Le travail de Niels W.P. Brevé et ses collègues fait le point sur la manière dont la continuité longitudinale a été abordée au Pays-Bas (Brevé et al 2014).
On note d'abord que pour une superficie de dix fois inférieure à la France, et une géographie bien moins montagneuse, les Pays-Bas ont recensé 18.000 obstacles aux migrations de poissons sur leur territoire. Les auteurs précisent qu'il serait "en dehors de tout objectif de gestion" de traiter l'ensemble de ces obstacles : une sélection des masses d'eaux classées au titre de la DCE 2000 et présentant un intérêt écologique a abouti à la sélection de 2924 obstacles à l'écoulement, dont la majeure partie sont des petits barrages (1759), suivies par des stations de pompage (434) et des écluses (205).
Pour ces ouvrages, un recensement a commencé dès 2001 et un plan de gestion a été établi jusqu'en 2027. Au total, 1974 obstacles sont intégrés dans ce plan, parmi lesquels 960 n'ont pas encore de décision prise sur la nécessité d'intégrer un dispositif de franchissement. On abouti ainsi à 11% des obstacles à traiter sur la période d'exécution de la DCE 2000-2027.
Pour mieux définir les besoins, 5 guildes de poissons migrateurs (ou ayant des besoins d'accès à des habitats) ont été définies, totalisant 18 espèces (cliquer l'image ci-dessus pour agrandir). La première rassemble les grands migrateurs amphihalins, la deuxième l'éperlan et l'épinoche, la troisième l'anguille, la quatrième les migrateurs holobiotiques, la cinquième la lamproie de Planer. La distinction de ces guildes tient à ce que les espèces concernées n'ont pas les mêmes besoins, les mêmes capacités ou les mêmes habitats. Les traits différenciés de ces 5 guildes ont été croisés avec les caractéristiques de 724 masses d'eau superficielles DCE du pays, leur distance à la mer, leur morphologie et leur connexion-fragmentation. A partir de là est définie la priorisation de traitement des barrières migratoires.
En ce qui concerne les mesures choisies, elles consistent presque toujours en dispositifs de franchissement pour les poissons. Comme le montre le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir), sur 764 ouvrages traités ou planifiés en 2011, l'effacement n'a été choisi que dans 22 cas, soit moins de 3% des chantiers. Les autres mode de gestion sont des passes à poissons, depuis la simple échancrure en V d'un ouvrage jusqu'à des passes plus techniques ou des rivières de contournement.
Enfin, les auteurs rappellent que la connectivité n'est pas un choix systématique et que dans certains cas, notamment pour des rivières ayant encore de faibles impacts anthropiques, il peut être préférable de limiter l'accès des espèces invasives par des barrières migratoires.
Comparaison avec les choix français
Au regard de la description qui en est faite dans cet article, l'approche néerlandaise paraît posséder plusieurs avantages par rapport au modèle français de la continuité.
- Le recensement a commencé dès 2001 et la planification est établie jusqu'à 2027, l'ensemble donne une impression de lisibilité. On n'a pas le sentiment d'improvisation et de précipitation donné par le classement français des rivières, décidé en 2012-2013 (12 ans après le vote de la DCE) pour des résultats à 5 ans (délai très court), avec des supposées mises à jour quinquennales (encore très incertaines).
- La liste néerlandaise des espèces d'intérêt (dont on pourrait débattre pour certains holobiotiques) est fixée de façon claire, puis croisée aux axes migratoires ou aux habitats concernés. On n'a pas comme en France des pratiques discutables au plan méthodologique : protocole ICE qui inclut toutes sortes d'espèces (y compris carpes, perches, brêmes, chabots, etc.) sans préconisation claire et donc avec un arbitraire local d'interprétation (il suffit de comparer des rapports de diagnostic-préconisation sur des bassins similaires pour les mêmes espèces), plans de gestion migrateurs séparés des classements (ajoutant de la confusion et des coûts de superposition), enjeux piscicoles parfois non précisés dans le classement ou désignations vagues ("cyprinidés rhéophiles") et sans justification réelle du choix d'une rivière par rapport à d'autres en termes de gains écologiques, absence même de carte globale des rivières classées avec visualisation des obstacles et justification par bassin et sous-bassin des besoins migratoires.
- Le nombre total d'ouvrages à traiter est raisonnable aux Pays-Bas : environ 2000 en 25 ans, soit 80 par an au maximum pour tout le pays (à supposer que l'on choisisse des aménagements pour tous les ouvrages encore en cours d'évaluation). Cela n'a rien à voir avec la prétention française à traiter entre 10.000 et 20.000 ouvrages sur un délai de 5 ans, ce qui supposerait plusieurs centaines voire près d'un millier par an pour les bassins ayant classé le plus de rivières, comme Loire-Bretagne ou Seine-Normandie (ce dernier bassin étant de taille et de population comparables aux Pays-Bas).
- Les ouvrages ne sont manifestement pas "diabolisés" aux Pays-Bas et leur destruction est l'exception, dans 97% des cas on préfère aménager des passages pour les poissons. L'orientation française en faveur de l'effacement des ouvrages, assortie de divers procédés déplorables pour arriver à cette fin (menace de suppression du droit d'eau, perspective d'un lourd endettement futur pour réaliser les travaux, surdité aux objections, travail en "comités fermés" entre initiés tenant tous le même discours), est ce qui a rompu la confiance entre administration et riverains dans notre pays. L'exemple néerlandais montre que ce n'est nullement une fatalité. Nous aurions dû prévoir dès le départ un choix de dispositifs de franchissement, un travail de standardisation des modèles pour rendre les passes moins coûteuses et une provision de financement public.
Conclusion
Plusieurs parlementaires inquiets des dérives françaises dans le domaine de la continuité écologique ont souhaité que la politique de notre pays fasse l'objet d'un comparatif avec les autres membres de l'Union soumis à la même DCE 2000 (et aux autres directives, dont Habitats, faune, flore, ainsi qu'au Règlement anguille). A en juger par le travail de Niels W.P. Brevé et al., il paraît en effet nécessaire de procéder à cette enquête. A une condition : qu'elle soit indépendante des services et établissements ayant en charge le classement (Onema, Dreal de bassin, etc.), et plutôt confiée à un panel européen de scientifiques. On a déjà assez goûté la spécialité hexagonale de l'auto-évaluation administrative suivie d'une parfaite inertie après quelques effets d'annonce…
Référence : Brevé NWP et al (2014), Supporting decision-making for improving longitudinal connectivity for diadromous and potamodromous fishes in complex catchments, Science of the Total Environment, 496, 206–218
Bonsoir,
RépondreSupprimerMerci beaucoup pour cette publication qui démontre la possiblité d'une approche plus démocratique , repectueux et surtout plus opace et équilibré;
Nous sommes (neerlandais ) devenus propriétaire d'un moulin a eau dans L'Indre en 2002 et nous avons bien compris que le fond du problème -qui est au fond a l'orgine de presque toutes les combats de l'administration Française versus les citoyens- : c'est le comportement aveugle super autoritair. Les directions regionales sont habillés avec des pouvoirs avant la révolution: alors comme des grand seigneurs, des vrai (petites) barons: ils ne sont pas au service des citoyens mais plutôt occupés de forcer l'obéissance : police d'eau , amendes, obligations sans concrteiser les devoirs etc; la révolution n'est pas achevé...
respectueux et mes excuses pour l'orthographie
amicalement, bien a vous
Victor VAN HAREN