La fédération de pêche de l'Yonne et l'administration en charge de l'eau ont organisé depuis octobre 2017 la destruction sans autorisation du site de Bussières (5 ha d'étangs et zones humides, un patrimoine de l'Ancien Régime). Alors que les services de l'eau et de l'environnement se montrent extrêmement pointilleux pour des opérations de routine en gestion d'ouvrages hydrauliques, ils ont ici toléré la disparition d'un milieu aquatique et humide à haut intérêt pour la biodiversité et cela sans la moindre étude d'impact, la moindre compensation, la moindre enquête publique permettant aux citoyens de s'exprimer. Face à la mauvaise foi et à l'opacité de ses interlocuteurs, notre association a déposé une plainte pénale à Auxerre (contre la fédération de pêche) et une plainte administrative à Dijon (contre la préfecture).
L'agence française pour la biodiversité, saisie par Hydrauxois en novembre 2017, vient de nous faire parvenir après 2 relances son rapport sur le sujet. On peut le télécharger à ce lien. Elle s'est bien gardé de nous en faire copie en février, avant la destruction de l'étang, mais a préféré attendre que les pelleteuses de la fédération de pêche aient tout détruit. Tout comme les services de la DDT nous ont envoyé les pièces complémentaires demandées après le chantier.
On aurait pu s'attendre à ce qu'une agence en charge de la biodiversité, saisie de manière motivée par des citoyens, remplisse son rôle assigné par l'Etat : "préservation, gestion et restauration de la biodiversité" et "développement des connaissances, ressources, usages et services écosystémiques attachés à la biodiversité" (art L 131-8 CE). Mais le résultat est consternant :
- aucune observation sur l'hydrosystème qui va être modifié,
- aucune mesure de la superficie des zones humides asséchées,
- aucune évaluation de la biodiversité locale,
- aucune mise en garde sur les enjeux connus des étangs et zones humides, de Bussières en particulier (amphibiens, invertébrés, oiseaux d'eau, végétation spécialisée, rôle dans le retour de la loutre),
- aucune évaluation du rôle d'épuration de la retenue,
- aucune évaluation du rôle de l'étang dans la régulation des crues.
L'Agence française pour la biodiversité a été formée en janvier 2017, à la suite de la loi de biodiversité, en agrégeant notamment les personnels de l'Onema (Office national de l'eau et des milieux aquatiques) qui était lui-même issu du CSP (Conseil supérieur de la pêche).
Nous avons déjà déploré que l'AFB continue dans les biais halieutiques de l'Onema et du CSP, dont les centres d'intérêt pour la biodiversité aquatique ont toujours été très centrés sur des espèces de poisson présentant un intérêt pour les pêcheurs, ainsi que sur des milieux lotiques présentés comme idéal de "renaturation", en indifférence complète à l'évolution historique des milieux et du vivant qu'ils abritent. Plusieurs équipes de recherche ont récemment émis des interrogations sur la nature exacte de la "science" ou de l'"expertise" mobilisée dans la continuité (par exemple chez Lespez et al 2015 ou chez Dufour et al 2017).
Nous avions notamment montré que l'Onema :
- sur-représentait l'enjeu poisson parmi la biodiversité,
- sur-représentait l'enjeu continuité parmi les autres enjeux de la rivière,
- bâclait le suivi des chantiers en rivière,
- bâclait les suivis de destruction (exemple à Tonnerre),
- bâclait le diagnostic des étangs et plans d'eau,
- prenait des positions sur les ouvrages hydrauliques plus dignes des militants de la pêche que des fonctionnaires de l'Etat.
Hélas, le personnel actuel de l'AFB n'étant autre que celui de l'Onema pour ce qui est du suivi des rivières et milieux aquatiques continentaux, les mêmes problèmes persistent. Nous l'avions constaté sur les ouvrages de l'Ource. Cela se confirme à Bussières.
L'agence publique en charge de la biodiversité se comporte donc de manière inacceptable par rapport à ses missions d'étude objective et de protection du vivant. Encore récemment, une équipe de 11 chercheurs a appelé à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques (voir Hill et al 2018). Des universitaires français ont souligné que ce "limnosystème" possède une valeur propre pour le vivant (Touchart et Bartout 2018), ainsi que diverses fonctions comme l'épuration de l'eau, appelant à une étude attentive au cas par cas avant d'intervenir (Gaillard et al 2016). Au cours des années 2000, la recherche scientifique a montré que ces milieux lentiques, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières ou les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. Les scientifiques écrivent : "Les mares et étangs fournissent un habitat essentiel à de nombreuses espèces rares et menacées à l'échelle nationale et internationale, et constituent des refuges importants dans les paysages urbains et agricoles" (Hill et al, art cit).
Que l'Agence française pour la biodiversité n'ait pas l'honnêteté intellectuelle élémentaire d'étudier des hydrosystèmes d'intérêt, ici classés en ZNIEFF, avant leur éventuelle destruction est injustifiable. La biodiversité des milieux aquatiques et humides en France n'a pas besoin d'une annexe savante du lobby des pêcheurs de truite et saumon. Et les riverains n'ont aucune raison de prêter crédit à un discours public s'alimentant à cette déformation militante de la réalité. Notre association saisira la direction de l'AFB et le nouveau directeur de l'eau au ministère de ces dérives.
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