Les récentes réformes apportées à la continuité écologique déplaisent à SOS Loire vivante comme au réseau clonal des pêcheurs à la mouche en colère qui gravite autour de cette structure. On se demande s'il est encore possible de trouver dans le mouvement environnementaliste des interlocuteurs disposés à un minimum de recul et d'autocritique, pour avancer sur ce thème de la continuité sans adopter des langues de bois et des postures stériles qui ont d'ores et déjà mené à l'échec. Mais après tout, chacun est libre de ses opinions. Le plus inquiétant pour la légitimité des politiques publiques reste la porosité d'une partie de l'administration française à ce discours maximaliste, alors que la loi n'a jamais promu l'effacement du patrimoine hydraulique et que le législateur vient encore de repréciser sans aucune ambiguïté sa réprobation de cette issue.
La déjà vénérable association SOS Loire Vivante est née de l'opposition à la construction de barrages sur la Loire dans les années 1980. Une action qui n'était pas dépourvue de sens à l'époque, car les lourds aménagements du XXe siècle sur les grands axes fluviaux montraient des effets négatifs sur la biodiversité et le fonctionnement des hydrosystèmes. Autre temps, autres moeurs: en fait de lutter contre l'Etat aménageur de grands barrages, SOS Loire vivante et son réseau se mettent désormais à la remorque de l'Etat effaceur de petits moulins et empêcheur de leur relance énergétique. C'est aujourd'hui un lobby piloté par les mêmes équipes que l'European River Network, Rivières sauvages et quelques autres produits dérivés – pourquoi se priver de subventions lorsque le clonage associatif est autorisé et les troupes pas si nombreuses?
L'association se plaint ainsi dans sa lettre d'information LoireFlash du 6 mars 2017 de l'évolution récente de la loi française sur le thème de la continuité écologique. Il est écrit dans cette publication : "Depuis plusieurs années un lobby intéressé exerce une pression contre la politique de restauration de la continuité écologique exemplaire de la France. Dernier acte: le 15 février, le Sénat a voté un projet de loi incluant un amendement abusif déposé en catimini. Il inscrit dans la loi un moratoire sur les continuités écologiques, permettant l’équipement d’un nombre important de microcentrales de petite taille sur des moulins."
Est associée à cette courte analyse une copie de la lettre aux sénateurs qui avait suscité de notre part un précédent commentaire.
On trouve une concentration d'imprécisions assez remarquable en si peu de lignes, mais il est vrai que depuis le début, la rigueur n'est pas vraiment de mise sur ce dossier. Voici donc quelques commentaires, où l'on va prendre comme d'habitude le temps d'expliquer et ré-expliquer assez précisément les choses, car nous préférons pour notre part la pédagogie et l'argumentation au simplisme et au raccourci.
"Lobby intéressé", le jeu du "c'est celui qui dit qui l'est" - Un "lobby intéressé" de la pêche (qui contresigne la lettre aux sénateurs, qui co-finance Rivières sauvages et son réseau, qui porte au premier chef la continuité dans toutes les obscures commissions administratives) et de l'écologie radicale du ré-ensauvagement se plaint qu'un "lobby intéressé" défende une autre idée de la rivière que la sienne. En fait de "lobby" (mais pourquoi pas ce terme), on parle ici d'associations ou de syndicats qui interpellent des élus pour transmettre des protestations, des objections ou des propositions. Cela s'appelle la démocratie, SOS Loire vivante fait exactement la même chose, et pareillement ses camarades de FNE, de la FNPF et autres groupes essayant d'influencer les politiques publiques en fonction de leur vision particulière de la rivière – une vision que sont très loin de partager tous les citoyens –, ainsi que de certains usages. En l'occurrence, la demande de moratoire sur la mise en oeuvre catastrophique de la continuité écologique est portée par des représentants nationaux des moulins, des riverains, des étangs, des forestiers, des agriculteurs, des micro-hydro-électriciens, des défenseurs du petit patrimoine rural, du patrimoine historique et du paysage, à quoi s'ajoutent les centaines de signataires associatifs locaux, plus divers encore. Cela fait quand même beaucoup de monde qui se plaint de l'absence de concertation et du parti-pris manifeste de l'administration française en faveur d'une approche peu partagée de la rivière, et parmi ce monde beaucoup de structures sans but lucratif. Cela sans compter les collectifs spontanés de riverains qui se lèvent un peu partout pour s'opposer aux projets de destruction planifiée de leur cadre de vie. Balayer toute cette réalité comme un "lobby intéressé", c'est infantile et cela indique le mépris dans lequel on tient la vraie concertation, celle qui doit se mener avec des gens ne partageant pas votre point de vue. Pour un mouvement né du refus social des grands projets inutiles et nuisibles imposés par l'Etat, se retrouver du côté de l'éloge des attitudes autoritaires et des manoeuvres opaques de la bureaucratie a de quoi interroger.
"Exemplaire"... pour qui au juste? - Le caractère "exemplaire" de la restauration française de continuité n'est pas la qualification qui vient à l'esprit, sauf peut-être si l'on touche des subventions publiques pour caresser la main qui nourrit. Car enfin, outre les critiques des partenaires mentionnés ci-dessus du moratoire, les politiques ont été assez unanimes à reconnaître qu'il y a des problèmes dans cette mise en oeuvre (à des degrés divers, les nombreuses déclarations de la ministre en charge de l'environnement, le rapport Pointereau, la proposition sénatoriale visant au pragmatisme et discernement récemment adoptée, le rapport Dubois-Vigier, etc.) tout comme le rapport CGEDD 2016 sur la biodiversité et, en 2012, le premier rapport du CGEDD sur ce thème de la contidnuité (audit interne à l'administration, peu suspect d'être "télécommandé"). On attend toujours le nouveau rapport du CGEDD sur la continuité, demandé par le Ministère en décembre 2015, transmis à la ministre un an plus tard, mais non rendu public pour le moment. Ces critiques sur la continuité écologique s'accompagnent des reproches faits à la France de négliger la lutte contre les pollutions, qu'ils viennent de l'OCDE ou de l'Europe (laquelle doute notamment du flou français sur l'impact réel de l'hydromorphologie), négligence où l'on voit l'effet indirect des billevesées et centaines de millions d'euros gâchés à traquer le plus petit moulin sur la plus petite rivière comme un soi-disant facteur gravissime de dégradation de l'eau. Par ailleurs, la Commission européenne ne demande nullement d'effacer les ouvrages, mais propose de les aménager dans son Blue print 2012, tout comme la Directive cadre européenne insiste avant tout sur la pollution, où la France est tout sauf "exemplaire". Bref, la folie consistant à classer 20.000 ouvrages hydrauliques à traiter de manière obligatoire en 5 ans sans même avoir le budget, le personnel et le consentement des principaux intéressés pour le faire ne rend en rien la France admirable. Au contraire, nous avons pris le contrepied de la plupart des préconisations de bonne gouvernance des projets en restauration écologique, et nous en payons le prix.
Un large consensus assumé… "en catimini" - En fait d'un "amendement abusif déposé en catimini", il y a eu avis négatif du gouvernement sur le premier amendement Chasseing déposé au Sénat, puis un travail de la commission mixte paritaire Assemblée nationale - Sénat, puis une adoption d'un texte de consensus qui a donné lieu à des commentaires par chaque groupe lors du vote. Ce travail a été parfaitement transparent. Notre association a des réserves sur ce texte, mais dire qu'il est passé en douce est totalement inexact. Et cela devrait faire réfléchir SOS Loire vivante, ses amis et ses alliés dans l'administration, puisqu'il y a eu au contraire une convergence politique transpartisane pour cesser la casse du patrimoine hydraulique et de son potentiel énergétique. Si certains préfèrent s'enfermer dans la pureté des attitudes ultraminoritaires, grand bien leur fasse. Mais qu'ils ne se plaignent pas de la régression assez logique de leur cause dans l'opinion et dans la décision politique.
Illusion de "moratoire", portée restreinte de la réforme - Ce texte n'inscrit absolument pas "un moratoire sur les continuités écologiques" dans la loi, il se contente d'exempter les moulins producteurs d'électricité en rivière de liste 2 des obligations de continuité longitudinale. Il faut noter que l'administration s'est dotée de plusieurs autres outils réglementaires pour imposer cette même continuité (article R 214-17 CE, article R 214-18-1 CE, arrêté du 11/09/2015), et pas seulement sur les rivières classées L2. C'est d'ailleurs le problème : le nouvel article L 214-18-1 CE n'adresse pas les problèmes de fond que rencontre la continuité écologique à la française. Il ne sera donc pas le dernier sur ce sujet, car nous avons besoin d'un travail constructif pour une continuité plus intelligente et plus équilibrée.
Des moulins qui avaient déjà le droit de s'équiper - Dire que ce texte permet "l’équipement d’un nombre important de microcentrales de petite taille sur des moulins" est un non-sens (sauf à suggérer que certains au sein de l'administration envisageaient froidement la continuité comme étant en fait une mesure dissuasive du ré-équipement des petites puissances, hypothèse que l'on n'ose imaginer vu la nécessaire neutralité des fonctionnaires...). Que ce soit en liste 1, en liste 2 ou ailleurs, on peut déjà équiper un moulin en hydro-électricité, pourvu que l'ouvrage dispose d'une autorisation reconnue par l'administration. Le nouvel article L 214-18-1 CE n'y change rien. Le Conseil d'Etat a d'ores et déjà annulé et condamné des excès de pouvoir de l'administration, comme le refus de principe de construire un nouvel ouvrage en liste 1 ou le refus de reconnaître la puissance réelle liée au droit d'eau des moulins. N'en déplaise à un petit groupe de structures très partiales sur ce sujet, et parfois très "intéressées" elles aussi quand leur loisir est concerné, l'hydro-électricité est une énergie reconnue par les programmations françaises et européennes relatives à la transition énergétique, dont le développement est inscrit dans la "gestion équilibre et durable" de l'eau que définit notre droit (article L 211-1 CE). Elle figure parmi les sources d'énergie qui ont le meilleur bilan carbone, donc la meilleure efficacité dans la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre. En particulier, les anciens moulins à eau visés par le nouvel article L 214-18-1 CE (retenues de petite taille avec un génie civil ancien déjà en place et évitant de couler trop de béton) offrent le bilan CO2 le plus remarquable, et devraient donc être soutenus en proportion de la qualité carbone de leur kWh.
Conclusion: la continuité dégradée par des postures extrêmes - Que certains milieux pêcheurs, loin d'être représentatifs de la totalité de la pratique de ce loisir, expriment une hargne militante en faveur de la destruction des moulins, étangs, usines hydro-électriques et autres ouvrages hydrauliques, c'est leurs oignons après tout, 97% des Français ne sont pas concernés par ce loisir, encore moins par sa déclinaison bizarrement agressive envers d'autres usages de l'eau. Que l'approche environnementaliste soit presqu'uniquement représentée par ces postures radicales sur la question de la continuité écologique, cela nous paraît en revanche un vrai problème pour la qualité du débat sur l'environnement et pour l'indispensable construction de solutions consensuelles (car il faudra bien avancer sur cette continuité). Que le ministère et les agences de l'eau aient aligné leur politique de suppression souhaitée de "90% des ouvrages inutiles" sur cette aile radicalisée et non représentative des riverains, ce n'est plus seulement un problème : c'est un scandale démocratique. Fort du soutien de la loi, nous aurons pour notre part une tolérance zéro vis-à-vis des pressions administratives tendant à persister dans la voie sans issue des destructions imposées par chantage financier et réglementaire ; et nous appelons toutes les associations de défense des ouvrages, des rivières et de riverains à adopter cette ligne claire. Ensemble, nous allons rendre l'écologie réellement exemplaire en France, en rappelant qu'elle ne peut exister sans intégrer les dimensions multiples de la rivière.
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