Sur le site du Ministère de l'Ecologie, un nouveau texte sur la continuité écologique vient d'être publié. Il affirme : "depuis la loi sur l’eau et les milieux aquatiques de 2006, la restauration de la continuité écologique des cours d’eau suscite beaucoup d’interrogations, de scepticismes voire d’oppositions, parfois très tranchées et très diffusées. Beaucoup d’idées fausses circulent d’ailleurs sur la nécessité de maintenir tous les seuils en rivière, sur l’absence de priorité de leur aménagement voire sur les perturbations négatives que déclencherait leur suppression."
Nous sommes bien d'accord, beaucoup d'idées fausses circulent et nous leur avons même consacré une rubrique à part entière de ce site, visant à la déconstruction des "idées reçues". Hélas, ces dernières ont été en partie diffusées… par le Ministère ou par des établissements administratifs!
Les absences de rigueur, motivation et suivi dans la politique de continuité
Le texte paru sur le site du Ministère reprend des généralités, déjà mille fois lues, sur la continuité écologique. Il n'y a pas grand chose à en dire : la question est mal posée. En effet, ces berceuses en forme de rappels théoriques du fonctionnement de la rivière ne répondent pas aux problèmes que nous soulevons, à savoir l'absence de :
- mesure de tous les paramètres de qualité (biologique, physico-chimique, chimique, morphologique) DCE sur chaque masse d'eau;
- modélisation des impacts en rivières à partir des bassins versants et de l'ensemble des données DCE;
- profondeur historique dans l'étude des peuplements piscicoles et de leur variabilité naturelle / forcée;
- mesure de l'impact relatif du compartiment morphologique sur les paramètres biologiques / chimiques de qualité;
- analyse d'effet des ouvrages selon leurs profils et dimensions (distinction petite et grande hydraulique, formes des seuils, exutoires latéraux, pente du déversoir, etc.);
- intégration du changement climatique dans les évolutions hydrologiques et écologiques à venir;
- suivi scientifique des effets dans la durée des restaurations morphologiques;
- analyse coût-efficacité et coût-bénéfice de ces restaurations;
- estimation de probabilité d'atteindre les critères DCE et d'objectifs chiffrés des restaurations;
- évaluation réaliste du bilan des services rendus par les écosystèmes suite aux restaurations;
- débat démocratique sur ce qu'il est légitime ou non de sacrifier pour un certain état du peuplement biologique de la rivière ;
- concertation avec les premiers concernés par la continuité écologique (maîtres d'ouvrage);
- solutions autres que la destruction de propriété ou l'imposition d'aménagements exorbitants.
Sortir des généralités et trivialités
La liste ci-dessus en oublie sans doute, mais cela fait déjà beaucoup d'absences que nous déplorons, et ce ne sont pas les trois pages généralistes de le prose ministérielle qui comblent ces manques.
Nous l'avons écrit maintes fois : personne ne conteste que les ouvrages hydrauliques modifient d'une manière ou d'une autre les rivières, cela relève de la physique, de la chimie, de la biologie et de l'écologie élémentaires. Ce qui est contesté en revanche, c'est l'évaluation de la gravité relative des impacts de cette modification et de la proportionnalité des mesures correctrices demandées (la proportionnalité s'entendant comme la comparaison entre le bénéfice environnemental attendu et l'ensemble des coûts économiques, sociaux, patrimoniaux, à condition que les bénéfices comme les coûts soient correctement objectivés).
Exemple : les poissons rhéophiles (aimant le courant vif) sont pénalisés par les seuils. Certes, mais cela ne répond à rien, c'est un simple constat trivial qu'un milieu lentique de retenue ne leur plaît pas. On se demande donc : dans quelle proportion ? Avec quels effets démographiques ou risques d'extinction ? Avec quel niveau d'équilibre sur la durée ? Avec quelles signatures génétiques et quelle gravité sur les fonctions adaptatives de la population locale ? Avec quel niveau de pression en comparaison du reste des impacts (pêche, pollution, berge, ripisylve, réchauffement, espèces invasives concurrentes, pathogènes, etc.) ? Avec quels effets sociaux et économiques (en terme de services rendus par ces populations piscicoles) ? Et qu'en pensent les riverains et usagers en tout état de cause ?
Qu'il y ait moins de chevaines ou de barbeaux ou de truites (ou de n'importe quelle espèce au-delà de notre exemple) dans une partie d'un tronçon de rivière n'est pas une information suffisante pour fonder une politique prétendant modifier brutalement le profil actuel de cette rivière et supprimer des pans entiers du patrimoine. Une personne qui ne comprend pas cela n'a pas sa place dans un Ministère, où l'on fait des arbitrages politiques en vue de l'intérêt général et non pas de la recherche, de l'observation ou de la militance écologiques. Chacun dans son rôle, mais il y a manifestement confusion des genres dans certains bureaux de la Direction de l'eau et de la biodiversité.
Le Ministère continue à angler sur la "renaturation"
Nous observons par ailleurs un point. Le site du Ministère de l'Ecologie écrit dans la justification de la continuité : "Comme les différents habitats de la rivière servent également aux autres espèces de faune et de flore qui constituent soit un maillon de la chaîne alimentaire (diatomées, invertébrés, etc.), pour les poissons notamment, soit un support pour une phase du cycle de vie d’espèces non aquatiques une fois adultes (larves de libellule par exemple), la préservation et la restauration de cette diversité d’habitats est indispensable à la préservation ou la restauration de la biodiversité aquatique, principalement, mais aussi de toute la biodiversité dépendante du fonctionnement naturel des cours d’eau. (…) La diversité des milieux aquatiques est principalement liée au fonctionnement hydrologique qui les façonne. Toute perturbation du régime hydrologique naturel d’un cours d’eau aura indubitablement des conséquences sur les milieux, la faune, la flore et les sociétés humaines."
Or, dans l'introduction de la Circulaire du 18 janvier 2013 sur le classement des rivières, le directeur de l'eau et de la biodiversité du même Ministère (Laurent Roy à l'époque) écrivait : "L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE".
Le glissement peut paraître subtil, mais il est patent. Le Ministère évoque tantôt un besoin fonctionnel lié à un objectif DCE (aménagement d'ouvrage uniquement si nécessaire) tantôt une volonté plus ou moins explicite de renaturer la rivière et de restaurer des habitats (ce qui va impliquer la destruction des ouvrages, dont la retenue et la chute ne sont pas spécialement "naturelles"). Le Ministère ne comprend manifestement pas que cette posture de "renaturation" conduisant à la suppression du maximum d'obstacles est précisément ce qui a rendu sa politique impopulaire et inapplicable, car extrémiste, déséquilibrée, ruineuse, indifférente à tout ce qui dépasse la "naturalité" de la rivière mais qui forme depuis des millénaires l'essentiel de l'expérience humaine sur ses rives.
Alors on fait quoi ?
Classer les rivières selon un enjeu écologique incluant l'hydromorphologie: nous sommes d'accord sur le principe, à condition que chaque classement soit scientifiquement établi, démocratiquement concerté et raisonnablement mis en oeuvre (trois conditions manquantes dans la plupart des cas aujourd'hui).
Désigner des rivières dans un très bon état écologique où il est interdit de créer de nouveaux ouvrages (équivalent liste 1): nous sommes à nouveau d'accord sur le principe, mais aux mêmes conditions, à quoi s'ajoute que la morphologie ne doit pas être la seule concernée dans ces rivières (interdiction de nouveaux ouvrages, certes, mais interdiction d'extension de la pêche professionnelle ou de loisir, interdiction de nouvelles activités polluantes sur le bassin versant, etc.).
Désigner des rivières où les obstacles à l'écoulement pénalisent fortement des migrations d'espèces par ailleurs menacées, et où des plans de franchissabilité piscicole sont à déployer (équivalent liste 2): nous sommes encore d'accord, mais à l'ensemble des conditions précédemment établies (notamment l'interdiction de toute prédation sur les espèces menacées), auxquelles s'ajoute la nécessité d'un financement public vu le coût élevé des travaux en rivière et charges sur les propriétés riveraines concernées.
Ces positions sont logiques, raisonnables, équilibrées. Elle peuvent probablement recueillir un large consensus. Aller au-delà relève d'un extrémisme militant et minoritaire, et d'un défaut de réalisme condamnant la réforme à l'échec.
Elus, personnalités, associations : merci de vous engager dans l'appel à moratoire sur la mise en oeuvre de la continuité écologique, déjà soutenu par plus de 1000 grandes signatures dont 600 élus. La destruction du patrimoine hydraulique et la gabegie d'argent public doivent cesser et céder la place à la concertation. Nos rivières ont besoin de vous !
Illustrations : un seuil de moulin sur la Brenne (Côte d'Or) et son hydrosystème. Le Ministère de l'Ecologie persiste à désigner comme "dégradé" tout habitat qui ne serait pas "naturel". Ce n'est pas tenable, cela fait plusieurs millénaires que le profil et le peuplement des cours d'eau sont modifiés par la présence humaine. La morphodiversité créée par les seuils est une donnée déjà ancienne des rivières françaises, ses impacts sont très variables, certains de ses effets sont positifs en l'état des autres pressions sur les bassins versants, la modification des peuplements reste souvent modeste et sans gravité particulière. En témoigne d'ailleurs le très grand nombre de rivières à seuils et barrages ayant été classées en liste 1 en raison de leur intérêt écologique ou ayant un Indice Poisson Rivière (IPR) de bonne voire excellente qualité. Il faut cesser les généralités et les préjugés, surtout dans une prose ministérielle où l'on attend une défense de l'intérêt général et des services rendus par les écosystèmes, pas un jusquau-boutisme de restauration écologique indifférent aux usages comme aux avis des populations.
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