John Gichimu Mbaka (Université de Coblence-Landau) et Mercy Wanjiru Mwaniki (Université de Bamberg) ont proposé une "revue" des analyses de la littérature scientifique concernant l'effet des barrages de petite dimension sur les habitats et les invertébrés. Leur analyse concerne le tronçon aval des ouvrages.
Les chercheurs soulignent que ces travaux sont rares : "à ce jour, la plupart des recherches sur les effets des retenues sur les rivières ont été conduits sur les grandes retenues". Ils conviennent qu'il existe un besoin de recherche empirique sur les petits ouvrages, en raison de leur nombre.
L'analyse sur Web of Science a permis de trouver un total de 106 études scientifiques publiées sur la question des petits ouvrages entre 1986 et 2013. Seules 94 avaient des données sur l'effet aval. Et parmi elles, seules 25 permettent une comparaison statistique. Cela montre la pauvreté des analyses sur la question, en près de 30 ans de recherche. La majorité des études ne signale pas d'effet significatif sur les habitats (ni 30% d'entre elles sur les invertébrés).
Les barrages ont été divisés en 3 catégories: seuil ("small weir", dont la hauteur ne dépasse pas celle de la berge amont et qui sont couramment noyés), barrages au fil de l'eau ("run-of-river dam") jusqu'à 5 m, barrage de basse chute ("low-head dam") entre 5 et 15 m. Les variables analysées sont au nombre de 17 – 15 pour les caractéristiques physiques de l'habitat et 2 pour les invertébrés (abondance, richesse).
Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) résume les données. Le "d" est le d de Cohen qui donne la taille d'effet, le r est la corrélation positive ou négative.
Source : Mbaka JG, Mwaniki MW (2015), droit de courte citation
- sur chaque variable prise isolément, les études sont peu nombreuses (3 à 14), ce qui pose un problème de significativité statistique, reconnu par les auteurs, d'autant que ce nombre total est divisé en 3 catégories d'ouvrages (dans près de 30 croisements variable-catégorie, il n'y a qu'une seule étude);
- bon nombre de variables montrent des corrélations tantôt positives tantôt négatives, de sorte que l'effet d'un ouvrage sur ce paramètre paraît difficilement prédictible (et demanderait une étude ad hoc menée selon des critères scientifiques);
- certains résultats sont contre-intuitifs (par exemple sur l'oxygénation après la chute);
- l'abondance des invertébrés est corrélée positivement aux barrages au fil de l'eau (0,29) et la corrélation est quasi-nulle dans les autres cas (-0,001 pour les seuils, -0,03 pour les basses chutes 5-15 m), sur 12 études;
- la diversité des invertébrés est corrélée positivement pour les seuils (0,63), mais négativement pour les autres (-0,60 et -0,29), avec cependant 4 études seulement.
Les auteurs concluent à l'existence d'impacts variables (y compris négatifs) sur les habitats et les invertébrés, donc sur la nécessité de la prudence et de l'analyse des impacts avant la construction de petites retenues sur les rivières. Non sans reconnaître au passage que ces ouvrages ont "divers bénéfices économiques et écologiques (par exemple réduction de la charge en polluants)".
Nos commentaires
La première information de ce travail, c'est qu'il existe très peu d'analyses spécifiques de l'impact des petits ouvrages. C'est problématique en France, car les ouvrages devant se mettre en conformité à la continuité écologique ont dans 50% des cas moins de 1 m de hauteur, et dans 80% des cas moins de 2 m (donc généralement la première catégorie de Mbaka et Mwaniki 2015). Cette carence interdit au gestionnaire de prétendre à des certitudes robustes sur les effets biotiques et abiotiques des ouvrages, plus particulièrement quand ces "certitudes" sont avancées avec comme objectif la reconquête d'un bon état chimique et écologique d'une masse d'eau.
La seconde information majeure, c'est que les ouvrages peuvent présenter tantôt des effets positifs, tantôt des effets négatifs sur les variables d'intérêt. Cela rend particulièrement complexe de tirer un bilan écologique global, sans parler de l'effet cumulé sur un tronçon qui sera plus ou moins fragmenté, plus ou moins soumis à d'autres pressions (comme les pollutions, les altérations de berges et ripisylves, etc). Là encore, la politique française de continuité écologique est dramatiquement sous-informée: les diagnostics manquent, ni les états des lieux des Agences de l'eau, ni les travaux très locaux des bureaux d'études ne fournissent une information suffisante sur les différentes échelles d'intérêt pour le gestionnaire (site, tronçon, rivière, bassin versant). En particulier, la prétention à "restaurer de l'habitat" (et non seulement des fonctionnalités de franchissement) est un problème dans l'interprétation française du classement de la continuité écologique (voir cet article). Il n'y a pas de garantie particulière qu'on aura des gains significatifs en biodiversité sur toutes les rivières concernées, ni qu'on évitera des effets adverses et indésirables en terme écologique (sans parler des pertes de services rendus par les écosystèmes aménagés).
Contrairement à ce que voudrait laisser penser le Ministère de l'Ecologie, le classement français des rivières au titre de la continuité écologique n'est pas déficient parce que tel ou tel ouvrage pose problème : il est déficient de manière structurelle, par sa précipitation, par son ampleur, par son absence de motivation scientifique sur les choix de classement, donc sur la prédiction des effets écologiques et des rapports coûts-bénéfices. La France prétend aménager plus de 10.000 ouvrages en 5 ans quand les Etats-Unis n'en ont traités que 1000 en 50 ans (les Pays-Bas un maximum de 2000 en 25 ans). Pour appuyer cette ambition démesurée, aucune modélisation sérieuse des rivières ni des bassins n'est disponible. Un audit de cette politique est indispensable : en l'état, elle paraît plus inspirée par l'idéologie que par la science.
Référence: Mbaka JG, Mwaniki MW (2015), A global review of the downstream effects of small impoundments on stream habitat conditions and macroinvertebrates, Environmental Reviews, 23, 3, 257-262.
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