La puissance maximale brute d'un site est définie par la loi et codifiée dans le L. 511-5 du code de l'énergie : "La puissance d'une installation hydraulique, ou puissance maximale brute, au sens du présent livre est définie comme le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur".
Lors de la relance d'un moulin, il est d'usage de considérer que sa consistance légale correspond à cette puissance maximale brute. La jurisprudence en a été établie par l’arrêt Ulrich du Conseil d’État (28 juillet 1866), où un usinier ayant changé ses mécanismes et augmenté sa puissance a vu reconnaître qu'il n'avait pas besoin de demander une autorisation, car la donnée importante est la "force motrice brute qui résulte du volume, de la hauteur et de la pente de la chute d’eau". Par extension, la puissance fondée en titre (consistance légale exploitable du site) est calculée par le débit entrant dans la propriété après diversion des eaux et par la hauteur totale entre le point d'entrée et le point de restitution (en sortie de bief), sans considération sur ce que le propriétaire peut faire techniquement de cette eau dérivée.
Cet équilibre législatif et jurisprudentiel relève d'un certain bon sens : dès lors que le droit d'eau fondé en titre peut dériver un débit, il l'exploite à sa convenance à impact égal de diversion du lit mineur de la rivière.
C'est cet équilibre que l'administration en charge de l'eau tente aujourd'hui de rompre, fidèle à son habitude de décourager la relance des ouvrages hydrauliques par des surcroîts de complexité et des pinaillages disproportionnés aux enjeux. Le rapport Irstea-AFB tente de rationaliser cette rupture.
Voici quelques exemples de désaccords ou d'imprécisions.
"Tout moulin doté d’un titre authentique ou dont l’existence avérée est antérieure à l’Édit des moulins de 1566 pour les cours d’eau domaniaux et à l’abolition du régime féodal du 4 août 1789 pour les cours d’eau non-domaniaux bénéficie d’un droit fondé en titre (MEEDDM, 2010)." (p. 8)
Le droit fondé en titre est établi pour un moulin existant avant l'instruction législative des 12-20 août 1790 dans les rivières non domaniales. En effet, cette loi de l'Assemblée constituante instaure le "libre cours des eaux" garanti par les autorités départementales, et donc l'obligation de recevoir une autorisation administrative pour édifier un moulin ou autre ouvrage. Les moulins établis entre août 1789 et août 1790 sont donc également fondés en titre.
"La consistance légale est la puissance hydraulique brute que le moulin était autorisé à utiliser à l’origine de ses droits." (p. 9)
Cette définition est inexacte. Elle ne correspond pas à la loi ni à la jurisprudence, mais à une des deux hypothèses avancées dans l’arrêté du 11 septembre 2015.
"Pour l'application du présent article aux ouvrages et installations fondés, la puissance autorisée, correspondant à la consistance légale, est établie en kW de la manière suivante :- sur la base d'éléments : états statistiques, tout élément relatif à la capacité de production passée, au nombre de meules, données disponibles sur des installations comparables, etc. ;- à défaut, par la formule P (kW) = Qmax (m3/s) × Hmax (m) × 9,81 établie sur la base des caractéristiques de l'ouvrage avant toute modification récente connue de l'administration concernant le débit dérivé, la hauteur de chute, la côte légale, etc."
L'arrêté pose arbitrairement que l'on peut se référer à des éléments anciens, alors que cette méthode n'est pas retenue dans le code de l'énergie ni dans la jurisprudence du Conseil d'Etat. Et le texte du même arrêté convient que la puissance maximale brute est aussi recevable.
"Dans ce jugement et dans quelques autres décisions [du conseil d'Etat], il est fait une interprétation erronée de l’arrêt Ulrich" (page 11).
Le Conseil d'Etat interprète le droit, et en la matière ses décisions peuvent être contredites par une instance supérieure (cours européennes). Il ne revient donc pas à l'Irstea ni à l'AFB de sortir de leurs compétences et de donner des leçons de droit à la plus haute juridiction administrative ni de "démontrer" que la jurisprudence se tromperait depuis l'arrêté Ulrich de 1866. C'est un non-sens : l'expert technique doit s'adapter à ce que dit le droit, et non pas essayer de le transformer.
"Le jugement n°393293 du Conseil d’Etat du 16 décembre 2016 précise l’applicabilité de la méthode : "Le juge administratif peut tenir compte notamment des mesures de dé- bit réelles effectuées sur le site par l’administration, à la condition toutefois que celle-ci démontre que ces mesures sont pertinentes pour apprécier la puissance maximale théorique" (p. 20)
Cet extrait sort l'arrêt du Conseil d'Etat de son contexte. Les magistrats ont rappelé que le calcul du débit maximal équipable (et non du débit dérivé ancien) s'applique aux fondés en titre dans ce considérant:
"4. Considérant qu'un droit fondé en titre conserve en principe la consistance légale qui était la sienne à l'origine ; qu'à défaut de preuve contraire, cette consistance est présumée conforme à sa consistance actuelle ; que celle-ci correspond, non à la force motrice utile que l'exploitant retire de son installation, compte tenu de l'efficacité plus ou moins grande de l'usine hydroélectrique, mais à la puissance maximale dont il peut en théorie disposer ; que si, en vertu des dispositions de l'article L. 511-4 du code de l'énergie, les ouvrages fondés en titre ne sont pas soumis aux dispositions de son livre V " Dispositions relatives à l'utilisation de l'énergie hydraulique ", leur puissance maximale est calculée en appliquant la même formule que celle qui figure au troisième alinéa de l'article L. 511-5, c'est-à-dire en faisant le produit de la hauteur de chute par le débit maximum de la dérivation par l'intensité de la pesanteur ; que la cour, en faisant usage de cette formule pour déterminer la puissance maximale, n'a ainsi entaché son arrêt sur ce point d'aucune erreur de droit"Donc l'administration peut effectuer des mesures de débits réels sur site, mais elle doit le faire dans le respect des dispositions législatives citées du code de l'énergie, dont on rappellera qu'elle s'impose aux dispositions réglementaires dans la hiérarchie des normes (le ministère de l'écologie peut prendre des arrêtés et décrets, mais pas s'ils sortent des définitions de la loi validées par la jurisprudence).
Au plan technique, le guide soulève par ailleurs certains points intéressants pour le calcul du débit. Mais ses présupposés le rendent inutilisables.
Ce guide a déjà été opposé à des pétitionnaires, qui nous en ont informés. Nous avons saisi certains partenaires nationaux de cette question en attirant l'attention sur la nécessité de produire par des ingénieurs et juristes un guide alternatif, fidèle à la loi et à la jurisprudence, opposable au service instructeur et au juge administratif, proposant des règles hydrauliques simples et éprouvées de calcul. D'ici là, le guide Irstea-AFB et la manoeuvre administrative de réduction de la consistance légale seront refusés. Un argumentaire complet sera fourni par notre avocat aux adhérents s'ils sont obligés de saisir le juge administratif pour constater l'absence de fondement juridique des demandes.
Dernier point : les deux fédérations de moulins, les deux syndicats d'hydro-électriciens et le syndicat des énergies renouvelables ont souhaité que la petite hydroélectricité soit placée sous la compétence de la direction énergie et climat du ministère de l'écologie (comme tous les autres producteurs), et non pas de sa direction eau et biodiversité. Cette requête est légitime et nécessaire. Depuis 10 ans, la direction eau et biodiversité axe son action de continuité en rivière sur la destruction des ouvrages hydrauliques. Elle ne fait que complexifier les normes en contradiction avec les attentes du gouvernement qui a demandé à ses administrations de les simplifier. Elle a nourri une très vive animosité des riverains à l'encontre des politiques publiques de continuité et n'a montré aucun intérêt pour le potentiel hydraulique des rivières, ce qui la rend peu à même d'accompagner dans de bonnes conditions la relance des moulins dans le cadre de la transition énergétique. Quant à l'Agence française pour la biodiversité, elle entretient la confusion sur son objet et sa pertinence en apposant son logo à ce genre de guide technique, qui devrait relever de l'Ademe.
Référence : Irstea, AFB D. Dorchies (2017), Méthodologie de calcul du débit du droit d’eau fondé en titre, 100 p.
Quand j'ai vu ce travail j'ai compris que cela n'allais pas vous plaire! Quand on voit la puissance que l'administration accorde à certains droits fondés en titre, il n'est pas besoin de plusieurs pages à plus forte raison , fort bien écrites, pour voir que toutes les limites de la décences sont dépassées ...voilà un texte qui va donner l'occasion aux tribunaux d'éviter de de faire de trop grandes bêtises et de rattraper quelques jurisprudence malheureuses... au fait la jurisprudence ne dispose pas de l'avenir ....
RépondreSupprimerLa "décence" relève de la police des moeurs.
SupprimerCe guide s'inscrit dans la stratégie du ministère d'aller contre la loi et la jurisprudence sur la base de la voie réglementaire (un arrêté). Donc il produira des contentieux judiciaires et des interpellations parlementaires.
Cette complication normative incessante et si souvent disproportionnée est de plus en plus reconnue comme impossible à appliquer sur le terrain dans bien des cas. La conscience de ces problèmes de mauvaise gestion publique de la question de la continuité avance doucement, mais elle avance.
A ce propos, nous ne voyons plus de nom de responsable du bureau des milieux aquatiques indiqué sur le site du ministère. Des changements en vue peut-être?
Est il vrai qu'un moulin producteur qui a cessé sa production durant deux ans doit le déclarer à l'administration?
RépondreSupprimerNous n'avons pas souvenir d'un tel devoir de signalement, à quel texte pensez-vous?
SupprimerArticle R214-45 du Code de l'Environnement
RépondreSupprimerMerci. Donc en fin d'activité "de l'exploitation ou de l'affectation indiquée dans l'autorisation", il faut en effet le signaler. On notera que c'est a priori indépendant du fondé en tire, que le Conseil d'Etat considère comme un droit d'usage assimilable à un droit réel immobilier (sans affectation précise d'une autorisation antérieure).
SupprimerBonjour,
RépondreSupprimerJ'ai une question relative au calcul de la consistance légale d'un moulin fondé en titre. Si un bief alimentait à l'époque deux moulins par division du canal d'amenée (élément attesté sur le cadastre napoléonien) et que par la suite ce bief n'alimente plus qu'un moulin qui a donc vu sa puissance augmenter sans changement de la prise d'eau à priori. La consistance légale de ce moulin est -elle celle de la prise d'eau en arguant que c'est une amélioration technique du rendement des machines ou est-elle seulement d'une partie de la prise d'eau, en rapport avec celle figurant sur la cadastre napoléonien ?
Merci d'avance !
De notre point de vue, la puissance maximale brute (PMB) fondée en titre est celle que le génie civil hydraulique en l'état (ouvrage, canal) permet d'exploiter au droit du moulin. Un rapport établit donc la chute utile, le débit équipable, et il en déduit la PMB. La circonstance que vous évoquez peut avoir deux lectures :
Supprimer- soit l'autre moulin a bouché son canal et n'a plus de droit d'eau, auquel cas tout le débit du canal vous revient comme unique moulin producteur, y compris dans le calcul de la PMB
- soit l'autre moulin a conservé son droit d'eau (un canal opérationnel) et il est possible de faire une convention avec lui sur le partage de l'eau, ou proposer de lui racheter le droit d'eau