Les retardateurs de flamme bromés PBDE ont été partiellement interdits en Europe au début des années 2000 en raison de leur toxicité et de leur forte diffusion dans l'environnement. Deux chercheurs espagnols montrent que malgré cette interdiction, les poissons européens comme les poissons asiatiques ou nord-américains restent massivement contaminés aux PBDE, avec des accumulations dans l'organisme jusqu'à 10.000 fois supérieures aux normes de qualité environnementale. Les retardateurs de flamme ne sont qu'une famille parmi les dizaines de molécules polluantes considérées comme prioritaires par la directive-cadre européenne sur l'eau. Et une parmi les centaines circulant aujourd'hui dans les eaux. Ce travail rappelle le retard important pris dans l'analyse des effets des micro-polluants sur le vivant aquatique, alors que ces mêmes substances soulèvent des inquiétudes croissantes sur la santé humaine.
Ethel Eljarrata et Damià Barceló (IDAEA-CSIC, Institut catalan de recherche sur l'eau) viennent de se pencher sur la question des pollutions par les retardateurs de flammes. Il s'agit d'un groupe de composés ajoutés ou appliqués aux matériaux (plastiques, meubles, véhicules, électronique) pour augmenter leur résistance au feu.
Les polybromodiphényléthers (PBDE), produits à trois degrés différents de bromation (Penta-BDE, Octa-BDE et Deca-BDE), sont parmi les molécules les plus largement utilisées. En raison de leur toxicité prouvée, les mélanges commerciaux de penta- et d'octa-BDE ont été interdits dans l'Union européenne (UE) et dans certains États américains depuis 2004, ainsi qu'au Canada à partir de 2006. En 2009, ils ont été désignés comme polluants organiques persistants (POP) et la Convention de Stockholm a décidé d'ajouter les mélanges commerciaux avec quatre, cinq, six et sept bromes à l'Annexe A, pour mettre fin à leur production et utilisation.
L'hexabromocyclododécane (HBCD) est un autre retardateur largement répandu, principalement utilisé dans les matériaux de construction d'isolation thermique, les textiles de rembourrage et l'électronique comme ignifuge. Le produit est composé de plusieurs isomères et ses propriétés physico-chimiques sont similaires à celles de certains PBDE. Certaines études indiquent un rôle possible du HBCD en tant que perturbateur endocrinien.
La directive-cadre sur l'eau 2000/60/CE a introduit un cadre juridique pour protéger l'environnement aquatique en Europe. Cette stratégie impliquait l'identification des substances prioritaires parmi celles qui présentent un risque important pour l'environnement aquatique. En 2001, une première liste de 33 substances ou groupes de substances prioritaires a été fixée au niveau de l'Union. Cette liste incluait déjà les PBDE. Elle a été récemment révisée en vertu de la directive 2013/39/UE (Commission européenne, 2013), avec 45 substances ou groupes de substances parmi lesquelles le HBCD est inclus. En outre, la directive 2008/105/UE, entrée en vigueur en janvier 2009, a défini des normes de qualité environnementale (NQE) pour ces substances prioritaires. Certaines substances très hydrophobes, comme les PBDE et le HBCD, s'accumulent dans le vivant et sont difficilement détectables dans l'eau, même en utilisant les techniques analytiques avancées. Pour ces substances, les NQE devraient être définies pour le biote.
Pour les PBDE, la NQE du biote a été fixée à 0,0085 ng/g ww (poids humide). Pour l'HBCD, la NQE biote a été fixée à 167 ng/g ww. Ces NQE devraient être prises en compte pour la première fois dans les plans de gestion des bassins hydrographiques couvrant la période 2015-2021 et devraient être respectées d'ici la fin de 2021.
Compte tenu de l'interdiction de la production des PBDE et HBCD, on s'attend à ce que leurs niveaux dans l'environnement diminuent au fil des ans. Afin d'évaluer la situation actuelle, la recherche documentaire des deux scientifiques a été limitée aux 5 dernières années (2012-2017). Ils ont trouvé 13 articles traitant des données PBDE dans 15 pays européens différents (Belgique, Bosnie-Herzégovine, Croatie, République tchèque, France, Allemagne, Grèce, Italie, Lettonie, Pologne, Serbie, Slovaquie, Espagne, Pays-Bas et Royaume-Uni), ainsi que 7 en Amérique du Nord, 8 en Asie (Chine et Corée) et 2 en Afrique (Afrique du Sud et Tanzanie). Une étude en Antarctique a également été publiée. Les études européennes ont analysé des échantillons de poissons collectés entre 2007 et 2015, à l'exception d'un seul travail sur des échantillons collectés entre 2000 et 2009. Une grande variété d'espèces est étudiée, parmi lesquelles les plus communes sont les carpes, les truites et les anguilles européennes.
Résultat: "Malgré l'interdiction des PBDE en Europe depuis 2004, ces polluants sont toujours présents dans pratiquement tous les poissons de rivière européens. À l'exception de quelques échantillons dans lesquels les PBDE n'ont pas été détectés, tous les autres échantillons de poisson ont clairement dépassé les NQE européennes. La même situation a été observée dans d'autres parties du monde, telles que l'Amérique du Nord, l'Asie et l'Afrique. Même les niveaux de PBDE trouvés dans une étude réalisée avec des poissons antarctiques ont dépassé les NQE européennes."
Le dépassement est très net : "Nous avons trouvé des données PBDE rapportées chez des poissons européens dépassant cent fois la NQE (0,85 ng/g poids humide) dans 5 études sur 16, dépassant mille fois la NQE (8,5 ng/g poids humide) dans 7 études sur 16, et dépassant dix mille fois la NQE (85 ng/g poids humide) dans 5 des 16 études. Des pourcentages similaires ont été observés pour l'Asie, mais la situation est plus critique dans le cas de l'Amérique du Nord où, dans 6 études sur 7, les niveaux d'EDP dépassaient de dix mille fois la valeur NQE."
Ce schéma modélise la probabilité de contamination (ws = worst case, bs = best case, cliquer pour agrandir, source article cité) :
En Europe, et en tenant compte du meilleur scénario, entre 73% et 100% des poissons analysés dépassaient la valeur biotique de contamination fixée par l'Europe. La somme de six PBDE était supérieure de plusieurs ordres de grandeur à la NQE du biote : entre 50% et 100% des niveaux de poissons étaient supérieurs à 10 fois la valeur, entre 4% et 96% au dessus de 100 fois, entre 0 % et 62% au-dessus de 1000 fois la valeur EQS, et entre 0% et 4% au-dessus de 10 000 fois la NQE.
Discussion
Tout au long du XXe siècle et en particulier après les années 1950, la chimie de synthèse a produit un grand nombre de molécules qui se sont diffusées dans les usages courants des sociétés humaines. Certaines d'entre elles ont des effets néfastes sur le vivant, qu'elles soient génotoxiques, reprotoxiques ou neurotoxiques.
La rivière et ses sédiments sont souvent les exutoires des activités du bassin versant et des substances transportées par les écoulements : on s'attend donc à des effets sensibles. Mais la recherche scientifique, si elle a beaucoup travaillé sur les impacts des nutriments (nitrates, phosphates), reste nettement moins développée sur les effets cumulés et synergistiques de ces centaines de molécules dans l'environnement. Le travail d'Ethel Eljarrata et de Damià Barceló sur la présence persistante et massive des retardateurs de flammes pourtant interdits montre l'actualité de cette question, alors que la France a déjà la plus grande difficulté à mesurer la présence de ces substances, sans même parler d'évaluer leurs effets sur les assemblages biologiques des rivières.
Référence : Eljarrata E, Barceló D (2018), How do measured PBDE and HCBD levels in river fish compare to the European Environmental Quality Standards?, Environmental Research, 160, 203–211
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Illustration : anguille morte, par Adityamadhav83 - travail personnel, CC BY-SA 4.0. La seule étude française compilée dans le travail de Eljarrata et Barceló concernait les anguilles de l'estuaire de la Loire. Les concentrations de PBDE (0,1–18,1 ng/g/ww) étaient largement supérieures aux normes européennes (Couderc et al 2015).
28/02/2018
26/02/2018
La continuité de la rivière, un enjeu allant bien au-delà de l'écologie (Drouineau et al 2018)
Dans un article venant de paraître dans la revue Environmental Management, dix chercheurs proposent une réflexion sur la restauration de continuité de la rivière en lien aux poissons diadromes (ayant une partie de leur cycle de vie en mer et une autre dans l'eau douce). Après avoir observé que ces politiques sont anciennes, qu'elles obtiennent des résultats mitigés et que l'option récente d'effacement d'ouvrages en préférence aux aménagements ouvre de nouveaux enjeux sociaux, les auteurs proposent diverses pistes d'amélioration. Ils soulignent notamment que la continuité de la rivière est une question sociale et économique autant qu'écologique. Nous montrons ici que leurs critiques rejoignent nos constats de carence dans la préparation et la mise en oeuvre de la réforme de continuité en France. Mais nous émettons également diverses réserves sur la mise en oeuvre des préconisations proposées, en particulier sur la rigueur nécessaire pour l'approche objective des services rendus par les écosystèmes et de la valeur intrinsèque des acteurs non humains de la rivière, qu'il s'agisse des espèces vivantes (ne se limitant pas aux poissons diadromes), des patrimoines bâtis ou des paysages vécus. Le décideur doit écouter la société en amont de ses décisions, pas rationaliser des préjugés pour mieux les imposer.
Hilaire Drouineau et neuf collègues (Irstea, EDF−R&D en France, EIFER en Allemagne) proposent une réflexion sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Ils observent : "La fragmentation des écosystèmes constitue une menace sérieuse pour la biodiversité et l'un des principaux défis en restauration des écosystèmes. La restauration de la continuité des rivières (RCR) a souvent ciblé les poissons diadromes, un groupe d'espèces qui soutient de fortes valeurs culturelles et économiques et qui est particulièrement sensible à la fragmentation des rivières. Pourtant, elle a souvent produit des résultats mitigés et les poissons diadromes restent à des niveaux d'abondance très bas."
Après avoir rappelé que les poissons migrateurs diadromes (environ 250 espèces dans le monde, une dizaine en France) font l'objet de diverses valorisations, les auteurs soulignent que les politiques de reconstitution de leurs stocks n'ont pas toujours été marquées par le succès :
"Malgré des efforts à long terme pour restaurer les poissons diadromes (les premières lois ont été adoptées dans les années 1700 pour le saumon: Brown et al 2013), ces programmes de restauration ont également connu un succès mitigé (Lichatowich et Lichatowich 2001 Lichatowich and Williams 2009). Un exemple célèbre est l'échec du programme de rétablissement du saumon du Pacifique dans le fleuve Columbia, que l'on a qualifié de plus grande tentative de restauration des écosystèmes au monde, mais qui a échoué (Lichatowich et Williams 2009). La réglementation des activités de pêche, la construction de passes à poissons et le repeuplement sont parmi les principales mesures mises en œuvre pour conserver et restaurer les poissons diadromes. En ce qui concerne plus spécifiquement la RCR pour les poissons diadromes, la construction de passes à poissons pour atténuer l'impact des obstacles à la migration est la mesure d'atténuation la plus courante."
Les chercheurs observent que l'efficacité limitée des passes (ou leur impossibilité dans certains cas) a conduit à l'émergence de la suppression des obstacles comme solution alternative, ce qui a engagé des enjeux sociaux et économiques beaucoup plus larges:
"Les passes à poissons peuvent être considérées comme des demi-mesures (Brown et al 2013), c'est-à-dire des mesures qui ne préviennent pas le problème, mais atténuent les symptômes et ont une efficience limitée (Noonan et al 2012). L'élimination des obstacles semble être beaucoup plus efficace écologiquement (Garcia De Leaniz 2008, Hitt et al 2012) et est de plus en plus perçue comme un outil essentiel dans la restauration des rivières en général, et des poissons migrateurs en particulier (Doyle et al 2013, Magilligan et al 2017). Cependant, elle soulève beaucoup plus de questions socio-économiques que des demi-mesures (Jørgensen et Renöfält 2013, Magilligan et al 2017) en raison de la perte potentielle des avantages récréatifs ou des valeurs culturelles, esthétiques et historiques fournies par l'obstacle (par exemple patrimoine des moulins, réservoirs artificiels créés par les barrages et utilisés pour la pêche, la voile, le canoë)".
Ces demi-échecs de la restauration des populations de poissons diadromes et ces enjeux désormais élargis soulèvent donc plusieurs défis. Hilaire Drouineau et ses coauteurs en discernent trois pour l'approche écologique de la question:
Outre une certaine confusion et perte d'efficience dans ces dispositifs superposés, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité entre en conflit normatif avec d'autres orientations publiques, y compris parfois dans le domaine de l'écologie. Il est ainsi observé :
"Toutes ces réglementations de conservation et de restauration interagissent potentiellement entre elles et, en fonction de la manière dont elles sont interprétées par les acteurs politiques, peuvent provoquer des conflits politiques. Par exemple, certains milieux humides ou lacs créés par la construction d'un barrage sont classés par Natura 2000 en raison de leur intérêt pour les oiseaux ou d'autres animaux ou plantes, bien qu'ils modifient la libre circulation des poissons et des sédiments. Mais cette réglementation peut entrer en conflit avec d'autres, comme sur l'utilisation de l'eau. Par exemple, à l'échelle européenne, la directive 2009/28/CE encourage l'utilisation des énergies renouvelables, y compris l'hydroélectricité, bien que les installations hydroélectriques soient souvent obstacle à la libre circulation des poissons et source de mortalité pour les espèces migrantes (Blackwell et al 1998b, Muir et al 2006, Larinier 2008, Pedersen et al 2012). La RCR [restauration de continuité écologique] peut également entrer en conflit avec la réglementation sur la propagation des espèces exotiques et des maladies (Rahel 2013, McLaughlin et al 2013, Tullos et al 2016). Rahel (2013) fournit de nombreux exemples intéressants sur la manière dont les gestionnaires ont utilisé la fragmentation pour prévenir la propagation de maladies en Norvège, en République tchèque ou aux États-Unis. En Europe, cette question est particulièrement importante pour l'aquaculture piscicole: la directive européenne 2006/88/CE définit la condition à remplir pour qu'une zone soit considérée comme 'indemne', en accordant des facilités spécifiques pour l'aquaculture. Une telle zone peut être soit un ou plusieurs bassins versants, soit une sous-partie du bassin versant délimitée par 'une barrière naturelle ou artificielle qui empêche la migration vers le haut des animaux aquatiques'. Par conséquent, la restauration de la connectivité et de la migration pourrait remettre en question le statut de zone indemne de maladie accordée aux zones finlandaises, suédoises, irlandaises, danoises ou britanniques (décision de la Commission européenne du 15 avril 2010). Enfin, la RCR peut interférer avec d'autres réglementations d'utilisation de l'eau, en particulier les règles concernant le débit minimum et l'extraction d'eau."
Au-delà de cette complexité normative à prendre en compte, en raisons des multiples biens et services que la rivière procure à la société, la restauration de continuité ne peut pas être seulement une "question écologique", mais doit être aussi traitée comme une "question socio-économique".
Plusieurs pistes sont proposées pour avancer en ce sens, avec une insistance sur la nécessité de croiser les approches de façon interdisciplinaire :
Discussion
Le travail de Hilaire Drouineau et de ses collègues confirme divers diagnostics portés à partir de notre expérience associative. La continuité écologique pratiquée en France à ce jour a été conçue à traits assez grossiers : elle est peu adossée à des modélisations permettant d'avoir une vue d'ensemble de l'enjeu pour chaque espèce diadrome, de prioriser les axes migrateurs et les sites les plus impactants dans les bassins, d'évaluer les coûts et bénéfices attendus, donc au final de juger l'efficience des investissements passés ou d'anticiper celle des investissements futurs.
Le principal outil français de mise en oeuvre de cette continuité (classement 2012-2013 au titre de l'article L 214-17 CE) a remplacé un autre qui était déjà défaillant (L 432-6 CE s'exerçant sur la période 1984-2005) et a été construit à dire d'experts locaux agrégés sur grands bassins hydrographiques, d'où il ressort plusieurs défauts :
Quant à la dimension socio-économique, elle a été initialement réduite à la caricature "ouvrage inutile" versus "ouvrage utile", en totale cécité aux diverses modalités d'attachement des propriétaires et des riverains aux ouvrages et à leurs paysages. Le discours de la destruction des ouvrages a donc soulevé une opposition diffuse (Barraud et Germaine 2017), la France n'étant pas une exception (voir Cox et al 2016, Magilligan 2017). L'expérience a ainsi montré le caractère non consensuel des grilles de lecture de la rivière et la résistance de la société à une politique perçue comme trop autoritaire, trop systématique et finalement trop peu convaincante sur les bénéfices apportés aux citoyens par cette dépense d'argent public. La solution la plus sage serait de repenser substantiellement la manière dont on envisage la défragmentation des rivières, mais cette issue a peu de chance de voir le jour, sauf si la loi sur l'eau de 2006 recevait un ré-examen complet.
La rivière faisant l'objet de divergences voire conflits d'usages et d'images dans la population, le décideur public est en quête de moyens d'objectiver la situation pour faire les choix approchant le mieux d'un intérêt général. L'approche en services rendus par les écosystèmes est un outil dédié à cette fin, comme le rappellent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Mais à notre connaissance, depuis son émergence dans les années 2000, on n'a pas vraiment assisté à un affinement consensuel et convergent de cette méthodologie par la communauté savante. Il y a certes pléthore de publications et même une revue spécialisée entièrement dédiée (Ecosystem Services). Mais cette abondance signale la complexité du sujet et l'existence de biais potentiellement nombreux quand il s'agit de bâtir une méthode assez simple et applicable par le gestionnaire. Les biens ou services environnementaux sont souvent de nature immatérielle, non marchande ou non monétaire (leur trouver un équivalent mesurable qui reflète vraiment l'état d'esprit d'une population est peu évident), les conflits d'usages et d'images se transposent immanquablement dans le poids que l'on va donner à certaines dimensions de la rivière ou de ses espèces. Les paramétrisations de tels modèles de services écosystèmiques demandent un travail assez lourd et plurisciplinaire à l'amont, pour bien prendre en compte l'ensemble des attentes sociales que l'on prétend mesurer sur une échelle commune (ou pour analyser l'effet réel de bénéfices physiques supposés comme l'épuration, la limitation de crue). Le non respect de cette rigueur ferait perdre à l'outil sa fonction d'arbitrage par évaluation objective, risquerait de conduire à des investissements non optimaux et reconduirait la défiance vis-à-vis d'un gestionnaire produisant des outils ad hoc pour rationaliser des choix opérés a priori, et non pour observer les attentes sociales sans préjugé.
Donc pourquoi pas une évaluation en services rendus par les écosystèmes, mais il faut y mettre des moyens, confier cela à la recherche, garantir une participation élargie dans la validation des outils, trouver la bonne échelle spatiale d'estimation comme de décision. Et de ce point de vue, le travail de Drouineau et al soulève déjà des questions. Par exemple, dans la restauration de continuité écologique, le poisson diadrome et l'ouvrage hydraulique sont l'un comme l'autre des "acteurs non humains" de la rivière (Dufour et al 2017) et il n'y a aucun raison scientifique de pré-orienter l'analyse sur les services que rendrait l'un, et pas l'autre. Parler de l'ouvrage comme un "obstacle" est déjà un biais d'orientation. Pareillement, sous l'angle de la valeur intrinsèque du vivant, le poisson diadrome est l'individu d'une espèce au même titre que tous les individus de toutes les espèces de la rivière, y compris celles qui profitent à divers titres des aménagements anthropisés ou de leurs annexes. Quelle valeur donnera-t-on aux tritons, libellules, aigrettes, saules ou potamots qui profitent d'un bief représentant une nuisance pour des saumons ou des aloses? Et déjà, comment garantira-t-on la prise en compte de cette diversité avant d'intervenir?
Référence : Drouineau H et al (2018), River continuity restoration and diadromous fishes: much more than an ecological issue, Environmental Management, DOI: 10.1007/s00267-017-0992-3
Illustration : en haut, seuils joints en tuf calcaire d'une rivière jurassienne, des discontinuités naturelles.
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Hilaire Drouineau et neuf collègues (Irstea, EDF−R&D en France, EIFER en Allemagne) proposent une réflexion sur la mise en oeuvre de la continuité écologique. Ils observent : "La fragmentation des écosystèmes constitue une menace sérieuse pour la biodiversité et l'un des principaux défis en restauration des écosystèmes. La restauration de la continuité des rivières (RCR) a souvent ciblé les poissons diadromes, un groupe d'espèces qui soutient de fortes valeurs culturelles et économiques et qui est particulièrement sensible à la fragmentation des rivières. Pourtant, elle a souvent produit des résultats mitigés et les poissons diadromes restent à des niveaux d'abondance très bas."
Après avoir rappelé que les poissons migrateurs diadromes (environ 250 espèces dans le monde, une dizaine en France) font l'objet de diverses valorisations, les auteurs soulignent que les politiques de reconstitution de leurs stocks n'ont pas toujours été marquées par le succès :
"Malgré des efforts à long terme pour restaurer les poissons diadromes (les premières lois ont été adoptées dans les années 1700 pour le saumon: Brown et al 2013), ces programmes de restauration ont également connu un succès mitigé (Lichatowich et Lichatowich 2001 Lichatowich and Williams 2009). Un exemple célèbre est l'échec du programme de rétablissement du saumon du Pacifique dans le fleuve Columbia, que l'on a qualifié de plus grande tentative de restauration des écosystèmes au monde, mais qui a échoué (Lichatowich et Williams 2009). La réglementation des activités de pêche, la construction de passes à poissons et le repeuplement sont parmi les principales mesures mises en œuvre pour conserver et restaurer les poissons diadromes. En ce qui concerne plus spécifiquement la RCR pour les poissons diadromes, la construction de passes à poissons pour atténuer l'impact des obstacles à la migration est la mesure d'atténuation la plus courante."
Les chercheurs observent que l'efficacité limitée des passes (ou leur impossibilité dans certains cas) a conduit à l'émergence de la suppression des obstacles comme solution alternative, ce qui a engagé des enjeux sociaux et économiques beaucoup plus larges:
"Les passes à poissons peuvent être considérées comme des demi-mesures (Brown et al 2013), c'est-à-dire des mesures qui ne préviennent pas le problème, mais atténuent les symptômes et ont une efficience limitée (Noonan et al 2012). L'élimination des obstacles semble être beaucoup plus efficace écologiquement (Garcia De Leaniz 2008, Hitt et al 2012) et est de plus en plus perçue comme un outil essentiel dans la restauration des rivières en général, et des poissons migrateurs en particulier (Doyle et al 2013, Magilligan et al 2017). Cependant, elle soulève beaucoup plus de questions socio-économiques que des demi-mesures (Jørgensen et Renöfält 2013, Magilligan et al 2017) en raison de la perte potentielle des avantages récréatifs ou des valeurs culturelles, esthétiques et historiques fournies par l'obstacle (par exemple patrimoine des moulins, réservoirs artificiels créés par les barrages et utilisés pour la pêche, la voile, le canoë)".
Ces demi-échecs de la restauration des populations de poissons diadromes et ces enjeux désormais élargis soulèvent donc plusieurs défis. Hilaire Drouineau et ses coauteurs en discernent trois pour l'approche écologique de la question:
- le premier défi consiste à changer d'échelle, avec une approche de la continuité passant de l'examen des sites à l'approche par populations (incluant une phase océanique, rappelons-le) et par bassins versants;
- le deuxième défi est d'élargir des impacts directs aujourd'hui analysés (mortabilité en turbines hydroélectrique, blocage à la montaison) vers les impacts indirects (surpêche, stress, pression sélective, isolement génétique, coût énergétique);
- le troisième défi est de mettre au point des outils d'aide à la décision, sachant qu'"il existe un besoin évident d'un modèle mécanistique tenant compte des mouvements des poissons et de la dynamique des populations, de la structure dendritique des réseaux fluviaux fragmentés, et l'impact direct et indirect des obstacles pour (i) évaluer l'impact des obstacles à l'échelle des obstacles et à l'échelle de la population et (ii) prédire l'effet des actions de restauration."
Outre une certaine confusion et perte d'efficience dans ces dispositifs superposés, les chercheurs soulignent que la restauration de continuité entre en conflit normatif avec d'autres orientations publiques, y compris parfois dans le domaine de l'écologie. Il est ainsi observé :
"Toutes ces réglementations de conservation et de restauration interagissent potentiellement entre elles et, en fonction de la manière dont elles sont interprétées par les acteurs politiques, peuvent provoquer des conflits politiques. Par exemple, certains milieux humides ou lacs créés par la construction d'un barrage sont classés par Natura 2000 en raison de leur intérêt pour les oiseaux ou d'autres animaux ou plantes, bien qu'ils modifient la libre circulation des poissons et des sédiments. Mais cette réglementation peut entrer en conflit avec d'autres, comme sur l'utilisation de l'eau. Par exemple, à l'échelle européenne, la directive 2009/28/CE encourage l'utilisation des énergies renouvelables, y compris l'hydroélectricité, bien que les installations hydroélectriques soient souvent obstacle à la libre circulation des poissons et source de mortalité pour les espèces migrantes (Blackwell et al 1998b, Muir et al 2006, Larinier 2008, Pedersen et al 2012). La RCR [restauration de continuité écologique] peut également entrer en conflit avec la réglementation sur la propagation des espèces exotiques et des maladies (Rahel 2013, McLaughlin et al 2013, Tullos et al 2016). Rahel (2013) fournit de nombreux exemples intéressants sur la manière dont les gestionnaires ont utilisé la fragmentation pour prévenir la propagation de maladies en Norvège, en République tchèque ou aux États-Unis. En Europe, cette question est particulièrement importante pour l'aquaculture piscicole: la directive européenne 2006/88/CE définit la condition à remplir pour qu'une zone soit considérée comme 'indemne', en accordant des facilités spécifiques pour l'aquaculture. Une telle zone peut être soit un ou plusieurs bassins versants, soit une sous-partie du bassin versant délimitée par 'une barrière naturelle ou artificielle qui empêche la migration vers le haut des animaux aquatiques'. Par conséquent, la restauration de la connectivité et de la migration pourrait remettre en question le statut de zone indemne de maladie accordée aux zones finlandaises, suédoises, irlandaises, danoises ou britanniques (décision de la Commission européenne du 15 avril 2010). Enfin, la RCR peut interférer avec d'autres réglementations d'utilisation de l'eau, en particulier les règles concernant le débit minimum et l'extraction d'eau."
Au-delà de cette complexité normative à prendre en compte, en raisons des multiples biens et services que la rivière procure à la société, la restauration de continuité ne peut pas être seulement une "question écologique", mais doit être aussi traitée comme une "question socio-économique".
Le contexte de la restauration de continuité, dont la prise en compte suppose une analyse élargie (in Drouineau et al 2018, art cit, droit de courte citation).
- évaluer les biens et services écosystémiques associés aux poissons diadromes (valeur économique, culturelle, récréative)
- comprendre la construction sociale de la restauration de continuité écologique, notamment le jeu croisé des multiples acteurs (favorables ou défavorables) dans la mise en oeuvre des réglementations puis dans leur application à diverses échelles spatiales (de l'Europe au bassin versant).
Discussion
Le travail de Hilaire Drouineau et de ses collègues confirme divers diagnostics portés à partir de notre expérience associative. La continuité écologique pratiquée en France à ce jour a été conçue à traits assez grossiers : elle est peu adossée à des modélisations permettant d'avoir une vue d'ensemble de l'enjeu pour chaque espèce diadrome, de prioriser les axes migrateurs et les sites les plus impactants dans les bassins, d'évaluer les coûts et bénéfices attendus, donc au final de juger l'efficience des investissements passés ou d'anticiper celle des investissements futurs.
Le principal outil français de mise en oeuvre de cette continuité (classement 2012-2013 au titre de l'article L 214-17 CE) a remplacé un autre qui était déjà défaillant (L 432-6 CE s'exerçant sur la période 1984-2005) et a été construit à dire d'experts locaux agrégés sur grands bassins hydrographiques, d'où il ressort plusieurs défauts :
- modèles déterministes habitats-potentiels assez simplistes car ne prenant pas en compte toutes les pressions et la dynamique des populations concernées ;
- disproportion de l'effort programmé (20000 ouvrages) à l'investissement public et au délai réglementaire ;
- anomalies dans l'intensité spatiale du classement (certaines zones très couvertes, d'autres très peu, pas toujours en proportion d'un enjeu migrateur, beaucoup de grands barrages épargnés rendant illisible l'effort sur des ouvrages modestes);
- confusion des espèces amphihalines et des espèces holobiotiques qui n'ont pas les mêmes enjeux de migration ni les mêmes menaces d'extinction;
- superposition de motivations "fonctionnalistes" sur la restauration de capacité migratoire et de motivations "conservationnistes" sur la renaturation ou le changement d'habitats locaux, alors que ce ne sont pas les mêmes justifications normatives (légales, réglementaires) ni préconisations techniques qui permettraient d'asseoir ces prétentions ;
- centrage halieutique n'ayant pas pris en compte les conflits de normes et parfois d'enjeux de biodiversité dont parlent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Quant à la dimension socio-économique, elle a été initialement réduite à la caricature "ouvrage inutile" versus "ouvrage utile", en totale cécité aux diverses modalités d'attachement des propriétaires et des riverains aux ouvrages et à leurs paysages. Le discours de la destruction des ouvrages a donc soulevé une opposition diffuse (Barraud et Germaine 2017), la France n'étant pas une exception (voir Cox et al 2016, Magilligan 2017). L'expérience a ainsi montré le caractère non consensuel des grilles de lecture de la rivière et la résistance de la société à une politique perçue comme trop autoritaire, trop systématique et finalement trop peu convaincante sur les bénéfices apportés aux citoyens par cette dépense d'argent public. La solution la plus sage serait de repenser substantiellement la manière dont on envisage la défragmentation des rivières, mais cette issue a peu de chance de voir le jour, sauf si la loi sur l'eau de 2006 recevait un ré-examen complet.
La rivière faisant l'objet de divergences voire conflits d'usages et d'images dans la population, le décideur public est en quête de moyens d'objectiver la situation pour faire les choix approchant le mieux d'un intérêt général. L'approche en services rendus par les écosystèmes est un outil dédié à cette fin, comme le rappellent Hilaire Drouineau et ses collègues.
Mais à notre connaissance, depuis son émergence dans les années 2000, on n'a pas vraiment assisté à un affinement consensuel et convergent de cette méthodologie par la communauté savante. Il y a certes pléthore de publications et même une revue spécialisée entièrement dédiée (Ecosystem Services). Mais cette abondance signale la complexité du sujet et l'existence de biais potentiellement nombreux quand il s'agit de bâtir une méthode assez simple et applicable par le gestionnaire. Les biens ou services environnementaux sont souvent de nature immatérielle, non marchande ou non monétaire (leur trouver un équivalent mesurable qui reflète vraiment l'état d'esprit d'une population est peu évident), les conflits d'usages et d'images se transposent immanquablement dans le poids que l'on va donner à certaines dimensions de la rivière ou de ses espèces. Les paramétrisations de tels modèles de services écosystèmiques demandent un travail assez lourd et plurisciplinaire à l'amont, pour bien prendre en compte l'ensemble des attentes sociales que l'on prétend mesurer sur une échelle commune (ou pour analyser l'effet réel de bénéfices physiques supposés comme l'épuration, la limitation de crue). Le non respect de cette rigueur ferait perdre à l'outil sa fonction d'arbitrage par évaluation objective, risquerait de conduire à des investissements non optimaux et reconduirait la défiance vis-à-vis d'un gestionnaire produisant des outils ad hoc pour rationaliser des choix opérés a priori, et non pour observer les attentes sociales sans préjugé.
Donc pourquoi pas une évaluation en services rendus par les écosystèmes, mais il faut y mettre des moyens, confier cela à la recherche, garantir une participation élargie dans la validation des outils, trouver la bonne échelle spatiale d'estimation comme de décision. Et de ce point de vue, le travail de Drouineau et al soulève déjà des questions. Par exemple, dans la restauration de continuité écologique, le poisson diadrome et l'ouvrage hydraulique sont l'un comme l'autre des "acteurs non humains" de la rivière (Dufour et al 2017) et il n'y a aucun raison scientifique de pré-orienter l'analyse sur les services que rendrait l'un, et pas l'autre. Parler de l'ouvrage comme un "obstacle" est déjà un biais d'orientation. Pareillement, sous l'angle de la valeur intrinsèque du vivant, le poisson diadrome est l'individu d'une espèce au même titre que tous les individus de toutes les espèces de la rivière, y compris celles qui profitent à divers titres des aménagements anthropisés ou de leurs annexes. Quelle valeur donnera-t-on aux tritons, libellules, aigrettes, saules ou potamots qui profitent d'un bief représentant une nuisance pour des saumons ou des aloses? Et déjà, comment garantira-t-on la prise en compte de cette diversité avant d'intervenir?
Référence : Drouineau H et al (2018), River continuity restoration and diadromous fishes: much more than an ecological issue, Environmental Management, DOI: 10.1007/s00267-017-0992-3
Illustration : en haut, seuils joints en tuf calcaire d'une rivière jurassienne, des discontinuités naturelles.
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Développer des grilles de priorisation écologique des ouvrages hydrauliques (Grantham et al 2014)
L'écologie de la restauration et l'oubli du social (Martin 2017)
"La science est politique : effacer des barrages pour quoi? Qui parle?" (Dufour et al 2017)
24/02/2018
L'Agence de l'eau Seine-Normandie auto-satisfaite du bilan de la continuité écologique (pas nous)
L'Agence de l'eau Seine-Normandie a demandé à trois bureaux d'études de faire un diagnostic "indépendant" de la mise en oeuvre de la continuité écologique. Problème : ce diagnostic énonce des choses attendues (il y a davantage de migrateurs quand il y a moins d'obstacles) mais n'examine aucune des questions qui fâchent. Au point que dans une enquête à questionnaire sur deux ouvrages effacés, on ne demande même pas au public s'il préfère le site avant ou après! Analyse critique.
Dans le n°66 du magazine Confluence, l'Agence de l'eau Seine-Normandie revient sur le bilan de la continuité écologique. Elle en dresse un bilan tout à fait satisfait. Ce qui certifie au moins une chose : les bureaucraties publiques de l'eau sont toujours aussi sourdes aux critiques.
L'AESN a procédé à un diagnostic : "Pour évaluer sa pertinence mais aussi les meilleurs moyens de la mettre en œuvre, l'agence de l'eau a chargé un groupement de trois bureaux d'études indépendants d'évaluer cette politique en scrutant à la loupe les actions menées ces dernières années."
Nous n'allons pas nous étendre ici en détail sur le caractère "indépendant" de l'évaluation alors que le diagnostic biologique et morphologique a été manifestement rédigé par un ancien fonctionnaire de l'Onema qui travaille depuis peu dans le privé. Certes, tout cela est formellement indépendant de l'Agence. Ces pratiques ne sortent cependant pas du sérail ni des biais connus de l'Office. Elles aboutissent à des méthodes et visions assez différentes de celles d'universitaires — eux réellement indépendants des politiques publiques mises en oeuvre depuis 2006 — qui ont étudié les restaurations de certaines des rivières citées dans le rapport (voir l'exemple de la Touques analysé chez Germaine 2011, Lespez et al 2016 ; voir le livre de Barraud et Germaine 2017 du bilan Reppaval sur le démantèlement de barrages dans l'Ouest de la France, à la tonalité beaucoup plus critique).
Ne pas poser les questions, un bon moyen de ne pas chercher les réponses
Au plan écologique, si l'on doit résumer à leur plus simple expression les résultats majeurs de ce travail d'évaluation par les bureaux d'études, cela donnerait :
En revanche, voici diverses questions auxquelles l'étude ne répond pas :
Au plan de la méthode, l'étude produit diverses informations factuelles intéressantes sur les bassins de Seine et côtiers normands, mais elle n'apporte cependant aucun résultat scientifique proprement dit : des exemples sont choisis sans tirage aléatoire et avec des échantillons faibles, aucun travail statistique (avec incertitude, marge d'erreur, tests de puissance, etc.) n'est réalisé, aucune hypothèse n'est formulée avec ses conditions de vérification et test de réfutation.
Voici quelques observations de détail sur le rapport.
Des passes qui fonctionnent, après tout. Les focus sur les trois fleuves normands (Vire, Orne, Touques, pp. 72 et suivantes) montrent que les effectifs de migrateurs augmentent même avec des choix de passes à poissons (dont des passes réputées non fonctionnelles). Cela contredit le discours selon lequel les successions de PAP nuiraient à l'obtention de résultats en terme de recolonisation des migrateurs (voir cette idée reçue). Les indices d'abondance de la Sienne (jugé satisfaisants, p. 69) vont dans le même sens puisque ce fleuve côtier a reçu 18 passes à poissons, anciennes de surcroît, pour 2 effacements seulement. Casser n'est donc pas une fatalité. Ces résultats sont contradictoires avec la dépréciation des passes par le rapport, voir plus bas.
Bonne densité de truites de mer... sans effort. Le cas de la Bresles (p. 97, ci-dessus, truites de mer, erreur dans la légende d'ordonnée "saumons"), ayant connu peu d'aménagement de continuité écologique et de restauration morphologique, montre que cette rivière comptabilise bon nombre de migrateurs (la Bresles a plus de truites de mer que la Vire ou l'Orne), même s'il n'y a pas de tendance à la hausse de ces migrateurs. Idem pour la Sée, dont les densités de juvéniles de saumon sont jugées satisfaisantes (p. 69) alors que la rivière a connu peu d'aménagements. Ce qui pose diverses questions: vise-t-on la présence de certaines espèces ou veut-on à tout prix en augmenter la densité à son maximum ? Et dans la seconde hypothèse pourquoi et pour qui au juste ? Pourquoi ne pas comparer davantage de rivières aménagées / non aménagées pour mieux mesurer les bénéfices réels ?
En milieu et tête de bassin, des résultats triviaux. Les 8 zooms territoriaux sur les holobiotiques en dehors de l'arc normand (pp. 99 et suivantes) sont centrés sur les arasements seuls. Le tableau de synthèse n°32 (p. 106, ci-dessus) montre qu'on ne peut guère tirer de conclusion sur cet échantillon modeste, le signal le plus clair mais aussi le plus trivial étant que des espèces rhéophiles et lithophiles augmentent localement quand on supprime un habitat lentique (plan d'eau). Ce qui va de soi. Le tableau détaillé n°33 montre que la richesse spécifique (diversité des espèces de poissons) baisse aussi souvent qu'elle monte. Certains hydro-écologues visent une "typologie idéale" de chaque station de la rivière renaturée, mais on peut aussi bien considérer que la diversité d'espèces reste le marqueur le plus simple (et le plus parlant pour le public) de la biodiversité. Quant à cette biodiversité en dehors des poissons (soit 98% du vivant aquatique), elle est totalement ignorée et non mesurée, alors que les petits plans d'eau sont réputés des zones assez riches. L'intérêt réel de la continuité en tête de bassin n'est pas démontrée : la truite n'a pas besoin impératif de longues migrations dans son cycle de vie (contrairement aux amphihalins) et n'est pas une espèce menacée ; le chabot ou la lamproie de Planer ne sont pas des migrateurs.
Dans le Morvan, un zoom qui reste flou. Le zoom sur le Morvan (pp. 118 et suivantes) est flou sur la nature exacte des travaux engagés et sur la méthodologie de la comparaison 2005-2012. Au vu de la variabilité interannuelle des truites (pouvant atteindre un facteur 10 voire davantage sur le même site échantillonné, voir ces mesures sur le Cousin), on ne sait pas si la tendance est prise sur 2 années témoin, sur des séquences de plusieurs années avant/après moyennées, etc. Par ailleurs, il semble que l'action concerne la petite continuité (buses, etc.) en ruisseau pépinière, ce qui aurait pu donner un comparatif intéressant sur le coût-bénéfice par rapport aux travaux lourds sur des moulins et étangs du cours principal.
Choix ad hoc sur le Serein. L'analyse du Serein (p. 115) arrive comme un choix ad hoc avec 2 stations sur 12 extraites d'une étude de Baran et al 2007. On aurait pu aussi prendre l'étude de Bouchard 2009 sur la retenue du barrage de Semur-en-Auxois (rivière Armançon), qui montrait des biomasses et une biodiversité (lentique) notables dans la retenue. Ce type de comparaison habitat de retenue / habitat de zone amont-aval des retenues n'a de sens que moyenné sur un certain nombre de stations et d'années (avec également des mesures d'étiage pour voir comment se répartissent les poissons en stress hydrique). Les auteurs ont tout à fait raison de souligner que les stations de référence du réseau de surveillance sont généralement prises en dehors d'habitats artificialisés. Mais ils restent scotchés à leur volonté de "renaturer" la morphologie de la totalité du lit de la rivière, alors qu'en tête de bassin versant à pente soutenue, la majorité de ce linéaire est non étagée et non ennoyée par les ouvrages. Donc le vivant dispose déjà de zones à écoulement non contraint. Tant que cet intégrisme de la renaturation (refus des zones lentiques ou artificialisées partout) inspirera la doctrine, elle sera rejetée pour ses excès, ses coûts, son indifférence aux autres enjeux des vallées et attentes des citoyens.
Passes à poissons mal conçues. Le tableau 39 (p. 95) montre que 21% des 221 passes à poissons analysées du bassin sont jugées non fonctionnelles. Pour ces passes non fonctionnelles, le génie civil a été mal dimensionné dans 25% des cas, dégradé dans 12% des cas, l'entretien est défaillant dans 11% des cas et la cible biologique a changé dans 6% des cas. Les problèmes concernent souvent les passes anciennes (conçues avant 2005). Rappelons que ces passes ont été faites sous l'autorité du conseil supérieur de la pêche dans les années 1980 à 2000 : demain, l'AFB demandera-t-elle encore de démolir les dispositifs que l'on vient de payer à grands frais ? Il est vrai que des chercheurs ont récemment montré que les saumons préfèrent passer directement sur le seuil d'un moulin que dans une "passe Larinier" (voir Newton et al 2017), ce qui suggère un peu de recul sur la prétention des sachants à maîtriser le comportement des migrateurs !
2 M€/ an pour les passes à poissons. Le coût public entre 1984 et 2015 des passes à poissons est estimé à 71 M€ (p. 135), soit de l'ordre de 2 M€ par an. On se rappellera que le budget de l'AESN est de l'ordre de 1 milliard € / an aujourd'hui. Cette somme est donc faible rapportée à la dépense totale.
Appel à la casse plutôt qu'à la passe. Les auteurs de l'étude donnent leur avis (p. 135), qui est ô surprise de réserver la dépense publique à l'effacement, sauf exception : "Au vu des moyens à déployer, de la technicité demandée et de la densité des ouvrages, le dimensionnement, la construction puis la surveillance d'un parc important de passes à poissons correspondant aux nombre d'ouvrages classés n'est absolument pas en adéquation avec les moyens actuels de l'ingénierie privée et surtout publique. Ce constat plaide inévitablement pour orienter les investissements vers des actions dont la pérennité sera assurée et dont l'efficacité écologique sera maximale. Les effacements d'ouvrages répondent à ses objectifs. Les dispositifs de franchissement sont donc à réserver aux obstacles à enjeu et pour lesquels aucune autre solution n'est possible". Le mieux est l'ennemi du bien : avec cette doctrine, la continuité avancera difficilement, les conflits se développeront de plus belle si les administrations tentent d'imposer la défragmentation par destruction contrainte. Cet avis est par ailleurs contradictoire avec le retour de migrateurs sur diverses rivières abondamment équipées de passes (Sienne, Touques, etc. voir ci-dessus).
Une enquête de terrain… qui évite la question principale (!). En p. 200, une enquête de terrain est réalisée sur des sites effacés au Fourneau de Condé à Condé-sur-Iton et au barrage d'Aubigny à la Mancellière sur Vire : "Le questionnaire réalisé n'a pas permis d'aller jusqu'à interroger les visiteurs sur leur préférence entre le site avant et après l'effacement." On évite donc la question centrale, celle de la préférence des riverains : incroyable ! A noter tout de même même que la "richesse de la faune et de la flore" ou les "mouvements de l'eau" ne figurent pas parmi les points les moins bien notés dans l'appréciation des sites (cf tableau ci-dessus), ce qui contredit l'idée que la rivière "rentaturée" serait le premier thème recherché par les promeneurs. Pour les pêcheurs de poissons d'eau vive, c'est autre chose... mais le jour où l'on reconnaîtra que la continuité "à la française" a d'abord été portée par et pour ce lobby de la pêche n'est pas encore venu (on y travaille cependant).
Dans le n°66 du magazine Confluence, l'Agence de l'eau Seine-Normandie revient sur le bilan de la continuité écologique. Elle en dresse un bilan tout à fait satisfait. Ce qui certifie au moins une chose : les bureaucraties publiques de l'eau sont toujours aussi sourdes aux critiques.
L'AESN a procédé à un diagnostic : "Pour évaluer sa pertinence mais aussi les meilleurs moyens de la mettre en œuvre, l'agence de l'eau a chargé un groupement de trois bureaux d'études indépendants d'évaluer cette politique en scrutant à la loupe les actions menées ces dernières années."
Nous n'allons pas nous étendre ici en détail sur le caractère "indépendant" de l'évaluation alors que le diagnostic biologique et morphologique a été manifestement rédigé par un ancien fonctionnaire de l'Onema qui travaille depuis peu dans le privé. Certes, tout cela est formellement indépendant de l'Agence. Ces pratiques ne sortent cependant pas du sérail ni des biais connus de l'Office. Elles aboutissent à des méthodes et visions assez différentes de celles d'universitaires — eux réellement indépendants des politiques publiques mises en oeuvre depuis 2006 — qui ont étudié les restaurations de certaines des rivières citées dans le rapport (voir l'exemple de la Touques analysé chez Germaine 2011, Lespez et al 2016 ; voir le livre de Barraud et Germaine 2017 du bilan Reppaval sur le démantèlement de barrages dans l'Ouest de la France, à la tonalité beaucoup plus critique).
Ne pas poser les questions, un bon moyen de ne pas chercher les réponses
Au plan écologique, si l'on doit résumer à leur plus simple expression les résultats majeurs de ce travail d'évaluation par les bureaux d'études, cela donnerait :
- quand on supprime ou aménage des ouvrages barrant une rivière, les poissons migrateurs amphihalins migrent davantage vers l'amont,
- quand on supprime une zone lentique au profit d'une zone lotique en tête de bassin versant, les espèces lentiques disparaissent au profit des espèces lotiques (holobiotiques).
En revanche, voici diverses questions auxquelles l'étude ne répond pas :
- comment se comportent les migrateurs selon la densité, l'emplacement et la hauteur des obstacles du cours d'eau?
- le retour des migrateurs s'obtient-il au détriment d'autres espèces de poissons ?
- la défragmentation favorise-t-elle la diffusion d'espèces invasives ?
- quel est l'effet de la suppression des plans d'eau sur la biomasse et la biodiversité totale (faune-flore-fonge-microbiote) ?
- quel est l'effet de la restauration de continuité en long sur la classe qualité écologique et chimique DCE des masses d'eau?
- combien coûte en moyenne la restauration morphologique complète d'une rivière en vue d'y accueillir les migrateurs?
- quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des migrateurs?
- quels sont les services rendus aux citoyens par le retour des rhéophiles?
- serait-il opportun de hiérarchiser l'importance des migrateurs (notamment en fonction de leur statut de vulnérabilité IUCN) dans l'investissement public?
- y a-t-il un consentement à payer dans la population générale pour varier la densité des migrateurs ou des rhéophiles sur un cours d'eau, et à combien s'élève-t-il?
- certains usagers de l'eau (par exemple les pêcheurs) sont-ils davantage favorisés par ces mesures et dépenses publiques de continuité?
- y a-t-il des avis négatifs sur cette politique, selon quels registres et dans quelle proportion parmi des échantillons représentatifs de riverains?
- que rapporterait comme revenus la production des sites hydroélectriques en cas d'équipement plutôt que d'effacement?
- comment objective-t-on la valeur du patrimoine et du paysage des rivières aménagées?
Au plan de la méthode, l'étude produit diverses informations factuelles intéressantes sur les bassins de Seine et côtiers normands, mais elle n'apporte cependant aucun résultat scientifique proprement dit : des exemples sont choisis sans tirage aléatoire et avec des échantillons faibles, aucun travail statistique (avec incertitude, marge d'erreur, tests de puissance, etc.) n'est réalisé, aucune hypothèse n'est formulée avec ses conditions de vérification et test de réfutation.
Voici quelques observations de détail sur le rapport.
Des passes qui fonctionnent, après tout. Les focus sur les trois fleuves normands (Vire, Orne, Touques, pp. 72 et suivantes) montrent que les effectifs de migrateurs augmentent même avec des choix de passes à poissons (dont des passes réputées non fonctionnelles). Cela contredit le discours selon lequel les successions de PAP nuiraient à l'obtention de résultats en terme de recolonisation des migrateurs (voir cette idée reçue). Les indices d'abondance de la Sienne (jugé satisfaisants, p. 69) vont dans le même sens puisque ce fleuve côtier a reçu 18 passes à poissons, anciennes de surcroît, pour 2 effacements seulement. Casser n'est donc pas une fatalité. Ces résultats sont contradictoires avec la dépréciation des passes par le rapport, voir plus bas.
Bonne densité de truites de mer... sans effort. Le cas de la Bresles (p. 97, ci-dessus, truites de mer, erreur dans la légende d'ordonnée "saumons"), ayant connu peu d'aménagement de continuité écologique et de restauration morphologique, montre que cette rivière comptabilise bon nombre de migrateurs (la Bresles a plus de truites de mer que la Vire ou l'Orne), même s'il n'y a pas de tendance à la hausse de ces migrateurs. Idem pour la Sée, dont les densités de juvéniles de saumon sont jugées satisfaisantes (p. 69) alors que la rivière a connu peu d'aménagements. Ce qui pose diverses questions: vise-t-on la présence de certaines espèces ou veut-on à tout prix en augmenter la densité à son maximum ? Et dans la seconde hypothèse pourquoi et pour qui au juste ? Pourquoi ne pas comparer davantage de rivières aménagées / non aménagées pour mieux mesurer les bénéfices réels ?
En milieu et tête de bassin, des résultats triviaux. Les 8 zooms territoriaux sur les holobiotiques en dehors de l'arc normand (pp. 99 et suivantes) sont centrés sur les arasements seuls. Le tableau de synthèse n°32 (p. 106, ci-dessus) montre qu'on ne peut guère tirer de conclusion sur cet échantillon modeste, le signal le plus clair mais aussi le plus trivial étant que des espèces rhéophiles et lithophiles augmentent localement quand on supprime un habitat lentique (plan d'eau). Ce qui va de soi. Le tableau détaillé n°33 montre que la richesse spécifique (diversité des espèces de poissons) baisse aussi souvent qu'elle monte. Certains hydro-écologues visent une "typologie idéale" de chaque station de la rivière renaturée, mais on peut aussi bien considérer que la diversité d'espèces reste le marqueur le plus simple (et le plus parlant pour le public) de la biodiversité. Quant à cette biodiversité en dehors des poissons (soit 98% du vivant aquatique), elle est totalement ignorée et non mesurée, alors que les petits plans d'eau sont réputés des zones assez riches. L'intérêt réel de la continuité en tête de bassin n'est pas démontrée : la truite n'a pas besoin impératif de longues migrations dans son cycle de vie (contrairement aux amphihalins) et n'est pas une espèce menacée ; le chabot ou la lamproie de Planer ne sont pas des migrateurs.
Dans le Morvan, un zoom qui reste flou. Le zoom sur le Morvan (pp. 118 et suivantes) est flou sur la nature exacte des travaux engagés et sur la méthodologie de la comparaison 2005-2012. Au vu de la variabilité interannuelle des truites (pouvant atteindre un facteur 10 voire davantage sur le même site échantillonné, voir ces mesures sur le Cousin), on ne sait pas si la tendance est prise sur 2 années témoin, sur des séquences de plusieurs années avant/après moyennées, etc. Par ailleurs, il semble que l'action concerne la petite continuité (buses, etc.) en ruisseau pépinière, ce qui aurait pu donner un comparatif intéressant sur le coût-bénéfice par rapport aux travaux lourds sur des moulins et étangs du cours principal.
Choix ad hoc sur le Serein. L'analyse du Serein (p. 115) arrive comme un choix ad hoc avec 2 stations sur 12 extraites d'une étude de Baran et al 2007. On aurait pu aussi prendre l'étude de Bouchard 2009 sur la retenue du barrage de Semur-en-Auxois (rivière Armançon), qui montrait des biomasses et une biodiversité (lentique) notables dans la retenue. Ce type de comparaison habitat de retenue / habitat de zone amont-aval des retenues n'a de sens que moyenné sur un certain nombre de stations et d'années (avec également des mesures d'étiage pour voir comment se répartissent les poissons en stress hydrique). Les auteurs ont tout à fait raison de souligner que les stations de référence du réseau de surveillance sont généralement prises en dehors d'habitats artificialisés. Mais ils restent scotchés à leur volonté de "renaturer" la morphologie de la totalité du lit de la rivière, alors qu'en tête de bassin versant à pente soutenue, la majorité de ce linéaire est non étagée et non ennoyée par les ouvrages. Donc le vivant dispose déjà de zones à écoulement non contraint. Tant que cet intégrisme de la renaturation (refus des zones lentiques ou artificialisées partout) inspirera la doctrine, elle sera rejetée pour ses excès, ses coûts, son indifférence aux autres enjeux des vallées et attentes des citoyens.
Passes à poissons mal conçues. Le tableau 39 (p. 95) montre que 21% des 221 passes à poissons analysées du bassin sont jugées non fonctionnelles. Pour ces passes non fonctionnelles, le génie civil a été mal dimensionné dans 25% des cas, dégradé dans 12% des cas, l'entretien est défaillant dans 11% des cas et la cible biologique a changé dans 6% des cas. Les problèmes concernent souvent les passes anciennes (conçues avant 2005). Rappelons que ces passes ont été faites sous l'autorité du conseil supérieur de la pêche dans les années 1980 à 2000 : demain, l'AFB demandera-t-elle encore de démolir les dispositifs que l'on vient de payer à grands frais ? Il est vrai que des chercheurs ont récemment montré que les saumons préfèrent passer directement sur le seuil d'un moulin que dans une "passe Larinier" (voir Newton et al 2017), ce qui suggère un peu de recul sur la prétention des sachants à maîtriser le comportement des migrateurs !
2 M€/ an pour les passes à poissons. Le coût public entre 1984 et 2015 des passes à poissons est estimé à 71 M€ (p. 135), soit de l'ordre de 2 M€ par an. On se rappellera que le budget de l'AESN est de l'ordre de 1 milliard € / an aujourd'hui. Cette somme est donc faible rapportée à la dépense totale.
Appel à la casse plutôt qu'à la passe. Les auteurs de l'étude donnent leur avis (p. 135), qui est ô surprise de réserver la dépense publique à l'effacement, sauf exception : "Au vu des moyens à déployer, de la technicité demandée et de la densité des ouvrages, le dimensionnement, la construction puis la surveillance d'un parc important de passes à poissons correspondant aux nombre d'ouvrages classés n'est absolument pas en adéquation avec les moyens actuels de l'ingénierie privée et surtout publique. Ce constat plaide inévitablement pour orienter les investissements vers des actions dont la pérennité sera assurée et dont l'efficacité écologique sera maximale. Les effacements d'ouvrages répondent à ses objectifs. Les dispositifs de franchissement sont donc à réserver aux obstacles à enjeu et pour lesquels aucune autre solution n'est possible". Le mieux est l'ennemi du bien : avec cette doctrine, la continuité avancera difficilement, les conflits se développeront de plus belle si les administrations tentent d'imposer la défragmentation par destruction contrainte. Cet avis est par ailleurs contradictoire avec le retour de migrateurs sur diverses rivières abondamment équipées de passes (Sienne, Touques, etc. voir ci-dessus).
Une enquête de terrain… qui évite la question principale (!). En p. 200, une enquête de terrain est réalisée sur des sites effacés au Fourneau de Condé à Condé-sur-Iton et au barrage d'Aubigny à la Mancellière sur Vire : "Le questionnaire réalisé n'a pas permis d'aller jusqu'à interroger les visiteurs sur leur préférence entre le site avant et après l'effacement." On évite donc la question centrale, celle de la préférence des riverains : incroyable ! A noter tout de même même que la "richesse de la faune et de la flore" ou les "mouvements de l'eau" ne figurent pas parmi les points les moins bien notés dans l'appréciation des sites (cf tableau ci-dessus), ce qui contredit l'idée que la rivière "rentaturée" serait le premier thème recherché par les promeneurs. Pour les pêcheurs de poissons d'eau vive, c'est autre chose... mais le jour où l'on reconnaîtra que la continuité "à la française" a d'abord été portée par et pour ce lobby de la pêche n'est pas encore venu (on y travaille cependant).
Conclusion
Les désaccords sur la continuité écologique persistent. Nous ne parviendrons manifestement pas à un consensus car ces désaccords s'alimentent à des visions différentes de la rivière et de l'écologie. Il est dommage que l'on produise des simulacres d'objectivation de ces désaccords, en évitant l'examen des critiques que nous posons depuis plusieurs années et surtout en ne recourant pas à une analyse proprement scientifique des données récoltées sur 30 ans de restauration de continuité (depuis la loi de 1984 et les premiers plans migrateurs).
En attendant, l'Agence de l'eau Seine-Normandie (comme plusieurs de ses consoeurs) dépense l'argent public pour favoriser la destruction du patrimoine hydraulique des vallées, leurs paysages, leurs usages et leurs habitats. Nous jugeons pour notre part que ce choix est contraire à l'intérêt général comme à la gestion équilibrée et durable de la ressource tels que les définit la loi française. La continuité est un élément d'appréciation et de fonctionnalité de la rivière, mais elle n'est pas isolée : elle doit s'envisager dans le respect des autres dimensions d'intérêt posées dans la loi, en prenant en considération les autres compartiments du fonctionnement écologique des rivières aménagées de longue date.
En 2019, les Agences procéderont à des révisions des programmes de mesures des SDAGE, et notamment des barèmes de financement. Notre association prépare avec ses consoeurs une requête de changement des arbitrages actuels, dont la dimension conflictuelle, non conforme à la loi et déséquilibrée par rapport aux attentes des riverains est plus que manifeste. Nous mettrons donc les élus du comité de bassin comme les représentants de l'Etat au sein des agences devant leur responsabilité.
Lien pour télécharger l'étude. Tous les tableaux et graphiques sont des citations de ce travail, droits réservés.
Illustration en haut : truite de mer (Salmo trutta trutta) franchissant un obstacle, Rupert Fleetingly [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons. Cette espèce est relativement abondante sur toutes les côtes européennes du Maroc à la Scandinavie. Elle n'est pas considérée comme vulnérable par l'IUCN. La question se pose de la légitimité des investissements publics visant à optimiser une rivière pour cette espèce (comme cela fut fait sur la Touques) alors que seul un public de pêcheurs spécialisés tire un réel service des variations locales de densité du poisson. Depuis quelques années, les sciences humaines et sociales ont développé une approche critique des restaurations de rivière sous l'angle de l'analyse des réseaux d'acteurs, de leurs discours, de leurs stratégies. Les agences de l'eau gagneraient à s'inspirer aussi de ces démarches quand elles évaluent les pertinences de leurs investissements.
En attendant, l'Agence de l'eau Seine-Normandie (comme plusieurs de ses consoeurs) dépense l'argent public pour favoriser la destruction du patrimoine hydraulique des vallées, leurs paysages, leurs usages et leurs habitats. Nous jugeons pour notre part que ce choix est contraire à l'intérêt général comme à la gestion équilibrée et durable de la ressource tels que les définit la loi française. La continuité est un élément d'appréciation et de fonctionnalité de la rivière, mais elle n'est pas isolée : elle doit s'envisager dans le respect des autres dimensions d'intérêt posées dans la loi, en prenant en considération les autres compartiments du fonctionnement écologique des rivières aménagées de longue date.
En 2019, les Agences procéderont à des révisions des programmes de mesures des SDAGE, et notamment des barèmes de financement. Notre association prépare avec ses consoeurs une requête de changement des arbitrages actuels, dont la dimension conflictuelle, non conforme à la loi et déséquilibrée par rapport aux attentes des riverains est plus que manifeste. Nous mettrons donc les élus du comité de bassin comme les représentants de l'Etat au sein des agences devant leur responsabilité.
Lien pour télécharger l'étude. Tous les tableaux et graphiques sont des citations de ce travail, droits réservés.
Illustration en haut : truite de mer (Salmo trutta trutta) franchissant un obstacle, Rupert Fleetingly [CC BY-SA 2.0], via Wikimedia Commons. Cette espèce est relativement abondante sur toutes les côtes européennes du Maroc à la Scandinavie. Elle n'est pas considérée comme vulnérable par l'IUCN. La question se pose de la légitimité des investissements publics visant à optimiser une rivière pour cette espèce (comme cela fut fait sur la Touques) alors que seul un public de pêcheurs spécialisés tire un réel service des variations locales de densité du poisson. Depuis quelques années, les sciences humaines et sociales ont développé une approche critique des restaurations de rivière sous l'angle de l'analyse des réseaux d'acteurs, de leurs discours, de leurs stratégies. Les agences de l'eau gagneraient à s'inspirer aussi de ces démarches quand elles évaluent les pertinences de leurs investissements.
23/02/2018
Le Conseil d'Etat reconnaît un droit étendu d'accès aux informations environnementales détenues par l'administration
L'Office national des forêts avait refusé de communiquer à la FRAPNA des courriers et courriels relatifs aux compensations de destruction de zones humides pour le projet de Center Parcs de Roybon. Le Conseil d'Etat vient de donner tort à l'ONF. Une association ou un citoyen dispose donc d'un droit d'accès étendu aux informations environnementales détenues par l'administration comme par toute personne physique ou morale fournissant des services publics en lien à l'environnement. Les riverains gagnent à exercer ce droit pour s'informer de tous les projets mettant en péril des plans d'eau et paysages auxquels ils sont attachés, mais dont ils sont si souvent exclus des comités de pilotage.
Dans son arrêt n° 410678 du 21 février 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux vient de produire une nouvelle avancée pour le droit d'accès des riverains et de leurs associations aux informations relatives à l'environnement.
Dans le cadre du projet dit Center Parcs à Roybon (Isère), l’association Union régionale Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) avait demandé à l’Office national des forêts une communication de l’ensemble des documents et correspondances, courriers et courriels entre l'établissement public et le porteur de projet, à propos des mesures de compensation de destruction de zones humides.
Le directeur territorial Rhône-Alpes de l’ONF avait refusé, mais par jugement n°1601929 du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision pour excès de pouvoir.
L'ONF s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat demandant de surseoir et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Ce recours était fondé sur une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le Conseil d'Etat relève que ce moyen est sans objet "en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France", et le rejette.
Les hauts magistrats rappellent ensuite le droit européen en matière d'obligation de transmettre les informations relatives à l'environnement :
L’article L. 124-3 du code de l’environnement transfère en droit français cette obligation.
Il en résulte que l'ONF, établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’Etat, n'était pas fondé à refuser la communication des pièces détenues, "y compris celles résultant de ses activités commerciales". Et y compris également les correspondances papiers ou électroniques relatives à des projets (ici de compensation).
Nous rappelons à nos lecteurs riverains ou membres d'associations confrontés à des projets problématiques de destruction d'ouvrages hydrauliques, de plans d'eau, de canaux, de zones humides qu'ils disposent de ce droit d'accès vis-à-vis des administrations de l'Etat (Dreal, DDT-M), des établissement publics (AFB, Agence de l'eau), mais aussi des collectivités, des EPCI type EPTB ou EPAGE (syndicats, parcs), des associations à agrément public (notamment fédérations et associations de pêche), des délégataires industriels de service public, etc. (voir ce lien).
A lire sur le même thème
Accès à l'information environnementale: un droit pour les citoyens et les associations
Dans son arrêt n° 410678 du 21 février 2018, le Conseil d'Etat statuant au contentieux vient de produire une nouvelle avancée pour le droit d'accès des riverains et de leurs associations aux informations relatives à l'environnement.
Dans le cadre du projet dit Center Parcs à Roybon (Isère), l’association Union régionale Fédération Rhône-Alpes de protection de la nature (FRAPNA) avait demandé à l’Office national des forêts une communication de l’ensemble des documents et correspondances, courriers et courriels entre l'établissement public et le porteur de projet, à propos des mesures de compensation de destruction de zones humides.
Le directeur territorial Rhône-Alpes de l’ONF avait refusé, mais par jugement n°1601929 du 30 mars 2017, le tribunal administratif de Lyon a annulé cette décision pour excès de pouvoir.
L'ONF s'est alors pourvu en cassation devant le Conseil d'Etat demandant de surseoir et de poser une question préjudicielle à la Cour de justice de l’Union européenne. Ce recours était fondé sur une question prioritaire de constitutionnalité tirée de la méconnaissance du principe d’égalité devant la loi, de la liberté d’entreprendre et de la liberté contractuelle garantis par les articles 4 et 6 de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen.
Le Conseil d'Etat relève que ce moyen est sans objet "en l’absence de mise en cause d’une règle ou d’un principe inhérent à l’identité constitutionnelle de la France", et le rejette.
Les hauts magistrats rappellent ensuite le droit européen en matière d'obligation de transmettre les informations relatives à l'environnement :
"l’article 3 de la directive 2003/4/CE du Parlement européen et du Conseil du 28 janvier 2003 concernant l’accès du public à l’information en matière d’environnement relatif à l’accès sur demande aux informations environnementales : « 1. Les États membres veillent à ce que les autorités publiques soient tenues, conformément à la présente directive, de mettre à la disposition de tout demandeur, et sans que celui-ci soit obligé de faire valoir un intérêt, les informations environnementales qu'elles détiennent ou qui sont détenues pour leur compte (...) ». L’article 2 précise qu’aux fins de cette directive, on entend par : « 2° « autorité publique » : / a) le gouvernement ou toute autre administration publique, y compris les organes consultatifs publics, au niveau national, régional ou local ;/ b) toute personne physique ou morale qui exerce, en vertu du droit interne, des fonctions administratives publiques, y compris des tâches, activités ou services spécifiques en rapport avec l'environnement, et / c) toute personne physique ou morale ayant des responsabilités ou des fonctions publiques, ou fournissant des services publics, en rapport avec l'environnement, sous le contrôle d'un organe ou d'une personne visé(e) au point a) ou b) (...) ». Dans son arrêt de grande chambre du 19 décembre 2013 Fish Legal, Emily Shirley contre Information Commissionner (C-279/12), la Cour de justice de l’Union Européenne a dit pour droit que seules les personnes relevant de l’article 2, point 2, sous c) de cette directive se trouvant sous le contrôle d’un organe ou d’une personne visé à l’article 2, point 2, sous a) ou b) voyaient leur obligation de fournir les informations environnementales qu’elles détiennent limitée à celles se rapportant au service public dans le domaine de l’environnement dont elles ont la charge."
L’article L. 124-3 du code de l’environnement transfère en droit français cette obligation.
Il en résulte que l'ONF, établissement public national à caractère industriel et commercial placé sous la tutelle de l’Etat, n'était pas fondé à refuser la communication des pièces détenues, "y compris celles résultant de ses activités commerciales". Et y compris également les correspondances papiers ou électroniques relatives à des projets (ici de compensation).
Nous rappelons à nos lecteurs riverains ou membres d'associations confrontés à des projets problématiques de destruction d'ouvrages hydrauliques, de plans d'eau, de canaux, de zones humides qu'ils disposent de ce droit d'accès vis-à-vis des administrations de l'Etat (Dreal, DDT-M), des établissement publics (AFB, Agence de l'eau), mais aussi des collectivités, des EPCI type EPTB ou EPAGE (syndicats, parcs), des associations à agrément public (notamment fédérations et associations de pêche), des délégataires industriels de service public, etc. (voir ce lien).
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22/02/2018
L'épuration des polluants par les retenues, reconnue à contre-coeur
L'Agence de l'eau Seine-Normandie commence à reconnaître que les ouvrages hydrauliques ne suppriment pas l'auto-épuration des nutriments, mais peuvent au contraire la favoriser dans certains cas. Toutefois, elle le fait en caricaturant le débat et en inventant un épouvantail (une hypothétique reconstruction de tous les ouvrages présents sur Cassini). Réponse.
Dans le n°66 du magazine Confluence, l'AESN revient sur le bilan de la continuité écologique. Nous ferons un commentaire critique des assertions contenues dans ce dossier. Voici déjà la réponse à cet encadré sur l'auto-épuration :
"Et si les obstacles, en créant des bassins de décantation, contribuaient à la qualité de l’eau ? Cette idée est née d’une lecture un peu hâtive de publications scientifiques, dont une étude réalisée par l’équipe de Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS et bio-géochimiste spécialiste du fonctionnement des systèmes hydriques continentaux. Mise au point. «Lorsqu’on regarde la carte de Cassini dressée au XVIIIe siècle, le bassin de la Seine est constellé d’étangs, de petites mares, de seuils et de vannages. Dans une étude publiée en 2012 dans le magazine scientifique Science of the Total Environment, nous avions essayé de voir si ces zones stagnantes avaient un impact sur la qualité de l’eau. Or nos résultats montrent que si on remettait des petites retenues et des mares sur les deux tiers de la surface du bassin, on n’abattrait au mieux, par auto-épuration dans les sédiments, que 20 à 30 % de la pollution par les nitrates sur les sites les plus favorables. À l’échelle de l’ensemble du bassin de la Seine, la réduction ne serait que de l’ordre de 3 % : un bien piètre résultat pour un tel bouleversement du paysage. Un cours d’eau n’est pas une station d’épuration ! Il est dangereux d’imaginer l’aménagement des rivières en fonction d’un objectif de traitement des pollutions diffuses qui doivent et peuvent être évitées à la source, en particulier par une agriculture plus respectueuse de l’environnement», souligne Gilles Billen."
Commentaires :
Dans le n°66 du magazine Confluence, l'AESN revient sur le bilan de la continuité écologique. Nous ferons un commentaire critique des assertions contenues dans ce dossier. Voici déjà la réponse à cet encadré sur l'auto-épuration :
"Et si les obstacles, en créant des bassins de décantation, contribuaient à la qualité de l’eau ? Cette idée est née d’une lecture un peu hâtive de publications scientifiques, dont une étude réalisée par l’équipe de Gilles Billen, directeur de recherche au CNRS et bio-géochimiste spécialiste du fonctionnement des systèmes hydriques continentaux. Mise au point. «Lorsqu’on regarde la carte de Cassini dressée au XVIIIe siècle, le bassin de la Seine est constellé d’étangs, de petites mares, de seuils et de vannages. Dans une étude publiée en 2012 dans le magazine scientifique Science of the Total Environment, nous avions essayé de voir si ces zones stagnantes avaient un impact sur la qualité de l’eau. Or nos résultats montrent que si on remettait des petites retenues et des mares sur les deux tiers de la surface du bassin, on n’abattrait au mieux, par auto-épuration dans les sédiments, que 20 à 30 % de la pollution par les nitrates sur les sites les plus favorables. À l’échelle de l’ensemble du bassin de la Seine, la réduction ne serait que de l’ordre de 3 % : un bien piètre résultat pour un tel bouleversement du paysage. Un cours d’eau n’est pas une station d’épuration ! Il est dangereux d’imaginer l’aménagement des rivières en fonction d’un objectif de traitement des pollutions diffuses qui doivent et peuvent être évitées à la source, en particulier par une agriculture plus respectueuse de l’environnement», souligne Gilles Billen."
Commentaires :
- après l'avoir farouchement nié comme ses consoeurs (ou l'Onema) dans les années 2000, l'Agence de l'eau Seine-Normandie reconnaît donc que les plans d'eau jouent un rôle d'épuration,
- il n'a jamais été question de transformer la rivière en "station d'épuration", la caricature n'est pas une bonne pratique de discussion. Il s'agit non de reconstruire des ouvrages partout, mais d'évaluer le bilan chimique, biologique et physique réel des ouvrages existants,
- une partie des ouvrages signalés sur la carte de Cassini est encore présente sur les rivières, et quand Gilles Billen parle d'un "bouleversement du paysage", il ne saurait ignorer le vrai bouleversement en cours, à savoir le financement de la destruction systématique de la plupart de ces ouvrages par l'AESN (75% de choix de destruction dans le rapport CGED 2016). La question est de savoir si l'argent public doit servir à détruire des plans d'eau, étangs, retenues, réservoirs, etc., si cela représente un intérêt écologique et un intérêt général,
- on peut certainement éviter les pollutions à la source (l'action stagne désormais en ce domaine, après des baisses dans les années 1980-1990), la question est cependant de savoir si, à pression égale sur le bassin, une retenue va plutôt éliminer des excès d'azote, phosphore ou pesticides (sachant que l'usage agricole des sols reste un premier prédicteur de la dégradation écologique),
- le passage à l'agriculture biologique (6% seulement des parcelles aujourd'hui) n'évitera pas à lui seul le problème des nutriments, car tout système agricole utilise des intrants (organiques ou synthétiques), la diffusion de bonnes pratiques sera donc lente et complexe,
- l'AFB vient de lancer un appel à projets sur les impacts cumulés des retenues d'eau sur les bassins versants. Nous souhaitons que ce travail mesure systématiquement les différences de concentrations en nutriments et micropolluants à l'exutoire des bassins à occupation des sols similaires et selon leur densité d'ouvrages. Nous attendons désormais des faits et des preuves, pas des généralités ni des promesses.
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21/02/2018
Bussières : plainte pour destruction illégale d'ouvrage et de zone humide
Face à la carence de l'administration dans son rôle de protection des milieux et de garantie du droit de l'environnement, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte contre la fédération de pêche de l'Yonne pour destruction illégale d'ouvrage, d'étang et de zones humides à Bussières. En parallèle, une requête sera faite au préfet de l'Yonne en vue d'un arrêt immédiat des travaux, de mesures de sauvegarde et d'une reprise du chantier dans le cadre normal des procédures visant à protéger les milieux et les droits des tiers. Un refus ouvrirait un second contentieux dans l'ordre administratif. Nous reproduisons ci-dessous notre dernier échange avec la DDT de l'Yonne, expliquant les motivations de cette malheureuse issue face à un chantier géré de manière opaque et catastrophique.
Nous accusons réception de votre courrier du 15 février 2018 et nous avons immédiatement demandé en retour à M. le directeur départemental des territoires de nous faire parvenir copie de l'intégralité des pièces que vous y mentionnez, censées justifier les travaux, autorisations et absence d'investigation de la DDT. Nous regrettons au demeurant que vous n'ayez pas joint directement ces pièces puisque nous étions en phase pré-contentieuse sur la gestion catastrophique de l'étang de Bussières par la Fédération de pêche de l'Yonne, ci-après dénommée FYPPMA.
Etant donné la difficulté de nos échanges, le caractère ad hoc et confus des justifications successives qui nous sont apportées, le trouble manifeste des milieux aquatiques et humides, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte pénale contre la FYPPMA pour destruction non autorisée d'ouvrage, d'étang et de zone humide.
Cette plainte sera doublée d'une requête à M. le préfet de l'Yonne de stopper le chantier, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, d'instaurer la procédure normale d'autorisation de travaux (article R 214-1 à R 214-6 code environnement), en particulier l'analyse d'incidence, les mesures compensatoires, l'étude des alternatives, l'enquête publique. Un refus de la préfecture d'y procéder conduirait notre avocat à engager une seconde procédure contentieuse, cette fois par la voie administrative.
Nous sommes contraints à cette issue par l'opacité totale de ce chantier comme par le caractère insatisfaisant et incohérent des éléments qui nous sont opposés. Votre courrier suscite en effet de nombreuses interrogations.
La préfecture de l'Yonne nous a d'abord parlé dans son courrier du 1er décembre 2017 d'un dossier de "vidange" au titre de la simple gestion de "pisciculture", cette motivation justifiant que le chantier soit fondé sur un seul recto-verso très sommaire de descriptif malgré l'importance de l'hydrosystème modifié.
La préfecture de l'Yonne nous parle maintenant dans son courrier du 15 février 2018 d'un chantier sur la base de l'article R 214-44 du code de l'environnement procédure tout à fait exceptionnelle supposant un "danger grave" et un "caractère d'urgence" qu'à date, rien ne justifie dans vos propos. La remobilisation de sédiments lors des fortes eaux est un phénomène courant pour l'étang de Bussières, dont le déversoir a toujours été surversé lors des crues. Cela ne présente pas de caractère exceptionnel et nous attendons des pièces demandées qu'elles démontrent éventuellement le contraire. Par ailleurs, il est étrange que la FYPPMMA ait choisi de faire ses travaux en pleine période de ponte, croissance et éclosion des œufs de truite, sans que leurs experts s'avisent du problème et sans que vos services objectent des risques afférents pour le milieu, cela dès le mois d'octobre.
"Malencontreusement", la vanne de l'étang a dû être détruite dans la première phase. Et "malencontreusement" encore, la digue de l'étang a été en partie détruite dans la seconde phase. Le contentieux et son instruction permettront d'étudier sur pièces le rôle de la négligence et de l'intention dans cette altération du patrimoine paysager, historique et naturel de l'étang.
Vous avancez maintenant une troisième phase de chantier, qui nous paraît toujours aussi problématique. Pour la suite de ces travaux, vous persistez en effet à parler d'une simple "déclaration" pour permettre à la FYPPMA de détruire la totalité de la digue.
Or, cette destruction ne correspond ni au chantier de vidange d'étang piscicole déclaré en octobre 2017, ni au chantier R 214-44 CE autorisé en janvier 2018, en situation de danger allégué.
Cette destruction relève du R 214-1 CE sur les "installations, ouvrages, travaux ou activités", et en particulier du 3.1.2.0. "conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau (…) sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m". Il est établi qu'à la date du 9 janvier 2018 où la FYPPMA signale à vos dires son projet de chantier de destruction auprès de votre service, nous avons simplement un étang vidangé dans le cadre de sa gestion piscicole. Mais l'étang en question correspond au profil du site en sa consistance légale autorisée.
Cette position aurait dû être celle de la préfecture et du maître d'ouvrage dès le départ : nous assistons en réalité depuis 6 mois à des contorsions juridiques pour essayer d'échapper à l'étude d'un écosystème d'étang de 5 ha menacé de destruction et à l'examen par enquête publique d'un chantier modifiant plus de 1000 m de rivière.
Une position contraire de votre part - c'est-à-dire le démantèlement d'un ouvrage et d'un étang sur lit mineur par cette succession de simples déclarations ad hoc - conduirait à des conséquences parfaitement absurdes. Par exemple, un propriétaire de berge et de lit pourrait édifier en lit mineur un seuil de 10 cm de hauteur, attendre que l'eau se rééquilibre, ajouter dessus un nouveau seuil de 10 cm, et ainsi de suite jusqu'à édifier un barrage de 1, 2 ou 3 m, cela sans avoir à demander d'autorisation (ni même en l'occurrence à faire de déclaration), puisque l'administration ne devrait jamais considérer l'état initial de la masse d'eau, simplement constater étape par étape des évolutions du lit, sans rien y redire.
Nous doutons que l'administration souhaite encourager pour l'avenir ce genre d'interprétation acrobatique de la loi et les comportements que cela permettrait.
Sans préjuger du dossier de la FYPPMA relatif à la solution définitive pour le site de Bussières, plusieurs de vos propos sont problématiques de la part d'un service instructeur.
Vous affirmez ainsi sans autre forme de démonstration que "les travaux sont sans conséquence sur la stabilité de la route".
Cette légèreté étonne : il paraît difficile de modifier la stabilité géotechnique (liée notamment à la pression de l'eau de part et d'autre) d'une route publique au milieu d'un étang sans prendre quelque précaution sur la composition et l'évolution du sol, ni envisager les conséquences futures de la reprise végétative ou des érosions successives que produirait la Romanée en crue. Le cas est encore plus manifeste pour le pont, dont le régime hydrologique est changé au niveau des piles et fondations en cas de projet de destruction du plan d'eau les immergeant en permanence.
Nous vous demandons d'analyser ces points de sécurité autrement que par votre intime conviction - plus précisément, de demander au pétitionnaire de démontrer l'absence de risque dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.
Par la suite, vous affirmez encore que "la biodiversité d'un plan d'eau n'est pas comparable à la définition d'une zone humide au sens de l'arrêté ministériel du 2-1-06-2008 modifié par celui du 01-10-2009, et le projet de la FYPPMA vise au contraire une remise en état du site avec un gain réel pour la biodiversité notamment par la création d 'une zone humide plus diversifiée que celle actuelle constituée du plan d'eau".
Vous n'apportez là encore aucune pièce pour asseoir ces propos, notamment pas de rapport d'expertise de l'AFB - Agence que nous avons saisie en vertu de l'article L 131-8 CE lui assignant une mission de préservation de la biodiversité, mais sans réponse de sa part à ce jour.
Concernant la qualification d'une "zone humide", il n'est pas sérieux de prétendre que l'étang et ses marges humides n'en seraient pas une : tous les éléments de la loi et de la jurisprudence du conseil d'Etat sont réunis (sols hydromorphes, plantes hygrophiles), attestés par de nombreuses prises de vue et observations des habitats à fort intérêt de l'étang de Bussières et de ses marges humides, avant leur désorganisation par les travaux de la FYPPMA. Les étangs sont considérés dans toute la littérature scientifique et dans la classification Ramsar comme des zones humides : nous serions fort étonnés qu'un seul chercheur ou ingénieur de l'environnement nie cette évidence, dans une procédure préparatoire ou devant un tribunal.
Nous suggérons aux services instructeurs en charge de l'eau de lire en toute urgence le remarquable ouvrage collectif dirigé par Beat Oertli et Pierre-André Frossard (Mares et étangs. Ecologie, gestion, aménagement et valorisation), qui fait notamment le point sur les avancées de la recherche concernant l'intérêt majeur de ces petits hydrosystèmes pour la biodiversité, mais aussi pour la protection de la ressource (épuration, expansion de crues, etc.)
L'étang de Bussières figure dans la ZNIEFF 260014888 de type 2 " vallée du Cousin aval, Romanée et leurs abords ". Les étangs font partie de la motivation de ce classement, comme vous pourrez le lire sur sa fiche descriptive. Parmi les habitats déterminants à étudier avant perturbation, on note entre autres (ref Corinne) :
A notre connaissance, imparfaite en raison de l'opacité constante du chantier depuis nos premières requêtes de 2016, le projet de la FYPPMA consiste à restaurer la Romanée dans son lit mineur comme zone à truite et espèces d'accompagnement ou espèces commensales. Aucun élément ne garantit la "création d'une zone humide plus diversifiée" dont vous parlez, sauf si la FYPPMA dispose d'un projet dédié en ce sens.
La Romanée a un débit très faible : c'est un filet d'eau à l'étiage, de surcroît un filet subissant des pollutions vis-à-vis desquelles l'étang et ses marges ne joueront plus de rôle épurateur en cas de destruction.
Nous vous rappelons les données de sa station moyennées sur plus de 20 ans : 0,088m3/s et 2 mm de lame d'eau seulement au mois le plus sec de septembre, 2,190 m3/s de 58 mm de lame d'eau au mois le plus pluvieux de février. La restauration de zone à truite dans le lit mineur incisé et à très faible débit n'a pas de raison particulière d'alimenter une zone humide attenante (et non une simple reprise des végétations pionnières banales de bord de rivière, soit un type de milieu déjà très présent au long de la Romanée, dans la ZNIEFF 260014888, et plus largement dans le Nord-Morvan). La destruction de l'étang sans autre compensation ou aménagement abaisserait donc selon nous la biodiversité alpha et bêta de l'hydrosystème en réduisant la diversité de ses habitats aquatiques et humides.
Nous vous demandons en conséquence d'analyser ces éléments de biodiversité, de précaution, de compensation - plus précisément de demander au pétitionnaire de les analyser dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.
La question des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique est aujourd'hui reconnue comme problématique en France, que ce soit par le rapport d'audit CGEDD 2016, par la recherche universitaire (voir le livre universitaire collectif Barraud et Germaine 2017 sur le démantèlement des barrages) ou encore par les participants au groupe de travail du Comité national de l'eau, qui échangent en ce moment même sur ce sujet conflictuel.
La confiance est déjà très fragilisée entre votre administration et les riverains, particulièrement sur cette zone Cousin-Romanée où nombre de propriétaires d'ouvrages sont adhérents de notre association et suivent de très près vos instructions des questions aquatiques.
La manière dont vous gérerez la suite du chantier catastrophique de l'étang de Bussières définira si cette confiance dans l'équité et l'impartialité de l'action administrative peut être restaurée, ou si elle tendra un peu plus vers son point de rupture. Il n'est pas ici question d'obliger le propriétaire de l'étang de Bussières à choisir telle ou telle option pour le bien qu'il possède : mais simplement de le soumettre comme tous les autres propriétaires aux dispositions du code de l'environnement qui protègent les milieux, régulent les chantiers d'importance et garantissent les droits des tiers.
Nous accusons réception de votre courrier du 15 février 2018 et nous avons immédiatement demandé en retour à M. le directeur départemental des territoires de nous faire parvenir copie de l'intégralité des pièces que vous y mentionnez, censées justifier les travaux, autorisations et absence d'investigation de la DDT. Nous regrettons au demeurant que vous n'ayez pas joint directement ces pièces puisque nous étions en phase pré-contentieuse sur la gestion catastrophique de l'étang de Bussières par la Fédération de pêche de l'Yonne, ci-après dénommée FYPPMA.
Etant donné la difficulté de nos échanges, le caractère ad hoc et confus des justifications successives qui nous sont apportées, le trouble manifeste des milieux aquatiques et humides, l'association Hydrauxois a demandé à son avocat d'engager une plainte pénale contre la FYPPMA pour destruction non autorisée d'ouvrage, d'étang et de zone humide.
Cette plainte sera doublée d'une requête à M. le préfet de l'Yonne de stopper le chantier, de prendre les mesures de sauvegarde nécessaires, d'instaurer la procédure normale d'autorisation de travaux (article R 214-1 à R 214-6 code environnement), en particulier l'analyse d'incidence, les mesures compensatoires, l'étude des alternatives, l'enquête publique. Un refus de la préfecture d'y procéder conduirait notre avocat à engager une seconde procédure contentieuse, cette fois par la voie administrative.
Nous sommes contraints à cette issue par l'opacité totale de ce chantier comme par le caractère insatisfaisant et incohérent des éléments qui nous sont opposés. Votre courrier suscite en effet de nombreuses interrogations.
La préfecture de l'Yonne nous a d'abord parlé dans son courrier du 1er décembre 2017 d'un dossier de "vidange" au titre de la simple gestion de "pisciculture", cette motivation justifiant que le chantier soit fondé sur un seul recto-verso très sommaire de descriptif malgré l'importance de l'hydrosystème modifié.
La préfecture de l'Yonne nous parle maintenant dans son courrier du 15 février 2018 d'un chantier sur la base de l'article R 214-44 du code de l'environnement procédure tout à fait exceptionnelle supposant un "danger grave" et un "caractère d'urgence" qu'à date, rien ne justifie dans vos propos. La remobilisation de sédiments lors des fortes eaux est un phénomène courant pour l'étang de Bussières, dont le déversoir a toujours été surversé lors des crues. Cela ne présente pas de caractère exceptionnel et nous attendons des pièces demandées qu'elles démontrent éventuellement le contraire. Par ailleurs, il est étrange que la FYPPMMA ait choisi de faire ses travaux en pleine période de ponte, croissance et éclosion des œufs de truite, sans que leurs experts s'avisent du problème et sans que vos services objectent des risques afférents pour le milieu, cela dès le mois d'octobre.
"Malencontreusement", la vanne de l'étang a dû être détruite dans la première phase. Et "malencontreusement" encore, la digue de l'étang a été en partie détruite dans la seconde phase. Le contentieux et son instruction permettront d'étudier sur pièces le rôle de la négligence et de l'intention dans cette altération du patrimoine paysager, historique et naturel de l'étang.
Vous avancez maintenant une troisième phase de chantier, qui nous paraît toujours aussi problématique. Pour la suite de ces travaux, vous persistez en effet à parler d'une simple "déclaration" pour permettre à la FYPPMA de détruire la totalité de la digue.
Or, cette destruction ne correspond ni au chantier de vidange d'étang piscicole déclaré en octobre 2017, ni au chantier R 214-44 CE autorisé en janvier 2018, en situation de danger allégué.
Cette destruction relève du R 214-1 CE sur les "installations, ouvrages, travaux ou activités", et en particulier du 3.1.2.0. "conduisant à modifier le profil en long ou le profil en travers du lit mineur d'un cours d'eau (…) sur une longueur de cours d'eau supérieure ou égale à 100 m". Il est établi qu'à la date du 9 janvier 2018 où la FYPPMA signale à vos dires son projet de chantier de destruction auprès de votre service, nous avons simplement un étang vidangé dans le cadre de sa gestion piscicole. Mais l'étang en question correspond au profil du site en sa consistance légale autorisée.
Cette position aurait dû être celle de la préfecture et du maître d'ouvrage dès le départ : nous assistons en réalité depuis 6 mois à des contorsions juridiques pour essayer d'échapper à l'étude d'un écosystème d'étang de 5 ha menacé de destruction et à l'examen par enquête publique d'un chantier modifiant plus de 1000 m de rivière.
Une position contraire de votre part - c'est-à-dire le démantèlement d'un ouvrage et d'un étang sur lit mineur par cette succession de simples déclarations ad hoc - conduirait à des conséquences parfaitement absurdes. Par exemple, un propriétaire de berge et de lit pourrait édifier en lit mineur un seuil de 10 cm de hauteur, attendre que l'eau se rééquilibre, ajouter dessus un nouveau seuil de 10 cm, et ainsi de suite jusqu'à édifier un barrage de 1, 2 ou 3 m, cela sans avoir à demander d'autorisation (ni même en l'occurrence à faire de déclaration), puisque l'administration ne devrait jamais considérer l'état initial de la masse d'eau, simplement constater étape par étape des évolutions du lit, sans rien y redire.
Nous doutons que l'administration souhaite encourager pour l'avenir ce genre d'interprétation acrobatique de la loi et les comportements que cela permettrait.
Sans préjuger du dossier de la FYPPMA relatif à la solution définitive pour le site de Bussières, plusieurs de vos propos sont problématiques de la part d'un service instructeur.
Vous affirmez ainsi sans autre forme de démonstration que "les travaux sont sans conséquence sur la stabilité de la route".
Cette légèreté étonne : il paraît difficile de modifier la stabilité géotechnique (liée notamment à la pression de l'eau de part et d'autre) d'une route publique au milieu d'un étang sans prendre quelque précaution sur la composition et l'évolution du sol, ni envisager les conséquences futures de la reprise végétative ou des érosions successives que produirait la Romanée en crue. Le cas est encore plus manifeste pour le pont, dont le régime hydrologique est changé au niveau des piles et fondations en cas de projet de destruction du plan d'eau les immergeant en permanence.
Nous vous demandons d'analyser ces points de sécurité autrement que par votre intime conviction - plus précisément, de demander au pétitionnaire de démontrer l'absence de risque dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.
Par la suite, vous affirmez encore que "la biodiversité d'un plan d'eau n'est pas comparable à la définition d'une zone humide au sens de l'arrêté ministériel du 2-1-06-2008 modifié par celui du 01-10-2009, et le projet de la FYPPMA vise au contraire une remise en état du site avec un gain réel pour la biodiversité notamment par la création d 'une zone humide plus diversifiée que celle actuelle constituée du plan d'eau".
Vous n'apportez là encore aucune pièce pour asseoir ces propos, notamment pas de rapport d'expertise de l'AFB - Agence que nous avons saisie en vertu de l'article L 131-8 CE lui assignant une mission de préservation de la biodiversité, mais sans réponse de sa part à ce jour.
Concernant la qualification d'une "zone humide", il n'est pas sérieux de prétendre que l'étang et ses marges humides n'en seraient pas une : tous les éléments de la loi et de la jurisprudence du conseil d'Etat sont réunis (sols hydromorphes, plantes hygrophiles), attestés par de nombreuses prises de vue et observations des habitats à fort intérêt de l'étang de Bussières et de ses marges humides, avant leur désorganisation par les travaux de la FYPPMA. Les étangs sont considérés dans toute la littérature scientifique et dans la classification Ramsar comme des zones humides : nous serions fort étonnés qu'un seul chercheur ou ingénieur de l'environnement nie cette évidence, dans une procédure préparatoire ou devant un tribunal.
Nous suggérons aux services instructeurs en charge de l'eau de lire en toute urgence le remarquable ouvrage collectif dirigé par Beat Oertli et Pierre-André Frossard (Mares et étangs. Ecologie, gestion, aménagement et valorisation), qui fait notamment le point sur les avancées de la recherche concernant l'intérêt majeur de ces petits hydrosystèmes pour la biodiversité, mais aussi pour la protection de la ressource (épuration, expansion de crues, etc.)
L'étang de Bussières figure dans la ZNIEFF 260014888 de type 2 " vallée du Cousin aval, Romanée et leurs abords ". Les étangs font partie de la motivation de ce classement, comme vous pourrez le lire sur sa fiche descriptive. Parmi les habitats déterminants à étudier avant perturbation, on note entre autres (ref Corinne) :
- 37.7 Lisières humides à grandes herbes
- 53.214 Cariçaies à Carex rostrata et à Carex vesicaria
- 22.43 Végétations enracinées flottantes
- 44.9 Bois marécageux d'Aulne, de Saule et de Myrte des marais
- 22.31 Communautés amphibies pérennes septentrionales
- 22.4 Végétations aquatiques
- Crapaud accoucheur
- Rainette verte
- Grenouille agile
- Mulette épaisse
- Anguille européenne
- Loutre
- Végétations des étangs et zones humides acides du Nord Morvan
A notre connaissance, imparfaite en raison de l'opacité constante du chantier depuis nos premières requêtes de 2016, le projet de la FYPPMA consiste à restaurer la Romanée dans son lit mineur comme zone à truite et espèces d'accompagnement ou espèces commensales. Aucun élément ne garantit la "création d'une zone humide plus diversifiée" dont vous parlez, sauf si la FYPPMA dispose d'un projet dédié en ce sens.
La Romanée a un débit très faible : c'est un filet d'eau à l'étiage, de surcroît un filet subissant des pollutions vis-à-vis desquelles l'étang et ses marges ne joueront plus de rôle épurateur en cas de destruction.
Nous vous rappelons les données de sa station moyennées sur plus de 20 ans : 0,088m3/s et 2 mm de lame d'eau seulement au mois le plus sec de septembre, 2,190 m3/s de 58 mm de lame d'eau au mois le plus pluvieux de février. La restauration de zone à truite dans le lit mineur incisé et à très faible débit n'a pas de raison particulière d'alimenter une zone humide attenante (et non une simple reprise des végétations pionnières banales de bord de rivière, soit un type de milieu déjà très présent au long de la Romanée, dans la ZNIEFF 260014888, et plus largement dans le Nord-Morvan). La destruction de l'étang sans autre compensation ou aménagement abaisserait donc selon nous la biodiversité alpha et bêta de l'hydrosystème en réduisant la diversité de ses habitats aquatiques et humides.
Nous vous demandons en conséquence d'analyser ces éléments de biodiversité, de précaution, de compensation - plus précisément de demander au pétitionnaire de les analyser dans le cadre de son dossier d'autorisation au titre du R 214-1 CE.
La question des ouvrages hydrauliques en lien à la continuité écologique est aujourd'hui reconnue comme problématique en France, que ce soit par le rapport d'audit CGEDD 2016, par la recherche universitaire (voir le livre universitaire collectif Barraud et Germaine 2017 sur le démantèlement des barrages) ou encore par les participants au groupe de travail du Comité national de l'eau, qui échangent en ce moment même sur ce sujet conflictuel.
La confiance est déjà très fragilisée entre votre administration et les riverains, particulièrement sur cette zone Cousin-Romanée où nombre de propriétaires d'ouvrages sont adhérents de notre association et suivent de très près vos instructions des questions aquatiques.
La manière dont vous gérerez la suite du chantier catastrophique de l'étang de Bussières définira si cette confiance dans l'équité et l'impartialité de l'action administrative peut être restaurée, ou si elle tendra un peu plus vers son point de rupture. Il n'est pas ici question d'obliger le propriétaire de l'étang de Bussières à choisir telle ou telle option pour le bien qu'il possède : mais simplement de le soumettre comme tous les autres propriétaires aux dispositions du code de l'environnement qui protègent les milieux, régulent les chantiers d'importance et garantissent les droits des tiers.
Illustrations : le plan d'eau de Bussières à travers les âges (carte de Cassini du milieu du XVIIIe siècle, carte d'étang major du milieu du XIXe siècle, photographie aérienne du milieu du XXe siècle).
19/02/2018
Vers une étude du limnosystème (Touchart et Bartout 2018)
Les lacs ont longtemps été l'objet d'étude central de la limnologie, terme forgé par François-Alphonse Forel dans son analyse du lac Léman au XIXe siècle et discipline considérée par certains comme le réel précurseur de l'écologie moderne. Deux géographes de l'Université d'Orléans constatent que, depuis un siècle, l'analyse des milieux lentiques peine à trouver son identité épistémologique. Ils proposent de conceptualiser le limnosystème comme l'ensemble des interactions à l'oeuvre dans l'émergence, le fonctionnement et le comportement des lacs, mares, étangs et autres eaux plus stagnantes que courantes. Au passage, les deux chercheurs égratignent une certaine hégémonie des enjeux lotiques dans l'analyse actuelle des systèmes fluviaux, notamment pour la mise en oeuvre de la DCE 2000 et de la LEMA 2006, ainsi que la tendance à séparer épistémologiquement des plans d'eau selon leur origine naturelle ou artificielle, au lieu d'étudier leur dynamique sans considération de valeur sur leur provenance. Une perspective que nous encourageons, à l'heure où grandissent partout les incompréhensions sur le sens, la motivation et l'intérêt de la destruction des plans d'eau.
Laurent Touchart et Pascal Bartout, géographes à l'Université d'Orléans (laboratoire CEDETE), dressent d'abord une rapide histoire de la limnologie, longtemps définie comme la science des systèmes lacustres. Les lacs ont tôt attiré l'attention des naturalistes, des géographes et des premiers écologues, au même titre que les îles dont ils sont en quelque sorte l'équivalent inversé (un ensemble "isolé" d'eau cerné de terre, ensemble ayant sa cohérence d'étude, avec une forte interdépendance des éléments internes, de nombreuses espèces endémiques pour les lacs anciens). Les limnologues sont aussi parmi les premiers contributeurs à la construction de l'écologique scientifique au début du XXe siècle : S. Forbes, R. Lindemann, G. Hutchinson, par l'influence de ce dernier E. Odum.
L'étude des lacs va très vite se trouver à la confluence des différentes écoles de recherche, avec la mise en avant du caractère systémique et intégrée, aux Etats-Unis, en Europe et en Russie. Au fil des travaux, les géographes y valorisent le biotope au sein d'un système fluvial, les biologistes y mettent en avant les biocénoses (ou biogéocénoses en Russie) au sein d'un écosystème lentique. Selon l'angle choisi, le caractère ouvert ou fermé est souligné. L'action humaine y est beaucoup étudiée sous l'angle de l'eutrophisation et de la pollution, plus sensible dans les lacs que dans les rivières en raison du moindre mouvement et du temps de résidence. Le schéma ci-dessous montrent les différentes inscriptions possibles du "limnosystème en tant que concept de géographie limnologique".
Pour les auteurs, il manque finalement une pensée du limnosystème en tant que tel (la plus ancienne mention du terme est celle du géologue suisse Jean-Michel Jaquet en 1989). Une définition formant programme de recherche est proposée :
"Le limnosystème est l’ensemble des interactions naturelles (en tant qu’écosystème lentique interagissant avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval et en tant qu’isolat favorisant l’endémisme interagissant avec l’ensemble du réseau hydrographique) et socioculturelles (comme rendant des services socio-économiques et possédant une identité culturelle) se produisant sur un territoire centré sur un plan d’eau, ce dernier se conduisant à la fois comme un aval collecteur et un amont moteur. Le limnosystème se décline en plusieurs échelles spatio-temporelles : le lac forme un limnosystème saisonnier de bassin, l’étang un limnosystème interdiurne de versant, la mare un limnosystème diurne dépendant. L’origine du limnosystème peut être indifféremment naturelle ou artificielle. Ainsi redéfini, le limnosystème devient un concept géographique par (i) son centrage, à la fois épistémologique et opérationnel, sur un objet géographique, le plan d’eau, (ii) ses caractéristiques multiscalaires, (iii) sa prise en compte sans hiérarchisation de valeur des faits de nature et de société."
Au passage, soulignant l'intérêt du concept d'anthroposystème apparu au début des années 2000 (Lévêque et al 2000, Lévêque et al 2003), Laurent Touchart et Pascal Bartout égratignent quelque peu la mise en oeuvre de la DCE 2000 et de la loi sur l'eau 2006 en France, constatant à la fois une hégémonie des systèmes lotiques (où l'ensemble lentique est perçu comme anomalie du continuum) et une dépréciation sans fondement des plans d'eau d'origine humaine :
"Si le limnosystème était conçu comme un anthroposystème limnique, il formerait un cadre plus opérationnel que l’actuel (…). Fortifié par les considérations épistémologiques précédentes, il aiderait sans doute, de façon pratique, à résoudre certaines contradictions de l’application française de la DCE que nous pourrions illustrer ainsi. Pourquoi un glissement de terrain qui barre une vallée et construit un lac est-il présenté comme une bénédiction permettant au réseau hydrographique d’enrichir sa biodiversité et la variété de ses habitats, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique, même si ce bouleversement a eu lieu récemment ? Pourquoi une digue construite pour barrer un vallon il y a mille ans, qui a donné naissance à un étang ennoyant une prairie humide inculte, dont les plantes marécageuses évapo-transpiraient de façon considérable, qui a laissé au cours d’eau le temps de rééquilibrer son profil en long, qui est intégré au système agro-pastoral traditionnel et a acquis une valeur culturelle et patrimoniale aux côtés d’un moulin, est-il présenté comme une atteinte intolérable à la nature, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique ?"
Référence : Touchart L, P Bartout (2018), Le limnosystème est-il un concept géographique ?, Ann. Géo., 719, 29-58.
A lire également : Touchart L (2002), Limnologie physique et dynamique, une géographie des lacs et des étangs, Paris, L’Harmattan, 395 p. ; Touchart L (2002), Géographie de l'étang: des théories globales aux pratiques locales, L'Harmattan, 230 p.
Laurent Touchart et Pascal Bartout, géographes à l'Université d'Orléans (laboratoire CEDETE), dressent d'abord une rapide histoire de la limnologie, longtemps définie comme la science des systèmes lacustres. Les lacs ont tôt attiré l'attention des naturalistes, des géographes et des premiers écologues, au même titre que les îles dont ils sont en quelque sorte l'équivalent inversé (un ensemble "isolé" d'eau cerné de terre, ensemble ayant sa cohérence d'étude, avec une forte interdépendance des éléments internes, de nombreuses espèces endémiques pour les lacs anciens). Les limnologues sont aussi parmi les premiers contributeurs à la construction de l'écologique scientifique au début du XXe siècle : S. Forbes, R. Lindemann, G. Hutchinson, par l'influence de ce dernier E. Odum.
L'étude des lacs va très vite se trouver à la confluence des différentes écoles de recherche, avec la mise en avant du caractère systémique et intégrée, aux Etats-Unis, en Europe et en Russie. Au fil des travaux, les géographes y valorisent le biotope au sein d'un système fluvial, les biologistes y mettent en avant les biocénoses (ou biogéocénoses en Russie) au sein d'un écosystème lentique. Selon l'angle choisi, le caractère ouvert ou fermé est souligné. L'action humaine y est beaucoup étudiée sous l'angle de l'eutrophisation et de la pollution, plus sensible dans les lacs que dans les rivières en raison du moindre mouvement et du temps de résidence. Le schéma ci-dessous montrent les différentes inscriptions possibles du "limnosystème en tant que concept de géographie limnologique".
Cliquer pour agrandir. In Touchart et Bartout 2018, art cit, droit de courte citation.
"Le limnosystème est l’ensemble des interactions naturelles (en tant qu’écosystème lentique interagissant avec les écosystèmes lotiques d’amont et d’aval et en tant qu’isolat favorisant l’endémisme interagissant avec l’ensemble du réseau hydrographique) et socioculturelles (comme rendant des services socio-économiques et possédant une identité culturelle) se produisant sur un territoire centré sur un plan d’eau, ce dernier se conduisant à la fois comme un aval collecteur et un amont moteur. Le limnosystème se décline en plusieurs échelles spatio-temporelles : le lac forme un limnosystème saisonnier de bassin, l’étang un limnosystème interdiurne de versant, la mare un limnosystème diurne dépendant. L’origine du limnosystème peut être indifféremment naturelle ou artificielle. Ainsi redéfini, le limnosystème devient un concept géographique par (i) son centrage, à la fois épistémologique et opérationnel, sur un objet géographique, le plan d’eau, (ii) ses caractéristiques multiscalaires, (iii) sa prise en compte sans hiérarchisation de valeur des faits de nature et de société."
Au passage, soulignant l'intérêt du concept d'anthroposystème apparu au début des années 2000 (Lévêque et al 2000, Lévêque et al 2003), Laurent Touchart et Pascal Bartout égratignent quelque peu la mise en oeuvre de la DCE 2000 et de la loi sur l'eau 2006 en France, constatant à la fois une hégémonie des systèmes lotiques (où l'ensemble lentique est perçu comme anomalie du continuum) et une dépréciation sans fondement des plans d'eau d'origine humaine :
"Si le limnosystème était conçu comme un anthroposystème limnique, il formerait un cadre plus opérationnel que l’actuel (…). Fortifié par les considérations épistémologiques précédentes, il aiderait sans doute, de façon pratique, à résoudre certaines contradictions de l’application française de la DCE que nous pourrions illustrer ainsi. Pourquoi un glissement de terrain qui barre une vallée et construit un lac est-il présenté comme une bénédiction permettant au réseau hydrographique d’enrichir sa biodiversité et la variété de ses habitats, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique, même si ce bouleversement a eu lieu récemment ? Pourquoi une digue construite pour barrer un vallon il y a mille ans, qui a donné naissance à un étang ennoyant une prairie humide inculte, dont les plantes marécageuses évapo-transpiraient de façon considérable, qui a laissé au cours d’eau le temps de rééquilibrer son profil en long, qui est intégré au système agro-pastoral traditionnel et a acquis une valeur culturelle et patrimoniale aux côtés d’un moulin, est-il présenté comme une atteinte intolérable à la nature, par le simple fait qu’un segment du système lotique a été transformé en système lentique ?"
Référence : Touchart L, P Bartout (2018), Le limnosystème est-il un concept géographique ?, Ann. Géo., 719, 29-58.
A lire également : Touchart L (2002), Limnologie physique et dynamique, une géographie des lacs et des étangs, Paris, L’Harmattan, 395 p. ; Touchart L (2002), Géographie de l'étang: des théories globales aux pratiques locales, L'Harmattan, 230 p.
17/02/2018
Directive-cadre européenne sur l'eau, les raisons d'un échec programmé
La directive-cadre européenne sur l'eau, visant 100% des masses d'eau en bon état chimique et écologique dès 2015, est un échec majeur au regard de ses objectifs, tant en France que dans les autres Etats-membres. Cette directive devant connaître une révision substantielle à partir de 2019, il importe de faire le bon diagnostic de cet échec pour apporter les évolutions nécessaires. Nous pointons ici deux causes majeures de l'absence de progression rapide de la qualité des eaux : le manque de réalisme économique sur l'ampleur et le coût des interventions nécessaires; le choix du mauvais paradigme de l'état de référence, héritage d'une version datée de l'écologie. Il faut souhaiter que l'Etat français porte à Bruxelles le bon message en 2019.
La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), promulgué en 2000, a été décrite comme la législation la plus ambitieuse au monde dans le domaine de l'eau. Elle se donnait pour objectif le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau (nappe, rivière, plan d'eau, estuaire) à l'horizon 2015, avec possibilité de proroger deux fois cette date butoir (échéances 2021, 2017).
La notion de bon état s'apprécie à partir d'une batterie d'indicateurs normalisés à travers toute l'Europe, portant sur l'appréciation des milieux biologiques, les mesures d'état physique de l'eau ou les taux de concentration de substances polluantes (près de 80) qui y circulent. Un seul facteur dégradé implique la dégradation de toute la masse d'eau. Certaines masses d'eau fortement modifiées sont jugées selon un potentiel d'état plutôt qu'un état.
Au regard de ses objectifs, la DCE 2000 est un échec.
Les graphiques ci-dessus (cliquer pour agrandir) montrent la situation au dernier bilan officiel des mesures rapportées à l'Europe, soit en 2013, pour les eaux de surface (source CGDD). Au total sur les bassins français, 43,5 % seulement des masses d'eau sont en bon ou très bon état écologique, 48,5% en bon état chimique, beaucoup de mesures manquaient dans l'état chimique.
Non seulement nous n'avons pas atteint les 100% de masses d'eau en bon état en 2015, mais les progressions observées depuis les premières mesures des années 2000 sont très lentes (quelques %) voire stables à intervalle de quelques années. C'est-à-dire qu'à ce rythme et malgré les environ 2,5 milliards € injectés chaque année dans la qualité de l'eau par les Agences de bassin, nous n'avons aucune chance d'atteindre l'objectif de 100% en 2027.
A la décharge de la France, elle se situe dans la moyenne européenne et d'autres pays ont des situations beaucoup plus dégradées que la nôtre.
Le manque de réalisme économique : une directive conçue sans estimation de faisabilité
L'explication la plus simple, mais aussi la plus paresseuse, consiste à incriminer tous les usagers de l'eau et tous les Etats. Si nous sommes en retard, c'est la faute des céréaliers qui ne réduisent pas les intrants et les pesticides, des industriels qui continuent de polluer ou réchauffer, des collectivités et des particuliers qui ne mettent pas assez vite leur assainissement aux normes, des barragistes et des moulins qui ne veulent pas détruire ou équiper leur ouvrage hydraulique, des irrigants qui pompent encore une eau plus rare, des éleveurs qui dégradent les berges, des automobilistes qui envoient des particules polluantes dans l'air donc dans l'eau par lessivage, des pêcheurs qui alevinent tout et n'importe quoi, etc.
Certes, chacun doit faire des efforts er c'est bien le sens des politiques engagées. Mais les "yakafokon" qui se limitent à ce genre de critique oublient qu'en démocratie, une politique publique n'évaluant pas sa faisabilité économique et son acceptabilité sociale n'est jamais qu'une mauvaise politique. Les efforts que l'on demande à chacun, ce sont à chaque fois des coûts (d'évitement, de compensation, de substitution), cela dans une économie ouverte et dans divers engagements européens ou internationaux de la France où l'on flatte par ailleurs la baisse des coûts, l'avantage compétitif, la hausse des pouvoirs d'achat, etc. A un moment, cette équation ne peut plus fonctionner. L'approche systémique et intégrée de l'eau comme hydrosystème relié à tout le bassin versant est intellectuellement correcte, mais elle est économiquement lourde puisqu'elle regarde désormais l'ensemble des usages.
Dans le cas de la DCE, des économistes français ont par exemple montré récemment que son analyse coût-bénéfice est mauvaise dans la majorité des cas, en particulier dans les zones rurales à faible population mais fort linéaire de cours d'eau (Feuillette et al 2016). Ce genre d'observation justifie que la politique de l'eau (comme la politique des biens communs environnementaux en général) soit à forte composante publique dans son financement, avec certains objectifs écologiques sans équivalent monétaire. Mais nous atteignons alors la question de la limite des revenus fiscaux de l'eau que l'on peut attribuer chaque année aux besoins d'amélioration de la ressource ou à des objectifs de biodiversité qui ne sont pas toujours partagés par le corps social.
Dans son Blueprint for Water, la Commission européenne avait pointé entre autres problèmes le manque de connaissance et d'utilisation des instruments économiques dans la gouvernance de l'eau. L'OCDE avait formulé la même critique (OECD 2012). Comme l'observe dans un papier récent J Berbel et A Exposito "la DCE et la politique de l'UE dans le domaine de l'eau ont principalement été élaborées par des décideurs ayant une formation en hydrologie, en génie civil ou en administration publique. Jusqu'à présent, l'économie a joué un rôle secondaire, mais la DCE révisée devrait placer l'économie, et donc les économistes et les connaissances économiques, au cœur de la politique de l'eau de l'UE et au service de ses objectifs sociaux et environnementaux" (Berbel et Exposito 2018).
Encore faut-il que les économistes s'accordent sur les modèles d'estimation des biens, services, externalités liés à l'eau et à échelle de la collectivité : alors que nous sommes à la veille de la révision DCE, ce consensus paraît très loin d'être constitué. Avec le risque de reproduire les approximations à l'oeuvre depuis 2000 et de reconduire des objectifs sans les financements qui les garantiraient.
Le paradigme failli de l'état de référence : négation de la nature hybride et dynamique
Si la DCE 2000 rencontre l'écueil de la faisabilité économique de ses ambitions, le problème de cette directive est aussi plus profond et plus structurel. Il réside dans le choix de l'état de référence écologique comme objectif systématisé à chaque masse d'eau.
Gabrielle Bouleau et Didier Pont en rappelaient ainsi le principe : "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité." (Bouleau et Pont 2015).
En d'autres termes, les hauts fonctionnaires ayant conçu la DCE 2000 se sont imaginés que les rivières européennes, modifiées par 5000 ans d'occupations humaines sur les bassins versants, pourraient retrouver un état "naturel" ou "quasi-naturel" avec très peu d'influence anthropique en l'espace de 25 ans seulement… On critique parfois des politiques et des administratifs "hors-sol", il faut admettre que la réalité donne quelques fondements à ce grief.
Autant les indicateurs chimiques relèvent la présence ou l'absence d'une substance, paramètre en soi modifiable à la source dans beaucoup de cas, autant les indicateurs biologiques ou morphologiques se révèlent plus problématiques dans leur interprétation et leur pronostic d'évolution. En voici quelques raisons :
Voici près de 10 ans, Simon Dufour et Hervé Piégeay observaient déjà : "Au cours des deux dernières décennies, la restauration des rivières est de plus en plus devenue un domaine de recherche posant une série de questions complexes liées non seulement à la science mais aussi à la société. Pourquoi devrions-nous restaurer les écosystèmes? La restauration est-elle toujours bénéfique? Quand est-ce bénéfique? Quels devraient être les états de référence cibles? Qu'est-ce que le succès et quand peut-il être évalué? (… ) Bien que le désir de recréer le passé soit tentant, la science a montré que les systèmes fluviaux suivent des trajectoires complexes qui rendent souvent impossible le retour à un état antérieur. (…) Nous soutenons que la stratégie fondée sur les références devrait être progressivement remplacée par une stratégie axée sur les objectifs qui reflète les limites pratiques du développement de paysages durables et l'importance émergente de la prise en compte des services à la personne rendus par l'écosystème cible." (Dufour et Piégeay 2009)
La révision de la DCE en 2019 doit être l'occasion de repenser sa construction économique et son assise écologique.
La directive-cadre européenne sur l'eau (DCE), promulgué en 2000, a été décrite comme la législation la plus ambitieuse au monde dans le domaine de l'eau. Elle se donnait pour objectif le bon état écologique et chimique de 100% des masses d'eau (nappe, rivière, plan d'eau, estuaire) à l'horizon 2015, avec possibilité de proroger deux fois cette date butoir (échéances 2021, 2017).
La notion de bon état s'apprécie à partir d'une batterie d'indicateurs normalisés à travers toute l'Europe, portant sur l'appréciation des milieux biologiques, les mesures d'état physique de l'eau ou les taux de concentration de substances polluantes (près de 80) qui y circulent. Un seul facteur dégradé implique la dégradation de toute la masse d'eau. Certaines masses d'eau fortement modifiées sont jugées selon un potentiel d'état plutôt qu'un état.
Au regard de ses objectifs, la DCE 2000 est un échec.
Les graphiques ci-dessus (cliquer pour agrandir) montrent la situation au dernier bilan officiel des mesures rapportées à l'Europe, soit en 2013, pour les eaux de surface (source CGDD). Au total sur les bassins français, 43,5 % seulement des masses d'eau sont en bon ou très bon état écologique, 48,5% en bon état chimique, beaucoup de mesures manquaient dans l'état chimique.
Non seulement nous n'avons pas atteint les 100% de masses d'eau en bon état en 2015, mais les progressions observées depuis les premières mesures des années 2000 sont très lentes (quelques %) voire stables à intervalle de quelques années. C'est-à-dire qu'à ce rythme et malgré les environ 2,5 milliards € injectés chaque année dans la qualité de l'eau par les Agences de bassin, nous n'avons aucune chance d'atteindre l'objectif de 100% en 2027.
A la décharge de la France, elle se situe dans la moyenne européenne et d'autres pays ont des situations beaucoup plus dégradées que la nôtre.
Le manque de réalisme économique : une directive conçue sans estimation de faisabilité
L'explication la plus simple, mais aussi la plus paresseuse, consiste à incriminer tous les usagers de l'eau et tous les Etats. Si nous sommes en retard, c'est la faute des céréaliers qui ne réduisent pas les intrants et les pesticides, des industriels qui continuent de polluer ou réchauffer, des collectivités et des particuliers qui ne mettent pas assez vite leur assainissement aux normes, des barragistes et des moulins qui ne veulent pas détruire ou équiper leur ouvrage hydraulique, des irrigants qui pompent encore une eau plus rare, des éleveurs qui dégradent les berges, des automobilistes qui envoient des particules polluantes dans l'air donc dans l'eau par lessivage, des pêcheurs qui alevinent tout et n'importe quoi, etc.
Certes, chacun doit faire des efforts er c'est bien le sens des politiques engagées. Mais les "yakafokon" qui se limitent à ce genre de critique oublient qu'en démocratie, une politique publique n'évaluant pas sa faisabilité économique et son acceptabilité sociale n'est jamais qu'une mauvaise politique. Les efforts que l'on demande à chacun, ce sont à chaque fois des coûts (d'évitement, de compensation, de substitution), cela dans une économie ouverte et dans divers engagements européens ou internationaux de la France où l'on flatte par ailleurs la baisse des coûts, l'avantage compétitif, la hausse des pouvoirs d'achat, etc. A un moment, cette équation ne peut plus fonctionner. L'approche systémique et intégrée de l'eau comme hydrosystème relié à tout le bassin versant est intellectuellement correcte, mais elle est économiquement lourde puisqu'elle regarde désormais l'ensemble des usages.
Dans son Blueprint for Water, la Commission européenne avait pointé entre autres problèmes le manque de connaissance et d'utilisation des instruments économiques dans la gouvernance de l'eau. L'OCDE avait formulé la même critique (OECD 2012). Comme l'observe dans un papier récent J Berbel et A Exposito "la DCE et la politique de l'UE dans le domaine de l'eau ont principalement été élaborées par des décideurs ayant une formation en hydrologie, en génie civil ou en administration publique. Jusqu'à présent, l'économie a joué un rôle secondaire, mais la DCE révisée devrait placer l'économie, et donc les économistes et les connaissances économiques, au cœur de la politique de l'eau de l'UE et au service de ses objectifs sociaux et environnementaux" (Berbel et Exposito 2018).
Encore faut-il que les économistes s'accordent sur les modèles d'estimation des biens, services, externalités liés à l'eau et à échelle de la collectivité : alors que nous sommes à la veille de la révision DCE, ce consensus paraît très loin d'être constitué. Avec le risque de reproduire les approximations à l'oeuvre depuis 2000 et de reconduire des objectifs sans les financements qui les garantiraient.
Le paradigme failli de l'état de référence : négation de la nature hybride et dynamique
Si la DCE 2000 rencontre l'écueil de la faisabilité économique de ses ambitions, le problème de cette directive est aussi plus profond et plus structurel. Il réside dans le choix de l'état de référence écologique comme objectif systématisé à chaque masse d'eau.
Gabrielle Bouleau et Didier Pont en rappelaient ainsi le principe : "la DCE définit les conditions de référence d’un système écologique comme celui prévalant en l’absence ou la quasi-absence de perturbations anthropiques. Cela correspond à des caractéristiques hydromorphologiques, physicochimiques et biologiques 'non perturbées', des concentrations en polluants de synthèse proches de zéro et des teneurs relevant du 'bruit de fond' en polluants non synthétiques. La chimie de l’eau et la toxicologie permettent d’étalonner les concentrations en fonction des risques sanitaires associés. Du côté de l’écologie, l’étalonnage repose sur une typologie régionalisée des milieux aquatiques qui rend compte de la variation de biodiversité induite par les caractéristiques écorégionales (facteurs hydroclimatiques, habitat physique, facteurs trophiques et biotiques) sur des cours d'eau non perturbés de taille relativement similaire. Le bon état correspond à un écart à cette référence n’entraînant pas de distorsion notable des biocénoses. Un écart plus notable est interprété comme le signe d’une perturbation des facteurs-clés déterminant la biodiversité localement. Cette approche suppose un retour possible au bon état en cas de suppression de la perturbation, sous réserve que cette dernière n’ait pas engendré d’irréversibilité." (Bouleau et Pont 2015).
En d'autres termes, les hauts fonctionnaires ayant conçu la DCE 2000 se sont imaginés que les rivières européennes, modifiées par 5000 ans d'occupations humaines sur les bassins versants, pourraient retrouver un état "naturel" ou "quasi-naturel" avec très peu d'influence anthropique en l'espace de 25 ans seulement… On critique parfois des politiques et des administratifs "hors-sol", il faut admettre que la réalité donne quelques fondements à ce grief.
Autant les indicateurs chimiques relèvent la présence ou l'absence d'une substance, paramètre en soi modifiable à la source dans beaucoup de cas, autant les indicateurs biologiques ou morphologiques se révèlent plus problématiques dans leur interprétation et leur pronostic d'évolution. En voici quelques raisons :
- les systèmes naturels sont non réversibles, rien ne laisse penser qu'on reviendrait à un état antérieur et notamment "avant l'homme",
- les systèmes naturels sont dynamiques et ne se stabilisent pas sur un point d'équilibre (ancienne vision du "climax" abandonnée en écologie),
- le changement climatique est en train de modifier les écotypes de nombreuses rivières à travers leurs conditions hydrologiques et thermiques,
- la biodiversité acquise depuis plusieurs millénaires (plus encore depuis 100 ans) est déjà considérable et elle dévie des assemblages de la biodiversité endémique,
- les influences de tout le bassin versant (et non du seul tronçon de lit mineur) sur les propriétés de l'eau et des milieux suggèrent qu'un état de référence pré-humain engagerait la reconfiguration de tout le bassin versant (et non quelques actions ponctuelles sur le lit et la berge),
- le temps de réaction des hydrosystèmes à des impacts ou des restaurations est assez largement inconnu, mais on sait déjà qu'il superpose des influences à toutes échelles (de l'heure au millénaire), avec aucun espoir que le quart de siècle de la DCE soit une période pertinente pour atteindre puis conserver un état donné.
Voici près de 10 ans, Simon Dufour et Hervé Piégeay observaient déjà : "Au cours des deux dernières décennies, la restauration des rivières est de plus en plus devenue un domaine de recherche posant une série de questions complexes liées non seulement à la science mais aussi à la société. Pourquoi devrions-nous restaurer les écosystèmes? La restauration est-elle toujours bénéfique? Quand est-ce bénéfique? Quels devraient être les états de référence cibles? Qu'est-ce que le succès et quand peut-il être évalué? (… ) Bien que le désir de recréer le passé soit tentant, la science a montré que les systèmes fluviaux suivent des trajectoires complexes qui rendent souvent impossible le retour à un état antérieur. (…) Nous soutenons que la stratégie fondée sur les références devrait être progressivement remplacée par une stratégie axée sur les objectifs qui reflète les limites pratiques du développement de paysages durables et l'importance émergente de la prise en compte des services à la personne rendus par l'écosystème cible." (Dufour et Piégeay 2009)
La révision de la DCE en 2019 doit être l'occasion de repenser sa construction économique et son assise écologique.