02/07/2017

Echantillonner les poissons avant un projet d'effacement d'ouvrage (Smith et al 2017)

La continuité écologique en France souffre d'une préparation et d'un suivi médiocres. L'ichtyodiversité des sites avant intervention est mal caractérisée et la plupart des chantiers sont menés sur la base d'un état initial défaillant, quand il existe. Une étude nord-américaine montre l'effort d'échantillonnage des poissons avant un projet d'effacement d'ouvrages hydrauliques, en 6 points de mesure autour de chaque barrage et sur 3 années. Nous appelons les gestionnaires et leur autorité de contrôle (Agence française pour la biodiversité) à respecter les bonnes pratiques exposées dans la littérature scientifique, au lieu de travaux sommaires qui visent trop souvent à justifier des décisions politiques déjà actées, sans certitude de gains écologiques significatifs. 

SCF Smith et ses collègues (Université de l'Illinois et Département des ressources naturelles du Maryland) ont étudié deux rivières fragmentées (Vermilion et North Fork Vermilion) à Danville, Ill. Les structures concernées sont classées comme barrage de basse chute (moins de 4,6 m aux Etats-Unis). Elles peuvent être complètement submergées aux crues de printemps. Ces barrages ont été désignés comme des risques pour la sécurité et doivent être démantelés.

Pour évaluer l'intérêt écologique du chantier sur les populations de poissons, les chercheurs ont procédé à un échantillonage. Ils ont choisi pour chaque barrage 6 sites de 100 ml chacun, soit 2 à l'aval du barrage, 2 dans la retenue amont et 2 dans une zone amont du remous liquide, non impactée.

Répartition des sites d'échantillonnage autour des ouvrages en projet d'effacement, art cit, droit de courte citation.

Outre la pêche électrique et la mesure standardisée de qualité (IBI, Index of biotic integrity, équivalent de l'IPR en France), les auteurs ont retenu également la vitesse d'écoulement, les paramètres de qualité de l'eau, la diversité de Simpson. Les mesures ont été faites sur 3 automnes et un printemps (de 2012 à 2015), afin d'intégrer la variabilité interannuelle des peuplements en fonction des conditions hydroclimatiques ou autres événements de la vie de la rivière.

Un total de 24247 poissons a été échantillonné, représentant 15 familles, 40 genres et 79 espèces. Le tableau ci-dessous en montre la répartition (cliquer pour agrandir).


Diversité des espèces et IBI dans chaque station représentant la diversité des habitats en place, droit de courte citation. V pour Vermilion, NF pour North Folk (les rivières), BD pour below dam, R pour river, P pour pool.

On observe que les zones aval des barrages (BD pour below dam) sont celles qui montrent la plus grande diversité d'espèces, et de meilleurs scores IBI que ceux de la rivière à l'amont de l'influence de la retenue (un résultat dont les auteurs rappellent qu'il a été retrouvé en France par Poulet 2007). Les retenues elles-mêmes (P pour pools) ont en revanche des scores plus faibles de diversité et d'indice IBI. Les auteurs procèdent également à des analyses factorielles sur les guildes fonctionnelles de poissons, que nous de détaillerons pas ici.

Discussion
La restauration de rivière est un domaine qui prend de l'ampleur depuis deux décennies en gestion des milieux naturels, ce qui est légitime compte-tenu des dégradations subies par les milieux d'eau courante. Mais les experts internationaux de la question pointent le caractère encore récent de ces expérimentations, la difficulté à prévoir leurs résultats, la nécessité de mettre au point des protocoles rigoureux de comparaison avant-après afin de faire progresser les connaissances.

La suppression de barrages en vue de rétablir la continuité longitudinale et le régime hydrologique non contraint au droit du site est l'un des outils de ces politiques de restauration. En France, malgré le choix radical et coûteux d'un traitement d'un grand nombre d'ouvrages (plus de 20.000), très peu d'effacements de barrage bénéficient d'un suivi rigoureux avant-après. Les recueils d'expérience de l'Onema montrent l'absence de protocole national standardisé dans les années 2000 et au début des années 2010, ainsi que le manque de rigueur dans l'objectivation des bénéfices écologiques (point soulevé plus largement sur la restauration chez Morandi et al 2014). Ce problème est souligné depuis plusieurs années par notre association.

Nous commençons à voir apparaître dans nos échanges avec les gestionnaires de rivières des campagnes de suivi. Mais de notre point de vue, trop de mauvaises pratiques sont encore observées dans le cas des ouvrages hydrauliques:

  • il ne sert à rien de multiplier des mesures avant-après sur plusieurs sites d'une rivière si, faute de moyens, chaque site fait l'objet d'une analyse très sommaire donc peu informative (mieux vaut concentrer des moyens sur des sites pilotes d'intérêt);
  • le suivi de la morphologie seule (vitesse, substrat, micro-habitats) dans la retenue est sans grand intérêt s'il n'est pas associé à un suivi de biodiversité. Il est évident que les habitats vont changer, l'objectif est de savoir ce qui change pour le vivant (diversité, biomasse, structure d'âge, etc.) en adaptation à l'évolution morphologique;
  • le choix de faire un seul prélèvement dans la retenue d'un barrage (cas de l'Ource) n'est pas une représentation correcte de la diversité des espèces sur la zone amont-aval et dans les annexes hydrauliques, seul moyen de vérifier s'il y a à terme un gain (autre que le changement stationnel dans la retenue) et déjà de vérifier l'intérêt des habitats en place;
  • l'échantillonnage de l'état initial ne peut se faire sur une seule année, car on observe des fortes variations interannuelles de densité et structures d'âge chez les poissons (exemple de la truite du Cousin);
  • les résultats devraient être accompagnés de marges d'erreur (tenant à la technique d'échantillonnage imparfaite, à l'extrapolation au-delà de la surface échantillonnée), ce qui est nécessaire pour analyser la significativité de l'évolution de chaque population ensuite,
  • dans le cas des poissons, l'usage de typologies trop anciennes devrait être banni (ou reléguer en annexe des études, à titre de complément), l'utilisation du score IPR+ étant préférable avec une analyse en détail de chaque composante de la construction de ce score, ce qui permet d'estimer les principaux facteurs de variation.

Enfin, le travail de Smith et al traite des poissons seulement, comme c'est souvent le cas. Mais la biodiversité des milieux aquatiques et riverains ne se limite nullement aux poissons (Balian et al 2008), de même que les espèces menacées se recrutent aussi bien chez les insectes, les amphibiens ou les oiseaux. Il est donc nécessaire de développer une approche écologique élargie des hydrosystèmes d'origine naturelle ou anthropique, afin de garantir que l'effet positif sur un assemblage d'espèces spécialisées ne s'accompagne pas d'effets négatifs sur d'autres biotopes et biocénoses. Restaurer une fonctionnalité ciblée (comme la franchissabilité des poissons migrateurs) en préservant le maximum de surface en eau peut avoir un meilleur bilan écologique qu'un objectif strict de "naturalité" de l'écoulement par effacement de sites.

Référence : Smith SCF et al (2017), Low-head dam impacts on habitat and the functional composition of fish communities, River Res. Applic. 33, 5, 1535-1467

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