Shad Mahlum et ses collègues ouvrent leur article par un constat désormais partagé par la communauté scientifique en écologie de la restauration et de la conservation : "La restauration écologique et environnementale peut être coûteuse, et une certaine certitude de succès est donc désirable".
La restauration des continuités (longitudinale, latérale, verticale, temporelle) fait partie des mesures ayant émergé ces dernières décennies en aménagement des milieux aquatiques. Contrairement à des choix environnementaux de prévention traitant des impacts à la source, par exemple en interdisant des substances ou en contrôlant leur émission, la restauration physique est une tâche complexe et coûteuse, à la fois par le très grand nombre de milieux concernés et par la lourdeur des interventions sur le bâti existant, en lit ou en berge.
Hélas, si les effacements de grands barrages s'accompagnent parfois de suivis scientifiques ambitieux, les travaux plus modestes mais bien plus nombreux de continuité en rivière sont souvent négligés sur ce point : "Dans les petites structures telles que les buses, les ressources sont rarement mobilisées pour évaluer le résultat biologique de ces interventions, soulignent les scientifiques. C'est dommage vu que ces structures sont ubiquitaires et que les études d'impact des activités de restauration sont indispensables pour établir les bonnes pratiques, préciser les espérances de succès de la restauration et comprendre l'analyse coût-bénéfice des différentes approches de la restauration".
L'étude canadienne a concerné 4 sites de tête de bassin, des petits cours d'eau fragmentés par une buse assurant un passage routier (ponceaux). A chaque fois, le site restauré a été comparé à un tronçon naturel présentant les mêmes caractéristiques. Les restaurations avaient consisté à ajouter des déflecteurs pour limiter la vitesse et varier l'écoulement, ou à construire un second passage.
Les chercheurs souhaitaient initialement étudier l'omble des fontaines (Salvelinus fontinalis), l'anguille d'Amérique (Anguilla rostrata) et la saumon atlantique (Salmo salar). Mais seuls des ombles ont pu être échantillonnés en quantité suffisante : 462 poissons ont ainsi été prélevés et taggés. Trois types de réponse ont été suivies : le pourcentage de montaison à succès (passage success, PS), l'échelle des débits franchissables (range of passable flows, RPF) et les périodes de débits franchissables (availability of passable flows, APF).
Effets significatif (+) ou négatif (-) sur les 4 sites étudiés et pour les 3 critères retenus, les résultats entre parenthèses sont significatifs à p<0.05. B-A : contrôle avant vs après. C-I : contrôle site restauré vs site référence (source : article cité, droit de courte citation).
Shad Mahlum et ses collègues énumèrent les causes possibles de problème :
- manque de population source pour recoloniser le tronçon,
- persistance de dégradation de l'habitat, en particulier lié aux usages des sols du bassin versant,
- faible puissance statistique des tests,
- variabilité interindividuelle des comportements de montaison chez les poissons d'une même espèce.
Ils observent notamment : "Les efforts pour restaurer la connectivité à un point spécifique de l'espace peuvent ne pas amener des résultats remarquables pour des barrières partielles car les résultats écologiques ne sont pas susceptibles d'augmenter de manière linéaire avec la franchissabilité. Par exemple, le franchissement occasionnel d'un animal à travers une barrière partielle peut être suffisant pour garantir la persistance de la population et le flux génétique (Neville et al 2016; Soanes et al 2017), et permettre la recolonisation après un épisode d'extinction".
Les scientifiques concluent enfin : "Nos résultats démontrent que sans un contrôle approprié, les chances de tirer des conclusions fausses regardant les restaurations des systèmes spatialement et temporellement dynamiques sont substantielles".
Discussion
Les observations de Shad Mahlum et de ses collègues ne sont pas isolées, mais forment au contraire un topique bien connu en écologie de la restauration (voir à titre d'exemple quelques références de recherches parues entre 2015 et 2017 en bas de cet article, et lire cette synthèse).
De surcroît, la difficulté à prédire les résultats écologiques d'un chantier de restauration n'est qu'une des dimensions à envisager quand on se pose le problème de l'évaluation coût-bénéfice ou avantage-inconvénient d'une opération (et, comme on aime à la dire en France, de sa conformité à un "intérêt général"). Si les buses et ponceaux ne sont généralement pas un enjeu social fort, il n'en va pas de même pour les seuils, digues et barrages faisant également l'objet de mesures de restauration de continuité longitudinale. Intervenir sur argent public demande de définir et de vérifier l'objectif biologique du chantier (les espèces cibles de la restauration, l'effet sur les autres espèces du site, le bilan global de biodiversité), mais aussi d'envisager toutes les dimensions impactées (patrimoine, énergie, paysage, épuration chimique, préservation d'eau à l'étiage, recharge et niveau de nappe, etc.).
On est très loin de ces bonnes pratiques en France, essentiellement en raison de la gouvernance défaillante de la continuité écologique. Au lieu de poser une méthodologie rigoureuse d'évaluation de chantiers pilotes sur quelques centaines de sites représentatifs de la diversité des rivières, des hydro-éco-régions et des positions dans le réseau hydrographique, on a financé d'emblée et de manière indistincte des milliers de chantiers avec des suivis soit inexistants, soit bâclés (limité à quelques poissons, sans analyse antérieure de plusieurs années, sans évaluation du gain total sur le tronçon, sans bilan sur d'autres espèces, sans analyse socio-économique, sans tests élémentaires de significativité des variations observées, etc.). Vu que le coût public à venir de la réforme de continuité des rivières risque de dépasser les 2 milliards €, il n'est pas trop tard pour arrêter les frais et mener une politique publique beaucoup plus rigoureuse en écologie des milieux aquatiques.
Référence : Mahlum S et al (2017), Does restoration work? It depends on how we measure success, Restoration Ecology, DOI: 10.1111/rec.12649
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Eh bien comme d'habitude votre analyse de l'étude est objective et lucide. Les chercheurs nous apprennenr que faire remonter des poissons dans des milieux dégradés ne garantit pas l'efficacité de l'aménagement. Ah bon! Et puis le résultat confirme qu'amenager, ou équiper des seuils donne des résultat partiels. Tiens donc! Le meilleur moyen de rétablir une continuité est qu'il n'y en ai pas d'obstacle ou plus d'obstacle. Bref vous apportez de l'eau à notre moulin, araser ou enlever le maximum de seuils et travailler sur la restauration physique et chimique des cours d'eau est la garantie d’atteinte des objectifs et le retour à des milieux fonctionnels et qui accueilleront la biodiversité inhérente à leur typologie. Votre objectif est de proposer des études longue et coûteuses sous un prétexte pseudo-scientifique afin de plomber la montée en puissance des opérations de restauration ambitieuses.
RépondreSupprimerNotre "objectif" est d'éviter que la France dépense 2 milliards d'€ d'argent public sur les rivières classées au titre de la continuité écologique, pour des mesures dont l'intérêt écologique reste à démontrer dans beaucoup de cas, sans parler de l'intérêt économique, social, patrimonial et du consentement démocratique aux choix administratifs.
SupprimerVotre propos consiste à dire : le meilleur moyen d'avoir une rivière conforme à ce que serait son état biologique ou morphologique sans humain, ce serait de supprimer complètement les impacts humains. On peut dire la même chose d'une forêt ou d'une prairie ou d'un littoral ou de n'importe quel milieu naturel.
Ce qui est étonnant, c'est que cet horizon tout à fait radical de représentation (la nature sans l'homme est l'état désirable de la nature) ne se présente pas aussi franchement dans le débat public (le citoyen n'aurait peut-être pas du tout envie de payer pour cet horizon-là) et ne s'assume pas ailleurs. Les mêmes administrations, syndicats, etc. qui se montrent si féroces avec les ouvrages hydrauliques n'ont pas la même radicalité avec l'agriculture l'industrie, l'urbanisation, ou même certaines autres projets dits "écologiques" qui en réalité artificialisent eux aussi les milieux (fermes éoliennes, usines solaires au sol, exploitation industrielle du bois, etc.). Et ne parlons pas de vos grands amis pêcheurs, des usagers de l'eau, de ses berges et de ses poissons parés de toutes les vertus, alors même que la recherche a démontré leurs impacts (encore une amusante étude française sur le sujet dont le commentaire à venir prochainement).
Anonyme du 28 décembre 2017 à 08:25 : vous êtes donc sûr que l'effacement des petits ouvrages donne toujours des résultats intéressants pour la biodiversité. Mais finalement, avez-vous une étude scientifique qui a réalisé des inventaires de biodiversité avant et après ces effacements, pour analyser ce que cela donne en richesse taxonomique, biomasse, etc. ? Une vraie étude scientifique, pas un rapport de l'AFB, ni des ex de l'Onema recasés en bureau d'études ; une étude s'intéressant vraiment à la biodiversité, pas au fait de savoir si on trouve localement un poisson rhéophile quand on a recréé du courant, genre de trivialité autoréférente que l'on présente comme l'alpha et l'omega de la "restauration" ; une étude faisant des tests statistiques sur les résultats et la valeur de la tendance, pas juste une variation sur 3 ans ou 5 ans présentée comme "bonne" sans plus d'information ; une étude sur un échantillon suffisant avec des cas-contrôle, etc.
RépondreSupprimerQue la récréation d'un milieu lotique se traduise par la ré-apparition d'espèces propres à ces milieux, c'est usuellement ce qu'on lit quand la continuité se tient sans enjeu grand migrateur. Il serait intéressant de savoir en vertu de quelle loi universelle de l'écologie (subsidiairement de quelle loi française) ce milieu lotique est la panacée pour toutes les stations d'un cours d'eau, sa restauration à des milliers d'endroits une dépense légitime d'argent public pour la biodiversité et un choix sans aucn effet négatif pour d'autres espèces.
Oui, c'est sûr. Y a des tas de bureau d'étude qui recherchent des gens compétents, vous devriez postuler.
RépondreSupprimerMerci, mais nous sommes une association, c'est très bien ainsi. Au passage, puisque vous parlez des bureaux d'études, ceux-ci doivent s'informer des règles concernant l'embauche d'agents publics quittant leur fonction pour une activité lucrative privée. Les règles sur le "pantouflage" se sont durcies. Ce serait dommage pour un BE de perdre des marchés publics ou de souffrir d'une mauvaise réputation à la suite de plaintes pour prise illégale d'intérêt, par exemple.
Supprimer"ambitieux"
RépondreSupprimerCes gens là sont de "ambitieux" depuis 2010.
L'ambition, quand on se la construit soi-même et qu'on la paye de sa poche...est légitime.
L'ambition, quand on la fait payer par des fonds publics relève du délit d'initié.
Revoyez donc vos propres "ambitions" quand c'est moi qui paye, je vous prie.
L'ambition d'un fonctionnaire doit être de rendre service aux citoyens et à la société qui le paie. Détruire des ouvrages hydrauliques, cela rend service aux gens? Changer quelques insectes et poissons, cela améliore notre vie? C'est cela que nous espérons pour nos rivières? Espérons que l'année 2018 voit le rejet de ces nuisances idéologiques et le retour du bon sens.
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