Par le vote ce jour du Sénat après celui de l'Assemblée nationale la semaine passée, le parlement vient d'adopter le projet de loi ratifiant les ordonnances du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables. Au sein de ce texte de loi, un article (3bis) sur les moulins a été ajouté par le Sénat, puis validé en Commission mixte paritaire avec l'Assemblée nationale. En voici la rédaction.
Après l’article L. 214-18 du code de l’environnement, il est inséré un article L. 214-18-1 ainsi rédigé:Pour ceux qui ne seraient pas encore familiers de ces questions, lire au préalable cet article détaillant très précisément ce que dit (et ne dit pas) la loi sur la continuité écologique en rivière classée liste 2 (article L 214-17 CE).
« Art. L. 214-18-1. – Les moulins à eau équipés par leurs propriétaires, par des tiers délégués ou par des collectivités territoriales pour produire de l’électricité, régulièrement installés sur les cours d’eau, parties de cours d’eau ou canaux mentionnés au 2° du I de l’article L. 214-17, ne sont pas soumis aux règles définies par l’autorité administrative mentionnées au même 2°. Le présent article ne s’applique qu’aux moulins existant à la date de publication de la loi n° X du JJ/MM/AA ratifiant les ordonnances n° 2016-1019 du 27 juillet 2016 relative à l’autoconsommation d’électricité et n° 2016-1059 du 3 août 2016 relative à la production d’électricité à partir d’énergies renouvelables et visant à adapter certaines dispositions relatives aux réseaux d’électricité et de gaz et aux énergies renouvelables. »
Que signifie ce texte ?
Un moulin équipé pour produire de l'électricité en rivière classée liste 2 n'est plus soumis à l'obligation "d'assurer le transport suffisant des sédiments et la circulation des poissons migrateurs" telle que le prévoyait initialement le classement au titre de l'article L 214-17 CE. En d'autres termes, l'administration n'est plus fondée à exiger arasement, dérasement, passe à poissons, rivière de contournement ou autres dispositifs de franchissement.
Quelles sont les interprétations à préciser ?
Le cas des listes 1 et listes 2. Beaucoup de rivières sont classées à la fois en liste 1 et en liste 2. La rédaction du texte laisse entendre que les obligations résultant du 2° du I de l’article L. 214-17 CE sont effacées, sans que les obligations résultant du 1° disparaissent. Mais le classement en liste 1 n'impose pas d'équiper les ouvrage existants, seulement les nouveaux ouvrages. Il en résulte, selon l'interprétation que nous soumettrons aux préfectures, que les ouvrages en rivière L1-L2 comme les ouvrages en rivière L2 ne sont plus concernés par les obligations de continuité s'ils produisent.
Le cas des moulins en projet d'équipement. Le texte parle des moulins équipés pour produire, sans préciser s'il s'agit d'un équipement déjà en place ou d'un projet d'équipement. Dans les discussions entourant le projet de loi à l'Assemblée, au Sénat et en commission mixte paritaire, il apparaît clairement que les parlementaires ont souhaité protéger l'ensemble des moulins en liste 2. Nous en déduisons qu'un moulin installé en liste 2 et présentant un projet de relance hydro-électrique (art R 214-18-1 CE) sera fondé dans le même temps à faire valoir l'exemption de continuité écologique du nouvel article L214-18-1.
Le cas des moulins utilisant l'énergie mécanique. Seule l'électricité est signalée comme vecteur d'énergie, alors que certains moulins utilisent encore la force mécanique pour produire (farine, huile, etc.). Par extension nous considérerons que cet usage énergétique traditionnel et renouvelable entre aussi dans le périmètre de la loi.
Le cas des ouvrages anciens de production n'étant pas des moulins. Le "moulin à eau" n'a pas de définition légale ni règlementaire en France. On peut supposer que la loi vise les ouvrages autorisés (fondés en titre ou réglementés), ce qui peut inclure par exemple des forges d'Ancien Régime ou de petites usines hydro-électriques du XIXe siècle.
Sur l'ensemble de ces précisions nécessaires, nous serons particulièrement vigilants car la Direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'Environnement est experte pour vider certaines lois de leur substance ou au contraire pour les surtransposer, avec des interprétations systématiquement nuisibles aux moulins depuis plus de 10 ans. Les circulaires ou décrets d'application de cette loi devront être examinés de très près.
Que doit faire un moulin producteur / en projet de production en liste 2 ?
Il peut signifier par courrier recommandé à la DDT(-M) que cette nouvelle loi l'exonère des obligations liées au classement de continuité écologique. Cette précision évitera à l'administration de relancer le maître d'ouvrage sur le dossier d'aménagement à déposer dans le délai de 5 ans initialement prévu par la loi (voir cet article important pour être en règle).
Notre association est bien entendu à disposition de tous ses adhérents pour les aider à monter un projet hydro-électrique en autoconsommation, un choix que nous soutenons depuis notre naissance et qui correspond à la destination historique des ouvrages hydrauliques.
Quels sont les problèmes de cette nouvelle disposition ?
L'essentiel n'est pas toujours traité, on recule les évolutions nécessaires. Les moulins producteurs représentent aujourd'hui de l'ordre de 5% des ouvrages en rivières classées. La nouvelle loi va éventuellement inciter à équiper, mais tous les maîtres d'ouvrage n'y sont pas disposés. Au-delà, la continuité écologique a comme principaux problèmes: insolvabilité des solutions de franchissement par coût exorbitant des travaux et défaillance des financeurs publics ; défaut de justification claire du classement dans beaucoup de tronçons sans grands migrateurs ni problèmes sédimentaires avérés ; problème de gouvernance avec exclusion des moulins et riverains de nombreuses instances de concertation ou programmation (comités de pilotage des contrats rivières, commissions locales de l'eau des syndicats, comités de bassin des Agences). La résolution de ces problèmes de fond est à nouveau repoussée.
Le choix d'exemption de tout aménagement est discutable, les usages autres que l'énergie sont ignorés, la confusion devient totale. La loi exonère les moulins producteurs de toute obligation de continuité. Notons d'abord que cette disposition n'a guère de sens au plan biologique ou morphologique: ce n'est pas parce qu'un moulin produit que son ouvrage n'a pas d'impact sur la continuité telle que la définit l'article L 214-17 CE. On ne comprend donc pas bien pourquoi un usage (énergie) exonère de continuité alors que d'autres (irrigation, agrément, pisciculture, etc.) ne sont pas dans ce cas. Il s'ensuit une inégalité manifeste des maîtres d'ouvrage de la même rivière devant la continuité écologique, certains étant obligés à des travaux et d'autres non, comme déjà aujourd'hui certains travaux sont financés publiquement et d'autres non. Au final, quel est le sens de la continuité écologique si les discontinuités persistent un peu partout? On avait déjà de nombreux grands barrages qui avaient échappé au classement par un découpage administratif manquant autant d'honnêteté intellectuelle que de réalisme écologique. On a maintenant des moulins producteurs qui n'aménageront pas. Les moulins non-producteurs, qui ont parfois beaucoup investi pour restaurer les sites sans pour autant y remettre une génératrice, ne l'entendront probablement pas de cette oreille.
Et pour la suite ? Vers une refonte complète de la continuité
Délai de 5 ans, protection explicite du patrimoine hydraulique (et du stockage) dans le cadre de la gestion durable et équilibrée de l'eau, exemption des moulins producteurs… la continuité écologique a déjà connu quatre évolutions législatives en l'espace 8 mois (lois patrimoine en juillet 2016, biodiversité en août 2016, montagne en décembre 2016, autoconsommation en février 2017).
Cette instabilité est le reflet des nombreux problèmes soulevés depuis 2006 par la mise en oeuvre de cette réforme mal concertée et mal préparée : les parlementaires ont conscience de ces troubles nés de la destruction des ouvrages, du harcèlement des propriétaires et du mépris des riverains. Ils cherchent des solutions.
Mais les petites retouches n'améliorent pas les réformes mal conçues au départ, elles ne font que les rendre encore plus complexes et encore moins efficaces.
La continuité écologique a besoin d'une redéfinition complète de son périmètre, de sa gouvernance, de son financement et de sa méthode (voir quelques idées ici). Nous avons du travail pour informer les parlementaires de ces réalités et parvenir enfin à des solutions partagées par tous les acteurs. A tout le moins les acteurs qui ne défendent pas les positions intégristes (et désormais clairement déconsidérées) de destruction préférentielle du patrimoine hydraulique français.
Illustration : moulin producteur (autoconsommation) à Genay, sur une rivière classée en liste 2 (Armançon). L'ouvrage répartiteur ne sera plus soumis à l'obligation de continuité écologique. Ses voisins non-producteurs à l'amont et à l'aval ne vont pas manquer de demander : et pourquoi nous? D'autant que la rivière comporte un barrage VNF de 20 m de hauteur n'ayant déjà pas d'obligation de classement, ce qui rend assez absurde la prétention à faire circuler les migrateurs ou à gérer correctement la charge sédimentaire en traitant des petits ouvrages à très faible impact, voire impacts positifs (2e catégorie piscicole, rivière à cyprinidés qui bénéficient à certaines saisons des retenues).
Effectivement encore une évolution sans queue ni tête...
RépondreSupprimerLa complexification de la continuité écologique continu.
Sur des cours d'eau ou les espèces migratoires sont bien présentes, ou les frayères sont clairement localisées,les enjeux avérés,on arrête tout parce qu'un moulin fait de l'électricité? Comment ruiner les effort entrepris depuis plusieurs années pour restaurer la continuité sur des secteurs ou l'enjeu espèces migratoire est bien avéré. Quelle tristesse... LA défintion de secteurs prioritaires en fonction d'enjeu migration ou transport sédimentaire doit être plus poussé, et les spécificités locales de certains ouvrages enjeu patrimoniale notamment plus pris en compte dans cette politique d'aménagement.
Les rivières et les hommes ont de tous temps cohabité, il serait bon que cela dure... Dans une grande partie des cas, une bonne gestion des ouvrages suffit à réduire l'impact des retenues notament en période sensible (étiage). Dans le sud de la France,bon nombre de petits ouvrages, ne turbinent plus et les vannes sont levées durant cette période. JE pense sincèrement qu'une gestion dans ce sens en respectant les besoins du milieu lors des périodes vulnérables peut suffir dans 80% des cas. L'homme doit respecter l'environnement dans lequel il vit, cela ne signifie en rien qu'il ne peut intervenir sur les milieux mais simplement s'adapter au mieux.
Pourriez vous de temps en temps, nous montrer l'évolution de certains sites aménagés ou effacés afin que nous puissions nous faire une ide plus précise de ce qu'il advient d'un site une fois celui ci détruit?
Je vous remercie par avance
Oui, nous partageons certaines de vos observations.
RépondreSupprimerIl manque déjà (au moins chez nous) ce que nous demandons aux syndicats et parcs, présenter un dossier complet de diagnostic écologique de la rivière et, quand on en vient à la continuité, exposer la nature des enjeux identifiés et préciser les gains potentiels. Sur une rivière classée L2 de la source à la confluence, on peut peut-être obtenir des gains en productivité et connectivité en concentrant moyens humains et financiers sur 30% des ouvrages, au lieu de vouloir en changer 100% en gestion oue en profil. Mais la loi est ainsi faite que ce cas par cas n'est pas autorisé (et la psychologie humaine ainsi faite que cela reste difficile à exposer aux gens, attachés à l'égalité de traitement).
Les solutions les plus simples restent a priori les plus efficaces. Côté effacement, no comment, s'y a des ouvrages sans intérêt, un consensus sans exercer de contrainte / menace, pourquoi pas. Côté gestion ou aménagement, il faut entendre nationalement les représentants des MO (sinon cela ne marchera pas) et valider une typologie des choix généralisables avec certains motifs d'alerte sur les points chauds de la concertation, puis localement entendre les MO et voir leurs attentes / dispositions. Il y a ce qui est bon / efficace pour les espèces / milieux, ce qui est faisable en gestion quotidienne du site, ce qui nuit / ne nuit pas aux fondations et berges, ce qui ne contredit pas l'usage (une personne qui a racheté et retapé un moulin pour son agrément, si vous lui vider complètement le bief en été, pas sûr qu'elle soit OK!), ce qui est abordable en coût (avec quand même une interrogation sur certains montants assez exorbitants qu'on voit passer pour des blocs de béton ou des poses de plots ou tranchée de 80 m…).
"Pourriez vous de temps en temps, nous montrer l'évolution de certains sites aménagés ou effacés afin que nous puissions nous faire une ide plus précise de ce qu'il advient d'un site une fois celui ci détruit?"
Le temps nous manque déjà pour faire des vidéos présentant les moulins de nos adhérents, ce qui est dans les cartons. Si cela se calme, on aura enfin plus de disponibilité pour la valorisation. Mais surtout ce que vous demandez est quand même le travail du gestionnaire et de l'administration (AFB), pas le nôtre. Au demeurant allez sur YouTube ou DailyMotion, il y a pas mal de vidéo déposées. Cependant et comme vous le savez, le "visible" est éventuellement trompeur en écologie. Vous pouvez avoir un petit ruisseau renaturé qui serpente dans son eau vive, s'il a très peu gagné en population et biodiversité par rapport à l'état antérieur, ce sera un échec biologique (au moins à court terme, dans 20 ou 50 ans on ne sait pas). Eventuellement ce sera une réussite paysagère, mais la continuité n'a jamais été portée par cette dimension-là (à tort, les riverains sont plus sensibles à des chantiers qui leur apportent des choses en plus des milieux qu'à des chantiers uniquement dédiés au vivant… et parfois même un peu agressif envers Homo sapiens !).
Depuis une dizaine d’années, des acteurs très divers,
RépondreSupprimerélus, syndicats de rivières, services de l’Etat, Agences de l’eau, propriétaires d’ouvrages, Agence
Française de la Biodiversité, entreprises, pêcheurs, ONG mettent en œuvre, la plupart des cas dans
un climat de concertation réussi, des opérations de restauration de la continuité écologique afin de
retrouver des rivières de qualité. Ces opérations permettent de créer de la valeur, de l’attractivité,
du lien, de l’activité économique sur les territoires. Elles ne visent en aucun cas à enlever, de
manière arbitraire, régalienne, tous les moulins de notre pays, dont certains constituent un
patrimoine remarquable. Lorsque des travaux sont engagés, travaux qui ne passent pas forcément
par l’arasement des ouvrages, ils procèdent donc d’une analyse juridique, écologique, sociale,
économique approfondie des enjeux sur les territoires, avec tous les acteurs concernés. Ils relèvent
bien d’un intérêt général, à l’échelle d’un bassin versant, croisant enjeux de restauration de la
biodiversité, en particulier des poissons migrateurs et enjeux d’augmentation de la production
d’électricité renouvelable, dont l’hydroélectricité. Le cadre de ces réflexions montre souvent que le
maintien ou la création de petites unités de production électrique permettant de justifier le maintien
de certains seuils, ne présente pas beaucoup d’intérêts au regard de la mise en place de la Loi de
Transition Energétique votée par le Parlement le 15 août 2015. Enfin, cet article créé une rupture
d’égalité des citoyens devant la loi, en exonérant sans aucune justification technique ou écologique
des propriétaires de moulins d’obligations de réduction d’impact sur l’environnement auxquelles
demeurent soumis les autres propriétaires de seuils en rivière de même type et ayant le même type
d’impact, mais liés à un usage d’irrigation, de pisciculture ou d’activités touristique par exemple...
Bizarre bizarre, les bilans des SDAGE disaient le contraire et faisaient état de difficultés dans la mise en oeuvre de la continuité, comme au demeurant pas mal de documents administratifs. On verra de toute façon le contenu du rapport d'audit du CGEDD, instance a priori plus objective que les acteur concernés. Peut-être que les inspecteurs ont constaté l'absence du moindre problème dans leur mission, qui sait?
SupprimerMais vous avez raison, il y a inégalité des ouvrages devant la loi. Ce qui rend nécessaire l'étape suivante, passer d'un régime obligatoire à un régime optionnel pour tout le monde. Les Agences de l'eau font alors des appels à projets de continuité ciblés sur les rivières d'intérêt, et comme à vous lire tout le monde est ravi de la valeur créée par ces chantiers, il n'y aura pas de problème majeur pour avancer ainsi.