Le député Sébastien Jumel (Seine-maritime) vient de poser une question remarquablement précise à Nicolas Hulot, ministre de la Transition écologique et solidaire. L'intervention du parlementaire pointe des dysfonctionnements observés dans l'interprétation de la loi et la gestion des ouvrages hydrauliques par l'administration. Le ministre de l'écologie va-t-il répondre aux remarques qui lui sont adressées? Ou va-t-il, comme ce fut fait récemment avec une certaine légèreté, adresser au député Jumel de vagues promesses sur une future prise en compte des moulins et autres ouvrages d'intérêt dans les choix de continuité? Cela fait quatre ans que les parlementaires de tous bords s'indignent de la version destructrice de la continuité écologique et exigent un changement de cap de l'administration sur le sujet, plusieurs amendements de protection du patrimoine historique et du potentiel énergétique des rivières ayant été votés. Mais finalement... qui fait la loi en France? Les représentants élus des citoyens, ayant le pouvoir législatif car dépositaires de la volonté générale, ou les fonctionnaires non élus des bureaucraties ministérielles et des agences de l'eau, censément chargés d'exécuter les lois et non pas de les ré-interpréter à leur goût? L'attitude gouvernementale est intenable et Ségolène Royal l'avait compris en demandant que cesse toute casse d'ouvrages suscitant une opposition. Nicolas Hulot doit se prononcer sans délai sur cette question.
Le texte de la question :
M. Sébastien Jumel attire l'attention de M. le ministre d'État, ministre de la transition écologique et solidaire, sur les risques qui pèsent sur les moulins de rivière français, liés à une législation ambivalente. Au nombre de 60 000, les moulins représentent le troisième patrimoine national, après les châteaux et les églises. Ancrés dans les territoires, ils constituent, d'une part, un maillage territorial important, et d'autre part, des ressources économiques et énergétiques non-négligeables.
Ce patrimoine est aujourd'hui menacé par une réglementation qui oscille entre une volonté de sauvegarder le patrimoine et un objectif de continuité écologique, entraînant le nécessaire effacement des ouvrages considérés comme des « obstacles ». Actuellement, la législation française fait écho à la directive-cadre sur l'eau (DCE) du 23 octobre 2000, qui a introduit au niveau communautaire le principe de continuité écologique, entendu comme « la libre circulation des poissons et de l'ensemble des organismes aquatiques ». Ce principe a été renforcé au niveau national par le biais de la loi sur l'eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006, qui entend assurer la continuité écologique des cours d'eau. À la lecture de ces textes, il n'est aucunement fait mention d'une quelconque incompatibilité entre réalisation du principe de continuité écologique et préservation du patrimoine, nécessitant une destruction des ouvrages. Pourtant, le 25 janvier 2010, la circulaire dite « Borloo » a opposé ces deux objectifs, menaçant de fait les quelques 20 000 moulins à eau français. Au nom de la continuité écologique, elle prône « l'effacement systématique », soit la destruction des ouvrages rompant cette continuité des rivières.
Les propriétaires de moulins, tout comme les associations de défense du patrimoine, se montrent aujourd'hui inquiets face à cette législation : ils ne s'opposent pas à la continuité écologique en tant que principe, mais bien à ses modalités d'application qu'ils jugent excessives. De plus, le caractère ambivalent et incertain de la législation a été accentué l'année dernière par l'adoption de la loi n° 2017-227 du 24 février 2017, qui permet aux propriétaires de moulins à eau de mettre en place une production électrique sur leurs ouvrages. Les propriétaires qui s'impliquent peuvent alors obtenir des dérogations aux aménagements de continuité écologique, conformément à l'article L. 214-18-1 du code de l'environnement. Néanmoins, la politique actuelle de continuité écologique tend à privilégier la destruction de ces sites, potentiellement exploitables, sur décision des directions départementales des territoires et de la mer (DDTM). Le rôle prépondérant des DDTM est d'ailleurs critiqué car il peut entraîner des inégalités dans l'application de la loi, selon les départements et l'interprétation qui en est faite. Elle complexifie également l'accès à la production hydro-électrique, avec des délais dépassant majoritairement les cinq années entre le début du projet et l'injection du premier kWh.
Alors que les préoccupations écologiques sont aujourd’hui au cœur des politiques publiques, il est primordial de permettre la préservation des moulins en capacité de produire de l'électricité : s'en passer serait contraire au souhait de développement des énergies renouvelables. Par conséquent, il souhaite connaître les intentions du Gouvernement concernant la conciliation entre continuité écologique, sauvegarde du patrimoine et développement de la petite hydroélectricité. De plus, il lui demande des réponses sur le coût public de la continuité écologique et de sa mise en œuvre, estimé à près de deux milliards d'euros, ainsi que sur l'indemnisation due par l'État pour les études et travaux relatifs aux moulins.
Source : Sébastien Jumel, 3 juillet 2018. Question N° 10078 au Ministère de la transition écologique et solidaire
Illustration : exemple de destruction d'ouvrage en cours malgré le référé de la commune. L'obsession de la continuité écologique a créé un acharnement administratif à détruire les ouvrages hydrauliques, ce qui provoque une division sans précédent des riverains et donne de l'action publique une image de dérive intégriste, où l'on veut imposer une (fantasmatique) "renaturation" contre l'avis des premiers intéressés. Croit-on que la gestion écologique des milieux aquatiques sort grandie et raffermie de telles méthodes? L'Etat pense-t-il que cette gouvernance opaque, verticale et autoritaire est encore tenable dans une démocratie où les citoyens ne supportent plus les projets inutiles et imposés de manière arbitraire?
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