C’est un endroit très particulier sur le Canal de Bourgogne que cette Vallée de Marigny. Cette trouée à travers le Haut Auxois, drainée par le ru de la Lochére, est empruntée par le canal pour passer de la vallée de la Brenne à celle de l’Armançon.
Ce passage a été retenu par les constructeurs du canal (1832) pour éviter les étroits méandres de l’Armançon au niveau de Semur.
Il faut noter que la ligne de chemin de fer de Maison-Dieu aux Laumes-Alésia, a choisi en 1876 ce même passage, pour sa moindre déclivité (ligne aujourd’hui animée par l’ACTA).
La particularité du canal à cet endroit est qu’il s'élève de 100 m sur moins de 14 km, et donc comporte une densité particulièrement forte d’écluses, de la 55Y “Venarey” (alt 240m) à la 16Y “Charigny” (alt 340 m). Dans le milieu des canaux, on parle d’ ”échelles”, et ici plus particulièrement des échelles de Pouillenay et de Marigny.
Cette prouesse technique, galère pour les mariniers et les exploitants du canal, est un régal pour les promeneurs à pied ou à vélo. Avec la concentration de maisons éclusières et d’écluses, l’aspect tortueux du canal qui épouse le terrain naturel, la succession de miroirs d’eau dans lequel se reflètent des centaines de peupliers, il se dégage de cet endroit une ambiance particulière, très agréable, apaisante et unique.
Or cet endroit semble un peu délaissé. Lors de ma dernière balade, j’ai pu voir des signes d’abandon manifeste : maisons ouvertes, portes et volets battants au vent, carreaux brisés, de nombreux arbres malades ou cassés, gisant dans le talus.
Même si on note un bon état général du canal en lui-même (berges, bajoyers), et même des toits récemment refaits, mais quand on y réfléchit un peu, on trouve tout un faisceau d’éléments qui font craindre une fermeture prochaine :
- Le plus “à la mode” est celui du réchauffement climatique. L'université de Bourgogne a montré à travers une étude nommée "Hyccare" qu’il n'y aura plus assez d'eau de surface pour alimenter le canal en 2040. C’est “demain”, quand il s’agit de penser à l’avenir du territoire.
- Les coûts d'exploitation et de maintenance élevés (à cause des 40 écluses et la voûte de Pouilly)
- Ce dernier point est d’autant plus fort ici quand on le rapporte à la faible fréquentation du secteur (à cause du handicap à la navigation que constituent les 40 écluses et la voûte de Pouilly).
- Les fuites d’eau importantes dans cette partie du canal, car il est ici souvent construit en remblai. On limite ce phénomène par un abaissement du niveau d’eau, mais cela réduit d’autant le mouillage.
- La forte soif du Grand Dijon et de ses 250 000 habitants (plus de la moitié des électeurs du 21!). Les grands opérateurs de la distribution d’eau potable lorgnent tous vers les réservoirs du canal, représentant des millions de m3 d’eau presque potable et qui grâce au canal, arrivent au cœur de Dijon.
- La baisse, lente mais continue depuis les années 2000, de la fréquentation fluviale des canaux bourguignons
- Le désengagement de VNF national (Béthunes) pour ces “petits” canaux. Rappelez-vous qu’en 2011, VNF a voulu les céder à la Région Bourgogne, en vain.
- La définition au sein de VNF régional (la DTCB) d’un axe à “vocations multiples”, sur lequel sera développé le fret : L’axe Saône-Seine, par le canal de Centre, le Latéral à la Loire, le canal de Briare et le canal du Loing. les travaux de dragage d’entretien par exemple sont réalisés “en priorité” sur l’axe Saône-Seine. Le canal de Bourgogne, classé dans les canaux à vocation touristique, souffre d’un envasement important.
- La pression “écolo” pour le retour à l’état naturel des cours d’eau, et donc, à terme, l’effacement des barrages qui alimentent le canal sur ses parties basses.
- L'alimentation déjà perfectible du canal de Bourgogne, encore réduite par la mise aux normes européennes (pour crues quinquamillénaires) des barrages réservoirs.
A noter que depuis quelques mois, VNF ne renouvelle plus les baux d’occupation des maisons éclusières (sous prétexte de raccordements VRD, alors que des gens y vivent depuis près de 200 ans).
Que se trame-t-il ? Quelle histoire est elle en train de s’écrire ici, sous nos yeux ?
La fin de la navigation sonnera la fin de l’entretien des écluses (les bajoyers, les abords et tout le patrimoine bâti). Il ne faut pas oublier que ces échelles sont artificielles, donc particulièrement fragiles et que sans un entretien régulier, la nature reprendra vite ses droits. Après le départ des agents du canal, les pêcheurs suivront. Le manque du renouvellement de l’eau étant peu favorable au milieu halieutique.
Dommage car le territoire est déjà peu fréquenté. On dénombre juste un peu plus de 1 000 habitants dans l’ensemble des villages qui bordent ce petit paradis, ces 40 km de ruralité fragile.
Tout cela n'empêchera pas le passage des vélos, certes, mais pour quel plaisir ? Le spectacle risque de perdre grandement de sa magie : une vague tranchée reconquise par la végétation où subsistent quelques flaques, des portes d’écluses qui tombent, des maisons éclusières vandalisées, des peupliers squelettiques, et plus personne, plus de vie.
Et même si cette vallée de Marigny ne représente que 14 km sur les 242 km du canal, sa disparition serait catastrophique pour tout le canal de Bourgogne, qui dans un premier temps se résumerait en 2 bouts de canaux borgnes.
Cet endroit aura perdu tout son charme, son âme, et l'Auxois une chance de maintenir une activité économique, et sa population.
Il y a urgence à inventer une (ou plusieurs) raison(s) de venir ici.
Textes et photographies: L Richoux, Association Autour du Canal de Bourgogne
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire