Le commissaire enquêteur a donné un avis favorable avec réserves à la destruction des ouvrages de Villotte et de Prusly sur l'Ource. Cela équivaut à un avis défavorable tant que les réserves ne sont pas levées – parmi elles, le préjudice écologique de la disparition de plus de 2000 m de biefs sur les deux communes. Près de 98% des contributions à l'enquête étaient défavorables ! Fidèle à sa tradition de mépris de la concertation et de servilité aux modes bureaucratiques du moment, le Syndicat mixte Sequana entend passer outre les réserves et demande aux délégués syndicaux de voter malgré tout la destruction le 30 août prochain. Les associations Arpohc et Hydrauxois attendent que les élus écoutent la voix de leurs concitoyens: ayez le courage et la lucidité de refuser ces logiques d'apprentis-sorciers où l'on dépense sans la moindre garantie de gain pour la biodiversité et sans le moindre égard par l'avis de gens.
Madame, Monsieur,
Le SMS a pour projet la destruction des ouvrages hydrauliques de Prusly-sur-Ource et de Villotte-sur-Ource.
Ces projets sont inutiles car les ouvrages en l'état sont déjà franchissables aux géniteurs des espèces cibles, en particulier la truite fario qui est la seule espèce ayant des comportements ponctuels de migration (fraie) dans ce tronçon de rivière. On peut parfaitement laisser les ouvrages comme ils sont et demander à l'autorité préfectorale de reconnaître leur franchissabilité partielle, donc conforme à la loi.
Ces projets sont par ailleurs dangereux pour la biodiversité, car au-delà des poissons, ils vont mettre hors d'eau plus de 2000 m de biefs, pénalisant la faune et la flore qui occupent cet espace, pénalisant aussi les riverains.
Ces projets sont enfin des modes à courte vue, car en situation de réchauffement climatique, il est préférable pour chaque commune de conserver ses outils de régulation des niveaux, outils qui auront peut-être un usage renouvelé dans les années et décennies à venir (sécheresse et étiage sévère, régulation de crues, agrément de zones en eau l'été, etc).
Le commissaire enquêteur a donné un avis favorable avec réserves, ce qui signifie un avis défavorable tant que les réserves ne sont pas levées. En particulier, le commissaire enquêteur souligne le risque de préjudice écologique lié au projet de disparition des biefs en eau.
Ce projet est massivement rejeté par la population :
- la commune de Villotte a donné un avis défavorable,
- la commune de Prusly a demandé plus d'information vu les avis défavorables de ses habitants,
- sur 87 contributions, 85 sont défavorables soit près de 98% !
Les communes et leurs syndicats ont-ils vocation à développer des projets qui pénalisent les citoyens au lieu de leur apporter des services ? En cette période difficile, pouvez-vous valider des dépenses d'argent public dont l'intérêt n'est pas démontré mais dont les nuisances sont évidentes?
Le SMS a fait savoir qu'il entendait ignorer ces réserves et ces contestations.
Les associations Hydrauxois et Arpohc seront amenées à produire une requête en annulation et à manifester leur oppositon au chantier si le SMS poursuit dans sa volonté de destruction sans rendre les précautions nécessaires et contre l'avis des riverains.
Un vote sur la poursuite du projet aura lieu le mercredi 30 août prochain. Nous vous demandons de donner un vote négatif lors de cette délibération, afin que le syndicat n'engage pas des fonds publics dans une opération contestée et contestable.
Nous vous remercions par avance de votre écoute et de votre engagement, qui permettront de redéfinir une approche moins destructrice et plus consensuelle de la continuité écologique.
28/08/2017
23/08/2017
Dogmes de la continuité écologique: la biodiversité de l’Ource à nouveau sacrifiée à Thoires
Truites, chabots, lamproies, épinoches et divers mollusques morts en nombre, c'est le bilan macabre de la mise en oeuvre absurde du débit minimum biologique sur l'Ource. Une forte mortalité y a déjà été observée en 2015, pour les mêmes raisons. Les administrations et gestionnaires de l'eau posent comme dogme que les biefs sont forcément des milieux dégradés et inhospitaliers au vivant, que la rivière doit donc toujours avoir priorité en débit réservé estival. Mais c'est faux, de nombreuses espèces trouvent refuge dans les eaux profondes des biefs en été. Couper l'alimentation d'un canal d'amenée et de restitution conduit inexorablement à le vider, en raison des pertes et fuites inévitables dans ce type d'annexe hydraulique. Un riverain de l'Ource à Thoires a fait un reportage que nous publions ci-dessous, et il souhaite que cessent ces pratiques. Les associations Hydrauxois et Arpohc se joignent à lui et diffuseront son message au préfet comme aux élus.
[Ajout 05/09/2017 : précision du syndicat SMS, le technicien n'a pas manoeuvré les vannes de Thoires, il travaillait sur Belan à ce moment là. Le problème est celui du maître d'ouvrage en lien aux impératifs de manoeuvre exigés par l'AFB et la préfecture]
Vendredi 19 aout 2017, l'ex SICEC (Syndicat mixte Sequana), sous réserve d’une forte amende, a enjoint J.L. Troisgros, propriétaire du moulin du bas à Thoires, d’ouvrir les vannes de son bief afin de faire bénéficier le cours principal de l’Ource du «débit minimum réservé» [NDLR : débit minimum biologique désormais]. Cette notion de «débit minimum réservé» s’applique en période de sécheresse quand le débit des rivières atteint une valeur plancher déterminée par un «savant calcul» en un point donné du cours d’eau, (en l’occurrence, pour l’Ource, cette valeur plancher est obtenue du côté de Voulaines les Templiers). Les agences de l’eau recommandent, en cas de besoin, de faire bénéficier les cours d’eau principaux de la totalité du débit disponible afin d’y maintenir en vie la faune et la flore aquatiques.
La motivation de cette mesure n’est pas mauvaise en elle-même puisqu’elle permet d’assurer une meilleure qualité de vie aux poissons et autres organismes situés dans la portion de cours d’eau concernée, mais sa mise en pratique est extrêmement critiquable car elle conduit à la mort certaine tous les organismes vivant aussi bien dans le bief que dans son chenal d’évacuation.
Il faut bien prendre conscience que la vidange du bief et de la retenue d’eau située à l’amont d’un vannage ne procure une augmentation du débit de la rivière principale que le temps nécessaire à cette vidange, soit environ 24 h pour le plan d’eau et 24 h supplémentaires pour abaisser la nappe alluviale de 50 à 60 cm.
Si l’on se contentait de fermer la vanne du moulin, on obtiendrait le même résultat, au débit de fuite de la vanne près, soit au moins 95% du débit souhaité, et on éviterait une catastrophe écologique certaine en gardant un niveau d’eau appréciable dans le bief et dans le plan d’eau situé en amont du vannage. Cette disposition aurait l’avantage, en cas de trop forte montée de la température dans le bief, de permettre aux poissons de rejoindre la rivière principale.
Pour information la température relevée le 5 août au niveau du vannage principal, coté amont, était de 13,9 °C, en raison de venues d’eau fraîche (12,1 °C) de la source de Thoires dont le confluent est situé à 100m en amont du vannage.
Cette opération s’était déjà produite fin aout 2015 et avait conduit à la mort de dizaines, voire de centaines de poissons, aussi bien dans le bief principal que dans le bas bief.
Cette année, quelques pécheurs de la commune de Thoires prévenus le jour de la vidange, ont exercé une vigilance dès le lendemain matin mais c’était déjà trop tard : une bonne dizaine de truites avaient péri dans des flaques d’eau dont quelques belles truites indigènes (photos 1 et 2).
A notre grande surprise, de nombreux chabots étaient, soit déjà morts, soit en voie d’asphyxie. Nous avons pu en sauver une bonne centaine, mais on peut considérer que sur tout le linéaire concerné plus d’un millier ont péri. (photos 3 à 6).
Pour mémoire, les chabots qui vivent dans les eaux vives et fraîches sont des indicateurs d’un milieu aquatique de bonne qualité (eau et faune) et sont une espèce classée parmi les poissons vulnérables au niveau européen. La Directive européenne (Directive Faune-Flore- Habitat n° CE/92/43, Annexe 2) impose par ailleurs la protection de son habitat.
Des dizaines de lamproies ont pu également être remises à l’eau (photos 7et 8) mais un nombre au moins équivalent n’a pas survécu.
Parmi les autres organismes morts, citons quelques épinoches ainsi que des mollusques d’eau douce.
Quelques brochets ont été vus dans les poches d’eau les plus profondes ainsi que des myriades d’alevins qui, si l’eau vient encore à baisser, ne survivront pas longtemps.
Bilan de l’opération :
Notons que le bief du lavoir de Vanvey, site touristique emblématique du parc des forêts de feuillus, qui avait été asséché en 2015, ce qui avait suscité un émoi considérable parmi la population locale, ne l’a pas été cette année et nous devons nous en réjouir.
Il faut également ajouter que la retenue d’eau de Thoires est un site très prisé par les familles qui viennent s’y baigner en période de canicule, en particulier celles de Belan sur Ource, commune dont les ouvrages hydrauliques ont été détruits ces dernières années.
En conclusion il apparait que le bief de Thoires n’est pas qu’un simple chenal d’amenée d’eau au moulin comme en témoigne la diversité de vie aquatique qui s’y est réinstallée en seulement deux ans. Afin que cette situation ne se reproduise pas à l’avenir, nous souhaitons qu’une réflexion soit engagée sur ce sujet par les pouvoirs publics et qu’une autre manière d’opérer soit mise en pratique à l’avenir.
[Ajout 05/09/2017 : précision du syndicat SMS, le technicien n'a pas manoeuvré les vannes de Thoires, il travaillait sur Belan à ce moment là. Le problème est celui du maître d'ouvrage en lien aux impératifs de manoeuvre exigés par l'AFB et la préfecture]
Vendredi 19 aout 2017, l'ex SICEC (Syndicat mixte Sequana), sous réserve d’une forte amende, a enjoint J.L. Troisgros, propriétaire du moulin du bas à Thoires, d’ouvrir les vannes de son bief afin de faire bénéficier le cours principal de l’Ource du «débit minimum réservé» [NDLR : débit minimum biologique désormais]. Cette notion de «débit minimum réservé» s’applique en période de sécheresse quand le débit des rivières atteint une valeur plancher déterminée par un «savant calcul» en un point donné du cours d’eau, (en l’occurrence, pour l’Ource, cette valeur plancher est obtenue du côté de Voulaines les Templiers). Les agences de l’eau recommandent, en cas de besoin, de faire bénéficier les cours d’eau principaux de la totalité du débit disponible afin d’y maintenir en vie la faune et la flore aquatiques.
La motivation de cette mesure n’est pas mauvaise en elle-même puisqu’elle permet d’assurer une meilleure qualité de vie aux poissons et autres organismes situés dans la portion de cours d’eau concernée, mais sa mise en pratique est extrêmement critiquable car elle conduit à la mort certaine tous les organismes vivant aussi bien dans le bief que dans son chenal d’évacuation.
Il faut bien prendre conscience que la vidange du bief et de la retenue d’eau située à l’amont d’un vannage ne procure une augmentation du débit de la rivière principale que le temps nécessaire à cette vidange, soit environ 24 h pour le plan d’eau et 24 h supplémentaires pour abaisser la nappe alluviale de 50 à 60 cm.
Si l’on se contentait de fermer la vanne du moulin, on obtiendrait le même résultat, au débit de fuite de la vanne près, soit au moins 95% du débit souhaité, et on éviterait une catastrophe écologique certaine en gardant un niveau d’eau appréciable dans le bief et dans le plan d’eau situé en amont du vannage. Cette disposition aurait l’avantage, en cas de trop forte montée de la température dans le bief, de permettre aux poissons de rejoindre la rivière principale.
Pour information la température relevée le 5 août au niveau du vannage principal, coté amont, était de 13,9 °C, en raison de venues d’eau fraîche (12,1 °C) de la source de Thoires dont le confluent est situé à 100m en amont du vannage.
Cette opération s’était déjà produite fin aout 2015 et avait conduit à la mort de dizaines, voire de centaines de poissons, aussi bien dans le bief principal que dans le bas bief.
Cette année, quelques pécheurs de la commune de Thoires prévenus le jour de la vidange, ont exercé une vigilance dès le lendemain matin mais c’était déjà trop tard : une bonne dizaine de truites avaient péri dans des flaques d’eau dont quelques belles truites indigènes (photos 1 et 2).
Photo 1.Truites fario de 700 à 800 grammes Photo 2.Truite fario de 55cm
Pour mémoire, les chabots qui vivent dans les eaux vives et fraîches sont des indicateurs d’un milieu aquatique de bonne qualité (eau et faune) et sont une espèce classée parmi les poissons vulnérables au niveau européen. La Directive européenne (Directive Faune-Flore- Habitat n° CE/92/43, Annexe 2) impose par ailleurs la protection de son habitat.
Photo 3. Chabots morts Photo 4. Chabots morts dans flaque d’eau Photo 5. Chabots relâchés en eau vive Photo 6. Chabots et lamproie morts sur graviers
Parmi les autres organismes morts, citons quelques épinoches ainsi que des mollusques d’eau douce.
Quelques brochets ont été vus dans les poches d’eau les plus profondes ainsi que des myriades d’alevins qui, si l’eau vient encore à baisser, ne survivront pas longtemps.
Bilan de l’opération :
- une dizaine de truites mortes et probablement plus d’un millier de chabots ;
- des dizaines de lamproies, des épinoches ainsi que de très nombreux mollusques d’eau douce ont également péri ;
- une dizaine de brochets et des milliers d’alevins, piégés dans des petits trous d’eau, sont gravement menacés ;
- cet inventaire, opéré en trois heures sur le site n’est pas exhaustif au regard de la faune aquatique et ne tient pas compte de la flore.
Notons que le bief du lavoir de Vanvey, site touristique emblématique du parc des forêts de feuillus, qui avait été asséché en 2015, ce qui avait suscité un émoi considérable parmi la population locale, ne l’a pas été cette année et nous devons nous en réjouir.
Il faut également ajouter que la retenue d’eau de Thoires est un site très prisé par les familles qui viennent s’y baigner en période de canicule, en particulier celles de Belan sur Ource, commune dont les ouvrages hydrauliques ont été détruits ces dernières années.
Photo 7. Mollusques d’eau douce (limnées). Photo 8. Lamproies mortes
Thoires, le 21 août 2017, Pierre Potherat, ICTPE retraité
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21/08/2017
La mémoire des étangs et marais, éloge des eaux dormantes
Intégrés dans le grand ensemble des "zones humides" selon le jargon de notre époque, marais et étangs furent souvent créés de main d'homme et ont accompagné nos sociétés depuis des siècles, permettant de multiples usages et nourrissant de nombreuses légendes. Dans un essai paru cette année, l'historien Jean-Michel Derex en livre une histoire stimulante et richement illustrée.
Ne parlez pas à Jean-Michel Derex de "zone humide", cette expression à la mode et à la triste tonalité bureaucratique l'irrite. Allain Bougran-Dubourg révèle l'anecdote dans la préface, et elle rend d'emblée l'auteur très sympathique. Jean-Michel Derex est historien de l'environnement : une discipline encore trop peu développée, dont la vocation est de nous décrire la manière dont la société et la nature ont interagi à travers les âges.
Pour les eaux stagnantes des marais et étangs, cette co-évolution est ancienne. Mais elle est méconnue : désormais passionnés de biodiversité et émerveillés du jeu complexe des espèces, nous oublions un peu vite que les milieux naturels furent façonnés, guidés, modifiés, exploités par nos ancêtres. "Pour l'homme du XXIe siècle, ces espaces humides représentent la nature. Ils sont même vus souvent comme les derniers domaines vierges préservés de toute intervention humaine : les flamants roses de la Camargue, les cormorans des étangs de la Brenne, les phoques de la baie de Somme ne sont-ils pas ici présents pour témoigner de cet état? Rien n'est plus faux. Ces étangs et ces chemins d'eau tracés au cordeau qui courent dans les marais sont là par la volonté des hommes. Méfions-nous donc de l'eau qui dort".
Les zones humides sont devenues la chasse gardée des naturalistes pleins de bonne volonté, qui les préservent ou les restaurent au titre de la faune et de la flore qu'elles abritent. Mais au point d'oublier parfois leur origine. "Dans une approche savante des espaces humides, l'homme n'y a plus sa place. Sa présence devient suspecte. Les naturalistes définissent ainsi de nouvelles normes dans lesquelles les usages traditionnels définis par les hommes au cors des siècles se trouvent en situation d'accusés". Et pourtant, ces milieux si propices au vivant proviennent directement de l'action humaine, et les cartes postales du XIXe siècle et du début du XXe siècle, reproduites en grand nombre dans l'essai, rappellent que l'homme agissait voici encore peu sur ces milieux comme dans un espace de travail.
Beaucoup de marais et étangs ont eu une vocation de pisciculture, bien sûr, et c'est encore le cas pour certains aujourd'hui. Mais tout un monde d'économie rurale a vécu d'eux: marais salants à l'époque où le sel était une richesse convoitée du royaume, mises à sec intermittentes pour la culture céréalière, maraîchage, élevage de volaille et de certains ruminants adaptés, réserves de chasse au gibier d'eau, provision de tourbe pour se chauffer, culture des sangsues, production de l'osier et du roseau, gestion des bois d'aulne, saule, peuplier, usage de la salicorne pour les savonneries, zone de protection militaire et d'inondation stratégique face à l'avancée ennemie… L'essai de JM Derex parcourt les époques pour faire découvrir toutes ces facettes des espaces humides.
Malgré les usages nombreux qu'en firent les sociétés passées, il ne faut pas croire que les étangs et marais ont eu bonne réputation. Les eaux stagnantes et dormantes inquiètent. On y voit des feux follets la nuit et toutes sortes de légendes se créent autour d'elles, comme la figure de la Vouivre. Grenouilles et crapauds sont jugés répugnants, parfois représentés comme des animaux du diable. Noyades, disparitions et engloutissements hantent les imaginaires pré-modernes. Ces eaux sont aussi réputées malsaines, souvent à tort mais parfois à raison (le paludisme existait en Europe jusqu'au XXe siècle avec des poches endémiques). Aussi le saint-simonime et l'hygiénisme du XIXe siècle ont-ils encouragé drainage et desséchement, pour maîtriser la nature insalubre. Avant eux, la Révolution avait curieusement politisé l'étang comme symbole d'Ancien Régime et ordonné déjà leur destruction à grande échelle pour les rendre à la terre et au peuple. De fait, entre le XVIIIe siècle et le XXe siècle, beaucoup de ces espaces humides ont disparu – abandonnés et atterris, drainés et plantés, transformés en terres agricoles ou en zones d'habitation.
Quel avenir pour les marais et étangs? Devenues synonymes de biodiversité, les "zones humides" sont aujourd'hui davantage protégées, et parfois valorisées pour le tourisme vert. C'est certainement nécessaire. Mais JM Derex met en garde contre une logique de gestion patrimoniale à fonds perdus qui serait orientée sur la seule conservation ou le seul retour à "l'état naturel", notion ayant peu de sens pour la plupart des eaux stagnantes : "ne jouons donc pas trop avec ce concept d'héritage et de patrimoine naturel, car ils peuvent conduire à des impasses. Sachons plutôt appréhender la manière dont les hommes ont utilisé ces milieux. C'est peut-être cela la mémoire des pays d'étangs et marais : l'extraordinaire adaptation des hommes aux changements subis ou provoqués dans une nature toujours fragile et instable".
Référence : Derex Jean-Michel (2017), La mémoire des étangs et des marais. A la découverte des traces de l'activité humaine dans les pays d'étangs et de marais à travers les siècles, Ulmer, 192 p.
Ne parlez pas à Jean-Michel Derex de "zone humide", cette expression à la mode et à la triste tonalité bureaucratique l'irrite. Allain Bougran-Dubourg révèle l'anecdote dans la préface, et elle rend d'emblée l'auteur très sympathique. Jean-Michel Derex est historien de l'environnement : une discipline encore trop peu développée, dont la vocation est de nous décrire la manière dont la société et la nature ont interagi à travers les âges.
Pour les eaux stagnantes des marais et étangs, cette co-évolution est ancienne. Mais elle est méconnue : désormais passionnés de biodiversité et émerveillés du jeu complexe des espèces, nous oublions un peu vite que les milieux naturels furent façonnés, guidés, modifiés, exploités par nos ancêtres. "Pour l'homme du XXIe siècle, ces espaces humides représentent la nature. Ils sont même vus souvent comme les derniers domaines vierges préservés de toute intervention humaine : les flamants roses de la Camargue, les cormorans des étangs de la Brenne, les phoques de la baie de Somme ne sont-ils pas ici présents pour témoigner de cet état? Rien n'est plus faux. Ces étangs et ces chemins d'eau tracés au cordeau qui courent dans les marais sont là par la volonté des hommes. Méfions-nous donc de l'eau qui dort".
Les zones humides sont devenues la chasse gardée des naturalistes pleins de bonne volonté, qui les préservent ou les restaurent au titre de la faune et de la flore qu'elles abritent. Mais au point d'oublier parfois leur origine. "Dans une approche savante des espaces humides, l'homme n'y a plus sa place. Sa présence devient suspecte. Les naturalistes définissent ainsi de nouvelles normes dans lesquelles les usages traditionnels définis par les hommes au cors des siècles se trouvent en situation d'accusés". Et pourtant, ces milieux si propices au vivant proviennent directement de l'action humaine, et les cartes postales du XIXe siècle et du début du XXe siècle, reproduites en grand nombre dans l'essai, rappellent que l'homme agissait voici encore peu sur ces milieux comme dans un espace de travail.
Beaucoup de marais et étangs ont eu une vocation de pisciculture, bien sûr, et c'est encore le cas pour certains aujourd'hui. Mais tout un monde d'économie rurale a vécu d'eux: marais salants à l'époque où le sel était une richesse convoitée du royaume, mises à sec intermittentes pour la culture céréalière, maraîchage, élevage de volaille et de certains ruminants adaptés, réserves de chasse au gibier d'eau, provision de tourbe pour se chauffer, culture des sangsues, production de l'osier et du roseau, gestion des bois d'aulne, saule, peuplier, usage de la salicorne pour les savonneries, zone de protection militaire et d'inondation stratégique face à l'avancée ennemie… L'essai de JM Derex parcourt les époques pour faire découvrir toutes ces facettes des espaces humides.
Malgré les usages nombreux qu'en firent les sociétés passées, il ne faut pas croire que les étangs et marais ont eu bonne réputation. Les eaux stagnantes et dormantes inquiètent. On y voit des feux follets la nuit et toutes sortes de légendes se créent autour d'elles, comme la figure de la Vouivre. Grenouilles et crapauds sont jugés répugnants, parfois représentés comme des animaux du diable. Noyades, disparitions et engloutissements hantent les imaginaires pré-modernes. Ces eaux sont aussi réputées malsaines, souvent à tort mais parfois à raison (le paludisme existait en Europe jusqu'au XXe siècle avec des poches endémiques). Aussi le saint-simonime et l'hygiénisme du XIXe siècle ont-ils encouragé drainage et desséchement, pour maîtriser la nature insalubre. Avant eux, la Révolution avait curieusement politisé l'étang comme symbole d'Ancien Régime et ordonné déjà leur destruction à grande échelle pour les rendre à la terre et au peuple. De fait, entre le XVIIIe siècle et le XXe siècle, beaucoup de ces espaces humides ont disparu – abandonnés et atterris, drainés et plantés, transformés en terres agricoles ou en zones d'habitation.
Quel avenir pour les marais et étangs? Devenues synonymes de biodiversité, les "zones humides" sont aujourd'hui davantage protégées, et parfois valorisées pour le tourisme vert. C'est certainement nécessaire. Mais JM Derex met en garde contre une logique de gestion patrimoniale à fonds perdus qui serait orientée sur la seule conservation ou le seul retour à "l'état naturel", notion ayant peu de sens pour la plupart des eaux stagnantes : "ne jouons donc pas trop avec ce concept d'héritage et de patrimoine naturel, car ils peuvent conduire à des impasses. Sachons plutôt appréhender la manière dont les hommes ont utilisé ces milieux. C'est peut-être cela la mémoire des pays d'étangs et marais : l'extraordinaire adaptation des hommes aux changements subis ou provoqués dans une nature toujours fragile et instable".
Référence : Derex Jean-Michel (2017), La mémoire des étangs et des marais. A la découverte des traces de l'activité humaine dans les pays d'étangs et de marais à travers les siècles, Ulmer, 192 p.
16/08/2017
La conservation de la biodiversité est-elle une démarche fixiste? (Alexandre et al 2017)
L'écologie de la conservation est animée depuis quelques années par de riches et parfois féroces débats sur ses directions futures. Cela ressemble à une querelle des anciens et des modernes: la conservation classique ou historique, née dans les années 1970, insistait sur la nécessité de sauver espèces et milieux de l'influence humaine, en mettant en avant la valeur intrinsèque de la nature; la nouvelle conservation, qui s'affirme depuis les années 2000, met davantage l'accent sur le caractère inévitable de l'influence humaine et considère que les services écosystémiques sont mieux à-même de fonder les politiques de la nature. Une équipe française revient dans Conservation Biology sur ce débat à travers le reproche fait aux conservationnistes de vouloir figer la nature dans un état idéal passé. Nous avons souvent croisé ce "fixisme" au bord des rivières, où il provoque une certaine incompréhension. Voici donc un aperçu sur les débats scientifiques qui alimentent ces problématiques… en espérant que la toute nouvelle Agence française pour la biodiversité donnera la parole aux chercheurs des différentes écoles et exposera leurs éventuelles divergences en toute transparence pour les citoyens.
Alexandre Robert et 15 collègues (Centre d'écologie et des sciences de la conservation (CESCO) UMR7204), Sorbonne Universités, MNHN, CNRS, UPMC ; Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive UMR 5175) publient une intéressante tribune dans Conservation Biology. Son thème : les sciences de la conservation (biologie, écologie) sont-elles fixistes ?
Voici la manière dont les auteurs posent la problématique :
"Bien que le fixisme soit considéré par la plupart des biologistes comme une doctrine obsolète (Dobzhansky 1973), des publications récentes suggèrent que le domaine en expansion de la science de conservation de la biodiversité s'appuie partiellement sur une vue fixiste du monde vivant. La plupart de ces critiques n'affirment pas que les scientifiques de la conservation sont eux-mêmes fixistes, mais ils dénoncent une vision de la conservation de biodiversité orientée sur des pattern, fondée en premier lieu sur l'étude et la gestion d'espèces comme unités biologiques statiques. Selon Ashley et al (2003), bien que la plupart des biologistes reconnaissent que la variation individuelle est partout dans la nature et qu'elle est la base du changement évolutionnaire, la pensée typologique est encore répandue. Une telle approche typologique est associée à l'idée erronée que les espèces sont des entités relativement fixes, indépendantes (Ashley et al 2003; Diniz-Filho et al 2013) plutôt que des unités d'évolution interagissantes (Rojas 1992), et que leurs distribution et diversité sont des phénomènes biologiques statiques (Winker 1996).
Ce paradigme statique de conservation (ainsi nommé par Hannah et al 2002) a été l'objet de nombreuses critiques (Ibisch et al 2005; Toledo et al 2012; Harmsen & Foster 2014; Harris et al 2015). La difficulté apparente à concevoir des politiques pour préserver des processus dynamiques plutôt que des objets (biodiversité menacée) implique que la plupart des stratégies de conservation sont inconsistantes avec la perspective de l'évolution (Smith et al 1993; Mace & Purvis 2008; Grant et al 2010). A l'appui de ses critiques il est dit que les efforts de conservation pour sauver certaines espèces sont tournées vers le passé (Ibisch et al 2005), réductionnistes, artificielles et scientifiquement inconsistantes (Kareiva & Marvier 2012). Finalement, il est argué que la biologie de l'évolution a peu d'impact sur la conservation pratique en raison de la participation limitée des biologistes de l'évolution dans la science de la conservation et de l'ignorance (ou de la négligence) des processus évolutionnaires chez les gestionnaires de la conservation. Ainsi, depuis plus de 20 ans, les biologistes ont répété que la conservation appelle plus de considération évolutionnaire (e.g., Smith et al 1993, Hannah et al 2002; Stockwell et al 2003; Mace & Purvis 2008; Hendry et al 2010; Carroll et al 2014)."
Les chercheurs français nuancent ces critiques et répondent à certaines d'entre elles.
Sauver des espèces, des gènes ou des fonctions ? Les auteurs soulignent que le sauvetage d'espèces reste une réponse pragmatique des conservationnistes à la crise de la biodiversité pour plusieurs raisons. L'influence humaine agit sur une échelle de temps beaucoup plus courte que les processus macro-évolutifs d'extinction et spéciation formant la toile de fond de l'histoire du vivant. Sauver une espèce d'une menace induite par l'homme est un moyen de restaurer la trajectoire évolutive de ce lignage phylogénétique, et des populations qui co-évoluent avec elle. La population et l'espèce sont aussi le niveau où l'on peut acquérir des données, donc agir avec des objectifs. L'action sur certaines espèces repères, "étendards" ou "charismatiques", outre son intérêt pragmatique dans la sensibilisation du public, se justifie aussi par le fait que les espèces de grande taille corporelle et de population réduite sont généralement les premières menacées. Enfin, les sciences de la conservation se sont orientées vers des approches par réseaux écologiques ou par communautés d'espèces, en particulier des entités fonctionnelles qui peuvent décrire des propriétés du lien biodiversité-écosystème sans référence à des espèces particulières. Les chercheurs reconnaissent cependant que "les applications pratiques (…) sont encore rares".
Etat ou processus de référence ? Prendre un "état de référence" du milieu pour le comparer à l'état actuel est un processus courant en conservation. Cette référence est variable (avant l'invention de l'agriculture, 1500, 1970… ont été proposés comme époque référentielle). Or on objecte que a) la nature vierge, intacte, n'existe plus et tout a été modifié par l'homme à divers degrés ; b) le choix d'une référence temporelle est arbitraire puisque l'évolution ne s'arrête jamais et les caractéristiques d'un milieu changent sans cesse ; c) l'état de référence renvoie à une composition idéale définie comme optimale au lieu de s'intéresser à la dynamique. La réponse des chercheurs est que l'utilisation d'une référence est un processus normal et nécessaire en science (modèles neutres, hypothèses nulles, nécessité de faits et non de concepts seulement). Ils ajoutent que les scientifiques étudient la sensibilité relative des taxons au risque d'extinction, ce qui est le reflet d'une dynamique évolutive et non juste un état passé à reconquérir. Le changement climatique exemplifie cette approche puisque l'on cherche à anticiper les milieux ou les espèces qui subiront des stress plus intenses, notamment en surveillant des populations de biodiversité ordinaire qui ont une "dette climatique".
Quelles valeurs de la conservation ? La conservation classique ou historique reposait sur des postulats biocentriques selon lesquels l'évolution et la biodiversité sont bonnes en soi. Ces points ont été critiqués. D'une part, l'évolution survient quoiqu'il advienne, il n'y a pas de sens à la qualifier de bonne ou mauvaise. D'autre part, le biocentrisme est souvent conflictuel vis-à-vis d'autres enjeux socio-écononmiques. La nouvelle conservation préfère raisonner en "services écosystémiques" avec une approche plus anthropocentriste de la gestion de la biodiversité. L'Anthropocène est alors vu comme la période où il faut accepter le fait que l'espèce Homo sapiens redessine la carte du vivant sur toute la planète. Alexandre Robert et ses collègues font observer que cette vision recouvre elle aussi des présupposés idéologiques (comme le biocentrisme de la conservation classique). Ils considèrent que l'on doit de toute façon accepter la lien entre valeurs humaines et science de la conservation.
Discussion
Ce débat au sein des sciences de la conservation est riche, et il a pris parfois outre-Atlantique des tournures très polémiques (voir par exemple cet article du New Yorker où de vénérables chercheurs en viennent à se lancer des noms d'oiseaux!). Cela s'explique notamment par le fait que la science est une activité sociale comme une autre, avec des jeux de pouvoir en vue d'obtenir des fonds, donc l'écoute des décideurs et financeurs. Mais aussi, dans le cas de la conservation, par la proximité des questions scientifiques et des enjeux idéologiques ou symboliques. Le lecteur non spécialiste trouve de bons arguments dans chaque "camp" de la conservation, sans moyen de trancher. Nos remarques ci-dessous sont notamment orientées sur la conservation et restauration de rivières ou de milieux aquatiques, domaines où nous avons pu observer les pratiques et consulter une partie de la littérature.
Des débats assez conceptuels… mais quid des questions factuelles ? – L'histoire de l'écologie scientifique est riche de concepts, mais elle est souvent avare de données, du moins de données suffisantes pour analyser la dynamique des systèmes étudiés. Or, le débat le plus important entre la conservation classique et la nouvelle conservation concerne des faits. Par exemple : l'ancienneté et la profondeur des influences humaines sur les milieux, là où les regards des XIXe et XXe siècles croyaient percevoir des espaces vierges et intacts d'influence humaine ; la vitesse à laquelle l'expansion des espèces introduites par l'homme compense quantitativement ou fonctionnellement la raréfaction ou la disparition des espèces liées à ses activités (question de la perte nette locale de biodiversité, voir par exemple Vellend et al 2017 en réponse à Gonzalez et al 2016) ; les résultats concrets des stratégies de conservation ou restauration, qui valident en dernier ressort les hypothèses de travail. L'examen de ces points paraît la dimension la plus essentielle du débat entre conservation ancienne et nouvelle, alors que les frictions ont souvent concerné ces dernières années des luttes d'influence au sein de la recherche académique ou des accusations idéologiques réciproques.
Conserver des processus évolutifs… sur la base de quelles modélisations et prédictions? - La volonté de passer du couple structure-espèce au couple fonction-processus pour mieux intégrer la dynamique de l'évolution biologique semble louable. Mais outre qu'elle est peu suivie d'effets à ce jour (voir plus bas), on peut s'interroger sur son réalisme scientifique. Le vivant est un système complexe, voire chaotique, tout comme les facteurs abiotiques qui l'influencent (par exemple le climat). Modéliser l'interaction de tels systèmes complexes sur le long terme rencontre une complexité combinatoire augmentant de manière exponentielle les incertitudes à mesure que l'on essaie de se projeter dans le futur à un horizon non court-termiste (qui est celui de l'histoire humaine, a fortiori de l'évolution). Par exemple, aucun modèle n'aurait sans doute pu prédire le peuplement actuel en libellules des étangs de la Dombes à l'époque où ils ont été conçus pour une finalité piscicole sans aucun rapport (exemple issu de Wezel et al 2014). Par ailleurs, le résultat de certains modèles simplificateurs peut contribuer à donner quelques indications sur les conditions aux limites de systèmes complexes, mais il n'est pas nécessairement applicable à échelle de la station où l'on intervient usuellement en écologie de la conservation, et où l'on se pose des questions concrètes : y aura-t-il gain ou perte de biodiversité à terme? Telle espèce exotique est-elle de nature à destructurer les communautés fonctionnelles ou finira-t-elle par occuper une place dans le réseau? Les conditions hydriques locales en 2050 ou 2100 valident-elles de manière quasi-certaine mon choix sur des besoins adaptatifs futurs?
Pourquoi les travaux scientifiques ne sont pas appliqués par les gestionnaires? - Les arguments d'Alexandre Robert et ses collègues sont souvent pertinents mais quoiqu'on en pense sur le fond, ils ne sont guère appliqués sur le terrain de la conservation dans le domaine des rivières et milieux aquatiques. Les classements de type ZNIEFF ou Natura 2000 se fondent en général sur des inventaires statiques d'espèces et milieux remarquables sans réelle prise en compte des éléments historiques, des probabilités de survie à long terme, des évolutions attendues en situation de changement climatique. Leur diagnostic historique et leur suivi, qui seraient de nature à construire une approche plus dynamique fondée sur la donnée, sont par ailleurs ignorés et leur gestion reconnue comme défaillante en Europe (voir cet article). Les projets de restauration sont établis quant à eux sur des analyses assez rudimentaires, le plus souvent limitée à des poissons, s'inspirant de biotypologies théoriques datées dans l'histoire des sciences et illustrant de manière caractéristique l'approche fixiste (la rivière est censée avoir un peuplement déterminé et peu variable, elle est supposée en mauvais état écologique tant qu'elle s'éloigne de cet idéal-type rigide). Les approches fonctionnelles sont parfois évoquées formellement, mais elles ne sont pas tellement suivies d'effet (par exemple, une espèce exotique remplissant les mêmes foncions qu'une espèce native sera jugée "indésirable", par un souci de préservation identitaire n'ayant pas de justification fonctionnaliste). Les indicateurs de qualité des milieux aquatiques conçus pour la directive-cadre européenne sur l'eau (IPR+, I2M2, etc.) restent quant à eux structurés selon le principe de l'écart à la référence, avec un type hydro-éco-régional et une espérance d'association espèce-habitat (démarche plutôt fixiste portant jugement de valeur sur la présence de "mauvaises" espèces ou de "mauvais" habitats par rapport à ce qui serait attendu dans une situation sans l'homme).
Une science peut-elle émettre des opinions (et rester crédible comme science)? - Michael E. Soulé, fréquemment cité dans l'article d'Alexandre Robert et al, a dès le départ engagé la biologie de la conservation sur des jugements de valeur, posant que l'évolution et la biodiversité sont bonnes en soi, précisant que la biologie conservationniste est une "discipline de crise", c'est-à-dire qu'elle n'est pas concevable autrement que dans l'urgence d'une lutte contre ce qui est parfois appelé depuis la "sixième extinction" (voir Soulé 1985, pdf). Soulé précise que la discipline possède des "postulats normatifs" (et non uniquement des méthodologies), citant au passage "l'écosophie" d'Arne Næss. Bien que plusieurs énoncés de Soulé puissent sans doute recueillir un certain consensus, cette posture est problématique à plusieurs titres. D'abord, la confiance dans la science dépend de son objectivité, laquelle implique un détachement de l'objet étudié au plan de l'émotion comme de l'intérêt ou de la croyance. L'écologie et la biologie nous expliquent par vocation comment fonctionnent les systèmes qu'elles étudient, pas comment ils devraient le faire dans une situation idéale. La confusion des registres ne rend pas service à la science, ni à la conservation en dernier ressort (l'équivalence d'un discours scientifique et d'un discours militant propagerait à terme un certain relativisme, où n'importe quelle affirmation sur la réalité en vaudrait après tout une autre). Ensuite, les ONG et les associations occupent déjà la sphère militante de la conservation, on n'attend donc pas de la recherche académique (payée par l'ensemble des citoyens) qu'elle prenne partie sur les dimensions philosophiques ou idéologiques de ces débats. Les sciences sociales travaillant dans le cadre de la conservation peuvent éclairer les jeux d'acteurs, mais n'ont pas vocation elles non plus à devenir acteurs d'un camp (ni pédagogues de la soumission au choix des autorités publiques...). L'attente la plus urgente de la société concerne finalement l'objectivation et la priorisation des problèmes de conservation, car quelles que soient les hypothèses implicites (biocentristes ou anthropocentristes), il est manifeste que l'on ne peut pas agir simultanément sur tous les milieux ou toutes les espèces menacées.
Le débat scientifique se traduit-il en débat citoyen? - Alexandre Robert et ses collègues rappellent l'existence d'un débat au sein de la communauté scientifique en écologie de la conservation, et y apportent leur propre réflexion. En France, ce point est généralement ignoré des décideurs, des gestionnaires, des médias, de la plupart des ONG et associations de la conservation. On a donc une distorsion entre des politiques de conservation qui s'avancent comme "fondées sur la science", avec des positions normatives fortes non réellement mises en discussion, et une science restant en réalité parcourue d'interrogations assez importantes sur les méthodes et les finalités de la conservation. Un texte aussi fondamental que la directive cadre européenne sur l'eau 2000 a par exemple établi pour toute l'Union européenne un cadre normatif obligatoire sur la base des états de référence des masses d'eau (voir Bouleau et Pont 2015) sans que le débat sorte des coursives très confidentielles où échangent entre eux des représentants de gouvernements et de divers groupes d'influence à Bruxelles. Le problème n'est pas en soi que la DCE a choisi telle ou telle orientation (il faut bien en choisir une pour agir), mais d'abord le fait que ces orientations sont prises sans que les citoyens ou leurs représentants aient réellement conscience des attendus et des implications. On peut aussi regretter que la communauté scientifique concernée ne soit pas saisie collégialement des questions afin de produire un avis motivé et précis avant la prise de décision, un peu sur le modèle du GIEC pour le climat. Dans les sciences des systèmes complexes (comme la conservation), l'avis isolé d'experts n'a pas beaucoup de sens.
Référence : Robert A. et al (2017), Fixism and conservation science, Conservation Biology, 31, 4, 781–788
Illustrations : la Volane libre et canalisée, à Vals-les-Bains (Ardèche). L'action humaine modifie tous les milieux : sur quels critères doit-on en faire un bilan écologique?
Alexandre Robert et 15 collègues (Centre d'écologie et des sciences de la conservation (CESCO) UMR7204), Sorbonne Universités, MNHN, CNRS, UPMC ; Centre d’écologie fonctionnelle et évolutive UMR 5175) publient une intéressante tribune dans Conservation Biology. Son thème : les sciences de la conservation (biologie, écologie) sont-elles fixistes ?
Voici la manière dont les auteurs posent la problématique :
"Bien que le fixisme soit considéré par la plupart des biologistes comme une doctrine obsolète (Dobzhansky 1973), des publications récentes suggèrent que le domaine en expansion de la science de conservation de la biodiversité s'appuie partiellement sur une vue fixiste du monde vivant. La plupart de ces critiques n'affirment pas que les scientifiques de la conservation sont eux-mêmes fixistes, mais ils dénoncent une vision de la conservation de biodiversité orientée sur des pattern, fondée en premier lieu sur l'étude et la gestion d'espèces comme unités biologiques statiques. Selon Ashley et al (2003), bien que la plupart des biologistes reconnaissent que la variation individuelle est partout dans la nature et qu'elle est la base du changement évolutionnaire, la pensée typologique est encore répandue. Une telle approche typologique est associée à l'idée erronée que les espèces sont des entités relativement fixes, indépendantes (Ashley et al 2003; Diniz-Filho et al 2013) plutôt que des unités d'évolution interagissantes (Rojas 1992), et que leurs distribution et diversité sont des phénomènes biologiques statiques (Winker 1996).
Ce paradigme statique de conservation (ainsi nommé par Hannah et al 2002) a été l'objet de nombreuses critiques (Ibisch et al 2005; Toledo et al 2012; Harmsen & Foster 2014; Harris et al 2015). La difficulté apparente à concevoir des politiques pour préserver des processus dynamiques plutôt que des objets (biodiversité menacée) implique que la plupart des stratégies de conservation sont inconsistantes avec la perspective de l'évolution (Smith et al 1993; Mace & Purvis 2008; Grant et al 2010). A l'appui de ses critiques il est dit que les efforts de conservation pour sauver certaines espèces sont tournées vers le passé (Ibisch et al 2005), réductionnistes, artificielles et scientifiquement inconsistantes (Kareiva & Marvier 2012). Finalement, il est argué que la biologie de l'évolution a peu d'impact sur la conservation pratique en raison de la participation limitée des biologistes de l'évolution dans la science de la conservation et de l'ignorance (ou de la négligence) des processus évolutionnaires chez les gestionnaires de la conservation. Ainsi, depuis plus de 20 ans, les biologistes ont répété que la conservation appelle plus de considération évolutionnaire (e.g., Smith et al 1993, Hannah et al 2002; Stockwell et al 2003; Mace & Purvis 2008; Hendry et al 2010; Carroll et al 2014)."
Les chercheurs français nuancent ces critiques et répondent à certaines d'entre elles.
Sauver des espèces, des gènes ou des fonctions ? Les auteurs soulignent que le sauvetage d'espèces reste une réponse pragmatique des conservationnistes à la crise de la biodiversité pour plusieurs raisons. L'influence humaine agit sur une échelle de temps beaucoup plus courte que les processus macro-évolutifs d'extinction et spéciation formant la toile de fond de l'histoire du vivant. Sauver une espèce d'une menace induite par l'homme est un moyen de restaurer la trajectoire évolutive de ce lignage phylogénétique, et des populations qui co-évoluent avec elle. La population et l'espèce sont aussi le niveau où l'on peut acquérir des données, donc agir avec des objectifs. L'action sur certaines espèces repères, "étendards" ou "charismatiques", outre son intérêt pragmatique dans la sensibilisation du public, se justifie aussi par le fait que les espèces de grande taille corporelle et de population réduite sont généralement les premières menacées. Enfin, les sciences de la conservation se sont orientées vers des approches par réseaux écologiques ou par communautés d'espèces, en particulier des entités fonctionnelles qui peuvent décrire des propriétés du lien biodiversité-écosystème sans référence à des espèces particulières. Les chercheurs reconnaissent cependant que "les applications pratiques (…) sont encore rares".
Etat ou processus de référence ? Prendre un "état de référence" du milieu pour le comparer à l'état actuel est un processus courant en conservation. Cette référence est variable (avant l'invention de l'agriculture, 1500, 1970… ont été proposés comme époque référentielle). Or on objecte que a) la nature vierge, intacte, n'existe plus et tout a été modifié par l'homme à divers degrés ; b) le choix d'une référence temporelle est arbitraire puisque l'évolution ne s'arrête jamais et les caractéristiques d'un milieu changent sans cesse ; c) l'état de référence renvoie à une composition idéale définie comme optimale au lieu de s'intéresser à la dynamique. La réponse des chercheurs est que l'utilisation d'une référence est un processus normal et nécessaire en science (modèles neutres, hypothèses nulles, nécessité de faits et non de concepts seulement). Ils ajoutent que les scientifiques étudient la sensibilité relative des taxons au risque d'extinction, ce qui est le reflet d'une dynamique évolutive et non juste un état passé à reconquérir. Le changement climatique exemplifie cette approche puisque l'on cherche à anticiper les milieux ou les espèces qui subiront des stress plus intenses, notamment en surveillant des populations de biodiversité ordinaire qui ont une "dette climatique".
Quelles valeurs de la conservation ? La conservation classique ou historique reposait sur des postulats biocentriques selon lesquels l'évolution et la biodiversité sont bonnes en soi. Ces points ont été critiqués. D'une part, l'évolution survient quoiqu'il advienne, il n'y a pas de sens à la qualifier de bonne ou mauvaise. D'autre part, le biocentrisme est souvent conflictuel vis-à-vis d'autres enjeux socio-écononmiques. La nouvelle conservation préfère raisonner en "services écosystémiques" avec une approche plus anthropocentriste de la gestion de la biodiversité. L'Anthropocène est alors vu comme la période où il faut accepter le fait que l'espèce Homo sapiens redessine la carte du vivant sur toute la planète. Alexandre Robert et ses collègues font observer que cette vision recouvre elle aussi des présupposés idéologiques (comme le biocentrisme de la conservation classique). Ils considèrent que l'on doit de toute façon accepter la lien entre valeurs humaines et science de la conservation.
Discussion
Ce débat au sein des sciences de la conservation est riche, et il a pris parfois outre-Atlantique des tournures très polémiques (voir par exemple cet article du New Yorker où de vénérables chercheurs en viennent à se lancer des noms d'oiseaux!). Cela s'explique notamment par le fait que la science est une activité sociale comme une autre, avec des jeux de pouvoir en vue d'obtenir des fonds, donc l'écoute des décideurs et financeurs. Mais aussi, dans le cas de la conservation, par la proximité des questions scientifiques et des enjeux idéologiques ou symboliques. Le lecteur non spécialiste trouve de bons arguments dans chaque "camp" de la conservation, sans moyen de trancher. Nos remarques ci-dessous sont notamment orientées sur la conservation et restauration de rivières ou de milieux aquatiques, domaines où nous avons pu observer les pratiques et consulter une partie de la littérature.
Des débats assez conceptuels… mais quid des questions factuelles ? – L'histoire de l'écologie scientifique est riche de concepts, mais elle est souvent avare de données, du moins de données suffisantes pour analyser la dynamique des systèmes étudiés. Or, le débat le plus important entre la conservation classique et la nouvelle conservation concerne des faits. Par exemple : l'ancienneté et la profondeur des influences humaines sur les milieux, là où les regards des XIXe et XXe siècles croyaient percevoir des espaces vierges et intacts d'influence humaine ; la vitesse à laquelle l'expansion des espèces introduites par l'homme compense quantitativement ou fonctionnellement la raréfaction ou la disparition des espèces liées à ses activités (question de la perte nette locale de biodiversité, voir par exemple Vellend et al 2017 en réponse à Gonzalez et al 2016) ; les résultats concrets des stratégies de conservation ou restauration, qui valident en dernier ressort les hypothèses de travail. L'examen de ces points paraît la dimension la plus essentielle du débat entre conservation ancienne et nouvelle, alors que les frictions ont souvent concerné ces dernières années des luttes d'influence au sein de la recherche académique ou des accusations idéologiques réciproques.
Conserver des processus évolutifs… sur la base de quelles modélisations et prédictions? - La volonté de passer du couple structure-espèce au couple fonction-processus pour mieux intégrer la dynamique de l'évolution biologique semble louable. Mais outre qu'elle est peu suivie d'effets à ce jour (voir plus bas), on peut s'interroger sur son réalisme scientifique. Le vivant est un système complexe, voire chaotique, tout comme les facteurs abiotiques qui l'influencent (par exemple le climat). Modéliser l'interaction de tels systèmes complexes sur le long terme rencontre une complexité combinatoire augmentant de manière exponentielle les incertitudes à mesure que l'on essaie de se projeter dans le futur à un horizon non court-termiste (qui est celui de l'histoire humaine, a fortiori de l'évolution). Par exemple, aucun modèle n'aurait sans doute pu prédire le peuplement actuel en libellules des étangs de la Dombes à l'époque où ils ont été conçus pour une finalité piscicole sans aucun rapport (exemple issu de Wezel et al 2014). Par ailleurs, le résultat de certains modèles simplificateurs peut contribuer à donner quelques indications sur les conditions aux limites de systèmes complexes, mais il n'est pas nécessairement applicable à échelle de la station où l'on intervient usuellement en écologie de la conservation, et où l'on se pose des questions concrètes : y aura-t-il gain ou perte de biodiversité à terme? Telle espèce exotique est-elle de nature à destructurer les communautés fonctionnelles ou finira-t-elle par occuper une place dans le réseau? Les conditions hydriques locales en 2050 ou 2100 valident-elles de manière quasi-certaine mon choix sur des besoins adaptatifs futurs?
Pourquoi les travaux scientifiques ne sont pas appliqués par les gestionnaires? - Les arguments d'Alexandre Robert et ses collègues sont souvent pertinents mais quoiqu'on en pense sur le fond, ils ne sont guère appliqués sur le terrain de la conservation dans le domaine des rivières et milieux aquatiques. Les classements de type ZNIEFF ou Natura 2000 se fondent en général sur des inventaires statiques d'espèces et milieux remarquables sans réelle prise en compte des éléments historiques, des probabilités de survie à long terme, des évolutions attendues en situation de changement climatique. Leur diagnostic historique et leur suivi, qui seraient de nature à construire une approche plus dynamique fondée sur la donnée, sont par ailleurs ignorés et leur gestion reconnue comme défaillante en Europe (voir cet article). Les projets de restauration sont établis quant à eux sur des analyses assez rudimentaires, le plus souvent limitée à des poissons, s'inspirant de biotypologies théoriques datées dans l'histoire des sciences et illustrant de manière caractéristique l'approche fixiste (la rivière est censée avoir un peuplement déterminé et peu variable, elle est supposée en mauvais état écologique tant qu'elle s'éloigne de cet idéal-type rigide). Les approches fonctionnelles sont parfois évoquées formellement, mais elles ne sont pas tellement suivies d'effet (par exemple, une espèce exotique remplissant les mêmes foncions qu'une espèce native sera jugée "indésirable", par un souci de préservation identitaire n'ayant pas de justification fonctionnaliste). Les indicateurs de qualité des milieux aquatiques conçus pour la directive-cadre européenne sur l'eau (IPR+, I2M2, etc.) restent quant à eux structurés selon le principe de l'écart à la référence, avec un type hydro-éco-régional et une espérance d'association espèce-habitat (démarche plutôt fixiste portant jugement de valeur sur la présence de "mauvaises" espèces ou de "mauvais" habitats par rapport à ce qui serait attendu dans une situation sans l'homme).
Une science peut-elle émettre des opinions (et rester crédible comme science)? - Michael E. Soulé, fréquemment cité dans l'article d'Alexandre Robert et al, a dès le départ engagé la biologie de la conservation sur des jugements de valeur, posant que l'évolution et la biodiversité sont bonnes en soi, précisant que la biologie conservationniste est une "discipline de crise", c'est-à-dire qu'elle n'est pas concevable autrement que dans l'urgence d'une lutte contre ce qui est parfois appelé depuis la "sixième extinction" (voir Soulé 1985, pdf). Soulé précise que la discipline possède des "postulats normatifs" (et non uniquement des méthodologies), citant au passage "l'écosophie" d'Arne Næss. Bien que plusieurs énoncés de Soulé puissent sans doute recueillir un certain consensus, cette posture est problématique à plusieurs titres. D'abord, la confiance dans la science dépend de son objectivité, laquelle implique un détachement de l'objet étudié au plan de l'émotion comme de l'intérêt ou de la croyance. L'écologie et la biologie nous expliquent par vocation comment fonctionnent les systèmes qu'elles étudient, pas comment ils devraient le faire dans une situation idéale. La confusion des registres ne rend pas service à la science, ni à la conservation en dernier ressort (l'équivalence d'un discours scientifique et d'un discours militant propagerait à terme un certain relativisme, où n'importe quelle affirmation sur la réalité en vaudrait après tout une autre). Ensuite, les ONG et les associations occupent déjà la sphère militante de la conservation, on n'attend donc pas de la recherche académique (payée par l'ensemble des citoyens) qu'elle prenne partie sur les dimensions philosophiques ou idéologiques de ces débats. Les sciences sociales travaillant dans le cadre de la conservation peuvent éclairer les jeux d'acteurs, mais n'ont pas vocation elles non plus à devenir acteurs d'un camp (ni pédagogues de la soumission au choix des autorités publiques...). L'attente la plus urgente de la société concerne finalement l'objectivation et la priorisation des problèmes de conservation, car quelles que soient les hypothèses implicites (biocentristes ou anthropocentristes), il est manifeste que l'on ne peut pas agir simultanément sur tous les milieux ou toutes les espèces menacées.
Le débat scientifique se traduit-il en débat citoyen? - Alexandre Robert et ses collègues rappellent l'existence d'un débat au sein de la communauté scientifique en écologie de la conservation, et y apportent leur propre réflexion. En France, ce point est généralement ignoré des décideurs, des gestionnaires, des médias, de la plupart des ONG et associations de la conservation. On a donc une distorsion entre des politiques de conservation qui s'avancent comme "fondées sur la science", avec des positions normatives fortes non réellement mises en discussion, et une science restant en réalité parcourue d'interrogations assez importantes sur les méthodes et les finalités de la conservation. Un texte aussi fondamental que la directive cadre européenne sur l'eau 2000 a par exemple établi pour toute l'Union européenne un cadre normatif obligatoire sur la base des états de référence des masses d'eau (voir Bouleau et Pont 2015) sans que le débat sorte des coursives très confidentielles où échangent entre eux des représentants de gouvernements et de divers groupes d'influence à Bruxelles. Le problème n'est pas en soi que la DCE a choisi telle ou telle orientation (il faut bien en choisir une pour agir), mais d'abord le fait que ces orientations sont prises sans que les citoyens ou leurs représentants aient réellement conscience des attendus et des implications. On peut aussi regretter que la communauté scientifique concernée ne soit pas saisie collégialement des questions afin de produire un avis motivé et précis avant la prise de décision, un peu sur le modèle du GIEC pour le climat. Dans les sciences des systèmes complexes (comme la conservation), l'avis isolé d'experts n'a pas beaucoup de sens.
Référence : Robert A. et al (2017), Fixism and conservation science, Conservation Biology, 31, 4, 781–788
Illustrations : la Volane libre et canalisée, à Vals-les-Bains (Ardèche). L'action humaine modifie tous les milieux : sur quels critères doit-on en faire un bilan écologique?
14/08/2017
L'écologie de la restauration et l'oubli du social (Martin 2017)
L'écologie de la restauration a été conçue voici quelques décennies au prisme des sciences naturelles, principalement la biologie et l'écologie, avec pour seul souci un certain état des écosystèmes. Mais parce qu'elle change des lois et mobilise des fonds publics tout en modifiant le cadre de vie et les pratiques des citoyens, cette démarche relève aussi de la question sociale. L'invocation de la nature n'est pas un énoncé impératif qui se suffirait à lui-même pour justifier tout et n'importe quoi: la restauration écologique ne peut faire l'économie des débats sur les valeurs, croyances et intérêts attachés à ses objectifs et à ses méthodes. David M. Martin constate le problème et lance le débat dans la revue Restoration Ecology.
David M. Martin, représentant de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), publie un point de vue dans le dernier numéro de la revue nord-américaine Restoration Ecology.
La définition la plus répandue de la restauration écologique s'énonce ainsi (exemple de la motion de consensus présentée au colloque 2003 de la Society for Ecological Restoration) :
Cette carence s'explique par l'histoire de la restauration écologique : apparue dans les années 1970 et 1980, en complément de stratégies plus anciennes de conservation, elle a surtout été portée par des biologistes et écologues. Ces champs disciplinaires ont donc spontanément imposé la vision des sciences naturelles, sans éprouver particulièrement le besoin de travailler avec leurs collègues des sciences sociales.
Le succès de la restauration écologique dans les années 1990 et 2000 a conduit à élargir le champ de vision. En 1994, Higgs parle d'un "ensemble complet (social, scientifique, économique, politique) d'idée et de pratiques impliquées dans la restauration des écosystèmes". En 2004, Davis et Slobodkin évoquent la restauration de "processus ou attributs valorisés d'un paysage". La Convention sur la diversité biologique des Nations-Unies voit dans la restauration "un moyen de soutenir la résilience des écosystèmes et de conserver la biodiversité".
Pour Martin, ces évolutions sont encore insuffisantes, car "elle ne reconnaissent pas explicitement l'ampleur de la recherche scientifique moderne sur le sujet, pas plus qu'elles n'admettent que l'engagement social et la définition d'objectifs fondés sur des valeurs sont des parts fondamentales du processus de restauration". Il propose donc une définition élargie:
Discussion
La tribune de David M. Martin répond à un arrière-plan complexe de l'évolution de l'écologie depuis quelques décennies, à la frontière de la science, de la gestion et de la politique. On peut en rappeler les grandes lignes :
De ce point de vue, le texte de David M. Martin ne fait que la moitié du chemin. Il reconnaît que les sciences naturelles doivent travailler avec les sciences sociales au sein de l'écologie de la restauration. Il admet que les questions relatives à la santé, l'équilibre ou la diversité des écosystèmes ne peuvent se limiter à leur description naturaliste, mais doivent intégrer les valeurs, croyances et intérêts relatives à ces écosystèmes. Il est silencieux en revanche sur la manière dont on organise l'expression de ces valeurs, croyances et intérêts, ainsi que la décision en situation de positions contradictoires. Enrober la démarche naturaliste de croyances assénées comme universelles alors qu'elles ne le sont pas et impératives alors qu'elles doivent faire l'objet de débats reconduirait le problème observé des démarches de conservation et restauration.
Nous avions déjà évoqué ce point en commentant plus particulièrement des travaux, également nord-américains, relatifs aux difficultés de la gestion de barrages dans la restauration écologique de rivière (voir Cox et al 2016, Magalligan 2017). Des recherches françaises ont également montré la diversité des points de vue en ce domaine (par exemple Le Calvez 2015). Et nous le constatons en permanence dans notre pratique associative. Si l'écologie de la restauration se contente d'énoncer une série de valeurs sociales à côté d'une série d'objectifs naturels, en présupposant que ceux ne partageant pas les valeurs ou les objectifs sont simplement "mal informés", rien n'aura été fait. Il faut plutôt admettre que, comme toutes les autres politiques humaines, celle de l'environnement ne va pas de soi et ne se réduit pas à des angles simplistes (ce qui est "le plus écologique" ou "le plus économique" serait naturellement bon). Les projets qui réussissent sont généralement ceux qui laissent une large place à la science dans l'élaboration des objectifs, à la concertation dans la définition des méthodes et au temps dans la mise en oeuvre. Hélas, pour le domaine des rivières, la France est encore loin de ces conditions ouvertes et apaisées.
Référence : Martin DM (2017), Ecological restoration should be redefined for the twenty-first century, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12554
David M. Martin, représentant de l'Agence américaine de protection de l'environnement (EPA), publie un point de vue dans le dernier numéro de la revue nord-américaine Restoration Ecology.
La définition la plus répandue de la restauration écologique s'énonce ainsi (exemple de la motion de consensus présentée au colloque 2003 de la Society for Ecological Restoration) :
"La restauration écologique est un procédé visant à assister le rétablissement d'un écosystème qui a été dégradé, endommagé ou détruit".Le problème de cette définition : elle décrit ce que fait la restauration écologique (son objectif), mais elle ne précise pas pourquoi elle le fait. Les valeurs et croyances en sont absentes.
Cette carence s'explique par l'histoire de la restauration écologique : apparue dans les années 1970 et 1980, en complément de stratégies plus anciennes de conservation, elle a surtout été portée par des biologistes et écologues. Ces champs disciplinaires ont donc spontanément imposé la vision des sciences naturelles, sans éprouver particulièrement le besoin de travailler avec leurs collègues des sciences sociales.
Le succès de la restauration écologique dans les années 1990 et 2000 a conduit à élargir le champ de vision. En 1994, Higgs parle d'un "ensemble complet (social, scientifique, économique, politique) d'idée et de pratiques impliquées dans la restauration des écosystèmes". En 2004, Davis et Slobodkin évoquent la restauration de "processus ou attributs valorisés d'un paysage". La Convention sur la diversité biologique des Nations-Unies voit dans la restauration "un moyen de soutenir la résilience des écosystèmes et de conserver la biodiversité".
Pour Martin, ces évolutions sont encore insuffisantes, car "elle ne reconnaissent pas explicitement l'ampleur de la recherche scientifique moderne sur le sujet, pas plus qu'elles n'admettent que l'engagement social et la définition d'objectifs fondés sur des valeurs sont des parts fondamentales du processus de restauration". Il propose donc une définition élargie:
"La restauration écologique est un procédé visant à assister le rétablissement d'un écosystème qui a été dégradé, endommagé ou détruit, pour refléter les valeurs regardées comme inhérentes à l'écosystème et pour procurer des biens et services que les gens valorisent".A titre d'exemple, l'auteur donne un diagramme d'objectifs pour une opération de restauration, répondant à la question "pourquoi" et non seulement "quoi" (cliquer pour agrandir).
Discussion
La tribune de David M. Martin répond à un arrière-plan complexe de l'évolution de l'écologie depuis quelques décennies, à la frontière de la science, de la gestion et de la politique. On peut en rappeler les grandes lignes :
- il existe un débat scientifique (interne à la communauté des écologues) sur la nature exacte de ce qu'il s'agit de conserver ou de restaurer, avec certaines écoles soutenant que la nature "pré-humaine" reste la référence à protéger ou rétablir (minimisation ou suppression de l'impact humain) et d'autres écoles posant que l'influence humaine fait partie de l'évolution, donc que l'écologie s'adresse plutôt à des fonctionnalités ou des potentiels évolutifs, sans vouloir à tout prix conserver la structure et composition des systèmes précédant l'Anthropocène,
- il existe un débat philosophique sur les raisons pour lesquelles nous voulons conserver ou restaurer des écosystèmes et leurs espèces, certains affirmant que la nature a une "valeur intrinsèque" s'imposant aux autres finalités humaines (biocentrisme, écocentrisme), d'autres considérant que ce sont en dernier ressort des motivations humaines qui justifient une certaine gestion de la nature et qui nourrissent le consentement à cette gestion (anthropocentrisme, pouvant se référer à l'utilité mais aussi à la beauté, la culture, etc.),
- il existe un nombre croissant de débats politiques sur l'allocation des fonds publics et la justification des normes réglementaires, ce qui est la rançon du succès de l'écologie passée de la contestation à l'institutionnalisation. Dès lors que l'Etat (ou une collectivité) engage des contraintes ou des coûts, il faut en justifier la nécessité dans le cadre d'un débat démocratique contradictoire où tout le monde ne partage pas les mêmes idées, tant sur le volume de la dépense que sur son périmètre et ses finalités.
De ce point de vue, le texte de David M. Martin ne fait que la moitié du chemin. Il reconnaît que les sciences naturelles doivent travailler avec les sciences sociales au sein de l'écologie de la restauration. Il admet que les questions relatives à la santé, l'équilibre ou la diversité des écosystèmes ne peuvent se limiter à leur description naturaliste, mais doivent intégrer les valeurs, croyances et intérêts relatives à ces écosystèmes. Il est silencieux en revanche sur la manière dont on organise l'expression de ces valeurs, croyances et intérêts, ainsi que la décision en situation de positions contradictoires. Enrober la démarche naturaliste de croyances assénées comme universelles alors qu'elles ne le sont pas et impératives alors qu'elles doivent faire l'objet de débats reconduirait le problème observé des démarches de conservation et restauration.
Nous avions déjà évoqué ce point en commentant plus particulièrement des travaux, également nord-américains, relatifs aux difficultés de la gestion de barrages dans la restauration écologique de rivière (voir Cox et al 2016, Magalligan 2017). Des recherches françaises ont également montré la diversité des points de vue en ce domaine (par exemple Le Calvez 2015). Et nous le constatons en permanence dans notre pratique associative. Si l'écologie de la restauration se contente d'énoncer une série de valeurs sociales à côté d'une série d'objectifs naturels, en présupposant que ceux ne partageant pas les valeurs ou les objectifs sont simplement "mal informés", rien n'aura été fait. Il faut plutôt admettre que, comme toutes les autres politiques humaines, celle de l'environnement ne va pas de soi et ne se réduit pas à des angles simplistes (ce qui est "le plus écologique" ou "le plus économique" serait naturellement bon). Les projets qui réussissent sont généralement ceux qui laissent une large place à la science dans l'élaboration des objectifs, à la concertation dans la définition des méthodes et au temps dans la mise en oeuvre. Hélas, pour le domaine des rivières, la France est encore loin de ces conditions ouvertes et apaisées.
Référence : Martin DM (2017), Ecological restoration should be redefined for the twenty-first century, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12554
12/08/2017
Les ouvrages hydrauliques peuvent-ils faire évoluer des poissons vers la sédentarité? (Branco et al 2017)
Une étude menée par des chercheurs portugais sur le barbeau ibérique, un cyprinidé rhéophile, montre que les ouvrages de l'hydraulique ancienne n'empêchent pas la migration d'environ 10% des poissons, et que les 90% restant parviennent à accomplir leur cycle de vie dans les zones contraintes par les ouvrages. Cela suggère que des espèces mobiles peuvent s'adapter à la présence d'obstacles et évoluer vers un comportement plus sédentaire, pourvu qu'elles disposent d'habitats non dégradés sur les tronçons.
Le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) est un cyprinidé rhéophile du genre Barbus, qui peut présenter un comportement mobile sur plusieurs kilomètres de rivière.
Paulo Branco et ses collègues ont recherché une rivière non impactée par des pollutions, avec un minimum d'activité agricole sur le versant, présentant une influence dominante de barrières physiques à la continuité longitudinale, sans affluents pour éviter des migrations latérales, hébergeant des espèces natives potamodromes à comportement mobile. La rivière Alviela présente ces caractéristiques sur un tronçon de 5,6 km.
On trouve sur ce tronçon six ouvrages hydrauliques, dont la hauteur varie de 0,95 à 2,25 m. Ce sont des ouvrages typiques des seuils et chaussées de l'hydraulique ancienne (voir l'image ci-dessous). Tous les ouvrages sauf un avaient un indice de franchissabilité considéré comme mauvais à modéré.
Les chercheurs ont capturé, mesuré et tagué (polymère fluorescent) 683 barbeaux, dont ils ont ensuite examiné le comportement à partir de 7 points de mesure sur le tronçon. Ils ont pu recapturer 104 poissons. Les analyses se sont faites sur 4 saisons et 2 années.
Voici leurs principaux résultats:
Discussion
Un travail comparable à celui mené par Paulo Branco et ses collègues n'a nullement été réalisé dans la préparation du classement des rivières à fin de continuité écologique en France. Si certains axes grands migrateurs amphihalins (saumons, aloses, anguilles) sont assez évidents au regard de la présence historique récente des espèces cibles et de zones de fraie ou de grossissement vers l'amont, un grand nombre de rivières de tête et milieu de bassin ont également été désignées comme étant d'aménagement obligatoire, sans examen des enjeux pisciaires et, surtout, du comportement réel des populations présentes. Il faut donc réviser ce classement, déjà dénoncer les conditions déplorables de sous-information scientifique ayant conduit à son élaboration (pour rappel, un travail alimenté par des sociétés de pêche et le CSP, n'utilisant en rien les outils les plus récents de la modélisation écologique).
Le barbeau ibérique a des capacités moindres de saut et nage d'effort par rapport à d'autres espèces d'eau douce comme la truite commune. Le fait que des ouvrages d'hydraulique ancienne n'empêchent pas la migration de 10% des individus indique que le brassage génétique ou la recolonisation de l'amont après des épisodes extrêmes peut être assurée dans certains conditions typiques de l'évolution biologique des populations. Cela suggère qu'il faut réviser les critères actuels d'évaluation de la franchissabilité (protocole ICE en France) et leurs applications réglementaires. Les ouvrages présentant une franchissabilité partielle pourraient par exemple être exemptés d'obligation d'aménagement, afin que les moyens publics se concentrent sur ceux qui forment des barrières totales à l'ensemble des espèces.
Enfin, les discontinuités sont naturellement présentes dans beaucoup de rivières. Elles sont loin d'avoir des effets toujours négatifs et elles ont contribué à la production de diversité biologique au cours de l'évolution. Il est probable que les discontinuités d'origine anthropique agissent comme un filtre adaptatif. Il apparaît nécessaire de sortir du paradigme naïf de la "renaturation" ou de la "restauration" comme retour à la transparence totale de conditions pré-humaines idéalisées. Les analyses de diversité et fonctionnalité des hydrosystèmes aménagés doivent être menées sans biais idéologique de valorisation d'une "naturalité" de référence, au moins quand ces analyses se réfèrent à l'objectivité de la science plutôt qu'à la subjectivité des usages ou des représentations propres à certains acteurs.
Référence : Branco P et al (2017), Do small barriers affect the movement of freshwater fish by increasing residency?, Science of the Total Environment, 581–582, 486-494
Le barbeau ibérique (Luciobarbus bocagei) est un cyprinidé rhéophile du genre Barbus, qui peut présenter un comportement mobile sur plusieurs kilomètres de rivière.
Paulo Branco et ses collègues ont recherché une rivière non impactée par des pollutions, avec un minimum d'activité agricole sur le versant, présentant une influence dominante de barrières physiques à la continuité longitudinale, sans affluents pour éviter des migrations latérales, hébergeant des espèces natives potamodromes à comportement mobile. La rivière Alviela présente ces caractéristiques sur un tronçon de 5,6 km.
On trouve sur ce tronçon six ouvrages hydrauliques, dont la hauteur varie de 0,95 à 2,25 m. Ce sont des ouvrages typiques des seuils et chaussées de l'hydraulique ancienne (voir l'image ci-dessous). Tous les ouvrages sauf un avaient un indice de franchissabilité considéré comme mauvais à modéré.
Extrait de Branco et al 2017, art cit, droit de courte citation. Certains ouvrages ont le profil typique des seuils et chaussées de moulin. La hauteur pouvant dépasser 2 m n'empêche pas la migration d'une partie des barbeaux.
Voici leurs principaux résultats:
- 10,6% des poissons ont franchi les barrières, 89,4% sont restés entre les ouvrages,
- il n'y avait pas de direction privilégiée à la migration (montaison comme dévalaison),
- il n'y avait pas de différence notable de taille entre les poissons franchissant les obstacles (25,5 cm ± 5,2 cm) et les poissons sédentaires (25,7 cm ±8,4 cm)/
Discussion
Un travail comparable à celui mené par Paulo Branco et ses collègues n'a nullement été réalisé dans la préparation du classement des rivières à fin de continuité écologique en France. Si certains axes grands migrateurs amphihalins (saumons, aloses, anguilles) sont assez évidents au regard de la présence historique récente des espèces cibles et de zones de fraie ou de grossissement vers l'amont, un grand nombre de rivières de tête et milieu de bassin ont également été désignées comme étant d'aménagement obligatoire, sans examen des enjeux pisciaires et, surtout, du comportement réel des populations présentes. Il faut donc réviser ce classement, déjà dénoncer les conditions déplorables de sous-information scientifique ayant conduit à son élaboration (pour rappel, un travail alimenté par des sociétés de pêche et le CSP, n'utilisant en rien les outils les plus récents de la modélisation écologique).
Le barbeau ibérique a des capacités moindres de saut et nage d'effort par rapport à d'autres espèces d'eau douce comme la truite commune. Le fait que des ouvrages d'hydraulique ancienne n'empêchent pas la migration de 10% des individus indique que le brassage génétique ou la recolonisation de l'amont après des épisodes extrêmes peut être assurée dans certains conditions typiques de l'évolution biologique des populations. Cela suggère qu'il faut réviser les critères actuels d'évaluation de la franchissabilité (protocole ICE en France) et leurs applications réglementaires. Les ouvrages présentant une franchissabilité partielle pourraient par exemple être exemptés d'obligation d'aménagement, afin que les moyens publics se concentrent sur ceux qui forment des barrières totales à l'ensemble des espèces.
Enfin, les discontinuités sont naturellement présentes dans beaucoup de rivières. Elles sont loin d'avoir des effets toujours négatifs et elles ont contribué à la production de diversité biologique au cours de l'évolution. Il est probable que les discontinuités d'origine anthropique agissent comme un filtre adaptatif. Il apparaît nécessaire de sortir du paradigme naïf de la "renaturation" ou de la "restauration" comme retour à la transparence totale de conditions pré-humaines idéalisées. Les analyses de diversité et fonctionnalité des hydrosystèmes aménagés doivent être menées sans biais idéologique de valorisation d'une "naturalité" de référence, au moins quand ces analyses se réfèrent à l'objectivité de la science plutôt qu'à la subjectivité des usages ou des représentations propres à certains acteurs.
Référence : Branco P et al (2017), Do small barriers affect the movement of freshwater fish by increasing residency?, Science of the Total Environment, 581–582, 486-494
07/08/2017
Simplification des normes? Pas pour la continuité écologique! Lettre à M. Edouard Philippe
En plein mois d'août, et alors que le Premier Ministre vient d'exiger par circulaire la simplification des normes, la direction de l'eau du ministère de la Transition écologique et solidaire met en consultation publique un nouveau décret complexifiant et élargissant un peu plus la notion d'obstacle à la continuité écologique (voir ce lien pour déposer votre avis). Notre association a décidé de saisir M. Edouard Philippe de ce cas d'espèce, et plus largement de la situation catastrophique des ouvrages hydrauliques, créée par dix ans d'acharnement et de harcèlement bureaucratiques.
Monsieur le Premier Ministre,
Légitimement inquiet de la complexité foisonnante de la règlementation en France, dont résultent un découragement de l'activité privée autant qu'une inefficacité de l'action publique, vous avez publié le 26 juillet 2017 une Circulaire relative à la maîtrise des textes réglementaires et de leur impact.
Cette circulaire pose notamment que "toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, la simplification d'au moins deux normes existantes" et que "l'impact de la réglementation doit être mieux mesuré et, in fine, ne pas se traduire par des contraintes excessives".
Hélas, il semble que tous les ministères de votre gouvernement ne sont pas disposés à suivre ces sages dispositions.
Ainsi, le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de mettre en consultation publique un projet de décret portant diverses modifications des dispositions du code de l’environnement relatives à la notion d’obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l’aval des ouvrages en rivière.
Si l'une des motivations de ce décret est la prise en compte normale des cours d'eau atypiques récemment signalés dans la loi, l'autre est une refonte complète de la définition d'un obstacle à la continuité écologique telle qu'elle fut établie à l'époque de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006.
Nous vous saisissons de cette question non seulement parce qu'elle illustre le brouillage de la parole publique, avec des actes contraires aux discours, mais aussi parce que l'objet de ce décret (continuité écologique) s'inscrit dans une dérive grave de la politique publique des rivières en France.
Commençons par l'examen du décret visé. Voici le texte actuel, suivi de la version que propose le ministère.
Article R214-109 code environnement, version actuelle
Article R214-109 code environnement, version proposée
Par la simple longueur des textes, il est déjà manifeste que la nouvelle version est plus complexe que la précédente. Mais le diable se cache dans les détails, et la véritable complexité de cette disposition se situe dans les discrets ajouts normatifs qui y figurent.
Ainsi :
Quoiqu'il en soit, cette mesure d'expansion normative est évidemment de nature à augmenter la complexité des dossiers des porteurs de projet d'ouvrage hydrauliques, de même qu'elle aboutira à multiplier les conflits d'interprétation (déjà fort nombreux) entre l'administration, les usagers et les riverains.
En conséquence immédiate de votre circulaire du 26 juillet 2017, nous sollicitons de retirer les dispositions litigieuses de ce décret ou, si elles étaient jugées absolument nécessaires par une motivation argumentée, de simplifier d'autres normes sur le même domaine de la continuité écologique.
Au-delà de ce cas particulier, nous attirons votre attention sur la très vive tension que suscite dans tout le pays cette réforme de continuité écologique.
Le code de l'environnement est devenu d'une effroyable complexité pour la question des ouvrages en rivière et la somme des obligations (essentiellement réglementaires) créées depuis 10 ans accable un nombre croissant de porteurs de projets hydro-électriques, en particulier les projets modestes qui concernent pourtant des dizaines de milliers de sites potentiels existants à restaurer et relancer.
Plus gravement, au nom de cette continuité écologique, des milliers de moulins, forges, étangs, lacs, canaux, biefs ont déjà été détruits sur nos rivières depuis 2006, et un plus grand nombre encore sont menacés. Ces milieux et leurs annexes hydrauliques forment parfois des habitats intéressants pour les oiseaux, les amphibiens, les insectes ou la flore riveraine, mais seuls les poissons sont réellement pris en compte dans l'évaluation, selon une motivation parfois plus halieutique que véritablement écologique. En plein effort national pour la transition énergétique, des agences de l'eau ou des fédérations de pêche à agrément public s'engagent même à acheter des centrales hydro-électriques susceptibles de produire... pour les faire disparaître à grand renfort de bulldozers et pelleteuses! Cet acharnement et cette gabegie provoquent la consternation des riverains. D'autant que des mesures non destructrices permettent de rétablir la circulation des poissons migrateurs là où le besoin en est attesté et où le coût est proportionné à l'enjeu.
Un audit administratif du Conseil général de l'environnement et du développement durable, rendu public au printemps dernier, a tiré la sonnette d'alarme sur cette réforme mal préparée et mal menée :
Nous sollicitons donc une remise à plat de cette politique publique.
La connectivité est un enjeu important pour les milieux aquatiques, mais la programmation française en ce domaine manque de rigueur dans le diagnostic et dans la priorisation des sites à traiter comme elle manque de réalisme dans le coût économique, d'ouverture d'esprit dans la prise en compte de l'ensemble des enjeux (écologie, paysage, patrimoine, énergie, loisirs) et de dialogue dans la définition des solutions.
Lors de son discours au Congrès, M. le Président de la République avait exposé aux parlementaires que les lois doivent recevoir régulièrement des ré-examens pour vérifier si leurs applications ne produisent pas des effets négatifs ou imprévus. La loi sur l'eau de 2006 et ses révisions subséquentes se sont révélés très problématiques en divers domaines, en particulier pour cette question des moulins et autres ouvrages hydrauliques. Elle a déjà connu des ajustements au cours de la précédente législature, mais à la marge et sans effet réel sur les problèmes. Un processus plus substantiel d'adaptation paraît donc nécessaire, et nous sollicitons de votre sagesse que le gouvernement l'envisage très rapidement pendant ce quinquennat. Sans attendre cette hypothèse, un moratoire sur la mise en oeuvre des destructions d'ouvrages hydrauliques anciens paraît une urgente nécessité pour apaiser les esprits et évaluer ce qui fait défaut à l'acceptabilité de l'action administrative sur ce sujet.
Illustration : droits réservés. Les petits barrages de cailloux que les enfants créent pour jouer en rivière en été deviendraient au terme du décret proposé par le ministère des obstacles à la continuité, car après tout certains chabots ou vairons ne pourraient éventuellement pas les franchir. Faudrait-il verbaliser les contrevenants s'ils n'ont pas déposé un dossier loi sur l'eau? De nombreuses situations naturelles (chutes, cascades, barrages de castors, etc.) correspondent aussi à cette définition très large de l'obstacle à la continuité écologique, de sorte qu'il faut en déduire le caractère naturellement discontinu de beaucoup de rivières… et se demander pourquoi la règlementation devrait changer cet état de fait ou s'en inquiéter avec un tel luxe de détails! Il faut sortir au plus vite de l'impasse où s'est enfermée la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère sur la question des ouvrages hydrauliques. Et refonder cette politique sur une écologie en phase avec l'économie et la société, au lieu de l'actuelle course en avant où la surenchère conservationniste se révèle inapplicable.
Monsieur le Premier Ministre,
Légitimement inquiet de la complexité foisonnante de la règlementation en France, dont résultent un découragement de l'activité privée autant qu'une inefficacité de l'action publique, vous avez publié le 26 juillet 2017 une Circulaire relative à la maîtrise des textes réglementaires et de leur impact.
Cette circulaire pose notamment que "toute nouvelle norme réglementaire doit être compensée par la suppression ou, en cas d'impossibilité avérée, la simplification d'au moins deux normes existantes" et que "l'impact de la réglementation doit être mieux mesuré et, in fine, ne pas se traduire par des contraintes excessives".
Hélas, il semble que tous les ministères de votre gouvernement ne sont pas disposés à suivre ces sages dispositions.
Ainsi, le ministère de la Transition écologique et solidaire vient de mettre en consultation publique un projet de décret portant diverses modifications des dispositions du code de l’environnement relatives à la notion d’obstacle à la continuité écologique et au débit à laisser à l’aval des ouvrages en rivière.
Si l'une des motivations de ce décret est la prise en compte normale des cours d'eau atypiques récemment signalés dans la loi, l'autre est une refonte complète de la définition d'un obstacle à la continuité écologique telle qu'elle fut établie à l'époque de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques de 2006.
Nous vous saisissons de cette question non seulement parce qu'elle illustre le brouillage de la parole publique, avec des actes contraires aux discours, mais aussi parce que l'objet de ce décret (continuité écologique) s'inscrit dans une dérive grave de la politique publique des rivières en France.
Commençons par l'examen du décret visé. Voici le texte actuel, suivi de la version que propose le ministère.
Article R214-109 code environnement, version actuelle
Constitue un obstacle à la continuité écologique, au sens du 1° du I de l'article L. 214-17 et de l'article R. 214-1, l'ouvrage entrant dans l'un des cas suivants :
1° Il ne permet pas la libre circulation des espèces biologiques, notamment parce qu'il perturbe significativement leur accès aux zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri ;
2° Il empêche le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° Il interrompt les connexions latérales avec les réservoirs biologiques ;
4° Il affecte substantiellement l'hydrologie des réservoirs biologiques.
Article R214-109 code environnement, version proposée
"I. Constituent un obstacle à la continuité écologique, dont la construction ne peut pas être autorisée sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, les ouvrages suivants :
1° les seuils ou les barrages en lit mineur de cours d'eau atteignant ou dépassant le seuil d'autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, et tout autre ouvrage qui perturbe significativement la libre circulation des espèces biologiques vers les zones indispensables à leur reproduction, leur croissance, leur alimentation ou leur abri, y compris en faisant disparaître ces zones ;
Ne sont pas concernés les seuils ou barrages à construire pour la sécurisation des terrains en zone de montagne dont le diagnostic préalable du projet conclut à l’absence d’alternative ;
2° les ouvrages qui empêchent le bon déroulement du transport naturel des sédiments ;
3° les ouvrages qui interrompent les connexions latérales, avec les réservoirs biologiques, les frayères et les habitats des annexes hydrauliques, à l’exception de ceux relevant de la rubrique 3.2.6.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 en l’absence d’alternative permettant d’éviter cette interruption ;
4° les ouvrages qui affectent substantiellement l'hydrologie des cours d'eau, à savoir la quantité, la variabilité, la saisonnalité des débits et la vitesse des écoulements. Entrent dans cette catégorie, les ouvrages qui ne laissent à leur aval immédiat que le débit minimum biologique prévu à l’article L.214-18, une majeure partie de l’année.
II. Constitue une construction au sens du 1° du I de l’article L. 214-17 toute construction d’un nouvel ouvrage entrant dans l’un des cas visés au I, ou toute reconstruction d’un tel ouvrage dès lors que, du fait de son état physique, la continuité écologique est restaurée naturellement en quasi-totalité, à l’exception d’une reconstruction dont les démarches administratives et techniques sont entreprises dans un délai raisonnable à la suite d’une destruction liée à des circonstances de force majeure ou de catastrophe naturelle."
Par la simple longueur des textes, il est déjà manifeste que la nouvelle version est plus complexe que la précédente. Mais le diable se cache dans les détails, et la véritable complexité de cette disposition se situe dans les discrets ajouts normatifs qui y figurent.
Ainsi :
- on passe dans le 1° d'un empêchement de circulation à diverses possibilités de perturbation significative (ce qui est opaque et sujet à interprétations sans fin);
- on ajoute dans le 1° la notion d'une possible disparition de zone de reproduction, croissance, alimentation ou abri, disposition qui en soi peut empêcher toute construction d'ouvrage car l'hydrologie spécifique d'une zone de retenue (créée par cet ouvrage) sera toujours favorable à certaines espèces mais aussi défavorables à d'autres, même sur une surface modeste;
- on ajoute dans le 3° à la notion de réservoirs biologiques (elle-même déjà très floue dans la pratique) la notion de connexion latérale à des frayères ou des annexes hydrauliques;
- on intègre dans le 4° la notion de vitesse à la définition de la modification de l'hydrologie d'un cours d'eau, or par définition cette vitesse change toujours au droit d'un ouvrage, même de très petite dimension;
- on élargit ce 4° à tout cours d'eau et non pas aux seuls réservoirs biologiques;
- on crée un II dans lequel non seulement la construction d'un ouvrage est concernée, mais aussi désormais la réfection d'un ouvrage existant;
- on reconduit dans ce processus les éléments déjà problématiques de la définition existante (par exemple, comment allons-nous nous accorder pour définir ce que serait un "bon déroulement" de limons, sables, graviers dans une rivière? Est-ce l'arbitraire interprétatif de l'agent instructeur qui va le définir? Ou alors l'Etat va-t-il publier un guide détaillé des volumes de sédiments transitant normalement au-dessus de chaque ouvrage ou dans chaque vanne, cela sur chaque rivière?)
Quoiqu'il en soit, cette mesure d'expansion normative est évidemment de nature à augmenter la complexité des dossiers des porteurs de projet d'ouvrage hydrauliques, de même qu'elle aboutira à multiplier les conflits d'interprétation (déjà fort nombreux) entre l'administration, les usagers et les riverains.
En conséquence immédiate de votre circulaire du 26 juillet 2017, nous sollicitons de retirer les dispositions litigieuses de ce décret ou, si elles étaient jugées absolument nécessaires par une motivation argumentée, de simplifier d'autres normes sur le même domaine de la continuité écologique.
Au-delà de ce cas particulier, nous attirons votre attention sur la très vive tension que suscite dans tout le pays cette réforme de continuité écologique.
Le code de l'environnement est devenu d'une effroyable complexité pour la question des ouvrages en rivière et la somme des obligations (essentiellement réglementaires) créées depuis 10 ans accable un nombre croissant de porteurs de projets hydro-électriques, en particulier les projets modestes qui concernent pourtant des dizaines de milliers de sites potentiels existants à restaurer et relancer.
Plus gravement, au nom de cette continuité écologique, des milliers de moulins, forges, étangs, lacs, canaux, biefs ont déjà été détruits sur nos rivières depuis 2006, et un plus grand nombre encore sont menacés. Ces milieux et leurs annexes hydrauliques forment parfois des habitats intéressants pour les oiseaux, les amphibiens, les insectes ou la flore riveraine, mais seuls les poissons sont réellement pris en compte dans l'évaluation, selon une motivation parfois plus halieutique que véritablement écologique. En plein effort national pour la transition énergétique, des agences de l'eau ou des fédérations de pêche à agrément public s'engagent même à acheter des centrales hydro-électriques susceptibles de produire... pour les faire disparaître à grand renfort de bulldozers et pelleteuses! Cet acharnement et cette gabegie provoquent la consternation des riverains. D'autant que des mesures non destructrices permettent de rétablir la circulation des poissons migrateurs là où le besoin en est attesté et où le coût est proportionné à l'enjeu.
Un audit administratif du Conseil général de l'environnement et du développement durable, rendu public au printemps dernier, a tiré la sonnette d'alarme sur cette réforme mal préparée et mal menée :
- plus de 20.000 ouvrages hydrauliques à aménager à très court terme (cas unique en Europe et dans le monde par sa démesure),
- coût public moyen dépassant les 100 k€ par ouvrage (2 milliards d'euros de coût public au total) sans compter la part restant due par le maître d'ouvrage communal ou privé,
- 85% des ouvrages orphelins de solution alors que le délai de mise en conformité de 5 ans est échu ou sur le point de l'être,
- manque d'évaluation scientifique des résultats réels et d'analyse économique des coûts pour y parvenir,
- pression de l'administration en faveur des solutions de destruction réprouvée par les propriétaires et riverains,
- défaut général de concertation avec la volonté d'imposer verticalement des solutions non consenties,
- inquiétude des petites collectivités rurales auxquelles la loi NOTRe transfère la gestion des milieux aquatiques en situation de contraction budgétaire.
Nous sollicitons donc une remise à plat de cette politique publique.
La connectivité est un enjeu important pour les milieux aquatiques, mais la programmation française en ce domaine manque de rigueur dans le diagnostic et dans la priorisation des sites à traiter comme elle manque de réalisme dans le coût économique, d'ouverture d'esprit dans la prise en compte de l'ensemble des enjeux (écologie, paysage, patrimoine, énergie, loisirs) et de dialogue dans la définition des solutions.
Lors de son discours au Congrès, M. le Président de la République avait exposé aux parlementaires que les lois doivent recevoir régulièrement des ré-examens pour vérifier si leurs applications ne produisent pas des effets négatifs ou imprévus. La loi sur l'eau de 2006 et ses révisions subséquentes se sont révélés très problématiques en divers domaines, en particulier pour cette question des moulins et autres ouvrages hydrauliques. Elle a déjà connu des ajustements au cours de la précédente législature, mais à la marge et sans effet réel sur les problèmes. Un processus plus substantiel d'adaptation paraît donc nécessaire, et nous sollicitons de votre sagesse que le gouvernement l'envisage très rapidement pendant ce quinquennat. Sans attendre cette hypothèse, un moratoire sur la mise en oeuvre des destructions d'ouvrages hydrauliques anciens paraît une urgente nécessité pour apaiser les esprits et évaluer ce qui fait défaut à l'acceptabilité de l'action administrative sur ce sujet.
Illustration : droits réservés. Les petits barrages de cailloux que les enfants créent pour jouer en rivière en été deviendraient au terme du décret proposé par le ministère des obstacles à la continuité, car après tout certains chabots ou vairons ne pourraient éventuellement pas les franchir. Faudrait-il verbaliser les contrevenants s'ils n'ont pas déposé un dossier loi sur l'eau? De nombreuses situations naturelles (chutes, cascades, barrages de castors, etc.) correspondent aussi à cette définition très large de l'obstacle à la continuité écologique, de sorte qu'il faut en déduire le caractère naturellement discontinu de beaucoup de rivières… et se demander pourquoi la règlementation devrait changer cet état de fait ou s'en inquiéter avec un tel luxe de détails! Il faut sortir au plus vite de l'impasse où s'est enfermée la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère sur la question des ouvrages hydrauliques. Et refonder cette politique sur une écologie en phase avec l'économie et la société, au lieu de l'actuelle course en avant où la surenchère conservationniste se révèle inapplicable.
04/08/2017
Exemption de continuité des sites producteurs: l'administration contourne de nouveau la loi pour harceler les moulins
En février dernier, une loi adoptée par le Parlement a permis une dérogation à la continuité écologique pour le cas des moulins producteurs ou en projet de production sur les rivières classées liste 2 au titre de l'article L 214-17 CE. La direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de la Transition écologique et solidaire a procédé comme elle le fait d'habitude: en produisant une note d'interprétation qui vide cette loi de sa substance et qui incite l'administration de l'eau à imposer ce qu'elle veut – même en rivière non classée! Déjà, la même administration encourage depuis 10 ans la scandaleuse destruction à la chaîne des ouvrages anciens, une option qui n'a jamais figuré dans la loi sur l'eau de 2006. Face à ce mépris du texte et de l'esprit des lois, on atteint manifestement un point de non-retour. Il n'y aura pas d'autre issue qu'une refonte substantielle et non superficielle des dispositions de continuité, nourrissant partout des conflits et contentieux. Dès à présent et régulièrement au cours des prochains mois, il est donc indispensable de saisir vos députés et sénateurs de chaque problème, en demandant qu'ils interpellent Nicolas Hulot sur les mesures qu'il compte prendre pour mettre un terme au processus des destruction des ouvrages et de harcèlement de leurs propriétaires. Ci-après, commentaires de cette note ministérielle sur le cas des moulins producteurs et premiers courriers-types de réponse pour les propriétaires confrontés au problème (à terme, un avocat est conseillé pour vous accompagner).
Le texte produit par le ministère de la Transition écologique et solidaire peut être téléchargé à ce lien. Il s'agit d'une note d'instruction envoyée à tous les services déconcentrés de l'Etat, sans date car en projet, mais circulant déjà dans les DDT-M, Dreal et services AFB.
Quelques commentaires sur les extraits notables.
"Il convient de ne plus exiger d’interventions relatives à la restauration de la continuité écologique sur le fondement du classement en liste 2 du L.214-17 CE sur les ouvrages suivants :
1. Un moulin d’ores et déjà autorisé à produire de l’électricité au 26 février 2017, en fonctionnement, qui n’a pas encore fait l’objet d’un aménagement, équipement ou d’une gestion en vue d’assurer la circulation piscicole et le transport suffisant des sédiments ;
2. Un moulin autorisé, sans usage énergétique, pour lequel un projet de remise en exploitation ou d’équipement pour la production électrique a été porté à la connaissance de l’autorité administrative avant le 26 février 2017."
La note du ministère prétend que le projet de production électrique doit être existant au moment où la loi est parue au Journal Officiel. C'est absurde : cette précision est absente de la loi et si les parlementaires l'ont votée, dans le cadre de l'autoconsommation et de la transition énergétiques, c'est justement pour encourager l'équipement futur des sites en évitant des frais exorbitants.
"Il convient toutefois de rappeler que d’autres dispositions législatives relatives à l’eau continuent de s’appliquer aux moulins visés par ce L.214-18-1, qui peuvent être mobilisées dans les cas où la restauration de la migration piscicole notamment, présente un enjeu pour le respect des engagements internationaux ou européens de la France en matière de préservation ou reconquête de la biodiversité.
Ces dispositions législatives sont, notamment :
- le L.210-1 du code de l’environnement, qui précise que l’utilisation, la valorisation de la ressource en eau, dans le respect des équilibres naturels, est d’intérêt général ;
- le L.211-1, qui précise que la gestion équilibrée et durable de l’eau vise la préservation et la restauration des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides et qui, comme le précise le Conseil d’État dans la décision du 22 février 2017 (cf note de bas de page n°8), fait de l’obligation d’assurer la continuité écologique sur les bassins versants un objectif de la gestion équilibrée et durable de l’eau dont l’autorité administrative doit assurer le respect sur l’ensemble des cours d’eau"
L'administration contourne l'esprit de la loi en expliquant que même si un moulin produit de l'électricité en rivière classée L2 au titre du L 214-17 CE, il sera possible de ne pas donner suite à l'exemption de continuité en se réclamant d'un autre article du code de l'environnement. A noter que les articles cités (L 210-1 CE, L 211-1 CE) permettraient d'imposer la continuité sur n'importe quel ouvrage de n'importe quelle rivière, de sorte que le classement spécifique du L 214-17 CE perd tout son sens. A quoi bon cibler des rivières pour la continuité si l'administration l'estime désormais exigible partout?
"Il conviendra donc de prendre toutes les prescriptions vis-à-vis de la migration des espèces concernées à la montaison comme à la dévalaison, nécessaires au respect des engagements internationaux et européens particuliers, indépendamment du classement du cours d’eau en liste 2 du L.214-17 et de la dérogation organisée par le L.214-18-1.
Vous pourrez établir ces prescriptions sur la base des outils réglementaires suivants :
- le R181-45 du code de l’environnement (ex-R.214-17) qui permet à l’autorité administrative d’exiger, de manière motivée, un complément d’analyse de l’impact de l’ouvrage
sur la migration des espèces concernées et une proposition de modification de l’ouvrage ou de sa gestion le cas échéant nécessaire à la réduction suffisante de cet impact au regard de l’enjeu9 ;
- le II du R181-46 (ex-R214-18) : en cas de modification d’un moulin déjà remis ou toujours en exploitation, qui impose de porter à la connaissance du préfet les modifications prévues sur une installation existante, dont les modifications de modalités d’exploitation ou de mise en œuvre, avec tous les éléments d’appréciation ;
- le R.214-18-1 qui impose que le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation de moulins soient portés à la connaissance du préfet avec tous les éléments d’appréciation nécessaires ;
- l’arrêté de prescriptions générales relatives à la rubrique 3.1.1.0 du 11 septembre 2015, qui précise notamment le contenu des éléments d’incidences à apporter en cas de modification d’exploitation d’installations ou ouvrages existants et de confortement, remise en eau ou en exploitation de droits anciens.
L’autorité administrative a ainsi, en toute hypothèse, les moyens d’établir les prescriptions nécessaires au respect de la gestion équilibrée de l’eau définie au L.211-1 et des engagements internationaux et européens de la France pour la reconquête de la biodiversité aquatique."
Cette longue liste expose les réglementations complexes, nombreuses et opaques accumulées depuis 10 ans qui permettent en substance à l'administration de demander ce qu'elle veut, sans aucun souci de réalisme économique et généralement sans aucune étude objective de l'hydro-écologie en dehors de quelques espèces de poissons.
"l’installation est régulièrement installée ; cela signifie qu’elle est en situation régulière au regard de la police de l’eau et des milieux aquatiques (au-delà d’être «autorisée», elle respecte les prescriptions particulières le cas échéant d’ores et déjà établies par arrêté préfectoral)"
Cette précision signifie là encore que l'administration conserve la possibilité d'imposer ce qu'elle veut en "prescriptions particulières", donc par exemple d'imposer la continuité… alors que l'article de loi visait à déroger à son obligation ! Kafkaïen.
Premiers modèles de courriers de réponse
Rappel : tout courrier à l'administration s'envoie en recommandé avec AR, en conservant le courrier et le récépissé pour des procédures ultérieures.
Si l'administration met en avant le fait que votre projet de production hydro-électrique est postérieur au 26 février 2017
Madame, Monsieur,
Lorsque les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017, ils n'ont jamais précisé que la dérogation à la continuité écologique en rivières classées au titre du L 214-17 CE ne devait concerner que les moulins équipés ou en en projet d'équipement avant la loi.
Cette mention est absente du texte, dont l'objectif est au contraire de favoriser pour l'avenir (et non le passé!) la transition énergétique et l'autoconsommation.
Je suis donc en désaccord avec votre interprétation et j'estime que mon projet de production hydro-électrique vaut dérogation à l'obligation de continuité au titre du 2° du I du L 214-17 CE.
Je vous rappelle en tout état de cause que cet article L 214-17 CE ouvre droit à indemnité pour la mise en conformité à la continuité écologique (contrairement à la loi de 1984 que la loi de 2006 a remplacé sur ce point), donc que vos services devraient me fournir un plan d'indemnisation lorsqu'ils exigent un dispositif de franchissement représentant une charge spéciale et exorbitante. De la même manière, c'est à vos services (et non au propriétaire ou à l'exploitant) que la loi impose expressément de définir des règles de gestion, équipement et entretien.
A tout point de vue, je ne puis donc faire suite à vos demandes et je vous prie par la présente d'en reconsidérer les attendus.
Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Si l'administration met en avant un autre texte de loi que le L 214-17 CE (en général, le L 211-1 CE)
Madame, Monsieur,
Les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017 pour exempter les moulins producteurs d'électricité des obligations de continuité écologique.
Vous souhaitez contourner cette loi en invoquant d'autres textes du code de l'environnement, visant à m'imposer l'obligation d'un dispositif de franchissement.
Je vous rappelle tout d'abord un principe juridique usuellement reconnu par les cours de justice: la disposition spéciale l'emporte sur la règle générale à laquelle elle déroge. Si la loi a prévu une exemption de continuité écologique pour les ouvrages producteurs en rivières classées liste 2 au titre de l'article L 214-17 CE, exiger cette même mesure de continuité écologique en vertu d'une règle plus générale, comme celle de l'article L 211-1 CE, ne me paraît donc guère recevable.
Je souhaite donc que vous ré-examiniez le bien-fondé de votre requête, que je soumettrai à un avocat en cas d'insistance de votre part.
En tout état de cause, cette requête relèverait d'une procédure entièrement nouvelle puisque non-liée au classement de continuité écologique propre à l'article L 214-17 CE.
Il serait donc nécessaire de me fournir, dans le cadre normal de la procédure contradictoire, les éléments démontrant que la mesure demandée par vos services est fondée sur des problèmes écologiques attestés, proportionnés aux contraintes et aux coûts, en particulier et dans un premier temps :
- relevés piscicoles amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- relevés sédimentaires amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- garantie que la mesure ne favorisera pas la colonisation d'espèces invasives vers l'amont,
- garantie que la mesure n'affectera pas la diversité faune, flore et fonge du site en l'état actuel de ses écoulements et peuplements,
- garantie que la mesure respecte la dimension paysagère et patrimoniale du site,
- garantie que la mesure ne remet pas en cause l'équilibre actuel des écoulements, la stabilité des berges et du bâti, la consistance légale autorisée du bien,
- estimation du coût de la mesure et plan d'indemnisation par l'Etat.
Au regard des pratiques couramment observées sur les rivières, un diagnostic écologique de site coûte des milliers à des dizaines de milliers d'euros pour un particulier, et un chantier de continuité peut atteindre des centaines de milliers d'euros. L'obligation de surveillance et d'entretien est également lourde. De tels travaux, qui relèvent de l'intérêt général, ne sont pas envisageables pour un particulier sans une aide publique conséquente. Et je ne peux en tout état de cause engager la moindre initiative sur la base d'un simple courrier de votre part, sans que vous ayez caractérisé la nécessité et la proportionnalité d'une mesure de police aussi exceptionnelle au droit de mon ouvrage. Et d'abord son bien-fondé en droit.
Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Modèle de lettre d'accompagnement aux députés et sénateurs de votre département (indispensable pour alerter le ministre de tutelle de la direction de l'eau et faire cesser au plus vite les dérives intégristes de la continuité)
Madame / Monsieur la / le Député(e)
Madame / Monsieur la / le Sénatrice/eur,
Comme vous le savez sans doute, la réforme dite de "continuité écologique" pose des problèmes majeurs, qui ont été relevés par deux rapports d'audit du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD 2012, CGEDD 2016). Le second rapport du CGEDD, rendu public voici quelques mois, montre l'ampleur des difficultés : plus de 20000 ouvrages hydrauliques à aménager, un coût public moyen dépassant les 100 k€ par ouvrage (2 milliards d'euros au total) sans compter la part restant due par le maître d'ouvrage, 85% des ouvrages orphelins de solution alors que le délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être, une pression de l'administration en faveur des solutions de destruction réprouvée par les propriétaires et riverains, un défaut général de concertation ou une réduction de cette concertation à un monologue à sens unique avec, au final, la volonté d'imposer des solutions non consenties.
Des réformes législatives ont été votées en 2016 et 2017, mais elles sont insuffisantes par rapport à la gravité des problèmes et des retards. L'administration a par ailleurs produit des interprétations tendancieuses de ces évolutions législatives qui, pour l'essentiel, en neutralisent l'intérêt et donc reconduisent le blocage observé par le CGEDD.
Ainsi, alors que les parlementaires avaient voté en février 2017 l'exemption de continuité écologique pour les moulins équipés pour produire de l'hydro-électricité (loi n°2017-227 du 24 février 2017), la Préfecture vient de me notifier son refus d'appliquer la loi, au prétexte que d'autres dispositions du code de l'environnement lui permettent de poser les mêmes exigences – dont le coût est hélas exorbitant et hors de ma portée.
Je sollicite votre écoute et votre compréhension pour saisir M. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, de ce problème et pour demander que l'administration en charge de l'eau cesse des interprétations de la loi qui la rendent inapplicables et qui provoquent d'innombrables conflits au bord des rivières.
Les dernières élections ont été dominées par le problème de la défiance des citoyens vis-à-vis de l'efficacité, de la probité et de l'équité de l'action publique : la continuité écologique est hélas l'un des nombreux exemples où l'Etat semble avoir perdu tout bon sens et toute humanité.
Vous remerciant par avance de votre sensibilité à cette question et des initiatives que vous pourrez prendre pour essayer de sortir de cette impasse, je vous prie de recevoir, Madame / Monsieur la / le Député(e), Madame / Monsieur la / la Sénatrice/eur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Le texte produit par le ministère de la Transition écologique et solidaire peut être téléchargé à ce lien. Il s'agit d'une note d'instruction envoyée à tous les services déconcentrés de l'Etat, sans date car en projet, mais circulant déjà dans les DDT-M, Dreal et services AFB.
Quelques commentaires sur les extraits notables.
"Il convient de ne plus exiger d’interventions relatives à la restauration de la continuité écologique sur le fondement du classement en liste 2 du L.214-17 CE sur les ouvrages suivants :
1. Un moulin d’ores et déjà autorisé à produire de l’électricité au 26 février 2017, en fonctionnement, qui n’a pas encore fait l’objet d’un aménagement, équipement ou d’une gestion en vue d’assurer la circulation piscicole et le transport suffisant des sédiments ;
2. Un moulin autorisé, sans usage énergétique, pour lequel un projet de remise en exploitation ou d’équipement pour la production électrique a été porté à la connaissance de l’autorité administrative avant le 26 février 2017."
La note du ministère prétend que le projet de production électrique doit être existant au moment où la loi est parue au Journal Officiel. C'est absurde : cette précision est absente de la loi et si les parlementaires l'ont votée, dans le cadre de l'autoconsommation et de la transition énergétiques, c'est justement pour encourager l'équipement futur des sites en évitant des frais exorbitants.
"Il convient toutefois de rappeler que d’autres dispositions législatives relatives à l’eau continuent de s’appliquer aux moulins visés par ce L.214-18-1, qui peuvent être mobilisées dans les cas où la restauration de la migration piscicole notamment, présente un enjeu pour le respect des engagements internationaux ou européens de la France en matière de préservation ou reconquête de la biodiversité.
Ces dispositions législatives sont, notamment :
- le L.210-1 du code de l’environnement, qui précise que l’utilisation, la valorisation de la ressource en eau, dans le respect des équilibres naturels, est d’intérêt général ;
- le L.211-1, qui précise que la gestion équilibrée et durable de l’eau vise la préservation et la restauration des écosystèmes aquatiques, des sites et des zones humides et qui, comme le précise le Conseil d’État dans la décision du 22 février 2017 (cf note de bas de page n°8), fait de l’obligation d’assurer la continuité écologique sur les bassins versants un objectif de la gestion équilibrée et durable de l’eau dont l’autorité administrative doit assurer le respect sur l’ensemble des cours d’eau"
L'administration contourne l'esprit de la loi en expliquant que même si un moulin produit de l'électricité en rivière classée L2 au titre du L 214-17 CE, il sera possible de ne pas donner suite à l'exemption de continuité en se réclamant d'un autre article du code de l'environnement. A noter que les articles cités (L 210-1 CE, L 211-1 CE) permettraient d'imposer la continuité sur n'importe quel ouvrage de n'importe quelle rivière, de sorte que le classement spécifique du L 214-17 CE perd tout son sens. A quoi bon cibler des rivières pour la continuité si l'administration l'estime désormais exigible partout?
"Il conviendra donc de prendre toutes les prescriptions vis-à-vis de la migration des espèces concernées à la montaison comme à la dévalaison, nécessaires au respect des engagements internationaux et européens particuliers, indépendamment du classement du cours d’eau en liste 2 du L.214-17 et de la dérogation organisée par le L.214-18-1.
Vous pourrez établir ces prescriptions sur la base des outils réglementaires suivants :
- le R181-45 du code de l’environnement (ex-R.214-17) qui permet à l’autorité administrative d’exiger, de manière motivée, un complément d’analyse de l’impact de l’ouvrage
sur la migration des espèces concernées et une proposition de modification de l’ouvrage ou de sa gestion le cas échéant nécessaire à la réduction suffisante de cet impact au regard de l’enjeu9 ;
- le II du R181-46 (ex-R214-18) : en cas de modification d’un moulin déjà remis ou toujours en exploitation, qui impose de porter à la connaissance du préfet les modifications prévues sur une installation existante, dont les modifications de modalités d’exploitation ou de mise en œuvre, avec tous les éléments d’appréciation ;
- le R.214-18-1 qui impose que le confortement, la remise en eau ou la remise en exploitation de moulins soient portés à la connaissance du préfet avec tous les éléments d’appréciation nécessaires ;
- l’arrêté de prescriptions générales relatives à la rubrique 3.1.1.0 du 11 septembre 2015, qui précise notamment le contenu des éléments d’incidences à apporter en cas de modification d’exploitation d’installations ou ouvrages existants et de confortement, remise en eau ou en exploitation de droits anciens.
L’autorité administrative a ainsi, en toute hypothèse, les moyens d’établir les prescriptions nécessaires au respect de la gestion équilibrée de l’eau définie au L.211-1 et des engagements internationaux et européens de la France pour la reconquête de la biodiversité aquatique."
Cette longue liste expose les réglementations complexes, nombreuses et opaques accumulées depuis 10 ans qui permettent en substance à l'administration de demander ce qu'elle veut, sans aucun souci de réalisme économique et généralement sans aucune étude objective de l'hydro-écologie en dehors de quelques espèces de poissons.
"l’installation est régulièrement installée ; cela signifie qu’elle est en situation régulière au regard de la police de l’eau et des milieux aquatiques (au-delà d’être «autorisée», elle respecte les prescriptions particulières le cas échéant d’ores et déjà établies par arrêté préfectoral)"
Cette précision signifie là encore que l'administration conserve la possibilité d'imposer ce qu'elle veut en "prescriptions particulières", donc par exemple d'imposer la continuité… alors que l'article de loi visait à déroger à son obligation ! Kafkaïen.
Premiers modèles de courriers de réponse
Rappel : tout courrier à l'administration s'envoie en recommandé avec AR, en conservant le courrier et le récépissé pour des procédures ultérieures.
Si l'administration met en avant le fait que votre projet de production hydro-électrique est postérieur au 26 février 2017
Madame, Monsieur,
Lorsque les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017, ils n'ont jamais précisé que la dérogation à la continuité écologique en rivières classées au titre du L 214-17 CE ne devait concerner que les moulins équipés ou en en projet d'équipement avant la loi.
Cette mention est absente du texte, dont l'objectif est au contraire de favoriser pour l'avenir (et non le passé!) la transition énergétique et l'autoconsommation.
Je suis donc en désaccord avec votre interprétation et j'estime que mon projet de production hydro-électrique vaut dérogation à l'obligation de continuité au titre du 2° du I du L 214-17 CE.
Je vous rappelle en tout état de cause que cet article L 214-17 CE ouvre droit à indemnité pour la mise en conformité à la continuité écologique (contrairement à la loi de 1984 que la loi de 2006 a remplacé sur ce point), donc que vos services devraient me fournir un plan d'indemnisation lorsqu'ils exigent un dispositif de franchissement représentant une charge spéciale et exorbitante. De la même manière, c'est à vos services (et non au propriétaire ou à l'exploitant) que la loi impose expressément de définir des règles de gestion, équipement et entretien.
A tout point de vue, je ne puis donc faire suite à vos demandes et je vous prie par la présente d'en reconsidérer les attendus.
Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Si l'administration met en avant un autre texte de loi que le L 214-17 CE (en général, le L 211-1 CE)
Madame, Monsieur,
Les députés et sénateurs ont voté la loi n°2017-227 du 24 février 2017 pour exempter les moulins producteurs d'électricité des obligations de continuité écologique.
Vous souhaitez contourner cette loi en invoquant d'autres textes du code de l'environnement, visant à m'imposer l'obligation d'un dispositif de franchissement.
Je vous rappelle tout d'abord un principe juridique usuellement reconnu par les cours de justice: la disposition spéciale l'emporte sur la règle générale à laquelle elle déroge. Si la loi a prévu une exemption de continuité écologique pour les ouvrages producteurs en rivières classées liste 2 au titre de l'article L 214-17 CE, exiger cette même mesure de continuité écologique en vertu d'une règle plus générale, comme celle de l'article L 211-1 CE, ne me paraît donc guère recevable.
Je souhaite donc que vous ré-examiniez le bien-fondé de votre requête, que je soumettrai à un avocat en cas d'insistance de votre part.
En tout état de cause, cette requête relèverait d'une procédure entièrement nouvelle puisque non-liée au classement de continuité écologique propre à l'article L 214-17 CE.
Il serait donc nécessaire de me fournir, dans le cadre normal de la procédure contradictoire, les éléments démontrant que la mesure demandée par vos services est fondée sur des problèmes écologiques attestés, proportionnés aux contraintes et aux coûts, en particulier et dans un premier temps :
- relevés piscicoles amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- relevés sédimentaires amont et aval de l'ouvrage démontrant l'existence d'un problème,
- garantie que la mesure ne favorisera pas la colonisation d'espèces invasives vers l'amont,
- garantie que la mesure n'affectera pas la diversité faune, flore et fonge du site en l'état actuel de ses écoulements et peuplements,
- garantie que la mesure respecte la dimension paysagère et patrimoniale du site,
- garantie que la mesure ne remet pas en cause l'équilibre actuel des écoulements, la stabilité des berges et du bâti, la consistance légale autorisée du bien,
- estimation du coût de la mesure et plan d'indemnisation par l'Etat.
Au regard des pratiques couramment observées sur les rivières, un diagnostic écologique de site coûte des milliers à des dizaines de milliers d'euros pour un particulier, et un chantier de continuité peut atteindre des centaines de milliers d'euros. L'obligation de surveillance et d'entretien est également lourde. De tels travaux, qui relèvent de l'intérêt général, ne sont pas envisageables pour un particulier sans une aide publique conséquente. Et je ne peux en tout état de cause engager la moindre initiative sur la base d'un simple courrier de votre part, sans que vous ayez caractérisé la nécessité et la proportionnalité d'une mesure de police aussi exceptionnelle au droit de mon ouvrage. Et d'abord son bien-fondé en droit.
Je vous prie de recevoir, Madame, Monsieur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
Modèle de lettre d'accompagnement aux députés et sénateurs de votre département (indispensable pour alerter le ministre de tutelle de la direction de l'eau et faire cesser au plus vite les dérives intégristes de la continuité)
Madame / Monsieur la / le Député(e)
Madame / Monsieur la / le Sénatrice/eur,
Comme vous le savez sans doute, la réforme dite de "continuité écologique" pose des problèmes majeurs, qui ont été relevés par deux rapports d'audit du Conseil général de l'environnement et du développement durable (CGEDD 2012, CGEDD 2016). Le second rapport du CGEDD, rendu public voici quelques mois, montre l'ampleur des difficultés : plus de 20000 ouvrages hydrauliques à aménager, un coût public moyen dépassant les 100 k€ par ouvrage (2 milliards d'euros au total) sans compter la part restant due par le maître d'ouvrage, 85% des ouvrages orphelins de solution alors que le délai de 5 ans est échu ou sur le point de l'être, une pression de l'administration en faveur des solutions de destruction réprouvée par les propriétaires et riverains, un défaut général de concertation ou une réduction de cette concertation à un monologue à sens unique avec, au final, la volonté d'imposer des solutions non consenties.
Des réformes législatives ont été votées en 2016 et 2017, mais elles sont insuffisantes par rapport à la gravité des problèmes et des retards. L'administration a par ailleurs produit des interprétations tendancieuses de ces évolutions législatives qui, pour l'essentiel, en neutralisent l'intérêt et donc reconduisent le blocage observé par le CGEDD.
Ainsi, alors que les parlementaires avaient voté en février 2017 l'exemption de continuité écologique pour les moulins équipés pour produire de l'hydro-électricité (loi n°2017-227 du 24 février 2017), la Préfecture vient de me notifier son refus d'appliquer la loi, au prétexte que d'autres dispositions du code de l'environnement lui permettent de poser les mêmes exigences – dont le coût est hélas exorbitant et hors de ma portée.
Je sollicite votre écoute et votre compréhension pour saisir M. Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire, de ce problème et pour demander que l'administration en charge de l'eau cesse des interprétations de la loi qui la rendent inapplicables et qui provoquent d'innombrables conflits au bord des rivières.
Les dernières élections ont été dominées par le problème de la défiance des citoyens vis-à-vis de l'efficacité, de la probité et de l'équité de l'action publique : la continuité écologique est hélas l'un des nombreux exemples où l'Etat semble avoir perdu tout bon sens et toute humanité.
Vous remerciant par avance de votre sensibilité à cette question et des initiatives que vous pourrez prendre pour essayer de sortir de cette impasse, je vous prie de recevoir, Madame / Monsieur la / le Député(e), Madame / Monsieur la / la Sénatrice/eur, l'expression de mes meilleurs sentiments.
02/08/2017
Impacts humains sur la diversité des poissons de rivières espagnoles (Maceda-Veiga et al 2017)
Une étude sur 15 bassins versants du Nord-Est de l'Espagne montre que les altérations chimiques de l'eau restent les premiers prédicteurs de dégradation des indices de biodiversité des poissons. Elle suggère aussi que chaque impact a une influence faible, que les zones de protection écologique ne témoignent pas d'efficacité particulière et que la gestion environnementale des rivières doit impérativement s'adosser sur des analyses robustes des variations naturelles ou contraintes des milieux dans chaque bassin.
Alberto Maceda-Veiga et ses collègues ont étudié 530 sites répartis dans une région de 99700 km2 au Nord-Est de l'Espagne, au sein de 15 bassins versants. Chaque site a été caractérisé par 27 variables physiques, chimiques ou écologiques liées à la géographie, la qualité de l'habitat et les propriétés de l'eau. La biologie des échantillonnages a été évaluée par 20 indicateurs centrés sur la caractérisation des espèces de poissons natives (endémiques) et introduites. Ont aussi été intégrées deux espèces d'écrevisse et la propriété de transporter les oeufs des moules. Les chercheurs ont trouvé 16 espèces natives et 18 espèces introduites dans l'ensemble des bassins.
Quelques résultats notables :
Cet autre graphique montre les pourcentages de modèles où un indicateur peut être retenu comme ayant un effet (rouge négatif, bleu positif, orange dans les deux sens), pour les espèces endémiques (en haut) et introduites (en bas). On voit qu'outre l'élévation (les têtes de bassin sont toujours plus pauvres en espèces de poissons, même si elles sont le refuge d'espèces endémiques), les facteurs ayant un effet négatif marqué sur le espèces natives sont dans l'ordre l'ammoniac et les nitrites, les phosphates, la couverture des berges et les nitrates. La morphologie du chenal et la diversité de l'habitat ont des effets mixtes. La vitesse de l'eau est en revanche un facteur positif.
Les auteurs concluent que la bonne qualité chimique de l'eau et le régime hydrologique naturel sont les deux priorités pour la biodiversité pisciaire de la région, que l'efficacité des zonages de protection écologique doit être mieux évaluée et que le rôle spécifique des affluents doit faire l'objet d'études complémentaires.
Discussion
Les résultats de Maceda-Veiga et de ses collègues confirment que les facteurs d'altération chimique de la qualité de l'eau restent les premiers prédicteurs de dégradation de la biodiversité des poissons. Un enseignement de leur étude est cependant la faible influence des variables, avec les données géographiques (naturelles) prédisant mieux les variations biologiques que les données anthropiques, et ces dernières ayant au final un effet assez faible. En effet propre, les facteurs anthropiques influencent au maximum 14% de la variance de la bêta-diversité (emboitement ou nestdeness) pour la qualité chimique et 8% pour la diversité d'habitat. Pour la richesse spécifique totale, ces effets tombent à 2 et 3%.
Chaque hydro-écorégion a bien sûr des caractéristiques propres, ainsi qu'une certaine occupation humaine des bassins versants. Ces travaux confirment l'impérative nécessité de fonder les mesures en écologie de la conservation ou de la restauration sur des estimations rigoureuses des impacts réels des activités anthropiques, tant pour analyser leur gravité que pour prioriser leur traitement. Ils suggèrent aussi d'évaluer la manière dont nous gérons les Natura 2000, ZNIEFF et autres zones de conservation, un point qui a été soulevé récemment dans une évaluation critique menée par l'Europe (voir cet article).
Référence : Maceda-Veiga A et al (2017), Fine-scale determinants of conservation value of river reaches in a hotspot of native and non-native species diversity, Science of the Total Environment, 574, 455–466
Alberto Maceda-Veiga et ses collègues ont étudié 530 sites répartis dans une région de 99700 km2 au Nord-Est de l'Espagne, au sein de 15 bassins versants. Chaque site a été caractérisé par 27 variables physiques, chimiques ou écologiques liées à la géographie, la qualité de l'habitat et les propriétés de l'eau. La biologie des échantillonnages a été évaluée par 20 indicateurs centrés sur la caractérisation des espèces de poissons natives (endémiques) et introduites. Ont aussi été intégrées deux espèces d'écrevisse et la propriété de transporter les oeufs des moules. Les chercheurs ont trouvé 16 espèces natives et 18 espèces introduites dans l'ensemble des bassins.
Quelques résultats notables :
- La variation totale de la composition des poissons (R2=24%) était d'abord guidée par la géographie (15%) suivie par la qualité de l'habitat (3%) et les propriétés de l'eau (2%).
- La pollution par les nutriments, la salinisation de l'eau, la faible vitesse de l'eau et la pauvreté des habitats sont les principaux prédicteurs de menaces sur les espèces endémiques.
- Les habitats protégés (type Natura 2000) montent un effet neutre sur la plupart des espèces natives.
- Les affluents ont un rôle plus fréquent de refuge pour les espèces endémiques.
Extrait de Maceda-Veiga 2017, art cit,, droit de courte citation.
Extrait de Maceda-Veiga 2017, art cit,, droit de courte citation.
Les auteurs concluent que la bonne qualité chimique de l'eau et le régime hydrologique naturel sont les deux priorités pour la biodiversité pisciaire de la région, que l'efficacité des zonages de protection écologique doit être mieux évaluée et que le rôle spécifique des affluents doit faire l'objet d'études complémentaires.
Discussion
Les résultats de Maceda-Veiga et de ses collègues confirment que les facteurs d'altération chimique de la qualité de l'eau restent les premiers prédicteurs de dégradation de la biodiversité des poissons. Un enseignement de leur étude est cependant la faible influence des variables, avec les données géographiques (naturelles) prédisant mieux les variations biologiques que les données anthropiques, et ces dernières ayant au final un effet assez faible. En effet propre, les facteurs anthropiques influencent au maximum 14% de la variance de la bêta-diversité (emboitement ou nestdeness) pour la qualité chimique et 8% pour la diversité d'habitat. Pour la richesse spécifique totale, ces effets tombent à 2 et 3%.
Chaque hydro-écorégion a bien sûr des caractéristiques propres, ainsi qu'une certaine occupation humaine des bassins versants. Ces travaux confirment l'impérative nécessité de fonder les mesures en écologie de la conservation ou de la restauration sur des estimations rigoureuses des impacts réels des activités anthropiques, tant pour analyser leur gravité que pour prioriser leur traitement. Ils suggèrent aussi d'évaluer la manière dont nous gérons les Natura 2000, ZNIEFF et autres zones de conservation, un point qui a été soulevé récemment dans une évaluation critique menée par l'Europe (voir cet article).
Référence : Maceda-Veiga A et al (2017), Fine-scale determinants of conservation value of river reaches in a hotspot of native and non-native species diversity, Science of the Total Environment, 574, 455–466
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