24/12/2016

Sur les "grands tueurs" de la biodiversité (Maxwell et al 2016)

Quatre chercheurs ont utilisé la liste rouge des espèces menacées (IUCN) pour quantifier l'importance relative des menaces pesant aujourd'hui sur la biodiversité, à l'échelle planétaire. Les menaces traditionnelles (surexploitation, agriculture, urbanisation, invasion, pollution) arrivent très largement en tête, et les scientifiques suggèrent que l'on adresse ces impacts dominants au lieu de mettre en avant des phénomènes plus périphériques. Alors que la création de l'Agence française de la biodiversité le 1er janvier 2017 vient d'être officialisée, il faut souhaiter que les mesures environnementales de notre pays soient fondées sur des diagnostics scientifiques sérieux et partagés par la communauté des chercheurs, et non sur la capacité des lobbies à dissimuler ou au contraire exagérer des menaces, ni sur des stratégies d'établissements administratifs à la programmation peu rigoureuse. Dans le domaine de l'eau, on en est encore loin...

Observant que la couverture médiatique de la biodiversité est souvent centrée sur certaines menaces (comme le réchauffement climatique), Sean L. Maxwell, Richard A. Fuller, Thomas M. Brooks et James E. M. Watson ont analysé la nature des pressions qui pèsent sur plus de 8000 espèces menacées de la liste rouge de l'IUCN, récemment mise à jour.

Leur résultat se retrouve dans ce tableau suivant:


Maxwell et al 2016, droit de courte citation. On observe au passage que les grands barrages sont une cause réelle mais mineure d'altération de la biodiversité, quand on rapporte à l'ensemble des pressions. 

Par ordre décroissant, les menaces sont:
  • la surexploitation (6241 espèces menacées)
  • l'agriculture (5407)
  • le développement urbain (3014)
  • les invasions et maladies (2298)
  • la pollution (1901)
  • les modifications des écosystèmes (1865)
  • le changement climatique (1688)
  • les perturbations humaines directes (1223)
  • le transport (1219)
  • la production d'énergie (913)
Les chercheurs font observer trois limitations :
  • les espèces les plus étudiées par les biologistes et écologues ne sont pas forcément les plus nombreuses, il y a un biais de sélection,
  • les pressions tendent à s'accumuler et interagir (80% des espèces sont sous plusieurs contraintes),
  • l'équilibre des pressions va certainement changer dans les décennies à venir (en lien au climat notamment).
Mais selon eux, ces réserves ne doivent pas masquer le message principal. Concernant notamment le cumul des impacts, argument souvent avancé pour ne pas hiérarchiser les actions publiques, ils font observer: "en attendant qu'une meilleure compréhension soit atteinte sur la manière dont des menaces agissent de manière additive, synergique ou antagoniste, un choix pragmatique d'action est de limiter les impacts qui affectent aujourd'hui le plus grand nombre d'espèces".

Commentaire
Ce bilan est fait à l'échelle mondiale et, comme tel, il n'est pas applicable à la France ou à telle ou telle de ses écorégions. Il faut rappeler que les premières menaces sur la biodiversité planétaire concernent aujourd'hui les pays en développement ou récemment développés, parce qu'ils ont les réservoirs d'espèces le plus importants et parce que leur modernisation réplique en peu de temps ce que nous avons connu en Europe en quelques siècles. Inversement, les pays anciennement industrialisés et densément occupés (comme l'Europe) sont déjà très largement anthropisés, avec des peuplements et des habitats durablement modifiés.

Il n'empêche que la France a aussi des enjeux de biodiversité, et le Ministère de l'Environnement vient à ce sujet d'officialiser la création de l'Agence française de la biodiversité. Qui commence sur un mauvais départ : une partie seulement des établissements publics concernés, dont l'Onema, ont été rassemblés, cela pour des raisons de lobbying interne à l'administration, sans aucun rapport avec l'intérêt de la biodiversité.

Sur les ondes de France Inter (23/12/2016), on a pu entendre l'astrophysicien Huvert Reeves (président d'honneur de cette Agence française de la biodiversité) affirmer que "les êtres humains ont tué à peu près la moitié des espèces vivantes" au cours des dernières décennies. En fait, le dernier rapport IUCN dit que les vertébrés (et non les espèces en général) ont perdu la moitié de leurs effectifs (et non pas été éteints) en 50 ans. C'est déjà beaucoup, mais cela n'a rien à voir.

Anecdote? Certainement, mais elle ne soulève aucune objection critique de la part des médias ou des décideurs, elle est répliquée de manière moutonnière sur les réseaux sociaux, et elle est révélatrice d'un état d'esprit que nous déplorons: croire que l'écologie peut encore se permettre d'avancer par des approximations (immanquablement généreuses et immanquablement alarmistes), des annonces médiatiques et des choix dictés par le copinage en lieu et place du travail rigoureux que l'on attend dans n'importe quelle autre politique publique concernant un thème dont l'exploration relève, avant toute chose, de l'examen scientifique.

Observer, comprendre, prioriser, agir : c'est la séquence normale d'une action fondée sur l'évaluation rationnelle des besoins quand les moyens sont limités. Notre analyse plus détaillée des politiques publiques des milieux aquatiques montre que nous n'agissons pas vraiment ainsi: on intervient aujourd'hui sur les rivières de notre pays sans diagnostic de biodiversité (ou limité à une infime partie du vivant en lien à l'intérêt particulier de certains usagers), sans modèle pression-impact pour hiérarchiser les enjeux de chaque bassin, sans analyse des services rendus par les écosystèmes pour conjuguer bénéfices environnementaux et sociaux, etc (voir cet article détaillé). Donc avant même de proposer des mesures et de commencer la concertation, on manque déjà d'une compréhension de base des phénomènes à propos desquels il faut débattre et agir. Ce n'est pas durable, car ce n'est pas ainsi que les problèmes environnementaux seront correctement traités ni qu'une culture écologique sérieuse sera diffusée dans la société.

Référence
Maxwell SL et al (2016), Biodiversity: The ravages of guns, nets and bulldozers, Nature, 536, 143–145

A lire en complément
La biodiversité, la rivière et ses ouvrages


Ci-dessus : destruction d'un seuil de moulin ancien (Saint-Nicolas, Tonnerre) par le SMBVA à l'automne 2016. Une illustration de la bêtise ambiante en matière environnementale et dans la politique de l'eau. On décide de chantiers éparpillés par opportunités politiciennes ou jeux de lobbies, sans explication ni hiérarchisation des pressions sur le bassin, sans analyse approfondie de l'hydrosystème, sans connaissance des trajectoires environnementales locales, sans gain avancé ni mesuré de biodiversité, sans comparaison scientifiquement valide avant-après en populations cibles, sans étude des éventuels services rendus par les écosystèmes restaurés et, dans le domaine concerné de la continuité, sans modèle de connectivité ni projet solvable d'intervention sur d'autres fragmentations plus importantes de la rivière. Si l'objectif est de décrédibiliser l'écologie dans l'opinion, il faut certainement persister dans cette voie aberrante...

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