes locales du XIXe siècle, des convictions personnelles de scribes égarés au Bureau des milieux aquatiques ou encore des conclusions généralistes et non-informatives d'études : qu'il donne plutôt les chiffres exacts ressortant des travaux scientifiques récents et qu'il informe le public des débats en cours dans la communauté des chercheurs. Car ces données contredisent l'idée que la restauration de la continuité longitudinale aura un effet majeur sur la faune piscicole, en particulier quand on parle des ouvrages modestes des moulins formant les trois-quarts des obstacles à l'écoulement.
Nos rivières ont besoin de vraies concertations fondées sur de bonnes informations. Sur la défensive, désormais arcbouté sur la sauvegarde de ses planifications absurdes et autoritaires de continuité écologique, le Ministère de l'Ecologie ne semble plus capable de produire autre chose que du catéchisme et dogmatisme.
A lire et diffuser en réponse au Ministère
Idée reçue #02 : "Les seuils et barrages ont un rôle majeur dans la dégradation des rivières et des milieux aquatiques"
Idée reçue #03: "Jadis, les moulins en activité respectaient la rivière, mais aujourd'hui ce n'est plus le cas"
S'il on mettait certains "employés" du Ministère de l'environnement sur des "vélos-dynamo" l'on pourrais éclairer Paris tout entier !.. (Remarquez au passage que le propriétaire de moulin ou le riverain, un peu idiot, s'exprime toujours sous forme exclamative et définitive).
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