Depuis quelques mois, un nouvel élément de langage circule dans le milieu des gestionnaires de rivière : effacer les ouvrages est indispensable pour lutter contre les effets de réchauffement climatique. Après l'entrave à auto-épuration chimique, gadget de communication qui résiste mal à l'épreuve de l'examen scientifique, les ouvrages de moulins, d'étangs et d'usines à eau seraient maintenant responsables d'une aggravation du changement climatique. Quand on veut tuer son chien, on l'accuse d'avoir la rage… Mais cette nouvelle idée reçue n'a pas grand chose de solide pour appuyer ses assertions. L'effacement des ouvrages hydrauliques présente un mauvais bilan CO2, alors que leur équipement en énergie hydro-électrique limite au contraire l'effet de serre. La conservation d'outil de régulation des niveaux de la rivière peut se révéler précieuse avec les crues et étiages plus sévères du climat changeant. L'ouvrage hydraulique est donc auxiliaire de notre adaptation au changement climatique! Quant aux poissons d'eau froide et en particulier aux salmonidés – dont la préservation au service des intérêts particuliers du loisir pêche est un non-dit de l'opaque réforme de continuité écologique –, leur aire de répartition risque de toute façon de se réduire à certaines têtes de bassin. Il n'est nul besoin de tout casser pour les y conserver.
Avant de s'adapter, prévenir : l'intérêt de la production hydro-électrique - La première réponse à la menace du changement climatique, c'est de limiter au maximum et au plus vite les émissions de gaz à effet de serre, afin d'éviter un basculement durable dans un nouveau régime climatique dont les conséquences ultimes pour les sociétés et les milieux sont assez largement inconnues. Pour cette raison, l'hydro-électricité connaît un développement à l'échelle mondiale : c'est une technologie simple, rustique et durable ; elle a un excellent bilan carbone (en région tempérée notamment) et matières premières ; elle offre une bonne prévisibilité pour le réseau électrique et dans certains cas (STEP), elle permet de stocker l'énergie produite par d'autres sources renouvelables ou de répondre aux pointes (voir cette synthèse sur l'intérêt énergétique des petits ouvrages). Le choix français de geler une bonne part du développement hydro-électrique au nom de la continuité écologique, voire de détruire les ouvrages déjà en place permettant son exploitation, est en contradiction totale avec la stratégie nationale et européenne de transition écologique et énergétique. Il faut au contraire encourager la croissance de l'énergie hydraulique partout où cela est possible : en rivière, en fleuve et en mer, dans les réseaux d'eau (AEP) et les retenues en place. Bien entendu, certains effets secondaires indésirables de ce développement hydro-électrique sont réels et doivent être minimisés, grâce aux travaux de recherche appliquée sur l'ichtyocompatibilité des prises d'eau et des régimes de débit. Mais il faut garder mesure et remettre les choses à leur place : on ne conçoit pas une politique énergétique de lutte contre le réchauffement climatique en fonction d'une répartition différentielle de poissons sur des tronçons de rivière intéressant essentiellement le loisir de la pêche.
Le bilan carbone des destructions n'est pas calculé, et il est probablement négatif pour le CO2 - La récente expertise collective Irstea-Inra-Onema (Carluer et al 2016, voir ce lien) a montré que le bilan CO2 (dioxyde de carbone) des retenues est généralement meilleur que celui des rivières libres, car la dissolution du gaz et le stockage du carbone y sont plus efficaces. L'inverse est vrai pour le CH4 (méthane), davantage produit dans les retenues et les zones humides. Avis des chercheurs : "pour les retenues installées sur des rivières, il semble que l’émission de CO2 soit plus importante dans la rivière que dans la retenue, l’ordre étant inversé pour CH4". Le CH4 est un gaz à effet de serre nettement plus puissant que le CO2, mais sa durée de vie atmosphérique est nettement moindre (quelques années à décennies pour le méthane, plusieurs siècles pour le CO2). C'est la raison pour laquelle les chercheurs considèrent que le dioxyde de carbone est le premier facteur anthropique du changement climatique, son forçage de long terme laissant tout le temps aux rétroactions (vapeur d'eau, nuages, fonte des glaces) du système Terre pour amplifier le signal initial de réchauffement. En détruisant les retenues pour restaurer des rivières "libres" de moindre largeur et hauteur, on tend plutôt à aggraver le bilan CO2. S'ajoutent à ce bilan négatif la mobilisation d'engins lourds pour les chantiers de destruction et la fréquente nécessité de ré-intervenir sur les rives, car l'évolution des écoulements provoque des effets non désirés sur les usages riverains. Tout cela n'a rien de très écologique, c'est de l'ingénierie qui dépense de l'énergie fossile.
Les ouvrages bien gérés peuvent aider à réguler la température des cours d'eau - On entend souvent dire que les retenues des ouvrages hydrauliques réchauffent l'eau. C'est en partie exact, mais le bilan thermique d'une retenue est bien plus complexe qu'un slogan (voir cette idée reçue). En région tempérée, le réchauffement de l'eau a surtout des enjeux en été, et pour certaines espèces qui recherchent l'eau froide: c'est donc un problème tout relatif, qu'il faut mettre en balance avec les autres effets du réchauffement local sur la biodiversité. Ainsi, et de manière contre-intuitive, une recherche française récente a montré que la hausse des températures au cours des 20 dernières années a été associée à davantage de richesse taxonomique des invertébrés, grâce à une productivité primaire accrue des rivières et autres masses d'eau (Van Looy et al 2016). Surtout, au lieu de les détruire sans discernement, il est possible d'utiliser les ouvrages hydrauliques pour réguler la température, donc atténuer certaines effets du réchauffement. Ainsi, les plus grands ouvrages (ou ceux dont les eaux sont turbides, comme souvent les étangs) gardent une température plus fraîche vers le fond, et le relargage du débit au bon niveau de hauteur permet de compenser un réchauffement de surface. D'autres facteurs, comme la reconstruction de la ripisylve, ont des effets très positifs sur la température et la biodiversité sans pour autant altérer le patrimoine hydraulique. Au cours des décennies et siècles à venir (durée de référence du réchauffement), on a donc tout un panel d'alternatives à tester: vouloir se précipiter à effacer est une pseudo-solution à courte vue.
Les ouvrages permettent de retenir une eau qui devient rare, plus généralement de réguler les niveaux - Il est notoirement difficile de simuler à long terme l'évolution de l'hydrologie, car le cycle de l'eau est complexe et le régime des précipitations répond à des déterminants multi-échelles, depuis les usages locaux de sols jusqu'à la circulation générale océan-atmosphère. Néanmoins, malgré une certaine variabilité des résultats et donc une confiance moyenne, la majorité des modèles climatiques prévoient à l'horizon de ce siècle une augmentation des phénomènes extrêmes (sécheresses, fortes précipitations), une hausse des précipitations hivernales et une baisse des précipitations estivales, une baisse tendancielle des débits sur certaines régions (voir Le climat de la France au XXIe siècle, vol 4, 2014). Dans ce contexte, la préservation des ouvrages hydrauliques paraît une nécessité. Ils permettent en effet de réguler les niveaux d'eau (ce pour quoi ils ont été conçus), de conserver une lame d'eau élevée à l'étiage, de rehausser et d'alimenter les nappes, de servir de refuge au vivant dans les rivières asséchées, de lisser des crues fréquentes… autant de fonctions qui peuvent devenir critiques face au changement climatique. La récréation artificielle de la "rivière libre" signifie au contraire la restauration de la fatalité de l'écoulement naturel, avec obligation pour les riverains de subir les caprices du temps. C'est en contradiction avec 6 millénaires de civilisation hydraulique ayant conduit l'homme à chercher la maîtrise raisonnée des flots. Quant à l'évaporation parfois mise en avant pour déprécier les retenues, elle est relativement négligeable par rapport aux volumes concernés (voir cette idée reçue).
Les espèces de poissons d'eau froide changeront de toute façon de répartition - L'une des premières préoccupations concernant les effets des ouvrages en situation de changement climatique concerne les poissons, qui ne représentent certes que 2% de la biodiversité aquatique (et moins de 0,5% pour les sténothermes), mais qui font l'objet d'une forte attention du lobby pêcheur (voir les travaux de l'Onema, ancien Conseil supérieur de la pêche, Les poissons d'eau douce à l'heure du changement climatique : état des lieux et pistes pour l'adaptation, 2014). Un constat empirique a par exemple été fait en étudiant la faune piscicole: les poissons sensibles à la chaleur ont tendance à monter en altitude, mais leur vitesse de remontée d'environ 13 m / décennie reste inférieure à celle des isothermes du changement climatique (de 40 à 74 m/ décennie), voir Comte et Grenouillet 2013. L'idée est que le rythme étant insuffisant, on peut avoir un risque d'extinction locale et que l'effacement des barrages limiterait ce risque (voir typiquement cette page de l'Onema). Cette conclusion paraît quelque peu hâtive et discutable dans sa généralité. D'abord, les zones aval à espèces eurythermes (zones à brème et à barbeau, tolérance aux variations thermiques) ne sont pas concernées. Ensuite, toutes les études d'écologie et biologie des populations concluent à la contraction future des aires de répartition et des biomasses d'espèces adaptées au froid, y compris lorsqu'il n'y a pas d'obstacles à la migration. "Renaturer" une rivière en faveur de salmonidés n'a guère de sens si l'eau de cette rivière est de toute façon appelée à devenir trop chaude pour une truite ou un saumon : le glissement biotypologique est une issue probable, et peu évitable. Enfin, pour les têtes de bassin, les espèces ne parcourent pas des dizaines de kilomètres pour "fuir" le réchauffement: elles évoluent par adaptation locale (sélection différentielle selon les variations thermiques et la résistance à ces variations). Les poissons d'eaux froides persistent et se reproduisent là où ils trouvent des habitats suffisants et à température conforme à leur stratégie de vie. Il est inutile de casser tous les ouvrages pour cela : il suffit de rétablir une connectivité critique à partir de modèles de priorisation sur les bassins versants dont le réchauffement sera insuffisant pour extirper les espèces d'intérêt. Préférer des méthodes intelligentes, informées et ciblées au lieu du choix radical, précipité et stupide de la pelleteuse pour le maximum d'ouvrages.
Remettons donc les idées à l'endroit : détruire les ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique n'est en rien une bonne stratégie de prévention et d'adaptation au changement climatique. On casse un potentiel d'énergie bas-carbone, on se prive d'un outil de régulation des niveaux de la rivière pour faire face aux sécheresses ou aux crues, on remplace une retenue par un lit au bilan CO2 moins bon, on ne sauvera pas pour autant les espèces d'eau froide dont l'habitat aura tendance à se réduire. L'ouvrage hydraulique est aujourd'hui un allié face au changement climatique, il est nettement préférable de le préserver, de l'équiper et de l'adapter à nos nouveaux besoins. Quant aux gestionnaires de rivière, ils doivent cesser de proférer des assertions présentées comme des certitudes alors qu'elles ont une base scientifique fragile, parfois inexistante. Affirmer que l'on peut modéliser avec un haut niveau de confiance la triple évolution des hydrosystèmes fragmentés, de leurs populations biologiques et des régimes pluies-débits sur 50 à 100 ans est une escroquerie intellectuelle qui dessert la cause de l'écologie. On doit agir avec prudence et discernement, et les quelques éléments empiriques ou théoriques dont on dispose plaident plutôt en faveur du maintien des ouvrages hydrauliques.
Illustration: perte de la Seine à Buncey, une année sèche (2015). Le réchauffement climatique devrait accroître le stress hydrique au cours de ce siècle. Il est préférable de conserver les retenues et plans d'eau au lieu de les détruire au nom de modes fondées sur des connaissances scientifiques encore peu robustes et des données de terrain lacunaires.
Exemple dans l'actualité : la destruction d'un barrage sur la Moselotte (Vosges) a mis à sec un canal, au grand dam des agriculteurs, des pêcheurs et des riverains. Voir couverture France Bleue et Vosges Matin, et ci-dessus le Paysan vosgien (cliquer pour agrandir). Le syndicat de rivière a programmé une vingtaine d'opérations de ce type... va-t-on tolérer indéfiniment ces pratiques d'apprentis sorciers, alors qu'il existe des solutions non destructives pour rétablir la connectivité là où elle est nécessaire? Que deviendront les rivières "défragmentées" quand les étiages sévères vont se multiplier, comme nous le promettent les chercheurs? Au regard des milliers d'opérations envisagées en France et de la carence catastrophique de connaissances des hydrosystèmes locaux en appui de cette politique, le moratoire sur les effacements d'ouvrages est une urgente nécessité.
30/07/2016
28/07/2016
Auto-épuration des rivières par suppression des barrages: tromperie en bande organisée
A la demande du Ministère de l'Environnement, une expertise collective a été menée par des scientifiques d’Irstea, en partenariat avec l’Inra et l'Onema, concernant l’impact cumulé des retenues sur le milieu aquatique. Quand on lit son chapitre sur le bilan physico-chimique, un point est marquant : l'absence complète du concept d'auto-épuration, pourtant mis en avant depuis 6 ans par les autorités et gestionnaires en charge de l'eau. Non seulement il n'existe aucune preuve scientifique qu'une suppression des seuils et barrages pourrait être favorable au bilan des nutriments (azote, phosphore) et polluants (comme les pesticides) déversés dans les milieux, mais de nombreux travaux de recherche concluent en sens opposé. En tout état de cause, les chercheurs soulignent la complexité du phénomène et appellent avant tout à procéder à des mesures pour construire des modèles. En lieu et place de cette démarche prudente et rationnelle, nos agences de l'eau et nos syndicats de rivière envoient des pelleteuses pour casser les ouvrages tout en répétant des croyances présentées comme des certitudes et destinées à tromper les citoyens. Cette caricature d'écologie est indigne d'une politique publique: elle doit cesser.
Nous publions ci-dessous un extrait de synthèse de l'expertise collective Irstea-Inra-Onema sur le rôle physico-chimique des retenues. Les données complètes sont disponibles dans le lien de référence en bas de cet article.
"Une retenue est le lieu de nombreux processus qui font évoluer la qualité physico-chimique de l’eau qui l’alimente. Selon son usage, il peut être aussi important de se focaliser sur cette évolution dans la retenue elle-même que sur les conséquences sur le cours d’eau en aval lorsque l’eau y est restituée.
L’effet d’une retenue sur la qualité de l’eau est d’abord lié à des processus physiques qui caractérisent le passage de conditions d’écoulements rapides (conditions lotiques ; alimentation par le cours d’eau ou par ruissellement de surface) à des conditions lentiques dans la retenue puis éventuellement de nouveau lotiques dans le cours d’eau aval.
Les principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P sont résumés sur la Figure 17, en lien avec les conditions lentiques qui s’établissent au sein de la retenue et qui entraînent :
1. La sédimentation des particules solides, minérales ou organiques, contenues dans l’eau d’alimentation. Le phosphore, les éléments traces métalliques (ETM), des cations, certains pesticides peuvent être partiellement associés à ces particules et se déposent dans le même temps. Les particules organiques, quoique généralement plutôt légères, peuvent se déposer en partie, participant à la séquestration du carbone et apportant des nutriments sous forme organique. A cette MO allochtone s’ajoutent généralement de la MO autochtone issue de la production primaire, et de la MO du sol et de la végétation submergés. Toutes ces substances chimiques sont alors stockées dans la retenue sur un plus ou moins long terme. Cependant, si les conditions deviennent anoxiques à la base de la colonne d’eau, les, les transformations biogéochimiques en milieu réducteur peuvent entraîner leur mobilisation sous forme gazeuse ou dissoute dans la colonne d’eau (CH , NH +, PO 3- ...) ;
2. Une possible stratification thermique de la colonne d’eau, dans les retenues profondes, du fait du rééquilibrage de la température de l’eau avec la température de l’air (réchauffement) dans les couches de surface en été. Dans les retenues peu profondes, toujours en été, la température de l’eau stockée dans la retenue et non renouvelée a tendance à augmenter, ce qui diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau. Outre l’apparition de conditions réductrices dans le fond de la retenue et ses conséquences citées ci- dessus, l’anoxie favorise la dénitrification, c’est-à-dire la transformation du nitrate en gaz, inerte comme N2 ou à effet de serre comme N2O. La stratification contrôle les gradients d’oxygène, mais aussi les phénomènes de diffusion, mélange et sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre ainsi que la production primaire et la minéralisation de MO dans la colonne d’eau (Figure 33 en annexe III) ; on observe ainsi une zonation verticale des éléments dissous, fortement liée aux phénomènes de stratification thermique et de gradient d’oxygène. Deux types de structures trophiques se construisent sur ces bases, à partir des décomposeurs bactériens ou fongiques, ou à partir des producteurs primaires. Les éléments nutritifs tels que N et P et les contaminants suivent les phénomènes de diffusion (fraction dissoute) ou de sédimentation (fraction particulaire).
3. Un développement éventuel de la production primaire (phytoplancton, végétation). Il se produit surtout au printemps et en été, lorsque les nutriments sont abondants et dans les couches superficielles de la colonne d’eau où les conditions de température et de lumière lui sont favorables. Si PO 3- est abondant, cela peut conduire à une eutrophisation. En consommant ces nutriments, la production primaire entraîne une diminution des concentrations de NO - et PO 3-. L’eutrophisation entraîne une augmentation de biomasse et donc de MO à l’automne, dont la minéralisation va accentuer la consommation d’oxygène et les conditions réductrices dans la zone benthique. Les ions PO 3- ainsi libérés vont à leur tour entretenir l’eutrophisation. Le déficit de NO- peut être pallié par la fixation de N. Cette situation favorise les Cyanobactéries ayant cette possibilité.
Principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P à l’intérieur de la retenue. Les couleurs utilisées distinguent les compartiments, flux et processus concernant la phase dissoute dans la colonne d’eau (en bleu), la phase solide sédimentaire (en marron), la phase gazeuse (en rouge) et la biomasse (en vert). Ces effets potentiels sont associés aux conditions lentiques et n’intègrent pas les effets lors de changement de régime hydraulique (crue, brassage lié au vent, curage, vidange...).
L’établissement des conditions lentiques dans la retenue, ou de façon générale les conditions hydrodynamiques dans la retenue, constitue(nt) l’une des clés de fonctionnement des retenues vis-à-vis de la qualité de l’eau. Un faible renouvellement de l’eau augmente le temps de résidence, ce qui peut favoriser la sédimentation et le stockage de certains éléments, la stratification thermique et l’anoxie, et donc certaines transformations biogéochimiques dans la colonne d’eau. En retour, en cas de flux entrants importants et rapides, ou sous l’effet du vent, le brassage de la colonne d’eau et la remise en suspension des particules sédimentées peut entraîner un renouveau de mobilité des espèces chimiques associées aux particules ou un relargage de certains composés initialement concentrés dans le milieu interstitiel benthique. Le brassage peut aussi avoir un effet sur l’homogénéisation de la colonne d’eau réduisant la stratification thermique et les gradients d’oxygène, ainsi que sur la diffusion des éléments dans la colonne d’eau et à l’interface avec l’atmosphère. Enfin le phénomène de marnage, par définition très accentué dans les retenues, induisant des alternances de conditions anoxiques et oxiques en bordure de retenue, favorise encore plus la mobilisation des espèces chimiques associées aux sédiments (P, ETM, pesticides...).
Si l’établissement de conditions lentiques conditionne l’essentiel des processus d’évolution de la qualité physico- chimique de l’eau dans la retenue, l’expression de ces processus et leur intensité vont dépendre aussi de nombreux déterminants : à la fois les caractéristiques morphologiques propres de la retenue (taille, forme, profondeur), son environnement (occupation du sol, hydrologie) dans le bassin versant et son alimentation qui déterminent les flux entrants, sa gestion qui détermine les flux sortants, le climat régional et local et sa variabilité temporelle, sans oublier l’occupation du sol ennoyé et le temps écoulé depuis la submersion. Tous ces déterminants jouent à des degrés divers selon les variables physico-chimiques et les processus de transfert et de transformation associés.
Les conditions hydrodynamiques peuvent présenter une forte variabilité à toutes les échelles de temps, en particulier de la saison. Les inversions de température d’une saison à l’autre peuvent entraîner la stratification de la colonne d’eau, notamment dans les retenues profondes. La saison est aussi déterminante dans le développement cyclique de la production primaire (effet température, lumière) consommant des nutriments au printemps et en été, sénescente en automne, stockée sous forme de MO ou éventuellement décomposée, permettant le relargage de nutriments. L’oxygène dissous peut être affecté à la fois par la respiration, la photosynthèse et la décomposition de cette production primaire. Les phénomènes de diffusion, mélange et de sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre dans la colonne d’eau dépendent des phénomènes de stratification thermique et donc de l’emplacement de la thermocline et du métalimnion qui varient saisonnièrement.
Un déterminant de l’évolution de plusieurs des variables physico-chimiques évoqués ci dessus, largement cité dans la bibliographie, est le temps de résidence de l’eau dans la retenue. Celui-ci varie toutefois d’une façon complexe, tant dans le temps que spatialement dans la retenue, et les indicateurs habituellement utilisés (rapport du volume de la retenue sur le flux d’eau entrant, ou rapport de l’aire de la retenue sur l’aire du bassin versant drainé), s’ils donnent un ordre de grandeur utile, ne peuvent rendre compte de cette variabilité. Tous ces effets qui se manifestent dans la retenue ont aussi des conséquences sur la qualité de l’eau dans le réseau hydrographique aval, dans le cas où la retenue est située sur un cours d’eau ou y est connectée temporairement ou de façon permanente. Les conséquences dans le cours d’eau récepteur sont fonction de l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau, et restent plus ou moins visibles de manière significative vers l’aval en fonction des nouveaux flux entrants. Pour certaines variables (température, oxygène dissous) l’effet de la retenue peut s’annuler au-delà d’une certaine distance dans le cours d’eau, en lien notamment avec les turbulences engendrées par le retour aux conditions lotiques, et au fur et à mesure que les nouveaux apports au cours d’eau se mélangent aux flux sortants. Pour d’autres éléments (N, P...) l’effet de la retenue reste plus ou moins visible selon l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau et à la présence d’affluents.
(…)
Besoins et lacunes de recherches
Au niveau scientifique, les verrous identifiés concernent d’abord l’échelle d’une retenue, avec la quantification des nombreux processus actifs dans cette retenue. Des observations et des données à l’échelle locale sont encore nécessaires, avec des suivis suffisamment denses aux niveaux spatial et temporel. Leur objectif doit être clairement d’alimenter des modèles biogéochimiques adaptés aux retenues, dont le développement doit se poursuivre. Certains phénomènes spécifiquement développés dans les retenues ont besoin d’être quantifiés et mieux compris : l’effet initial dû à l’inondation de matières organiques et sa durabilité, l’effet du marnage.Par ailleurs les données existantes ou à acquérir à l’échelle d’une retenue pourraient être mobilisées dans une méta-analyse pour bien identifier les nombreux facteurs d’influence et permettre d’envisager une transposition des résultats acquis.
A l’échelle globale du bassin versant, d’autres modèles doivent être développés, permettant de traiter l’effet cumulé. La position des retenues dans le bassin jouant un rôle important (apports différents par l’aire drainée et interactions entre retenues liées à leur position relative sur les chemins hydrologiques), les modèles devront soit être distribués spatialement, soit faire ressortir une typologie [patterns spatiaux – effets physico-chimiques], qui reste à élaborer. Les possibilités de tracer des effets globaux de retenues grâce aux traçages isotopique de C et N mais peut être aussi de PO4 (développement en cours) mériteraient d’être évalués."
Ministère, Agences de l'eau, syndicats, bureaux d'étude : flagrant délit de généralisation abusive et tromperie du public
Le principal enseignement de cette étude est que l'effet d'une retenue créée par un seuil ou un barrage, a fortiori d'un cumul de retenues, est un processus complexe vis-à-vis duquel la connaissance est encore lacunaire. Beaucoup d'études montrent par exemple une réduction de l'azote et du phosphore à l'aval des retenues, mais le bilan dépend de diverses conditions physiques et chimiques. Le premier besoin du gestionnaire, c'est donc de faire des mesures et de construire des modèles afin de vérifier dans quelle proportion une retenue ou une succession de retenues d'eau va contribuer ou non à épurer la rivière concernée par un programme de gestion. Il se peut très bien que sur un bassin soumis à des pollutions agricoles, industrielles ou domestiques, la capacité de rétention, sédimentation et élimination des plans d'eau créés par les seuils et barrages joue un rôle globalement bénéfique aux milieux amont et aval de chaque site. Pour le savoir, il faut l'étudier.
Or, voici ce qu'ont écrit depuis quelques années les autorités en charge de l'eau (avec un focus sur un syndicat et un bureau d'études de notre région) :
Direction de l'eau et de la biodiversité, Ministère de l'environnement, Circulaire de 2013: "La transformation des anciens moulins à roue fonctionnant selon le besoin, et parfois avec des seuils sommaires en fascines peu étanches, en usines de production continue d’électricité avec turbines a également aggravé fortement les impacts de ces ouvrages en impliquant une dérivation constante de l’eau, des mortalités dans les turbines, une réduction des possibilités de transit par les seuils de prise d’eau et les organes d’évacuation et une étanchéité plus grande des ouvrages. Ces évolutions ont aggravé l’accumulation des sédiments fins qui jouent un rôle négatif en matière d’auto-épuration."
Onema et France nature environnement, Restauration de la continuité écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques. Idées reçues et préjugés (sic), 2014 : "Un seuil engendre la présence d’un plan d’eau en amont de l’ouvrage provoquant de ce fait un écoulement plus lent, une augmentation de la profondeur et un faible renouvellement des eaux. Le phénomène d’auto-épuration, qui désigne la capacité d’un cours d’eau à éliminer les substances nocives pour la vie aquatique, ne pourra plus se faire naturellement comme c’est le cas sur un cours d’eau non entravé."
Agence de l'eau, SDAGE Seine-Normandie 2016-2021, Orientation 19 : "La continuité écologique pour les milieux aquatiques se définit par la circulation des espèces et le bon déroulement du transport des sédiments. Elle a une dimension amont-aval, impactée par les ouvrages transversaux comme les seuils et barrages, et une dimension latérale, impactée par les ouvrages longitudinaux comme les digues et les protections de berges. Elle permet (…) 5° l'auto-épuration"
Sirtava - Syndicat de l'Armançon, SAGE de l'Armançon, 2013 : "20% des cours d’eau du bassin possèdent une forte capacité d’auto-épuration (en Côte d’Or comme dans l’Yonne). Ceux-ci bénéficient de débits permanents et sont en bon état physique et écologique (ripisylve continue et diversifiée, dynamique fluviale et continuité écologique préservées, faciès d’écoulement diversifiés…). En Côte d’Or, l’auto-épuration des cours d’eau est majoritairement (à 57%) moyenne. Dans l’Yonne, 43% des cours d’eau (une majorité d’affluents) ont une mauvaise capacité d’auto-épuration. La faiblesse des débits, la rupture de la continuité écologique, les recalibrages, les mises en biefs, la ripisylve peu diversifiée voire quasi-absente sont en cause." (Nota : de manière assez extraordinaire, aucun bilan physico-chimique n'a permis d'asseoir ces chiffres. On évalue au doigt mouillé, pas par des mesures in situ.)
SEGI, rapport de projet 2015 sur l'effacement de l'ouvrage de Perrigny-sur-Armançon : "l’effacement sera favorable à la diversification de faciès d’écoulement, au développement de nouveaux cortèges floristiques en marge du lit mineur. De nouveaux habitats se créeront naturellement, qui en association avec des vitesses d’écoulement plus importantes, participeront dans leur ensemble à améliorer les processus d’auto-épuration, l’oxygénation, et potentiellement la régulation thermique de l’eau."
Le contraste est saisissant :
Tant que nous ne sortirons pas de ce régime dogmatique de croyance et de ces pratiques manipulatrices de communication, les institutions concernée n'auront aucune légitimité dans la mise en oeuvre de la réforme de continuité écologique. Et tant que les effacements d'ouvrages ne seront pas précédés par un diagnostic complet et non biaisé, ils devront être combattus.
Référence : Carluer N. et al, Irstea-Inra-Onema (2016), Expertise scientifique collective sur l’impact cumulé des retenues, rapport 325 pp + annexes, voir chapitre V Physico-chimie.
Nous publions ci-dessous un extrait de synthèse de l'expertise collective Irstea-Inra-Onema sur le rôle physico-chimique des retenues. Les données complètes sont disponibles dans le lien de référence en bas de cet article.
"Une retenue est le lieu de nombreux processus qui font évoluer la qualité physico-chimique de l’eau qui l’alimente. Selon son usage, il peut être aussi important de se focaliser sur cette évolution dans la retenue elle-même que sur les conséquences sur le cours d’eau en aval lorsque l’eau y est restituée.
L’effet d’une retenue sur la qualité de l’eau est d’abord lié à des processus physiques qui caractérisent le passage de conditions d’écoulements rapides (conditions lotiques ; alimentation par le cours d’eau ou par ruissellement de surface) à des conditions lentiques dans la retenue puis éventuellement de nouveau lotiques dans le cours d’eau aval.
Les principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P sont résumés sur la Figure 17, en lien avec les conditions lentiques qui s’établissent au sein de la retenue et qui entraînent :
1. La sédimentation des particules solides, minérales ou organiques, contenues dans l’eau d’alimentation. Le phosphore, les éléments traces métalliques (ETM), des cations, certains pesticides peuvent être partiellement associés à ces particules et se déposent dans le même temps. Les particules organiques, quoique généralement plutôt légères, peuvent se déposer en partie, participant à la séquestration du carbone et apportant des nutriments sous forme organique. A cette MO allochtone s’ajoutent généralement de la MO autochtone issue de la production primaire, et de la MO du sol et de la végétation submergés. Toutes ces substances chimiques sont alors stockées dans la retenue sur un plus ou moins long terme. Cependant, si les conditions deviennent anoxiques à la base de la colonne d’eau, les, les transformations biogéochimiques en milieu réducteur peuvent entraîner leur mobilisation sous forme gazeuse ou dissoute dans la colonne d’eau (CH , NH +, PO 3- ...) ;
2. Une possible stratification thermique de la colonne d’eau, dans les retenues profondes, du fait du rééquilibrage de la température de l’eau avec la température de l’air (réchauffement) dans les couches de surface en été. Dans les retenues peu profondes, toujours en été, la température de l’eau stockée dans la retenue et non renouvelée a tendance à augmenter, ce qui diminue la solubilité de l’oxygène dans l’eau. Outre l’apparition de conditions réductrices dans le fond de la retenue et ses conséquences citées ci- dessus, l’anoxie favorise la dénitrification, c’est-à-dire la transformation du nitrate en gaz, inerte comme N2 ou à effet de serre comme N2O. La stratification contrôle les gradients d’oxygène, mais aussi les phénomènes de diffusion, mélange et sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre ainsi que la production primaire et la minéralisation de MO dans la colonne d’eau (Figure 33 en annexe III) ; on observe ainsi une zonation verticale des éléments dissous, fortement liée aux phénomènes de stratification thermique et de gradient d’oxygène. Deux types de structures trophiques se construisent sur ces bases, à partir des décomposeurs bactériens ou fongiques, ou à partir des producteurs primaires. Les éléments nutritifs tels que N et P et les contaminants suivent les phénomènes de diffusion (fraction dissoute) ou de sédimentation (fraction particulaire).
3. Un développement éventuel de la production primaire (phytoplancton, végétation). Il se produit surtout au printemps et en été, lorsque les nutriments sont abondants et dans les couches superficielles de la colonne d’eau où les conditions de température et de lumière lui sont favorables. Si PO 3- est abondant, cela peut conduire à une eutrophisation. En consommant ces nutriments, la production primaire entraîne une diminution des concentrations de NO - et PO 3-. L’eutrophisation entraîne une augmentation de biomasse et donc de MO à l’automne, dont la minéralisation va accentuer la consommation d’oxygène et les conditions réductrices dans la zone benthique. Les ions PO 3- ainsi libérés vont à leur tour entretenir l’eutrophisation. Le déficit de NO- peut être pallié par la fixation de N. Cette situation favorise les Cyanobactéries ayant cette possibilité.
Principaux effets potentiels d’une retenue sur le devenir de C, N, P à l’intérieur de la retenue. Les couleurs utilisées distinguent les compartiments, flux et processus concernant la phase dissoute dans la colonne d’eau (en bleu), la phase solide sédimentaire (en marron), la phase gazeuse (en rouge) et la biomasse (en vert). Ces effets potentiels sont associés aux conditions lentiques et n’intègrent pas les effets lors de changement de régime hydraulique (crue, brassage lié au vent, curage, vidange...).
Si l’établissement de conditions lentiques conditionne l’essentiel des processus d’évolution de la qualité physico- chimique de l’eau dans la retenue, l’expression de ces processus et leur intensité vont dépendre aussi de nombreux déterminants : à la fois les caractéristiques morphologiques propres de la retenue (taille, forme, profondeur), son environnement (occupation du sol, hydrologie) dans le bassin versant et son alimentation qui déterminent les flux entrants, sa gestion qui détermine les flux sortants, le climat régional et local et sa variabilité temporelle, sans oublier l’occupation du sol ennoyé et le temps écoulé depuis la submersion. Tous ces déterminants jouent à des degrés divers selon les variables physico-chimiques et les processus de transfert et de transformation associés.
Les conditions hydrodynamiques peuvent présenter une forte variabilité à toutes les échelles de temps, en particulier de la saison. Les inversions de température d’une saison à l’autre peuvent entraîner la stratification de la colonne d’eau, notamment dans les retenues profondes. La saison est aussi déterminante dans le développement cyclique de la production primaire (effet température, lumière) consommant des nutriments au printemps et en été, sénescente en automne, stockée sous forme de MO ou éventuellement décomposée, permettant le relargage de nutriments. L’oxygène dissous peut être affecté à la fois par la respiration, la photosynthèse et la décomposition de cette production primaire. Les phénomènes de diffusion, mélange et de sédimentation des éléments dissous et particulaires d’une couche à l’autre dans la colonne d’eau dépendent des phénomènes de stratification thermique et donc de l’emplacement de la thermocline et du métalimnion qui varient saisonnièrement.
Un déterminant de l’évolution de plusieurs des variables physico-chimiques évoqués ci dessus, largement cité dans la bibliographie, est le temps de résidence de l’eau dans la retenue. Celui-ci varie toutefois d’une façon complexe, tant dans le temps que spatialement dans la retenue, et les indicateurs habituellement utilisés (rapport du volume de la retenue sur le flux d’eau entrant, ou rapport de l’aire de la retenue sur l’aire du bassin versant drainé), s’ils donnent un ordre de grandeur utile, ne peuvent rendre compte de cette variabilité. Tous ces effets qui se manifestent dans la retenue ont aussi des conséquences sur la qualité de l’eau dans le réseau hydrographique aval, dans le cas où la retenue est située sur un cours d’eau ou y est connectée temporairement ou de façon permanente. Les conséquences dans le cours d’eau récepteur sont fonction de l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau, et restent plus ou moins visibles de manière significative vers l’aval en fonction des nouveaux flux entrants. Pour certaines variables (température, oxygène dissous) l’effet de la retenue peut s’annuler au-delà d’une certaine distance dans le cours d’eau, en lien notamment avec les turbulences engendrées par le retour aux conditions lotiques, et au fur et à mesure que les nouveaux apports au cours d’eau se mélangent aux flux sortants. Pour d’autres éléments (N, P...) l’effet de la retenue reste plus ou moins visible selon l’importance relative des flux sortants par rapport aux flux dans le cours d’eau et à la présence d’affluents.
(…)
Besoins et lacunes de recherches
Au niveau scientifique, les verrous identifiés concernent d’abord l’échelle d’une retenue, avec la quantification des nombreux processus actifs dans cette retenue. Des observations et des données à l’échelle locale sont encore nécessaires, avec des suivis suffisamment denses aux niveaux spatial et temporel. Leur objectif doit être clairement d’alimenter des modèles biogéochimiques adaptés aux retenues, dont le développement doit se poursuivre. Certains phénomènes spécifiquement développés dans les retenues ont besoin d’être quantifiés et mieux compris : l’effet initial dû à l’inondation de matières organiques et sa durabilité, l’effet du marnage.Par ailleurs les données existantes ou à acquérir à l’échelle d’une retenue pourraient être mobilisées dans une méta-analyse pour bien identifier les nombreux facteurs d’influence et permettre d’envisager une transposition des résultats acquis.
A l’échelle globale du bassin versant, d’autres modèles doivent être développés, permettant de traiter l’effet cumulé. La position des retenues dans le bassin jouant un rôle important (apports différents par l’aire drainée et interactions entre retenues liées à leur position relative sur les chemins hydrologiques), les modèles devront soit être distribués spatialement, soit faire ressortir une typologie [patterns spatiaux – effets physico-chimiques], qui reste à élaborer. Les possibilités de tracer des effets globaux de retenues grâce aux traçages isotopique de C et N mais peut être aussi de PO4 (développement en cours) mériteraient d’être évalués."
Ministère, Agences de l'eau, syndicats, bureaux d'étude : flagrant délit de généralisation abusive et tromperie du public
Le principal enseignement de cette étude est que l'effet d'une retenue créée par un seuil ou un barrage, a fortiori d'un cumul de retenues, est un processus complexe vis-à-vis duquel la connaissance est encore lacunaire. Beaucoup d'études montrent par exemple une réduction de l'azote et du phosphore à l'aval des retenues, mais le bilan dépend de diverses conditions physiques et chimiques. Le premier besoin du gestionnaire, c'est donc de faire des mesures et de construire des modèles afin de vérifier dans quelle proportion une retenue ou une succession de retenues d'eau va contribuer ou non à épurer la rivière concernée par un programme de gestion. Il se peut très bien que sur un bassin soumis à des pollutions agricoles, industrielles ou domestiques, la capacité de rétention, sédimentation et élimination des plans d'eau créés par les seuils et barrages joue un rôle globalement bénéfique aux milieux amont et aval de chaque site. Pour le savoir, il faut l'étudier.
Or, voici ce qu'ont écrit depuis quelques années les autorités en charge de l'eau (avec un focus sur un syndicat et un bureau d'études de notre région) :
Direction de l'eau et de la biodiversité, Ministère de l'environnement, Circulaire de 2013: "La transformation des anciens moulins à roue fonctionnant selon le besoin, et parfois avec des seuils sommaires en fascines peu étanches, en usines de production continue d’électricité avec turbines a également aggravé fortement les impacts de ces ouvrages en impliquant une dérivation constante de l’eau, des mortalités dans les turbines, une réduction des possibilités de transit par les seuils de prise d’eau et les organes d’évacuation et une étanchéité plus grande des ouvrages. Ces évolutions ont aggravé l’accumulation des sédiments fins qui jouent un rôle négatif en matière d’auto-épuration."
Onema et France nature environnement, Restauration de la continuité écologique des cours d’eau et des milieux aquatiques. Idées reçues et préjugés (sic), 2014 : "Un seuil engendre la présence d’un plan d’eau en amont de l’ouvrage provoquant de ce fait un écoulement plus lent, une augmentation de la profondeur et un faible renouvellement des eaux. Le phénomène d’auto-épuration, qui désigne la capacité d’un cours d’eau à éliminer les substances nocives pour la vie aquatique, ne pourra plus se faire naturellement comme c’est le cas sur un cours d’eau non entravé."
Agence de l'eau, SDAGE Seine-Normandie 2016-2021, Orientation 19 : "La continuité écologique pour les milieux aquatiques se définit par la circulation des espèces et le bon déroulement du transport des sédiments. Elle a une dimension amont-aval, impactée par les ouvrages transversaux comme les seuils et barrages, et une dimension latérale, impactée par les ouvrages longitudinaux comme les digues et les protections de berges. Elle permet (…) 5° l'auto-épuration"
Sirtava - Syndicat de l'Armançon, SAGE de l'Armançon, 2013 : "20% des cours d’eau du bassin possèdent une forte capacité d’auto-épuration (en Côte d’Or comme dans l’Yonne). Ceux-ci bénéficient de débits permanents et sont en bon état physique et écologique (ripisylve continue et diversifiée, dynamique fluviale et continuité écologique préservées, faciès d’écoulement diversifiés…). En Côte d’Or, l’auto-épuration des cours d’eau est majoritairement (à 57%) moyenne. Dans l’Yonne, 43% des cours d’eau (une majorité d’affluents) ont une mauvaise capacité d’auto-épuration. La faiblesse des débits, la rupture de la continuité écologique, les recalibrages, les mises en biefs, la ripisylve peu diversifiée voire quasi-absente sont en cause." (Nota : de manière assez extraordinaire, aucun bilan physico-chimique n'a permis d'asseoir ces chiffres. On évalue au doigt mouillé, pas par des mesures in situ.)
SEGI, rapport de projet 2015 sur l'effacement de l'ouvrage de Perrigny-sur-Armançon : "l’effacement sera favorable à la diversification de faciès d’écoulement, au développement de nouveaux cortèges floristiques en marge du lit mineur. De nouveaux habitats se créeront naturellement, qui en association avec des vitesses d’écoulement plus importantes, participeront dans leur ensemble à améliorer les processus d’auto-épuration, l’oxygénation, et potentiellement la régulation thermique de l’eau."
Le contraste est saisissant :
- d'un côté, des chercheurs soulignent la faiblesse scientifique des connaissances, la complexité des phénomènes concernés, le rôle favorable à certaines échelles de temps et espace pour certains types de contaminants des milieux aquatiques, la nécessité de mener des campagnes de mesures ;
- d'un autre côté, des autorités et des gestionnaires assènent comme une évidence acquise le rôle négatif de seuils et barrages dans l'élimination des nutriments ou des polluants, sortant le concept d'auto-épuration de leur chapeau et estimant tout à fait normal de produire des assertions sans preuve dans une communication publique ;
- le même jargon relevant d'une idéologie administrative et non de la connaissance scientifique, destiné à impressionner le citoyen ou l'élu peu informé de ces questions, se répète du sommet à la base, c'est-à-dire du bureau des milieux aquatiques (DEB) du Ministère de l'Environnement jusqu'aux rapports des bureaux d'études mandatés par les syndicats avec l'argent des Agences de l'eau.
Tant que nous ne sortirons pas de ce régime dogmatique de croyance et de ces pratiques manipulatrices de communication, les institutions concernée n'auront aucune légitimité dans la mise en oeuvre de la réforme de continuité écologique. Et tant que les effacements d'ouvrages ne seront pas précédés par un diagnostic complet et non biaisé, ils devront être combattus.
Référence : Carluer N. et al, Irstea-Inra-Onema (2016), Expertise scientifique collective sur l’impact cumulé des retenues, rapport 325 pp + annexes, voir chapitre V Physico-chimie.
25/07/2016
Les députés Censi et Marsac s'engagent pour la sauvegarde des moulins
Prime à la destruction du patrimoine, disparition du potentiel énergétique bien réparti sur les rivières, dépenses exorbitantes pour des résultats à l'intérêt écologique non évalué, mise en oeuvre opaque fuyant les débats démocratiques directs et refusant de répondre aux objections formulées: la campagne d'effacement des moulins et usines à eau de France continue de susciter questions, controverses et oppositions. Voici les interpellations récentes de la Ministre de l'Environnement par les députés Censi et Marsac. Ségolène Royal ne cesse se répéter qu'il faut arrêter la destruction des moulins. Mais est-elle écoutée par son administration, malgré ses instructions aux Préfets? Est-elle capable de stopper la folle machine à détruire conçue par quelques idéologues et lobbies? Pour l'instant, nombre de syndicats de rivière continuent de dépenser l'argent public des Agences de l'eau pour casser les seuils et barrages dans des chantiers bâclés aux diagnostics incomplets, aux garanties incertaines, aux protocoles de suivi inexistants et aux analyses coût-bénéfice négligées. Ces dérives ne sont pas une fatalité : les associations et les collectifs de riverains se mobilisent pour les faire cesser.
Yves Censi (Les Républicains - Aveyron), Question N° 95651
M. Yves Censi attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur la situation des 60 000 moulins de France. Le troisième patrimoine historique bâti de France est impacté par l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006, à la suite de l'application de la circulaire du 25 janvier 2010, qui prône soit l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins, soit l'obligation d'équipement par dispositifs de franchissement représentant des dépenses exorbitantes pour leurs propriétaires privés ou publics. Il semblerait que les moulins soient plutôt considérés comme des « obstacles » à la continuité écologique des cours d'eau, alors que ceux-ci constituent des ressources économiques et énergétiques, un maillage territorial et un patrimoine culturel incontestable. En effet, la présence de ces moulins a entraîné la construction de barrages transversaux, appelés chaussées. Celles-ci sont souvent anciennes et représentent un patrimoine historique unique remontant parfois au Moyen-Âge. Les propriétaires de moulins ne sont pas opposés au principe de la continuité écologique, à laquelle contribuent d'ailleurs lesdites chaussées, mais à son application qu'ils jugent excessive, désordonnée et aveugle et qui ne repose sur aucune donnée fiable. Aussi, sans remettre en cause le principe de continuité écologique, il semble impérieux d'en analyser l'efficacité réelle sur la qualité des milieux, d'en assurer la faisabilité pour les maîtres d'ouvrages tout en maîtrisant l'efficience des dépenses publiques. C'est la raison pour laquelle il lui demande de bien vouloir envisager de définir, en concertation avec toutes les parties prenantes, les conditions d'une mise en œuvre plus équilibrée de la continuité écologique et d'une conciliation harmonieuse des différents usages de l'eau.
Jean-René Marsac (Socialiste, écologiste et républicain - Ille-et-Vilaine), Question N° 96972
M. Jean-René Marsac attire l'attention de Mme la ministre de l'environnement, de l'énergie et de la mer, chargée des relations internationales sur le climat sur l'application de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques (LEMA) du 30 décembre 2006. En effet la circulaire du 25 janvier 2010 prône l'effacement systématique des ouvrages et des seuils des moulins pour la sauvegarde des espèces de poissons en voie de disparition, la préservation de la biodiversité aquatique et le transport des sédiments. Elle conduit à des dépenses importantes pour les propriétaires privés ou publics des moulins. Sans remettre en cause le principe de continuité écologique, aujourd'hui, très peu de propriétaires privés sont capables de supporter financièrement le coût des modifications même si elles sont fortement subventionnées. Aussi il lui demande quelles sont les intentions du Gouvernement afin de concilier la continuité écologique et la sauvegarde des moulins à eau.
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Destruction des ouvrages hydrauliques de l'Orge: l'Etat passe en force
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Idée reçue #05 : "L'Etat n'a jamais donné priorité aux effacements des ouvrages hydrauliques en rivière"
Idée reçue #06 : "C'est l'Europe qui nous demande d'effacer nos seuils et barrages en rivière"
Illustration : l'ouvrage Massard à Belan-sur-Ource, dont les vannes ont déjà été déposées. D'après les propagandistes de la continuité écologique, l'impact présumé de cet ouvrage justifierait de dépenser près de 100 k€ d'argent public pour détruire le pertuis et conforter la berge sur la retenue effacée. Pas une donnée biologique n'est avancée sur l'état des espèces piscicoles à l'aval et à l'amont du site, ni sur la biodiversité de sa retenue et des canaux de dérivation. On efface sans preuve ni remords. Avons-nous les moyens de payer de telles absurdités? La fonction d'un syndicat est-elle de casser le patrimoine des rivières dont il a la charge? Le rôle d'une Agence de l'eau est-il de donner une priorité dogmatique aux solutions destructrices? La continuité écologique "à la française" a besoin d'une remise à plat complète de ses attendus, de ses méthodes, de sa gouvernance et de son financement.
Effacements en cours en Nord Bourgogne : rejoignez-nous, ainsi que les collectifs riverains en lutte, pour les combattre à Avallon, Tonnerre, Perrigny-sur-Armançon, Belan-sur-Ource
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Jean-René Marsac (Socialiste, écologiste et républicain - Ille-et-Vilaine), Question N° 96972
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22/07/2016
Rapport Pointereau 2016: "La continuité écologique doit aller du dogmatisme au pragmatisme"
Dans un rapport sénatorial au ton très direct sur le bilan de la politique de l'eau depuis la loi de 2006, le sénateur Rémy Pointereau souligne les dérives observées dans la mise en oeuvre de la continuité écologique à partir du plan national d'action (PARCE) de 2009 et du classement des rivières de 2012-2013. L'élu est signataire de l'appel à moratoire sur les effacements d'ouvrages, parmi 1300 autres représentants de la République et plus de 300 associations. Nous publions ci-dessous quelques extraits de ce rapport, suivis de commentaires. Car la situation devient quelque peu ubuesque, avec des SDAGE et des SAGE ayant ré-affirmé la nécessité des effacements qui sont de plus en plus contestés par les représentants des citoyens et par la ministre de tutelle des administrations en charge de l'eau. De toute évidence, les plus importantes clarifications sont encore devant nous sur ce dossier de plus en plus confus de la continuité écologique.
De la théorie à la pratique : l'effacement des seuils ne doit pas être la solution de facilité
Dans la continuité de la LEMA, un plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (PARCE) a été lancé en 2009, reposant principalement sur des mesures d'aménagement ou de suppression des obstacles, censées être « établies au cas par cas et de manière proportionnées », comme l'indique le secrétaire d'État chargé de la mer, des transports et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier, dans sa réponse à une question orale de votre rapporteur : « les décisions d'intervention sur les ouvrages font toujours l'objet d'une analyse tenant compte des impacts et des enjeux écologiques, de la sécurité, de la dimension patrimoniale éventuelle des ouvrages et des impératifs de gestion de l'eau sur les cours d'eau concernés. Les effacements sont réservés à des ouvrages abandonnés et sans usage, et ne sont en aucun cas systématiques ».
Or, comme l'indique le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE, publié en décembre 2012, les pouvoirs publics décident concrètement au cas par cas des aides susceptibles d'être octroyées : « les propriétaires peuvent ainsi avoir l'impression d'être soumis à des décisions qu'ils ne partagent pas obligatoirement. Or, il apparaît que dans de nombreux cas, la solution préconisée par l'administration, car la moins coûteuse et la plus efficace, est l'effacement total ou partiel de l'ouvrage ».
Au cours des différents entretiens et de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater que la solution de l'effacement du seuil était, d'une part, mal acceptée par les propriétaires riverains des cours d'eau, et en particulier des propriétaires de moulins, d'autre part, trop souvent systématique. L'acceptabilité sociale du principe de continuité écologique semble ainsi clairement mis à mal par son application concrète sur le terrain dans la mesure où elle prend fréquemment la forme de décisions plus idéologiques que pragmatiques et où elle dépend, dans la plupart des cas, des services de l'État déconcentrés, dont l'appréciation n'est pas toujours conforme aux directives nationales.
En outre, si la continuité écologique présente des avantages lorsque les cours d'eau sont en débit satisfaisant, elle est en revanche source de graves désagréments en cas d'étiage sévère. Or, ces cas se multiplient depuis les dernières décennies. La continuité écologique devient alors un piège pour les espèces aquatiques. (…)
Revenir à la concertation et au cas par cas
Votre rapporteur regrette que, depuis la loi sur l'eau, une nouvelle approche de la gestion de l'eau se soit progressivement imposée, de nature idéologique, fondée sur l'idée d'une nocivité de l'action anthropique et des activités économiques sur les milieux naturels.
Comme le rappelait le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE cité plus haut, le « parti-pris culturel » qui sous-tend la mise en application de la politique de restauration de la continuité écologique ne doit pas être mésestimé.
Si les objectifs fixés par la DCE ne sont pas remis en cause par les acteurs directement impactés comme les agriculteurs ou les propriétaires de moulins, c'est l'argumentation diffusée par les services du ministère et notamment l'Onema qui pose des difficultés : manque de concertation et de directives claires sur les décisions prises, diffusion de diagnostics se fondant uniquement sur les points négatifs des ouvrages, sans jamais tenir compte des apports positifs éventuels des différents ouvrages, comme par exemple la stabilité de biodiversité qu'elle permet, ou encore le potentiel de production hydro-électrique, ou le maintien d'un niveau d'eau (avec une humidité des sols) dans les parcelles jouxtant l'ouvrage. L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion des berges et la qualité agricole des sols.
Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a mis en évidence en 2013 un manque de données, d'études et de concertation sur ce sujet. En outre, selon une étude de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), les seuils des moulins ne sont responsables que de 12 % du fonctionnement des continuités écologiques.
Le coût des aménagements conduit trop souvent l'administration à préconiser l'arasement. Une passe à poissons coûte en effet 300 000 euros en moyenne.
L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion de berges ainsi que sur la qualité agricole des terres.
Proposition 4 : Privilégier la recherche de solutions locales, associer l'ensemble des acteurs à la concertation (élus de la commune, syndicats de rivière, entreprises, associations, propriétaires de moulins et d'étangs et propriétaires riverains).
Proposition 5 : Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble.
Un classement des cours d'eau qui doit respecter la conciliation de tous les usages
Concernant le classement des cours d'eau, il s'agit d'une procédure déconcentrée : les deux catégories de cours d'eau sont énumérées sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.
Afin de tenir compte des enjeux liés à la confrontation entre le droit de l'eau et le droit de propriété des propriétaires de moulins et de remédier aux difficultés rencontrées par l'administration pour disposer d'appuis techniques compétents, le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'évaluation de la mise en oeuvre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, rendu public le 15 mars 2013, préconisait l'élaboration d'une charte entre les représentants des propriétaires de moulins, le ministère chargé de l'écologie, l'ONEMA ainsi qu'éventuellement des associations de protection de l'environnement.
Constatant que cette charte n'avait toujours pas vu le jour et que ce projet semblait s'enliser, votre rapporteur avait déposé un amendement, dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité prévoyant que la continuité écologique des cours d'eaux devait être conciliée avec les différents usages de l'eau dans les cours d'eau classés.
Cet ajout à l'article L. 214-17 du code de l'environnement a été adopté par le Sénat mais n'a pas été retenu in fine par l'Assemblée nationale.
Proposition 6 : Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste 2, c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Les crues de juin 2016 ont par ailleurs montré l'importance de ce sujet de la classification des cours d'eau, qui doit être fait en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Des contrôles mal acceptés
Le projet de loi relatif à la biodiversité prévoit de regrouper au sein du nouvel établissement public de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) un certain nombre d'établissements existants dont l'Onema. Cette agence disposera de pouvoirs de police judiciaire et administrative en matière d'environnement, comme c'est actuellement le cas pour les agents de l'Onema.
Pourtant, l'intégration des agents de police de l'environnement au sein de cette agence pose un certain nombre de difficultés pour les acteurs socio-professionnels, à même de la solliciter pour leurs projets ou leurs questionnements sur leurs pratiques. En effet, cela confèrerait à cette agence une « double casquette » ambiguë et surtout peu opérationnelle. Elle serait d'un côté, un guichet, à l'image de l'ADEME, pour accompagner et financer des projets et diffuser des connaissances sur la biodiversité, et de l'autre, le contrôleur et le «sanctionneur» de ces mêmes projets réalisés par des opérateurs privés et publics.
Proposition 7 : Recentrer les interventions des agents de l'Onema sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression. On peut s'interroger sur l'utilité de conserver le port d'armes pour ces agents.
Les enjeux de la petite hydroélectricité
Le classement des cours d'eau avec le critère des « réservoirs biologiques » condamne en réalité 72 % du potentiel hydro-électrique restant. Or, la petite hydroélectricité représente aujourd'hui en France une filière industrielle importante dans le domaine de l'énergie. Alors que l'énergie hydraulique est la première source d'électricité renouvelable et la deuxième énergie renouvelable, la petite hydroélectricité en France représente 2 178 petites centrales de moins de 12 MW (soit 2 000 MW de puissance installée), dont 80 % sont détenues par des petits producteurs indépendants. La production annuelle moyenne est d'environ 7 TWh, c'est-à-dire l'équivalent de l'électricité nécessaire pour éclairer toute la France la nuit.
Votre rapporteur insiste sur la nécessité de soutenir cette activité qui permet, d'une part, une production d'électricité souple et proche des lieux de consommation (évitant ainsi les pertes dues aux réseaux de distribution), d'autre part, qui contribue au bilan bas-carbone de la France en n'émettant pas de gaz à effet de serre. Il souligne que, dans le cadre de la transition énergétique dont les orientations ont été fixées dans la loi adoptée en 2015, elle produit une électricité renouvelable non intermittente, et contribue à l'activité économique et au développement des territoires tout en respectant l'état écologique des rivières grâce à tout un panel d'outils (passes à poissons, manoeuvres de vannes, rivières de contournement, turbines fish-friendly...). (...)
Proposition 8 : Les missions de conseil et de police de l'environnement devant être dissociées, retirer les missions de police de l'environnement des missions de la future Agence française pour la biodiversité ; mettre en place un corps spécifique de contrôle de l'application du droit de l'environnement.
Proposition 9 : Placer les sujets relatifs à l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et non celle de la direction de l'eau et de la biodiversité.
Commentaires: une situation confuse
où l'effacement est simultanément encouragé et condamné
Le rapport du sénateur Pointereau fait suite au rapport des députés Dubois et Vigier de février dernier, qui avait déjà souligné certaines limites importantes de la mise en oeuvre de la continuité écologique (malgré une regrettable censure de certaines associations, dont la nôtre). Il s'inscrit aussi dans le contexte des nombreuses déclarations de la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal sur la nécessité de stopper la destruction des moulins, et de l'instruction donnée aux préfets en ce sens, avec mission en cours du CGEDD (la troisième…) pour comprendre la nature des blocages. Enfin, ce rapport fait suite à des premières modifications de l'article L 214-17 CE (ayant institué en 2006 la continuité écologique) dans le cadre des votes des lois Patrimoine et Biodiversité de cet été, modifications sur lesquelles nous reviendrons quand les deux lois seront votées et publiées au Journal officiel.
Il paraît désormais acquis que la destruction des ouvrages de moulins est reconnue comme une mauvaise solution par un large spectre de la classe politique française – un point marquant de ces débats depuis deux ans étant que quasiment personne ne s'est réellement engagé avec vigueur pour défendre l'intérêt intrinsèque et la nécessité urgente de la destruction de ces petits ouvrages pour améliorer les milieux aquatiques.
Reste que nous entrons dans une situation proprement ubuesque, car le discrédit de la casse du patrimoine hydraulique se superpose à d'autres tendances de fond... qui l'encouragent:
De la théorie à la pratique : l'effacement des seuils ne doit pas être la solution de facilité
Dans la continuité de la LEMA, un plan d'action pour la restauration de la continuité écologique des cours d'eau (PARCE) a été lancé en 2009, reposant principalement sur des mesures d'aménagement ou de suppression des obstacles, censées être « établies au cas par cas et de manière proportionnées », comme l'indique le secrétaire d'État chargé de la mer, des transports et de la pêche, M. Frédéric Cuvillier, dans sa réponse à une question orale de votre rapporteur : « les décisions d'intervention sur les ouvrages font toujours l'objet d'une analyse tenant compte des impacts et des enjeux écologiques, de la sécurité, de la dimension patrimoniale éventuelle des ouvrages et des impératifs de gestion de l'eau sur les cours d'eau concernés. Les effacements sont réservés à des ouvrages abandonnés et sans usage, et ne sont en aucun cas systématiques ».
Or, comme l'indique le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE, publié en décembre 2012, les pouvoirs publics décident concrètement au cas par cas des aides susceptibles d'être octroyées : « les propriétaires peuvent ainsi avoir l'impression d'être soumis à des décisions qu'ils ne partagent pas obligatoirement. Or, il apparaît que dans de nombreux cas, la solution préconisée par l'administration, car la moins coûteuse et la plus efficace, est l'effacement total ou partiel de l'ouvrage ».
Au cours des différents entretiens et de ses déplacements, votre rapporteur a pu constater que la solution de l'effacement du seuil était, d'une part, mal acceptée par les propriétaires riverains des cours d'eau, et en particulier des propriétaires de moulins, d'autre part, trop souvent systématique. L'acceptabilité sociale du principe de continuité écologique semble ainsi clairement mis à mal par son application concrète sur le terrain dans la mesure où elle prend fréquemment la forme de décisions plus idéologiques que pragmatiques et où elle dépend, dans la plupart des cas, des services de l'État déconcentrés, dont l'appréciation n'est pas toujours conforme aux directives nationales.
En outre, si la continuité écologique présente des avantages lorsque les cours d'eau sont en débit satisfaisant, elle est en revanche source de graves désagréments en cas d'étiage sévère. Or, ces cas se multiplient depuis les dernières décennies. La continuité écologique devient alors un piège pour les espèces aquatiques. (…)
Revenir à la concertation et au cas par cas
Votre rapporteur regrette que, depuis la loi sur l'eau, une nouvelle approche de la gestion de l'eau se soit progressivement imposée, de nature idéologique, fondée sur l'idée d'une nocivité de l'action anthropique et des activités économiques sur les milieux naturels.
Comme le rappelait le diagnostic de mise en oeuvre du PARCE cité plus haut, le « parti-pris culturel » qui sous-tend la mise en application de la politique de restauration de la continuité écologique ne doit pas être mésestimé.
Si les objectifs fixés par la DCE ne sont pas remis en cause par les acteurs directement impactés comme les agriculteurs ou les propriétaires de moulins, c'est l'argumentation diffusée par les services du ministère et notamment l'Onema qui pose des difficultés : manque de concertation et de directives claires sur les décisions prises, diffusion de diagnostics se fondant uniquement sur les points négatifs des ouvrages, sans jamais tenir compte des apports positifs éventuels des différents ouvrages, comme par exemple la stabilité de biodiversité qu'elle permet, ou encore le potentiel de production hydro-électrique, ou le maintien d'un niveau d'eau (avec une humidité des sols) dans les parcelles jouxtant l'ouvrage. L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion des berges et la qualité agricole des sols.
Le Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) a mis en évidence en 2013 un manque de données, d'études et de concertation sur ce sujet. En outre, selon une étude de l'Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture (IRSTEA), les seuils des moulins ne sont responsables que de 12 % du fonctionnement des continuités écologiques.
Le coût des aménagements conduit trop souvent l'administration à préconiser l'arasement. Une passe à poissons coûte en effet 300 000 euros en moyenne.
L'abaissement des seuils a en outre un impact négatif sur l'érosion de berges ainsi que sur la qualité agricole des terres.
Proposition 4 : Privilégier la recherche de solutions locales, associer l'ensemble des acteurs à la concertation (élus de la commune, syndicats de rivière, entreprises, associations, propriétaires de moulins et d'étangs et propriétaires riverains).
Proposition 5 : Favoriser les solutions au cas par cas, acceptables économiquement et socialement, ainsi que la combinaison de différentes techniques pour restaurer la continuité écologique ; inscrire les modifications de seuils dans le cadre d'actions plus globales de restauration du milieu aquatique dans son ensemble.
Un classement des cours d'eau qui doit respecter la conciliation de tous les usages
Concernant le classement des cours d'eau, il s'agit d'une procédure déconcentrée : les deux catégories de cours d'eau sont énumérées sur des listes établies pour chaque bassin ou sous-bassin par le préfet coordonnateur de bassin après avis des conseils généraux intéressés et du comité de bassin.
Afin de tenir compte des enjeux liés à la confrontation entre le droit de l'eau et le droit de propriété des propriétaires de moulins et de remédier aux difficultés rencontrées par l'administration pour disposer d'appuis techniques compétents, le rapport du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD) sur l'évaluation de la mise en oeuvre du plan de restauration de la continuité écologique des cours d'eau, rendu public le 15 mars 2013, préconisait l'élaboration d'une charte entre les représentants des propriétaires de moulins, le ministère chargé de l'écologie, l'ONEMA ainsi qu'éventuellement des associations de protection de l'environnement.
Constatant que cette charte n'avait toujours pas vu le jour et que ce projet semblait s'enliser, votre rapporteur avait déposé un amendement, dans le projet de loi pour la reconquête de la biodiversité prévoyant que la continuité écologique des cours d'eaux devait être conciliée avec les différents usages de l'eau dans les cours d'eau classés.
Cet ajout à l'article L. 214-17 du code de l'environnement a été adopté par le Sénat mais n'a pas été retenu in fine par l'Assemblée nationale.
Proposition 6 : Compléter l'article L. 214-17 du code de l'environnement, qui concerne les obligations relatives aux ouvrages, afin de préciser que le classement des cours d'eau en liste 2, c'est-à-dire dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs, doit permettre de concilier le rétablissement de la continuité écologique avec les différents usages de l'eau, et en particulier le développement de la production d'électricité d'origine renouvelable.
Les crues de juin 2016 ont par ailleurs montré l'importance de ce sujet de la classification des cours d'eau, qui doit être fait en concertation avec l'ensemble des acteurs.
Des contrôles mal acceptés
Le projet de loi relatif à la biodiversité prévoit de regrouper au sein du nouvel établissement public de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) un certain nombre d'établissements existants dont l'Onema. Cette agence disposera de pouvoirs de police judiciaire et administrative en matière d'environnement, comme c'est actuellement le cas pour les agents de l'Onema.
Pourtant, l'intégration des agents de police de l'environnement au sein de cette agence pose un certain nombre de difficultés pour les acteurs socio-professionnels, à même de la solliciter pour leurs projets ou leurs questionnements sur leurs pratiques. En effet, cela confèrerait à cette agence une « double casquette » ambiguë et surtout peu opérationnelle. Elle serait d'un côté, un guichet, à l'image de l'ADEME, pour accompagner et financer des projets et diffuser des connaissances sur la biodiversité, et de l'autre, le contrôleur et le «sanctionneur» de ces mêmes projets réalisés par des opérateurs privés et publics.
Proposition 7 : Recentrer les interventions des agents de l'Onema sur des actions pédagogiques plutôt que sur la répression. On peut s'interroger sur l'utilité de conserver le port d'armes pour ces agents.
Les enjeux de la petite hydroélectricité
Le classement des cours d'eau avec le critère des « réservoirs biologiques » condamne en réalité 72 % du potentiel hydro-électrique restant. Or, la petite hydroélectricité représente aujourd'hui en France une filière industrielle importante dans le domaine de l'énergie. Alors que l'énergie hydraulique est la première source d'électricité renouvelable et la deuxième énergie renouvelable, la petite hydroélectricité en France représente 2 178 petites centrales de moins de 12 MW (soit 2 000 MW de puissance installée), dont 80 % sont détenues par des petits producteurs indépendants. La production annuelle moyenne est d'environ 7 TWh, c'est-à-dire l'équivalent de l'électricité nécessaire pour éclairer toute la France la nuit.
Votre rapporteur insiste sur la nécessité de soutenir cette activité qui permet, d'une part, une production d'électricité souple et proche des lieux de consommation (évitant ainsi les pertes dues aux réseaux de distribution), d'autre part, qui contribue au bilan bas-carbone de la France en n'émettant pas de gaz à effet de serre. Il souligne que, dans le cadre de la transition énergétique dont les orientations ont été fixées dans la loi adoptée en 2015, elle produit une électricité renouvelable non intermittente, et contribue à l'activité économique et au développement des territoires tout en respectant l'état écologique des rivières grâce à tout un panel d'outils (passes à poissons, manoeuvres de vannes, rivières de contournement, turbines fish-friendly...). (...)
Proposition 8 : Les missions de conseil et de police de l'environnement devant être dissociées, retirer les missions de police de l'environnement des missions de la future Agence française pour la biodiversité ; mettre en place un corps spécifique de contrôle de l'application du droit de l'environnement.
Proposition 9 : Placer les sujets relatifs à l'hydroélectricité sous la tutelle de la direction de l'énergie et non celle de la direction de l'eau et de la biodiversité.
Commentaires: une situation confuse
où l'effacement est simultanément encouragé et condamné
Le rapport du sénateur Pointereau fait suite au rapport des députés Dubois et Vigier de février dernier, qui avait déjà souligné certaines limites importantes de la mise en oeuvre de la continuité écologique (malgré une regrettable censure de certaines associations, dont la nôtre). Il s'inscrit aussi dans le contexte des nombreuses déclarations de la Ministre de l'Environnement Ségolène Royal sur la nécessité de stopper la destruction des moulins, et de l'instruction donnée aux préfets en ce sens, avec mission en cours du CGEDD (la troisième…) pour comprendre la nature des blocages. Enfin, ce rapport fait suite à des premières modifications de l'article L 214-17 CE (ayant institué en 2006 la continuité écologique) dans le cadre des votes des lois Patrimoine et Biodiversité de cet été, modifications sur lesquelles nous reviendrons quand les deux lois seront votées et publiées au Journal officiel.
Il paraît désormais acquis que la destruction des ouvrages de moulins est reconnue comme une mauvaise solution par un large spectre de la classe politique française – un point marquant de ces débats depuis deux ans étant que quasiment personne ne s'est réellement engagé avec vigueur pour défendre l'intérêt intrinsèque et la nécessité urgente de la destruction de ces petits ouvrages pour améliorer les milieux aquatiques.
Reste que nous entrons dans une situation proprement ubuesque, car le discrédit de la casse du patrimoine hydraulique se superpose à d'autres tendances de fond... qui l'encouragent:
- les Agences de l'eau (en particulier Loire-Bretagne et Seine-Normandie) ont adopté des SDAGE qui font de la destruction en première intention des ouvrages hydrauliques le choix privilégié des gestionnaires, amenant à se demander qui produit réellement les normes en France et sur quelle base démocratique (voir les problèmes de fond soulignés dans les lettres ouvertes à Joël Pélicot et à François Sauvadet),
- ces mêmes Agences exercent une très forte pression financière sur les propriétaires, les exploitants, les riverains, les collectivités et les syndicats (ou autres établissements intercommunaux en charge de l'eau) en payant l'effacement sur argent public tandis qu'elles limitent au maximum le financement des passes à poissons,
- de nombreux syndicats ont décliné ces propositions dans leur SAGE ou leurs contrats territoriaux, persistant à effacer alors même que la Ministre a demandé de faire une pause (voir notre courrier à Ségolène Royal),
- le protocole ICE de l'Onema continue de réputer "migratrices" la plupart des espèces d'eaux douces et de poser des contraintes techniques de franchissabilité qui rendent coûteux tout chantier de continuité et qui interdisent souvent les solutions les plus simples (ouverture de vanne en période migratoire).
- une nouvelle circulaire d'application du classement des rivières par le Ministère à l'intention des services instructeurs paraît indispensable pour donner des directions claires (ainsi qu'opposables par les citoyens et leurs associations). Il s'agit d'acter les modifications récentes du L 214-17 CE, d'intégrer les recommandations qui seront faites par le CGEDD à la rentrée (et celles qui avaient déjà été formulées en 2012 sans effet), d'inverser les priorités et de faire de l'effacement (arasement ou dérasement) des ouvrages la solution de seconde intention (comme le voulait déjà la loi et comme l'a exprimé la représentation nationale à de multiples reprises);
- une évolution de l'article L 214-17 CE sera probablement encore nécessaire dans le cadre d'un projet de loi ad hoc, afin de rendre réaliste et solvable la continuité écologique en rivières classées liste 2 (le choix ayant le plus de sens écologique étant selon nous de limiter cette liste 2 aux espèces migratrices amphihalines et aux espèces documentées comme en voie d'extinction sur les bassins où elles sont attestées, ce qui évite des aménagements de moindre intérêt, mais nombreux et coûteux, pour des espèces peu menacées à brève échéance ou peu mobiles dans leur cycle de vie);
- la continuité écologique (qui n'est pas un angle inintéressant en soi, malgré les critiques que nous portons à sa mise en oeuvre actuelle en France) doit rester une option ouverte au volontariat (y compris des effacements) hors rivière classée, sur la base notamment d'une modélisation des sites ayant le plus d'influence sur les espèces d'intérêt. Il convient aussi d'insister sur la continuité latérale, qui a des effets souvent plus importants sur la biodiversité en même temps qu'elle participe à la gestion des crues par diversion sur des parties du lit majeur;
- un chantier doit être ouvert (par exemple par la nouvelle Agence pour la biodiversité) en vue de produire un modèle d'écologie raisonnée des rivières, dont les enjeux sont d'une part d'insuffler une culture de la preuve et de la donnée chez les gestionnaires (ce qui implique un effort de recherche appliquée et de formation), d'autre part de mettre en oeuvre une concertation élargie et une gestion adaptative à échelle de chaque bassin versant, visant à intégrer davantage les citoyens et usagers dans les instances de concertation et de programmation tout en faisant mieux circuler les retours de terrain.
21/07/2016
Ségolène Royal: "Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment"
Ségolène Royal persiste et signe : elle demande à nouveau de cesser d'effacer les ouvrages de moulins et de travailler à les équiper, pour concilier écologie, énergie et économie. Position que défend notre association depuis plusieurs années... mais que certains ont du mal à accepter, si l'on en juge par les 8 projets de destruction en cours sur le Cousin, l'Armançon, l'Ource et la Seine.
La Ministre de l'Environnement a donné un entretien à l'Europe parlementaire (publication consultable en lige). Elle affirme notamment : "J'ai lancé un appel à projets sur la petite hydraulique. La petite hydraulique, c'est mettre des éoliennes sur les piles des ponts, des hydroliennes dans l'eau, ou encore la rénovation des moulins pour concilier écologie et économie. Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment".
Nous sommes heureux de voir que la Ministre rejoint très exactement la position défendue dès le début 2013 par notre association, sur la "double modernisation énergétique et écologique" des moulins (voir notre premier dossier complet sur la continuité écologique en Côte d'Or et Bourgogne). Position qui, à l'époque, a rencontré le silence et l'indifférence des administrations et syndicats en charge de l'eau, tout occupés qu'ils étaient à programmer le choix de l'abrogation du maximum de droits d'eau suivie de la destruction du maximum d'ouvrages.
Nous sommes surtout heureux de constater que Ségolène Royal défend avec constance son refus de la casse du patrimoine hydraulique. Rappel des positions de la Ministre :
Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".
Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".
Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."
Rappel des textes de loi (n'ayant jamais intégré la destruction comme option de continuité écologique) :
Loi de 2006 votée par les représentants des citoyens: "Une liste de cours d'eau, parties de cours d'eau ou canaux dans lesquels il est nécessaire d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs. Tout ouvrage doit y être géré, entretenu et équipé selon des règles définies par l'autorité administrative, en concertation avec le propriétaire ou, à défaut, l'exploitant."
Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".
En conformité avec la loi et avec ses convictions, Ségolène Royal a donné en décembre 2015 instruction aux préfets de France de cesser les destructions problématiques de moulins. Quelques mois plus tard, on observe que certains espèrent continuer leur programme de casse du patrimoine (cinq projets de huit effacements en Nord Bourgogne pour l'étiage prochain, sans aucun chantier non destructif sur les rivières concernées). Nous avons donc saisi la Ministre de ce problème et nous espérons que les Préfectures choisiront la voie sage d'un respect du moratoire sur les effacements tant que le CGEDD n'a pas remis son rapport d'audit sur les blocages de la continuité écologique et tant que des bonnes pratiques concertées n'ont pas été posées dans une nouvelle circulaire de mise en oeuvre du classement des rivières.
La Ministre de l'Environnement a donné un entretien à l'Europe parlementaire (publication consultable en lige). Elle affirme notamment : "J'ai lancé un appel à projets sur la petite hydraulique. La petite hydraulique, c'est mettre des éoliennes sur les piles des ponts, des hydroliennes dans l'eau, ou encore la rénovation des moulins pour concilier écologie et économie. Il faut arrêter de détruire les moulins, mais les rénover intelligemment".
Nous sommes heureux de voir que la Ministre rejoint très exactement la position défendue dès le début 2013 par notre association, sur la "double modernisation énergétique et écologique" des moulins (voir notre premier dossier complet sur la continuité écologique en Côte d'Or et Bourgogne). Position qui, à l'époque, a rencontré le silence et l'indifférence des administrations et syndicats en charge de l'eau, tout occupés qu'ils étaient à programmer le choix de l'abrogation du maximum de droits d'eau suivie de la destruction du maximum d'ouvrages.
Nous sommes surtout heureux de constater que Ségolène Royal défend avec constance son refus de la casse du patrimoine hydraulique. Rappel des positions de la Ministre :
Ségolène Royal en février 2015 : "Les règles du jeu doivent être revues, pour encourager la petite hydroélectricité et la remise en état des moulins".
Ségolène Royal en novembre 2015: "Nous devons sauvegarder les petits moulins sur les rivières et produire de l'électricité".
Ségolène Royal en janvier 2016: "À la suite du débat parlementaire, j’ai donné instruction aux préfets de mettre un terme aux destructions de petits ouvrages et de moulins, dans l’attente d’un examen plus approfondi de la situation."
La banderole Hydrauxois commence à fleurir sur les rives de Bourgogne. Elle ne fait jamais que reprendre la position exprimée par la Ministre en charge de l'environnement, position qu'une partie de son administration semble avoir du mal à accepter...
Loi de 2009 votée par les représentants des citoyens: "l'aménagement des obstacles les plus problématiques pour la migration des poissons sera mis à l'étude".
En conformité avec la loi et avec ses convictions, Ségolène Royal a donné en décembre 2015 instruction aux préfets de France de cesser les destructions problématiques de moulins. Quelques mois plus tard, on observe que certains espèrent continuer leur programme de casse du patrimoine (cinq projets de huit effacements en Nord Bourgogne pour l'étiage prochain, sans aucun chantier non destructif sur les rivières concernées). Nous avons donc saisi la Ministre de ce problème et nous espérons que les Préfectures choisiront la voie sage d'un respect du moratoire sur les effacements tant que le CGEDD n'a pas remis son rapport d'audit sur les blocages de la continuité écologique et tant que des bonnes pratiques concertées n'ont pas été posées dans une nouvelle circulaire de mise en oeuvre du classement des rivières.
20/07/2016
Destruction de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon, un débat si tardif...
L'Yonne républicaine a rendu compte des réactions suscitées par le projet d'effacement du seuil (traditionnellement appelé une chaussée), du plan d'eau et de la chute du moulin de Perigny-sur-Armançon (voir cet article).
Éric Coquille (maire du village et président du Syndicat de l'Armançon, ex-Sirtava) a déclaré : «Il s'agit d'un ouvrage privé. Il appartient à son propriétaire de gérer son patrimoine. Il a sollicité le Syndicat pour une déconstruction raisonnée de ce barrage (…) Pour l'instant, nous n'avons pas le retour de l'enquête publique qui vient de se terminer, mais nous avons vu qu'il y a eu une forte mobilisation, ce qui est heureux en soi. Il y a plusieurs angles de vue qu'il est important d'avoir. D'un point de vue environnemental, il est nécessaire de restaurer la fonction naturelle du cours d'eau. D'un point de vue patrimonial, c'est au propriétaire de décider. Il est important que le dialogue s'installe.»
Quelques observations à ce sujet :
- un propriétaire n'est pas libre de faire ce qu'il veut avec les écoulements de la rivière, qu'il s'agisse de la construction, de la destruction ou de la modification d'un ouvrage. Dans tous les cas, les droits des tiers et la protection des milieux doivent être garantis. Certains gestionnaires, pétris de la croyance qu'ils agissent forcément "pour le bien de la rivière", ont du mal à concevoir que la destruction d'un ouvrage est un chantier ayant des conséquences tant écologiques qu'hydrologiques, patrimoniales et paysagères dont il n'est pas garanti qu'elles seront bonnes. Il est assez établi dans la littérature scientifique que ces opérations ont parfois des effets écologiques nuls, voire négatifs : continuer à le nier, ne pas ausculter le détail des effets attendus par l'effacement et ne pas prévoir une analyse avant / après sur la base d'indicateurs fiables, cela devient du dogme ;
- nous vérifierons au cours de l'été (à Perrigny comme sur les autres projets de destruction) que le propriétaire a été correctement informé par le syndicat avant de signer une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. En effet, le maître d'ouvrage perd le droit d'eau de son moulin (qui devient une simple maison en zone inondable) et donc une certaine valeur foncière, court parfois des risques géotechniques dont il faut garantir l'absence sur les parties usuellement en eau du bien, engage sa responsabilité en cas de problèmes futurs avec des tiers ou des biens riverains liés aux changements d'écoulement. De même, on a déjà vu le Syndicat de l'Armançon brandir des études totalement fantaisistes dans le passé (par exemple passe à anguilles estimée par le BE Cariçaie à 300.000 euros pour moins d'un mètre de chute) et il convient de vérifier que le même procédé n'a pas été utilisé ici pour faire peur. Un consentement ne vaut que s'il découle d'une information complète et non biaisée ;
- le président du Syndicat de l'Armançon parle de "plusieurs angles de vue" et de "dialogue". Nous regrettons que ces échanges se tiennent au dernier moment de l'enquête publique, au cours de l'été, moins de deux mois avant le projet de destruction. Tout projet d'effacement a un comité de pilotage, dès la phase diagnostique. Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc. De la même manière, les réunions publiques doivent être organisée sur la base d'une communication directe et franche. Demander aux gens "voulez-vous faire disparaître le barrage et son plan d'eau" mobilisera davantage le "dialogue" et les "angles de vue" qu'un propos abstrait sur la "déconstruction" du site à fin "hydromorphologique" (chacun sait que jargonner est un moyen d'endormir l'esprit critique et de tuer le débat démocratique). Appelons la destruction par son nom au lieu de l'euphémiser : si les gains écologiques et paysagers sont si énormes, si évidents, les gens ne pourront qu'approuver. Il est assez extraordinaire que le Syndicat "découvre" au moment de l'enquête publique que les 2/3 des habitants du village sont hostiles à la disparition du site.
- pour mettre les choses en perspective, rappelons que plus de 300 ouvrages hydrauliques sont classés en rivières liste 2 (obligation de mise en conformité à la continuité écologique) dans l'Yonne, et sensiblement le même nombre dans la Côte d'Or, avec théoriquement une échéance d'aménagement d'ici la fin 2017. Ce n'est donc pas une opération anodine et isolée, mais un programme systématique menant soit à la casse du patrimoine (choix majoritaire à ce jour dans les chantiers du Syndicat de l'Armançon) soit à l'obligation de mettre partout des passes à poissons (non ou très peu financées publiquement). Les citoyens considèrent-ils vraiment que ce programme est d'intérêt général? Leur a-t-on expliqué (et démontré) le bénéfice écologique concret (et pas théorique) associé à ces destructions et à la dépense d'argent public impliquée? Savent-ils que le plus grand barrage de l'Armançon (Pont-et-Massène, 20 m de hauteur), ayant lui des effets réels sur les poissons, les sédiments, le débit et la température, n'a aucune obligation ni projet de continuité écologique (alors que VNF a dépensé 15 millions d'euros pour moderniser son déversoir de crue)?
- Hydrauxois a écrit à la Ministre de l'Environnement pour faire respecter le moratoire sur les effacements problématiques d'ouvrages, le collectif de riverains de Perrigny-sur-Armançon a fait de même. Le cas est similaire à Tonnerre, avec trois associations refusant la casse du patrimoine de la ville et un collectif de 130 riverains s'apprêtant à saisir la Ministre. Nous avons par ailleurs commencé une campagne estivale d'information des parlementaires à ce sujet et alerté les services administratifs sur ce que nous estimons être des manquements réglementaires dans les dossiers déposés. La réforme de continuité écologique fonce dans le mur tant qu'elle se coupera des citoyens, qu'elle refusera la concertation systématique avec les représentants associatifs et les riverains, qu'elle bâclera l'analyse coût-avantage et l'estimation des bénéfices écologiques réels, qu'elle privilégiera des destructions irrémédiables du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique de nos rivières.
Illustration : le seuil (ou chaussée) de Perrigny-sur-Armançon, photographie Linet Andrea, tous droits réservés.
Éric Coquille (maire du village et président du Syndicat de l'Armançon, ex-Sirtava) a déclaré : «Il s'agit d'un ouvrage privé. Il appartient à son propriétaire de gérer son patrimoine. Il a sollicité le Syndicat pour une déconstruction raisonnée de ce barrage (…) Pour l'instant, nous n'avons pas le retour de l'enquête publique qui vient de se terminer, mais nous avons vu qu'il y a eu une forte mobilisation, ce qui est heureux en soi. Il y a plusieurs angles de vue qu'il est important d'avoir. D'un point de vue environnemental, il est nécessaire de restaurer la fonction naturelle du cours d'eau. D'un point de vue patrimonial, c'est au propriétaire de décider. Il est important que le dialogue s'installe.»
Quelques observations à ce sujet :
- un propriétaire n'est pas libre de faire ce qu'il veut avec les écoulements de la rivière, qu'il s'agisse de la construction, de la destruction ou de la modification d'un ouvrage. Dans tous les cas, les droits des tiers et la protection des milieux doivent être garantis. Certains gestionnaires, pétris de la croyance qu'ils agissent forcément "pour le bien de la rivière", ont du mal à concevoir que la destruction d'un ouvrage est un chantier ayant des conséquences tant écologiques qu'hydrologiques, patrimoniales et paysagères dont il n'est pas garanti qu'elles seront bonnes. Il est assez établi dans la littérature scientifique que ces opérations ont parfois des effets écologiques nuls, voire négatifs : continuer à le nier, ne pas ausculter le détail des effets attendus par l'effacement et ne pas prévoir une analyse avant / après sur la base d'indicateurs fiables, cela devient du dogme ;
- nous vérifierons au cours de l'été (à Perrigny comme sur les autres projets de destruction) que le propriétaire a été correctement informé par le syndicat avant de signer une convention de délégation de maîtrise d'ouvrage. En effet, le maître d'ouvrage perd le droit d'eau de son moulin (qui devient une simple maison en zone inondable) et donc une certaine valeur foncière, court parfois des risques géotechniques dont il faut garantir l'absence sur les parties usuellement en eau du bien, engage sa responsabilité en cas de problèmes futurs avec des tiers ou des biens riverains liés aux changements d'écoulement. De même, on a déjà vu le Syndicat de l'Armançon brandir des études totalement fantaisistes dans le passé (par exemple passe à anguilles estimée par le BE Cariçaie à 300.000 euros pour moins d'un mètre de chute) et il convient de vérifier que le même procédé n'a pas été utilisé ici pour faire peur. Un consentement ne vaut que s'il découle d'une information complète et non biaisée ;
- le président du Syndicat de l'Armançon parle de "plusieurs angles de vue" et de "dialogue". Nous regrettons que ces échanges se tiennent au dernier moment de l'enquête publique, au cours de l'été, moins de deux mois avant le projet de destruction. Tout projet d'effacement a un comité de pilotage, dès la phase diagnostique. Si le Syndicat de l'Armançon souhaite réellement que plusieurs voix se fassent entendre, il doit convier à chaque fois dans ce comité de pilotage des associations (non limitées aux pêcheurs), des représentants des riverains du plan d'eau ou du barrage, des usagers (notamment propriétaires de parcelles agricoles amont bénéficiant de la rehausse de nappe), les services administratifs en charge de la culture, etc. De la même manière, les réunions publiques doivent être organisée sur la base d'une communication directe et franche. Demander aux gens "voulez-vous faire disparaître le barrage et son plan d'eau" mobilisera davantage le "dialogue" et les "angles de vue" qu'un propos abstrait sur la "déconstruction" du site à fin "hydromorphologique" (chacun sait que jargonner est un moyen d'endormir l'esprit critique et de tuer le débat démocratique). Appelons la destruction par son nom au lieu de l'euphémiser : si les gains écologiques et paysagers sont si énormes, si évidents, les gens ne pourront qu'approuver. Il est assez extraordinaire que le Syndicat "découvre" au moment de l'enquête publique que les 2/3 des habitants du village sont hostiles à la disparition du site.
- pour mettre les choses en perspective, rappelons que plus de 300 ouvrages hydrauliques sont classés en rivières liste 2 (obligation de mise en conformité à la continuité écologique) dans l'Yonne, et sensiblement le même nombre dans la Côte d'Or, avec théoriquement une échéance d'aménagement d'ici la fin 2017. Ce n'est donc pas une opération anodine et isolée, mais un programme systématique menant soit à la casse du patrimoine (choix majoritaire à ce jour dans les chantiers du Syndicat de l'Armançon) soit à l'obligation de mettre partout des passes à poissons (non ou très peu financées publiquement). Les citoyens considèrent-ils vraiment que ce programme est d'intérêt général? Leur a-t-on expliqué (et démontré) le bénéfice écologique concret (et pas théorique) associé à ces destructions et à la dépense d'argent public impliquée? Savent-ils que le plus grand barrage de l'Armançon (Pont-et-Massène, 20 m de hauteur), ayant lui des effets réels sur les poissons, les sédiments, le débit et la température, n'a aucune obligation ni projet de continuité écologique (alors que VNF a dépensé 15 millions d'euros pour moderniser son déversoir de crue)?
- Hydrauxois a écrit à la Ministre de l'Environnement pour faire respecter le moratoire sur les effacements problématiques d'ouvrages, le collectif de riverains de Perrigny-sur-Armançon a fait de même. Le cas est similaire à Tonnerre, avec trois associations refusant la casse du patrimoine de la ville et un collectif de 130 riverains s'apprêtant à saisir la Ministre. Nous avons par ailleurs commencé une campagne estivale d'information des parlementaires à ce sujet et alerté les services administratifs sur ce que nous estimons être des manquements réglementaires dans les dossiers déposés. La réforme de continuité écologique fonce dans le mur tant qu'elle se coupera des citoyens, qu'elle refusera la concertation systématique avec les représentants associatifs et les riverains, qu'elle bâclera l'analyse coût-avantage et l'estimation des bénéfices écologiques réels, qu'elle privilégiera des destructions irrémédiables du patrimoine, du paysage et du potentiel énergétique de nos rivières.
Illustration : le seuil (ou chaussée) de Perrigny-sur-Armançon, photographie Linet Andrea, tous droits réservés.
19/07/2016
OCDE : critiques de la politique française de l'environnement
En 2015, plusieurs rapports indépendants avaient déjà critiqué assez vertement la politique française de l'eau et de l'environnement. L'OCDE vient de procéder à un semblable examen de nos choix publics environnementaux, avec des conclusions similaires. Extraits choisis dans le domaine de l'eau, de l'énergie renouvelable et de la concertation démocratique, assortis de quelques commentaires en lien à nos luttes associatives.
Energie renouvelable : l'objectif de 23% en 2020 peu probable
"L’économie française est l’une des plus sobres en carbone parmi les pays de l’OCDE. Cela est dû à la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique (graphique 1) : en 2014, l’énergie nucléaire représentait près de la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire (ATEP) et plus des trois quarts de la production d’électricité. Les énergies renouvelables ne représentaient que 9 % de l’ATEP et 16 % de la production d’électricité, une faible performance comparée à la moyenne des pays européens membres de l’OCDE (13 % et 31 % respectivement) (AIE, 2015). L’objectif de la France d’atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie d’ici 2020, en application de la directive européenne afférente (2009/28/CE), sera difficile à atteindre."
Commentaire : dans le domaine de l'hydro-électricité, qui reste la première des énergies renouvelables et la mieux adaptée pour compenser la fatalité de certaines autres sources d'énergie, les normes environnementales de plus en plus complexes, lourdes et imprévisibles tendant à décourager les porteurs de projet. La France va plus loin dans l'absurde en détruisant les seuils et barrages d'anciens moulins et usines à eau, qui sont autant de sources potentielles d'énergie hydraulique (environ 80.000 sites exploitables).
Pesticides : l'un des plus gros consommateurs au monde
"La France est le premier producteur agricole de l’UE. Sa production a légèrement diminué depuis 2000. Les excédents d’éléments nutritifs (azote et phosphore) ont également baissé. En revanche, l’usage des pesticides a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde. L’utilisation de ces produits est liée au type de productions (vignes et arboriculture), à la hausse des surfaces en grandes cultures au détriment des surfaces en herbe et aux conditions climatiques. L’objectif de réduire leur usage de moitié entre 2008 et 2018 ne sera pas atteint, et a été repoussé à 2025 (graphique 1). La présence de pesticides dans les cours d’eau et les nappes phréatiques est préoccupante et la situation a peu évolué depuis 2000. Ces produits contaminent également l’air et les sols, pour lesquels les mesures de contrôle sont insuffisantes."
Commentaire : dans les pays d'Europe occidentale, l'usage agricole des sols du bassin versant est le premier prédicteur de la qualité de l'eau des rivières, lacs, étangs et nappes, ainsi que de la qualité des bio-indicateurs des milieux aquatiques. Ce fait est aussi largement reconnu dans la littérature scientifique qu'il est minoré dans le discours de certains gestionnaires de rivière. Certains affirment sans rire que la destruction de moulins centenaires pourrait "auto-épurer" la rivière de ses pollutions, ce qui dit assez notre incapacité à regarder les réalités en face.
Ressource hydrique : certains zones déjà stressées
"La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements d’eau ont décru depuis 2000."
Commentaire : le changement climatique promet une amplification des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses et étiages sévères associés (mais aussi les crues). Casser les outils de régulation locale des niveaux d'eau (seuils, barrages, digues, retenues, canaux, biefs) est un manque élémentaire de prudence, alors que tout le monde se gargarise du principe de précaution.
DCE 2000 : retard sur les objectifs
"La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance 2021), se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bon état des eaux fixé pour 2015 par la Directive-cadre sur l’eau."
Commentaire : dans le cas des nitrates, la France est déjà en retard sur ses objectifs de… 1991 (directive européenne). Personne ne croit sérieusement que les masses d'eau françaises seront à 100% en bon état écologique et chimique d'ici 2027. Faire du faux-semblant et de l'invraisemblable la base du discours public, c'est renforcer la défiance et la désintérêt des citoyens.
Démocratie de l'environnement : problème de représentativité
"Le Grenelle de l’environnement a été un moment fort de la démocratie environnementale en France. Il a fondé le modèle de la « gouvernance à cinq », qui associe l’État, les élus, les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), et il a directement impliqué les citoyens dans le processus à travers des débats locaux et des consultations sur internet. Sa démarche a été reprise dans le cadre des conférences environnementales annuelles et elle est institutionnalisée par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Cependant, lors du Grenelle comme aujourd’hui, la représentativité des participants pose question. Les syndicats et les ONG ont moins la capacité d’être systématiquement présents, et leur présence ne suffit pas à garantir la représentativité de la société civile (Gossement, 2013). Le renforcement du dialogue social environnemental reste une priorité en France, notamment suite à des mouvements de contestation qui ont ébranlé la politique du gouvernement. La consultation du public concernant les plans, programmes et projets intervient trop tard, à un stade auquel le projet ne peut pas être remis en question et où seuls des changements marginaux peuvent être apportés (AE, 2015 ; Duport, 2015)."
Commentaire : la France ne paraît pas capable de sortir de la gouvernance balisée, centralisée, autoritaire et limitée à des "happy few" qui caractérise son exercice du pouvoir, en particulier son idéologie administrative. Quant à la contestation écologiste des "projets inutiles", si audible à Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, on attend toujours sa mobilisation sur les milliers de pelleteuses en rivière que promet la réforme de continuité soi-disant "écologique". Curieusement, certains lobbies hypersubventionnés qui participent à la concertation gouvernementale "officielle" ne trouvent rien à redire au gâchis d'argent public quand il s'agit de casser des moulins et de vider des étangs sans la moindre analyse sérieuse sur le bilan réel en biodiversité et sans écoute des gens voulant préserver leur cadre de vie.
Conclusion
Le destin d'un rapport émanant d'une instance technocratique pour critiquer la politique d'une autre instance technocratique est d'être conjointement et prudemment enfermé dans les tiroirs des technocraties concernées. Il est à craindre que le rapport OCDE 2016 suive cette trajectoire de moindre remous. Qui se souvient que les rapports Lesage 2013 et Levraut 2013 avaient pointé les graves défaillances de la politique de française de l'eau? Qui se souvient que la Cour des comptes avait vertement critiqué l'Onema en 2013 et les Agences de l'eau en 2015? Qui se souvient que la Commission européenne avait pointé les insuffisances du rapportage sur l'eau en 2012 et de nouveau en 2015? L'administration, qui est prompte à considérer la sanction comme le seul moyen de modifier le comportement des administrés, répugne curieusement à appliquer le même principe à ses propres insuffisances, échecs ou retards. Quand certaines institutions dérivent dans une indifférence atavique aux critiques et une incapacité manifeste à la réforme, il reste aux citoyens le recours aux luttes démocratiques de terrain.
Référence : OCDE (2016), Examens environnementaux de l’OCDE : France 2016, éditions OCDE.
Energie renouvelable : l'objectif de 23% en 2020 peu probable
"L’économie française est l’une des plus sobres en carbone parmi les pays de l’OCDE. Cela est dû à la prépondérance du nucléaire dans le mix énergétique (graphique 1) : en 2014, l’énergie nucléaire représentait près de la moitié de l’approvisionnement total en énergie primaire (ATEP) et plus des trois quarts de la production d’électricité. Les énergies renouvelables ne représentaient que 9 % de l’ATEP et 16 % de la production d’électricité, une faible performance comparée à la moyenne des pays européens membres de l’OCDE (13 % et 31 % respectivement) (AIE, 2015). L’objectif de la France d’atteindre 23 % de renouvelables dans sa consommation finale brute d’énergie d’ici 2020, en application de la directive européenne afférente (2009/28/CE), sera difficile à atteindre."
Commentaire : dans le domaine de l'hydro-électricité, qui reste la première des énergies renouvelables et la mieux adaptée pour compenser la fatalité de certaines autres sources d'énergie, les normes environnementales de plus en plus complexes, lourdes et imprévisibles tendant à décourager les porteurs de projet. La France va plus loin dans l'absurde en détruisant les seuils et barrages d'anciens moulins et usines à eau, qui sont autant de sources potentielles d'énergie hydraulique (environ 80.000 sites exploitables).
Pesticides : l'un des plus gros consommateurs au monde
"La France est le premier producteur agricole de l’UE. Sa production a légèrement diminué depuis 2000. Les excédents d’éléments nutritifs (azote et phosphore) ont également baissé. En revanche, l’usage des pesticides a augmenté, faisant de la France l’un des plus gros consommateurs de produits phytosanitaires du monde. L’utilisation de ces produits est liée au type de productions (vignes et arboriculture), à la hausse des surfaces en grandes cultures au détriment des surfaces en herbe et aux conditions climatiques. L’objectif de réduire leur usage de moitié entre 2008 et 2018 ne sera pas atteint, et a été repoussé à 2025 (graphique 1). La présence de pesticides dans les cours d’eau et les nappes phréatiques est préoccupante et la situation a peu évolué depuis 2000. Ces produits contaminent également l’air et les sols, pour lesquels les mesures de contrôle sont insuffisantes."
Commentaire : dans les pays d'Europe occidentale, l'usage agricole des sols du bassin versant est le premier prédicteur de la qualité de l'eau des rivières, lacs, étangs et nappes, ainsi que de la qualité des bio-indicateurs des milieux aquatiques. Ce fait est aussi largement reconnu dans la littérature scientifique qu'il est minoré dans le discours de certains gestionnaires de rivière. Certains affirment sans rire que la destruction de moulins centenaires pourrait "auto-épurer" la rivière de ses pollutions, ce qui dit assez notre incapacité à regarder les réalités en face.
Ressource hydrique : certains zones déjà stressées
"La France subit un stress hydrique modéré, mais la ressource en eau se raréfie dans certains territoires et les étiages s’aggravent dans le sud du pays. Les prélèvements d’eau ont décru depuis 2000."
Commentaire : le changement climatique promet une amplification des phénomènes extrêmes, dont les sécheresses et étiages sévères associés (mais aussi les crues). Casser les outils de régulation locale des niveaux d'eau (seuils, barrages, digues, retenues, canaux, biefs) est un manque élémentaire de prudence, alors que tout le monde se gargarise du principe de précaution.
DCE 2000 : retard sur les objectifs
"La pollution des cours d’eau par les matières organiques et phosphorées a diminué grâce notamment à une réglementation plus contraignante et aux progrès de l’assainissement, mais la pollution par les nitrates et les pesticides perdure. Comme beaucoup de pays européens, la France a demandé des reports de délais (à échéance 2021), se voyant dans l’incapacité d’atteindre l’objectif de bon état des eaux fixé pour 2015 par la Directive-cadre sur l’eau."
Commentaire : dans le cas des nitrates, la France est déjà en retard sur ses objectifs de… 1991 (directive européenne). Personne ne croit sérieusement que les masses d'eau françaises seront à 100% en bon état écologique et chimique d'ici 2027. Faire du faux-semblant et de l'invraisemblable la base du discours public, c'est renforcer la défiance et la désintérêt des citoyens.
Démocratie de l'environnement : problème de représentativité
"Le Grenelle de l’environnement a été un moment fort de la démocratie environnementale en France. Il a fondé le modèle de la « gouvernance à cinq », qui associe l’État, les élus, les entreprises, les syndicats et les organisations non gouvernementales (ONG), et il a directement impliqué les citoyens dans le processus à travers des débats locaux et des consultations sur internet. Sa démarche a été reprise dans le cadre des conférences environnementales annuelles et elle est institutionnalisée par le Conseil national de la transition écologique (CNTE). Cependant, lors du Grenelle comme aujourd’hui, la représentativité des participants pose question. Les syndicats et les ONG ont moins la capacité d’être systématiquement présents, et leur présence ne suffit pas à garantir la représentativité de la société civile (Gossement, 2013). Le renforcement du dialogue social environnemental reste une priorité en France, notamment suite à des mouvements de contestation qui ont ébranlé la politique du gouvernement. La consultation du public concernant les plans, programmes et projets intervient trop tard, à un stade auquel le projet ne peut pas être remis en question et où seuls des changements marginaux peuvent être apportés (AE, 2015 ; Duport, 2015)."
Commentaire : la France ne paraît pas capable de sortir de la gouvernance balisée, centralisée, autoritaire et limitée à des "happy few" qui caractérise son exercice du pouvoir, en particulier son idéologie administrative. Quant à la contestation écologiste des "projets inutiles", si audible à Sivens ou Notre-Dame-des-Landes, on attend toujours sa mobilisation sur les milliers de pelleteuses en rivière que promet la réforme de continuité soi-disant "écologique". Curieusement, certains lobbies hypersubventionnés qui participent à la concertation gouvernementale "officielle" ne trouvent rien à redire au gâchis d'argent public quand il s'agit de casser des moulins et de vider des étangs sans la moindre analyse sérieuse sur le bilan réel en biodiversité et sans écoute des gens voulant préserver leur cadre de vie.
Conclusion
Le destin d'un rapport émanant d'une instance technocratique pour critiquer la politique d'une autre instance technocratique est d'être conjointement et prudemment enfermé dans les tiroirs des technocraties concernées. Il est à craindre que le rapport OCDE 2016 suive cette trajectoire de moindre remous. Qui se souvient que les rapports Lesage 2013 et Levraut 2013 avaient pointé les graves défaillances de la politique de française de l'eau? Qui se souvient que la Cour des comptes avait vertement critiqué l'Onema en 2013 et les Agences de l'eau en 2015? Qui se souvient que la Commission européenne avait pointé les insuffisances du rapportage sur l'eau en 2012 et de nouveau en 2015? L'administration, qui est prompte à considérer la sanction comme le seul moyen de modifier le comportement des administrés, répugne curieusement à appliquer le même principe à ses propres insuffisances, échecs ou retards. Quand certaines institutions dérivent dans une indifférence atavique aux critiques et une incapacité manifeste à la réforme, il reste aux citoyens le recours aux luttes démocratiques de terrain.
Référence : OCDE (2016), Examens environnementaux de l’OCDE : France 2016, éditions OCDE.
18/07/2016
Continuité écologique : bonnes et mauvaises pratiques parmi les Agences de l'eau
La Bourgogne se trouve en tête de trois grands bassins versants (Seine, Loire, Rhône). Cette particularité permet à notre association de comparer les expériences d'échange avec les administrations et gestionnaires en charge de l'eau. Dans le domaine des ouvrages hydrauliques, le plus gros des problèmes de gouvernance se concentre sur les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie. Une des raisons? L'Agence de l'eau Rhône-Méditerranée-Corse et son comité de bassin ont développé une politique plus raisonnable et équilibrée de la continuité écologique. Ainsi qu'une communication plus précise et plus transparente. Explications.
L'Agence de l'eau est un établissement administratif en charge de la redistribution financière des taxes sur l'eau et de la définition des programmes d'aménagement des bassins. C'est un acteur-clé de la politique menée sur les rivières à travers les orientations définies par le comité de bassin — et surtout préparées par les commissions techniques, car sur des sujets pointus comme la gestion de l'eau, l'essentiel se joue dans la formalisation préalable des textes (que les membres du comité de bassin votent sans avoir le temps ni la capacité d'approfondir).
Ce qu'une Agence de l'eau n'a pas envie de financer a peu de chance de voir le jour, vu les coûts des travaux en rivière rapportés aux faibles moyens des particuliers, des communes et des établissements intercommunaux comme les syndicats de rivière.
Depuis quatre ans, on constate que nos problèmes associatifs de gouvernance en Bourgogne se concentrent d'abord sur le bassin Seine-Normandie, ensuite sur Loire-Bretagne, et dans une moindre mesure sur Rhône-Méditerranée. (Nota : pour simplifier, nous désignons parfois ci-dessous les bassins par leurs acronymes, LB pour Loire-Bretagne, SN pour Seine-Normandie RMC pour Rhône-Méditerranée-Corse, AE signifiant agence de l'eau). Quelles en sont les raisons ?
Classement des rivières de 2013
Le classement des rivières à fin de continuité écologique, en particulier la liste 2 qui impose des mises en conformité sur un court délai (5 ans), concerne un linéaire nettement plus important en bassins Loire et Seine qu'en bassin Rhône. On dira que cela tient à la présence du bassin atlantique, pool de migrateurs plus conséquent que la Méditerranée. C'est inexact. Par exemple sur la tête de bassin séquanien, des centaines de kilomètres de linéaire ont été classés L2 malgré l'absence d'enjeux amphihalins (hors l'anguille qui pose peu de problème de migration sur la majeure partie de ces rivières, sauf celles fragmentées par de grands barrages). Il n'en pas été de même sur la tête du bassin rhodanien, dans la même région Bourgogne-Franche Comté.
La conséquence est évidente : moins d'ouvrages classés, c'est moins d'urgence et de pression, plus de moyens humains et financiers pour analyser chaque cas, plus de prudence et de progressivité dans la mise en oeuvre des améliorations sur ce compartiment. Autre conséquence de ce différentiel entre bassins: la politique de l'eau est peu lisible, des cours d'eau très similaires en position sur le réseau, en fragmentation par des moulins et autres ouvrages, en peuplements piscicoles sont tantôt classés tantôt non classés.
Dans le domaine technique et scientifique qu'est l'écologie des milieux aquatiques, il ne devrait pas y avoir une vérité d'un côté de la ligne de partage des eaux et une autre au-delà. On a donc un certain arbitraire administratif dans la désignation des masses d'eau d'intérêt pour la continuité écologique. Certaines Agences se sont "fait plaisir" en classant un grand nombre de rivières en 2012-2013, au point que ce classement est devenu ingérable dans le court délai de 5 ans (environ 10% seulement des ouvrages traités en Loire-Bretagne et Seine-Normandie, à un an seulement de l'échéance réglementaire). L'Agence de l'eau RMC a été plus réaliste de ce point de vue.
Gestion de la continuité écologique longitudinale dans la programmation de bassin
La lecture du dernier SDAGE 2016-2021 de l'AERMC est instructive : la continuité longitudinale (dispositions 6A-05 et suivante) y est bien sûr présente, mais modulée plus intelligemment qu'ailleurs.
Le texte sur la mise en conformité précise ainsi : "Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l’effacement constitue une priorité dans les cas d’ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usage, ou lorsque l’absence d’entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage." Certes, et nous le regrettons, l'effacement reste de première intention dans le cas flou des ouvrages sans "fonction" ou "usage". Mais il est clairement rappelé au préalable qu'on ne peut écarter les autres solutions. Au demeurant, on lit plus loin dans le même texte que le "patrimoine bâti et vernaculaire" doit être pris en considération dans les analyses coût-avantage des programmes de continuité des SAGE.
L'Agence de l'eau RMC évite aussi l'emploi des instruments trop grossiers comme les taux d'étagement, valorisés en LB et SN malgré leur base scientifique à peu près inexistante (voir en détail comment ces mesures sont décidées de façon arbitraire en commission) et leur inadaptation à un diagnostic fin des impacts réels de la fragmentation (voir par exemple Fuller et al 2015).
Cette gouvernance plus ouverte et moins dogmatique qu'ailleurs a été vérifiée en tête de bassin dans les échanges avec les services instructeurs de l'AERMC et dans les choix proposés sur certaines rivières classées L2. Nous ne sommes pas dans la logique du financement quasi-exclusif de l'effacement pratiquée ailleurs (le financement des solutions de franchissement étant dans les autres bassins pour l'essentiel limité aux usines hydro-électriques injectant sur le réseau ou aux ouvrages structurant de type navigation, fourniture d'eau potable, irrigation, soit au final très peu d'ouvrages).
Mise à disposition des informations, rigueur du volet connaissance
Enfin, la dernière différence que nous percevons concerne la politique de l'information. Toutes les Agences de l'eau souffrent d'un problème dans l'acquisition des connaissances sur chaque masse d'eau, le relevé de tous les indicateurs exigibles par la DCE 2000, la dispersion des données chez un grand nombre d'acteurs, leur bancarisation et leur intercalibrage assez aléatoires.
Un autre problème récurrent est la mise à disposition au public des jeux complets et historiques de ces données sur chaque masse d'eau du territoire. Néanmoins, l'Agence de l'eau RMC se différencie par un souci réel de publication du maximum d'informations par des interfaces relativement simples à utiliser (voir ce site et par exemple cette interface de recherche).
Autre point de différenciation : le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC est plus étoffé que celui de ses consoeurs (à date l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'en a même pas... alors qu'elle est un mauvais élève en atteinte des objectifs de qualité, voir ici et ici), ce conseil publie plus régulièrement des avis.
Conclusion
Depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009, des dérives administratives d'interprétation ont mené à un conflit ouvert entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est la volonté affichée de privilégier la destruction pure et simple des seuils, barrages et digues. Les Agences de l'eau qui ont retranscrit le plus fidèlement cette approche brutale et dogmatique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) sont celles qui rencontrent le plus d'opposition sur le terrain – un point qui nous a été confirmé récemment dans nos discussions avec les inspecteurs du CGEDD. Le contre-exemple relativement pacifié du bassin Rhône-Méditerranée-Corse montre que ce n'est pas une fatalité : si nous sommes encore loin des bonnes pratiques de routine en diagnostic écologique de rivière, au moins n'observe-t-on pas de précipitation à classer des milliers de seuils et barrages au titre de la continuité écologique pour financer leur destruction à la chaîne. Si l'on veut réellement améliorer la gouvernance des ouvrages, il vaudrait mieux suivre les bons exemples que les mauvais…
L'Agence de l'eau est un établissement administratif en charge de la redistribution financière des taxes sur l'eau et de la définition des programmes d'aménagement des bassins. C'est un acteur-clé de la politique menée sur les rivières à travers les orientations définies par le comité de bassin — et surtout préparées par les commissions techniques, car sur des sujets pointus comme la gestion de l'eau, l'essentiel se joue dans la formalisation préalable des textes (que les membres du comité de bassin votent sans avoir le temps ni la capacité d'approfondir).
Ce qu'une Agence de l'eau n'a pas envie de financer a peu de chance de voir le jour, vu les coûts des travaux en rivière rapportés aux faibles moyens des particuliers, des communes et des établissements intercommunaux comme les syndicats de rivière.
Depuis quatre ans, on constate que nos problèmes associatifs de gouvernance en Bourgogne se concentrent d'abord sur le bassin Seine-Normandie, ensuite sur Loire-Bretagne, et dans une moindre mesure sur Rhône-Méditerranée. (Nota : pour simplifier, nous désignons parfois ci-dessous les bassins par leurs acronymes, LB pour Loire-Bretagne, SN pour Seine-Normandie RMC pour Rhône-Méditerranée-Corse, AE signifiant agence de l'eau). Quelles en sont les raisons ?
Classement des rivières de 2013
Le classement des rivières à fin de continuité écologique, en particulier la liste 2 qui impose des mises en conformité sur un court délai (5 ans), concerne un linéaire nettement plus important en bassins Loire et Seine qu'en bassin Rhône. On dira que cela tient à la présence du bassin atlantique, pool de migrateurs plus conséquent que la Méditerranée. C'est inexact. Par exemple sur la tête de bassin séquanien, des centaines de kilomètres de linéaire ont été classés L2 malgré l'absence d'enjeux amphihalins (hors l'anguille qui pose peu de problème de migration sur la majeure partie de ces rivières, sauf celles fragmentées par de grands barrages). Il n'en pas été de même sur la tête du bassin rhodanien, dans la même région Bourgogne-Franche Comté.
La conséquence est évidente : moins d'ouvrages classés, c'est moins d'urgence et de pression, plus de moyens humains et financiers pour analyser chaque cas, plus de prudence et de progressivité dans la mise en oeuvre des améliorations sur ce compartiment. Autre conséquence de ce différentiel entre bassins: la politique de l'eau est peu lisible, des cours d'eau très similaires en position sur le réseau, en fragmentation par des moulins et autres ouvrages, en peuplements piscicoles sont tantôt classés tantôt non classés.
Dans le domaine technique et scientifique qu'est l'écologie des milieux aquatiques, il ne devrait pas y avoir une vérité d'un côté de la ligne de partage des eaux et une autre au-delà. On a donc un certain arbitraire administratif dans la désignation des masses d'eau d'intérêt pour la continuité écologique. Certaines Agences se sont "fait plaisir" en classant un grand nombre de rivières en 2012-2013, au point que ce classement est devenu ingérable dans le court délai de 5 ans (environ 10% seulement des ouvrages traités en Loire-Bretagne et Seine-Normandie, à un an seulement de l'échéance réglementaire). L'Agence de l'eau RMC a été plus réaliste de ce point de vue.
Gestion de la continuité écologique longitudinale dans la programmation de bassin
La lecture du dernier SDAGE 2016-2021 de l'AERMC est instructive : la continuité longitudinale (dispositions 6A-05 et suivante) y est bien sûr présente, mais modulée plus intelligemment qu'ailleurs.
Le texte sur la mise en conformité précise ainsi : "Aucune solution technique, qu’il s’agisse de dérasement, d’arasement, d’équipement ou de gestion de l’ouvrage, ne doit être écartée a priori. La question de l’effacement constitue une priorité dans les cas d’ouvrages n’ayant plus de fonction ou d’usage, ou lorsque l’absence d’entretien conduit à constater légalement l’abandon de l’usage." Certes, et nous le regrettons, l'effacement reste de première intention dans le cas flou des ouvrages sans "fonction" ou "usage". Mais il est clairement rappelé au préalable qu'on ne peut écarter les autres solutions. Au demeurant, on lit plus loin dans le même texte que le "patrimoine bâti et vernaculaire" doit être pris en considération dans les analyses coût-avantage des programmes de continuité des SAGE.
L'Agence de l'eau RMC évite aussi l'emploi des instruments trop grossiers comme les taux d'étagement, valorisés en LB et SN malgré leur base scientifique à peu près inexistante (voir en détail comment ces mesures sont décidées de façon arbitraire en commission) et leur inadaptation à un diagnostic fin des impacts réels de la fragmentation (voir par exemple Fuller et al 2015).
Cette gouvernance plus ouverte et moins dogmatique qu'ailleurs a été vérifiée en tête de bassin dans les échanges avec les services instructeurs de l'AERMC et dans les choix proposés sur certaines rivières classées L2. Nous ne sommes pas dans la logique du financement quasi-exclusif de l'effacement pratiquée ailleurs (le financement des solutions de franchissement étant dans les autres bassins pour l'essentiel limité aux usines hydro-électriques injectant sur le réseau ou aux ouvrages structurant de type navigation, fourniture d'eau potable, irrigation, soit au final très peu d'ouvrages).
Mise à disposition des informations, rigueur du volet connaissance
Enfin, la dernière différence que nous percevons concerne la politique de l'information. Toutes les Agences de l'eau souffrent d'un problème dans l'acquisition des connaissances sur chaque masse d'eau, le relevé de tous les indicateurs exigibles par la DCE 2000, la dispersion des données chez un grand nombre d'acteurs, leur bancarisation et leur intercalibrage assez aléatoires.
Un autre problème récurrent est la mise à disposition au public des jeux complets et historiques de ces données sur chaque masse d'eau du territoire. Néanmoins, l'Agence de l'eau RMC se différencie par un souci réel de publication du maximum d'informations par des interfaces relativement simples à utiliser (voir ce site et par exemple cette interface de recherche).
Autre point de différenciation : le conseil scientifique de l'Agence de l'eau RMC est plus étoffé que celui de ses consoeurs (à date l'Agence de l'eau Loire-Bretagne n'en a même pas... alors qu'elle est un mauvais élève en atteinte des objectifs de qualité, voir ici et ici), ce conseil publie plus régulièrement des avis.
Conclusion
Depuis le vote de la loi sur l'eau de 2006 et de la loi de Grenelle de 2009, des dérives administratives d'interprétation ont mené à un conflit ouvert entre l'administration et les propriétaires d'ouvrages hydrauliques. La raison en est la volonté affichée de privilégier la destruction pure et simple des seuils, barrages et digues. Les Agences de l'eau qui ont retranscrit le plus fidèlement cette approche brutale et dogmatique (Seine-Normandie, Loire-Bretagne) sont celles qui rencontrent le plus d'opposition sur le terrain – un point qui nous a été confirmé récemment dans nos discussions avec les inspecteurs du CGEDD. Le contre-exemple relativement pacifié du bassin Rhône-Méditerranée-Corse montre que ce n'est pas une fatalité : si nous sommes encore loin des bonnes pratiques de routine en diagnostic écologique de rivière, au moins n'observe-t-on pas de précipitation à classer des milliers de seuils et barrages au titre de la continuité écologique pour financer leur destruction à la chaîne. Si l'on veut réellement améliorer la gouvernance des ouvrages, il vaudrait mieux suivre les bons exemples que les mauvais…
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