Dans un communiqué en date du 14 novembre 2017, le ministère de la Transition écologique et solidaire vient d'annoncer l'engagement du chantier de destruction des barrages de la Sélune. L'effacement du barrage de Vezins est censé commencer dès le printemps 2018, suivi par celui du barrage de la Roche-Qui-Boit.
La décision de Nicolas Hulot est inacceptable pour les raisons suivantes :
- elle a été prise de manière brutale, sans concertation avec les acteurs, poursuivant la déplorable habitude d’une soi-disant « écologie » autoritaire et punitive imposée depuis Paris,
- les habitants riverains de la vallée ont dit leur opposition massive à la disparition des lacs et des activités qui leur sont associées, sans que leur voix soit entendue,
- les deux barrages représentent des outils de production hydro-électrique très bas-carbone, et leur destruction en pleine COP23 est une véritable provocation, d'autant que la France s'avoue incapable de tenir son programme de sortie progressive du nucléaire comme de déploiement des éoliennes très contestées en ruralité,
- le retour des saumons sur la Sélune a été d'abord porté comme une exigence du lobby de la pêche de loisir, ce qui ne correspond en rien à un intérêt général mais illustre l’écoute anormalement attentive d’intérêts particuliers par les ministères successifs de l’écologie,
- à échelle de temps de l’écologie (de la décennie au millénaire), la durabilité des retours des saumons sur le bassin atlantique est incertaine en situation de réchauffement climatique et de modification des routes migratoires,
- pour un coût considérable de plus de 50 millions €, quelques milliers de saumons retournants sont attendus, soit un bénéfice négligeable par rapport aux opérations nord-américaines du même type qui ouvrent la voie à des dizaines ou des centaines de milliers de migrateurs,
- il existe des méthodes non destructrices pour déjà tester la capacité des saumons à coloniser l'amont, comme celles utilisées par EDF sur plusieurs rivières françaises,
- le bilan global de biodiversité du chantier serait mauvais, car les lacs hébergent de nombreuses espèces d’intérêt, dont certaines protégées, et ils remplissent des services écosystémiques bénéficiant à l’aval et à la baie du Mont-Saint-Michel.
On trouvera ci-après un rappel sommaire des coûts et nuisances associés à la destruction des ouvrages, y compris au plan environnemental.
La réponse à cette nouvelle dérive autoritaire du ministère de la Transition écologique et solidaire doit être claire : les barrages et lacs de la Sélune sont devenus une zone à défendre.
M. Nicolas Hulot ayant soutenu les riverains en lutte à Sivens ou à Notre-Dame-des-landes, il comprendra sans peine la mobilisation résolue dont sa décision va faire l’objet, sur le terrain, dans les médias et devant les tribunaux.
Nous appelons l'ensemble des citoyens à soutenir les actions qui seront menées par les habitants de la vallée, et dont nous vous tiendrons informé.
En concertation avec les acteurs locaux, l'association Hydrauxois travaille dès à présent à la préparation d'un recours en justice contre cette décision inacceptable.
Effacement des ouvrages de la Sélune,
un bilan coût-bénéfice très mauvais
Les avantages de l'effacement des ouvrages de la Sélune sur le retour de 3000 à 5000 saumons doivent être mis en balance avec ses effets négatifs, qui sont bien plus nombreux. En voici une liste probablement non exhaustive (la plupart sont dans l'étude Artelia 2014).
Economie
- coût considérable pour la dépense publique (minimum 50 M€)
- perte d’activité des installations touristiques en lien direct avec la retenue (village de gîtes du Bel Orient, base de Mazure, parc de l'Ange Michel, etc.)
- perte de retombées socio-économiques pour les collectivités locales destinataires de la taxe foncière et professionnelle liée aux barrages
- risque de ne jamais retrouver des activités durables vu le caractère encaissé de la vallée (au droit des retenues) et des fréquentes inondations rendant difficile l'aménagement des berges
- risque de coûts supplémentaires et conséquents si le saumon trouve des eaux trop polluées et trop fragmentées, des habitats trop dégradés pour coloniser efficacement la tête de basin et le chevelu amont
Energie et climat
- perte d'une production d'énergie hydroélectrique en place (18% du parc des énergies renouvelables de la Manche), qui a le meilleur bilan carbone en zone tempérée (25 GWh/an, émission de 7 g éqCO2/kWh en comparaison des 45 g éqCO2/kWh de l’électricité produite en France)
- émissions de gaz à effet de serre (GES) supplémentaires en contradiction avec la lutte contre le réchauffement climatique (émission lors de la phase travaux, perte de la fonction puits carbone de la retenue, perte du productible énergétique bas-carbone et fin prématurée du cycle de vie de l'équipement, coût carbone de la reconstruction d'un productible équivalent, à durée de vie moindre que des barrages)
Sécurité, services et régulation
- fin de l'écrêtement des crues les plus fréquentes et de la prévention des inondations aval (ralentissement de la cinétique des crues)
- reprise d'érosion régressive, fragilisation des berges, risque de glissements de terrain en amont du barrage lors de la phase de vidange et au-delà (disparition des pontons, cabanons et autres bâtis d'aménagement)
- disparition de la réserve d'eau et de son captage (43 communes)
- risque sur l'approvisionnement durable en eau (hydrogéologie du socle ne permettant pas de grands aquifères, pollution de l'alternative Beuvron, changement climatique et baisse tendancielle des débits)
Environnement
- destruction d'une zone humide à intérêt majeur de préservation et régulation de la ressource en eau, en situation de changement climatique et hydrologique
- perte de la fonction d'épuration chimique de l'eau polluée par les activités amont
- risque de pollution des eaux et berges à l'aval, risque de "marée verte" sur la petite baie du Mont Saint-Michel
- risque de propagation d’espèces invasives et pathogènes associés
- réduction de zones favorables aux espèces des milieux lentiques (brème, brochet, gardon, carpe, perche, sandre, tanche)
- disparition de la réserve d’habitats que peut constituer la retenue en période de très basses eaux dans le cas d'un cours d’eau soumis à des étiages sévères
- destruction de l’alimentation des zones humides dans les zones déprimées en fond des vallons
- mortalité d’une partie de la ripisylve de la retenue du barrage dont les racines seront exondées
- destruction des conditions favorables au développement du phytoplancton et de certaines macrophytes, disparition des vasières et des espèces inféodées à ce milieu (limoselle aquatique, scirpe à inflorescence ovoïde, léersie faux-riz)
- perte d'habitat et nourrisserie pour l'avifaune, dont certaines espèces protégées (hirondelle de fenêtre, bergeronnette des ruisseaux, chevalier guignette, grèbe huppé, héron cendré, grand cormoran, bouscarle de Cetti, martin pêcheur d’Europe, troglodyte mignon, bondrée apivore, pic épeichette)
- perte d'habitat pour les amphibiens et urodèles (grenouille agile, crapaud commun, salamandre tachetée, triton palmé), risque de disparition de certains insectes protégés (gomphe semblable)
- menace sur les colonies de chiroptères (petit rhinolophe, murin à oreilles échancrées, murin de Daubenton)
- risques environnementaux et sanitaires liés aux processus d’érosion et de lixiviation en cas d’une contamination des sédiments exondés
- bénéfice saumon très faible (5000 individus mxi, à comparer au retour de 500.000 migrateurs espéré sur l’opération similaire de l’Elwha aux Etats-Unis)
- poursuite d'une vision déjà datée et contestée de la "renaturation" par retour à une référence naturelle, alors que les rivières sont des phénomènes hybrides à co-évolution biologique et sociale, avec des biodiversités acquises dans les zones artificialisées offrant des habitats d'intérêt faunistiques ou floristiques
Société, mode de vie et gouvernance
- modification non désirée et non concertée du cadre de vie des riverains
- disparition d'un des seuls plans d'eau de pêche aux carnassiers et blancs de la région (usage majoritaire des 1600 adhérents des associations de pêche locale)
- disparition des activités festives et sportives liées aux retenues
- perte du patrimoine industriel local lié à l'existence des barrages
- opposition quasi unanime de la population de la vallée à la fin imposée des ouvrages, image négative de la "continuité écologique" comme mesure antidémocratique et peu rationnelle
Dommage pour votre article précédent qui expliquait en long et en large les raisons d'un échec comme un bon petit instituteur pas avare de donner des leçons. Vos informateurs sont décidément à la peine. Eh bien vous allez être occupé pour un moment et voilà encore du contentieux à l'ordre du jour. Les saumons, les lamproies marines, les aloses et les truites de mer de la Sélune, eux, en frétillent d'avance.
RépondreSupprimerAu contraire, relisez-le attentivement. La recherche de Germaine et Lespez permet de comprendre ce qui se passera dans les prochains mois, et la désastreuse manière de promouvoir la continuité écologique en long depuis le Grenelle. On se retrouve bientôt au pied du barrage de Vezins pour en parler? Peut-être que vous essaierez d'aider les conducteurs d'engins, comme vos amis de l'Armançon.
SupprimerPotentiel hydroélectrique dont personne ne voulait, aucun acquéreur pour les deux sites, trop rentable sans doute.
RépondreSupprimerLes EPR soutenus par Nicolas Hulot sont sûrement plus rentables. Ah moins que ce ne soit les hydroliennes de Paimpol-Bréhat, abandonnées après une explosion du coût des prototypes. Ne lâchons par la proie pour l'ombre, on effacera éventuellement les barrages quand la transition sera clairement sur les rails avec d'autres sources.
SupprimerLes critiques habituelles sont là. Jamais je ne les vois répondre aux arguments de vos articles. Ah si : c'est « pas rentable ». Ils seraient les premiers à pleurer si l'on supprimait tout ce qui n'est pas rentable! Et l'énergie est loin d'être la seule raison pour garder les lacs de la Sélune. Alors que le motif principal et quasi-unique pour casser, on le connaît très bien. N'est-ce pas M. DORON?
RépondreSupprimerPas rentable, pas rentable... pourquoi? Parce que l'Etat impose des mesures qui coûtent une fortune ? Sauf problème géotechnique appelant une réfection lourde, un barrage en place avec ses turbines est forcément rentable. Prétendre qu'il ne l'est pas signifie qu'on donne des contraintes impossibles au producteur.
RépondreSupprimerCette première et le retour des migrateurs sur ce fleuve historique vous porteront un rude coup. On comprend votre énervement à défendre ces merveilles. Vivement le printemps
RépondreSupprimerCela porterait d'abord un "rude coup" aux populations riveraines, qui ont manifesté massivement leur opposition. Mais ce n'est évidemment pas votre préoccupation.
SupprimerNous verrons ce qui se passe au printemps prochain. Déjà si Nicolas Hulot est encore ministre (lui-même ne cesse de faire part ici ou là de ses états d'âme). Ensuite si l'Etat essaie de passer en force face au contentieux alors que sur tous les autres chantiers d'envergure en France, il attend la fin de l'issue judiciaire pour agir.
Haha je découvre votre blog et c'est une pépite pour un bon quart d'heure d'humour :) Comment peut-on être si conservateur face à ce projet exemplaire!!! Nous sommes dans un beau pays qui permet le débat et la contradiction mais là quand même... J'espère que vous dormez bien la nuit!
RépondreSupprimer"Exemplaire" de ce qu'il ne faut pas faire, en effet. Notre beau pays permet le débat et la contradiction, il permet même l'abandon de grands projets inutiles. L'Etat français en a convenu ailleurs, il en conviendra sur la Sélune.
SupprimerJe relis les commentaires des afficionados de la destruction. Je souhaite rappeler à ceux qui ne le savent pas que le saumon ne reviendra aux sources de la Séune sauf à créer une réintroduction d'un individu transplanté d'ailleurs pour faire croire à la réussite de l'opération! Le cycle de vie d'un saumon est de naitre dans des eaux pures dont il prends la composition chimique pour mémoire, ensuite de regagner la mer pour y passer toute sa vie. A la fin de leurs vies, les femelles reviennent aux sources pour pondre et mourir. Ainsi contrairement à une truite ou à une truite saumonée le saumon ne bagnaude pas dans la Sélune et il ne fait que passer! Comme les derniers individus qui sont né aux sources de la Sélune sont morts depuis longtemps, il n'y aucune chance que cela recommence.Quand a réintroduire des oeufs, il faut absolument que l'eau de la Sélune corresponde chimiquement à celle de ponte! J'ai déjà pratiqué cette experience avec la SHNA dans les années 90 et cela n'a rien donné! De plus nos rivières sont tellement polluées que tous les poissons dont on souhaite le retour ne veulent pas y revenir!
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