Belle surprise pour un propriétaire de moulin de la Côte chalonnaise : son bief héberge deux plantes aquatiques peu courantes dans notre région, la Zannichellie des marais et le Potamot dense.
Ces deux plantes sont qualifiées de rares en Bourgogne (Olivier Bardet et al., 2008, Atlas de la flore sauvage de Bourgogne, MHN-Biotope, 752 p.)
Zannichellie des marais (Zannichellia palustris) : 46 stations connues en Bourgogne.
Potamot dense (Groenlandia densa) : 61 stations connues en Bourgogne.
Rappel à nos lecteurs propriétaires d'ouvrages hydrauliques : pensez à inventorier la faune et la flore de vos biefs (ou étangs) et de leurs abords, éventuellement en demandant l'aide d'associations naturalistes. Pour la faune, vous pouvez signaler vos observations (régionales) sur le site e-Observations de Bourgogne Nature. Pour la flore, une observation peut être saisie sur le carnet en ligne de Tela Botanica. Même la cartographie de la biodiversité ordinaire peut être d'intérêt.
29/09/2018
27/09/2018
Pêcheurs et préfets sont-ils capables de respecter l'état de droit en matière de continuité? Casse à Louhossoa
Le seuil de Apeztegia à Louhossoa (Pyrénées-Atlantiques) a été ébréché à peine quelques jours après la parution de l'arrêté préfectoral (signé le 13 septembre 2018), sous maîtrise d'ouvrage de la fédération de pêche, sans même attendre le délai d'opposition à l'arrêté (4 mois). Problème : l'étude préalable montrait que le chantier modifie 445 m de rivière. Dans le droit français (article R 214-1 code de l'environnement), un tel changement du milieu (plus de 100 m de profil en long) impose une procédure d'autorisation avec enquête publique. L'administration ne saurait l'ignorer puisque le tribunal administratif de Pau vient de condamner le ministère de l'écologie pour avoir négligé cette disposition bien connue de tout pétitionnaire de chantier en rivière. Mais ici, le préfet a passé outre et autorisé la destruction sur la base d'une simple déclaration. Comme pour l'étang de Bussières, où une double procédure pénale et administrative est engagée. Le gouvernement lance un plan pour une continuité prétendument "apaisée", mais son administration persiste à valider n'importe quelle dépense publique et n'importe quelle entorse au droit commun de l'eau. C'est lamentable et en guise d'apaisement, ce double langage ne fait qu'accroître l'exaspération des riverains. Un recours sera déposé pour cesser les autres opérations prévues dans les Pyrénées-Atlantiques.
L'ouvrage ébréché :
L'extrait du document d'incidence montrant les 445 m d'impact :
L'ouvrage ébréché :
L'extrait du document d'incidence montrant les 445 m d'impact :
Sur le seuil d'Inchaya faisant partie du même lot analysé de 7 ouvrages, le bureau d'études observait dans le rapport de préparation du chantier qu'une modification de plus de 100m (ici 135 m) implique une autorisation (a fortiori pour 445m sur le seuil d'Apeztegia, mais le préfet a de toute façon ignoré ces obligations sur tous le seuils concernés par son arrêté) :
26/09/2018
Plan gouvernemental pour une politique apaisée de continuité écologique: commentaires et modèle de lettre aux préfets
Après 8 mois de discussion au comité national de l'eau (CNE), le ministère de la Transition écologique et solidaire a officiellement adopté un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique. Ce texte reste très insatisfaisant : les hauts fonctionnaires de la direction de l'eau et de la biodiversité bloquent toute remise en question de leurs erreurs et de leurs interprétations abusives de la loi, persistant même à présenter comme des avancées ce qui forme toujours un déni scandaleux des dispositions votées par nos parlementaires. La loi interdit de contraindre un ouvrage autorisé à la destruction et la loi oblige l'Etat à indemniser les travaux au coût excessif : ce sont les éléments qu'il convient toujours de rappeler aux services de l'Etat, le cas échéant au juge si ces services les ignorent. La continuité écologique sera "apaisée" quand l'Etat reconnaîtra l'intérêt des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques au lieu d'organiser leur harcèlement et leur effacement. Elle restera conflictuelle tant que les riverains et propriétaires devront se battre pour faire reconnaître leurs droits et leurs libertés, ainsi que la valeur du patrimoine historique et paysager, de ses usages sociaux, des milieux vivants qu'il héberge. Commentaires de ce nouveau plan et modèle de courrier associatif au préfet.
La discussion au CNE avait soulevé des espoirs, car certains de ses animateurs étaient sincères. Mais le Plan en résultant est très en deçà de ce que l'on pouvait attendre.
En effet, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a maintenu l'essentiel de ses positions contestées et a refusé en conséquence les solutions les plus simples : déclasser un grand nombre de cours d'eau n'ayant pas de réels enjeux migrateurs ; poser la priorité aux aménagements non destructeurs et leur financement public.
Au lieu de la simplicité et de la clarté, c'est un surcroît de complexité qui a été choisi. Cela alors que les services en charge de l'eau et de la biodiversité se plaignent déjà du manque de temps et de moyens pour mener à bien leurs missions : il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes sur la lucidité et l'efficacité de l'action publique, le pilotage de la direction ministérielle de l'eau étant aujourd'hui très critiqué sur certains choix.
Au sein de ce Plan, on note des points positifs et négatifs. En particulier :
Point positifs
Il n'y aura aucune politique "apaisée" de continuité écologique si les conditions suivantes ne sont pas remplies :
Les associations de propriétaires, riverains et protection du patrimoine hydraulique doivent envoyer en recommandé un courrier au préfet actant le nouveau Plan. Ce courrier est l'occasion de rappeler les termes de la loi de continuité et les obligations (non respectées à date) de l'Etat. En cas de contentieux, il servira à chaque propriétaire adhérent de l'association pour témoigner de la bonne volonté de trouver des solutions et du retard de l'Etat à les proposer.
Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte)
Par la voix du ministre d'Etat en charge de la Transition écologique et solidaire, le gouvernement a annoncé en août 2018 l'adoption d'un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique.
Ce Plan comporte 7 actions dont l'exécution et la coordination reviennent principalement aux services de l'Etat.
Nous observons en particulier que ce Plan demande sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique de :
- prioriser les interventions, et déjà définir en concertation avec les premiers concernés ce qu'est un ouvrage prioritaire (action 1)
- assurer une meilleure conciliation des enjeux environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs (action 2)
- chercher des solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes (action 4)
- trouver les circuits et outils financiers pour réaliser les travaux (action 5)
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le spécifier par courrier, la plupart des propriétaires d'ouvrages hydrauliques adhérents de notre association sont toujours dans l'attente d'une solution visant à respecter les termes de la loi (art L 214-17 CE), à savoir
1) un ouvrage "géré, équipé, entretenu" , ce qui exclut toute pression à la destruction de la consistance légale autorisée,
2) selon "des règles définies par l'autorité administrative", ce qui suppose la caractérisation par vos services des enjeux propres à chaque rivière et ouvrage,
3) avec indemnisation des travaux présentant des "charges spéciales et exorbitantes", ce qui demande de flécher un financement si un dispositif coûteux est prescrit.
Le nouveau Plan gouvernemental aidera probablement à cet objectif, et il faut l'espérer car la plupart de nos adhérents sont aujourd'hui orphelins de solutions respectant la loi.
Disposés à rencontrer vos services avec les propriétaires de chaque rivière pour avancer de manière cohérente et concertée dans l'esprit "apaisé" que souhaite le gouvernement, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte), l'expression de nos sentiments respectueux.
La discussion au CNE avait soulevé des espoirs, car certains de ses animateurs étaient sincères. Mais le Plan en résultant est très en deçà de ce que l'on pouvait attendre.
En effet, la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie a maintenu l'essentiel de ses positions contestées et a refusé en conséquence les solutions les plus simples : déclasser un grand nombre de cours d'eau n'ayant pas de réels enjeux migrateurs ; poser la priorité aux aménagements non destructeurs et leur financement public.
Au lieu de la simplicité et de la clarté, c'est un surcroît de complexité qui a été choisi. Cela alors que les services en charge de l'eau et de la biodiversité se plaignent déjà du manque de temps et de moyens pour mener à bien leurs missions : il y a de quoi nourrir quelques inquiétudes sur la lucidité et l'efficacité de l'action publique, le pilotage de la direction ministérielle de l'eau étant aujourd'hui très critiqué sur certains choix.
Au sein de ce Plan, on note des points positifs et négatifs. En particulier :
Point positifs
- il est reconnu que certains ouvrages devront être définis comme prioritaires et d'autre non, premier pas pour reconnaître que nombre d'ouvrages sont aujourd'hui classés sans réel enjeu écologique,
- il est demandé une mise en œuvre de solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes, ce qui suggère que des options actuelles sont disproportionnées et irréalistes,
- il est posé le principe d'une conciliation des enjeux (environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs), donc la prime à la casse n'a pas à être un choix de première intention, comme c'est le cas dans un trop grand nombre d'instruction des agences de l'eau (par exemple 75% en Seine-Normandie, Artois-Picardie, plus de 50% en Loire-Bretagne).
- il n'y a aucune sécurité juridique ni efficacité programmatique en l'état du Plan, puisque même les ouvrages non prioritaires sont théoriquement toujours tenus d'être aménagés, dans le délai légal de 5 ans, de sorte que le propriétaire n'a pas de garantie sur son sort et risque de se retrouver dans un flou peu admissible,
- l'Etat continue d'essayer d'échapper à la loi sur l'eau de 2006 en affirmant que les solutions de continuité écologique ne seront pas indemnisées, mais feront l'objet de simples facilités fiscales (prêt taux zéro, etc.), ce qui est inacceptable. Toute charge exorbitante de mise en conformité à la continuité doit être indemnisée sur fonds publics, il n'y a pas à déroger à cette règle voulue par le législateur
Il n'y aura aucune politique "apaisée" de continuité écologique si les conditions suivantes ne sont pas remplies :
- sortir de l'arbitraire, l'analyse au cas par cas est la règle en hydrologie et écologie, mais elle ne signifie pas que les services de l'Etat (AFB, Dreal, DDT-M, agences de l'eau) peuvent prendre des arbitrages différents ou présenter des niveaux d'exigence différents pour des cas similaires, au gré du bon vouloir des agents, comme c'est hélas le cas aujourd'hui (voir ce document listant tous les types de problèmes rencontrés dans la mise en oeuvre de la continuité à partir de témoignages de terrain et retours de propriétaires),
- exempter clairement des obligations de continuité les ouvrages reconnus comme non prioritaires, par un courrier explicite de la préfecture sortant le propriétaire de l'insécurité juridique,
- indemniser les solutions de franchissement représentant des charges spéciales et exorbitantes, ce que demande la loi et ce qui est à portée des budgets des agences de l'eau, d'autant que les ouvrages prioritaires seront bien moins nombreux à traiter que l'ensemble des ouvrages classés.
***
Modèle de lettre au préfet sur le Plan d'action pour une politique apaisée de continuité
Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte)
Par la voix du ministre d'Etat en charge de la Transition écologique et solidaire, le gouvernement a annoncé en août 2018 l'adoption d'un Plan d’action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique.
Ce Plan comporte 7 actions dont l'exécution et la coordination reviennent principalement aux services de l'Etat.
Nous observons en particulier que ce Plan demande sur les rivières classées en liste 2 au titre de la continuité écologique de :
- prioriser les interventions, et déjà définir en concertation avec les premiers concernés ce qu'est un ouvrage prioritaire (action 1)
- assurer une meilleure conciliation des enjeux environnementaux, climatiques, économiques, énergétiques, culturels, bien-être et qualité de vie, sportifs (action 2)
- chercher des solutions proportionnées au diagnostic réalisé et économiquement réalistes (action 4)
- trouver les circuits et outils financiers pour réaliser les travaux (action 5)
Comme nous avons déjà eu l'occasion de le spécifier par courrier, la plupart des propriétaires d'ouvrages hydrauliques adhérents de notre association sont toujours dans l'attente d'une solution visant à respecter les termes de la loi (art L 214-17 CE), à savoir
1) un ouvrage "géré, équipé, entretenu" , ce qui exclut toute pression à la destruction de la consistance légale autorisée,
2) selon "des règles définies par l'autorité administrative", ce qui suppose la caractérisation par vos services des enjeux propres à chaque rivière et ouvrage,
3) avec indemnisation des travaux présentant des "charges spéciales et exorbitantes", ce qui demande de flécher un financement si un dispositif coûteux est prescrit.
Le nouveau Plan gouvernemental aidera probablement à cet objectif, et il faut l'espérer car la plupart de nos adhérents sont aujourd'hui orphelins de solutions respectant la loi.
Disposés à rencontrer vos services avec les propriétaires de chaque rivière pour avancer de manière cohérente et concertée dans l'esprit "apaisé" que souhaite le gouvernement, nous vous prions de recevoir, Monsieur le Préfet, Madame la Préfète (conserver la mention correcte), l'expression de nos sentiments respectueux.
24/09/2018
Les poissons de l'Yonne moyenne en 1952, avant les pollutions mais après les barrages
En 1952, un responsable de pêche et de pisciculture publie une étude sur les poissons de l'Yonne moyenne, à l'amont et l'aval d'Auxerre. En ce temps, les grandes pollutions issues des substances de synthèse et de l'agriculture productiviste des 30 Glorieuses n'ont pas réellement commencé, mais les ouvrages barrant la rivière sont présents. L'auteur note que les migrateurs comme le saumon, l'esturgeon ou l'alose finte ont déjà disparu depuis 50 à 100 ans. En revanche, la rivière compte 23 espèces dont 18 communes, et elle est décrite comme très poissonneuse. Ce travail suggère que si les barrages rehaussés bloquent la montaison des migrateurs après 1850, ils n'empêchent pas en soi la biodiversité des poissons holobiotiques, y compris des espèces rhéophiles et polluo-sensibles. On a décidément du mal à croire que la question des ouvrages hydrauliques forme le premier enjeu de qualité des rivières : ils sont surtout le faire-valoir de gestionnaires ayant les plus grandes difficultés à traiter à la source les nouvelles pollutions et dégradations des bassins versants. Quant au retour de grands migrateurs en tête de bassin, il y a déjà beaucoup à faire à l'aval avant d'y songer...
R. Poplin, alors vice-président de la Fédération des associations de pêche et de pisciculture de l'Yonne, fait paraître en 1952 dans le Bulletin français de pisciculture une étude sur les peuplements de poissons de l'Yonne moyenne, soit la partie du cours d'eau allant de Mailly-la-Ville à Charmoy, approximativement de la confluence avec la Cure à celle avec l'Armançon.
Poplin observe à propos de ce tronçon : "Ses eaux sont assez froides, ainsi que l'atteste la rareté des deux espèces aux exigences opposées, la Carpe et la Truite, qui semblent marquer les limites extrêmes du peuplement. Ce caractère est confirmé par l'absence totale de certaines espèces, en particulier le Poisson-chat et la Perche-soleil ainsi que par l'insuccès des tentatives de repeuplement en Black-bass, faites à plusieurs reprises, et qui ont invariablement abouti à la disparition complète des sujets."
La période de l'étude est intéressante, car nous sommes avant la modernisation des 30 Glorieuses, avec ses conséquences sur les modèles agricoles de production (engrais, mécanisation, pesticides) et sur les pollutions domestiques ou urbaines (lessives, produits issue de la chimie de synthèse, etc.). Certains ont qualifié les années 1950 de "grande accélération" de l'Anthropocène, car on y voit les courbes d'impact de l'homme sur les milieux prendre une pente beaucoup plus soutenue.
L'auteur note d'ailleurs la qualité de l'eau : "Pourvues d'une végétation aquatique abondante, et indemnes de toute pollution appréciable, les eaux de l'Yonne semblent posséder une capacité biogénique élevée. Dans son ensemble, ce cours d'eau peut être considéré comme très poissonneux." En revanche, il souligne le caractère canalisé de la rivière, avec "des parties délaissées par la navigation où les eaux rapides et peu profondes suivent la pente naturelle ; des parties canalisées où la pente est masquée et atténuée par les barrages et pertuis, avec des eaux plus profondes et sensiblement ralenties".
Nous avons donc une étude assez charnière : celle d'une rivière déjà impactée sur sa morphologie, notamment la continuité en long (présence de retenues et biefs), mais encore épargnée sur sa physico-chimie (assez peu de pollutions, même s'il existait déjà une industrie et moins de normes qu'aujourd'hui).
Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique la zone étudiée et le niveau d'abondance relative des espèces de poissons.
Vingt-trois espèces sont présentes dans l'Yonne moyenne à cette période, dont 18 sont assez communes à très communes. On observe qu'une espèce sensible aux pollutions comme le vairon est "très commune". Le brochet, qui peut parcourir de longues distances et recherche des annexes latérales, est encore commun lui aussi. La rivière comporte aussi bien des espèces rhéophiles (goujon, vairon, hotu, lamproie de Planer) que limnophiles (gardon, ablette, brème).
Concernant les grands migrateurs (esturgeon, alose et alose finte, saumon) ils ont disparu entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ce qui peut être attribué à la construction ou la rehausse de barrages sur la Seine et l'Yonne, principalement pour la navigation.
Aujourd'hui, certains gestionnaires de l'eau (AFB, agence de l'eau) affirment que les impacts morphologiques et en particulier les discontinuités en long seraient les premiers facteurs de dégradation de la rivière. Ce point est contesté, en particulier pour la petite hydraulique, et les travaux scientifiques ne montrent pas du tout un poids majeur des ouvrages sur les poissons. Le travail de R. Poplin ne plaide pas non plus en ce sens dans le cas de l'Yonne moyenne, en tout pas pour les discontinuités en long de type chaussées, barrages et écluses, qui n'empêchaient pas la rivière d'avoir une population de poissons abondante et variée au milieu du XXe siècle.
Quant à espérer le retour des grands migrateurs sur cette zone, il faut déjà que le bassin aval de la Seine et de l'Yonne soit pourvu de dispositifs de franchissement sur tous les ouvrages de navigation, écrêtement de crue ou énergie, que les eaux ne soient pas trop polluées dans l'aval de l'agglomération parisienne jusqu'à l'estuaire et que les nouvelles espèces prédatrices (comme le silure) ne soient pas trop actives. Beaucoup de conditions avant d'en faire un enjeu pertinent vers les têtes de bassin.
Référence : Poplin R (1952), Le peuplement des eaux de l'Yonne moyenne, Bull Fr Piscic, 164, 109-114
R. Poplin, alors vice-président de la Fédération des associations de pêche et de pisciculture de l'Yonne, fait paraître en 1952 dans le Bulletin français de pisciculture une étude sur les peuplements de poissons de l'Yonne moyenne, soit la partie du cours d'eau allant de Mailly-la-Ville à Charmoy, approximativement de la confluence avec la Cure à celle avec l'Armançon.
Poplin observe à propos de ce tronçon : "Ses eaux sont assez froides, ainsi que l'atteste la rareté des deux espèces aux exigences opposées, la Carpe et la Truite, qui semblent marquer les limites extrêmes du peuplement. Ce caractère est confirmé par l'absence totale de certaines espèces, en particulier le Poisson-chat et la Perche-soleil ainsi que par l'insuccès des tentatives de repeuplement en Black-bass, faites à plusieurs reprises, et qui ont invariablement abouti à la disparition complète des sujets."
La période de l'étude est intéressante, car nous sommes avant la modernisation des 30 Glorieuses, avec ses conséquences sur les modèles agricoles de production (engrais, mécanisation, pesticides) et sur les pollutions domestiques ou urbaines (lessives, produits issue de la chimie de synthèse, etc.). Certains ont qualifié les années 1950 de "grande accélération" de l'Anthropocène, car on y voit les courbes d'impact de l'homme sur les milieux prendre une pente beaucoup plus soutenue.
L'auteur note d'ailleurs la qualité de l'eau : "Pourvues d'une végétation aquatique abondante, et indemnes de toute pollution appréciable, les eaux de l'Yonne semblent posséder une capacité biogénique élevée. Dans son ensemble, ce cours d'eau peut être considéré comme très poissonneux." En revanche, il souligne le caractère canalisé de la rivière, avec "des parties délaissées par la navigation où les eaux rapides et peu profondes suivent la pente naturelle ; des parties canalisées où la pente est masquée et atténuée par les barrages et pertuis, avec des eaux plus profondes et sensiblement ralenties".
Nous avons donc une étude assez charnière : celle d'une rivière déjà impactée sur sa morphologie, notamment la continuité en long (présence de retenues et biefs), mais encore épargnée sur sa physico-chimie (assez peu de pollutions, même s'il existait déjà une industrie et moins de normes qu'aujourd'hui).
Le tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) indique la zone étudiée et le niveau d'abondance relative des espèces de poissons.
Vingt-trois espèces sont présentes dans l'Yonne moyenne à cette période, dont 18 sont assez communes à très communes. On observe qu'une espèce sensible aux pollutions comme le vairon est "très commune". Le brochet, qui peut parcourir de longues distances et recherche des annexes latérales, est encore commun lui aussi. La rivière comporte aussi bien des espèces rhéophiles (goujon, vairon, hotu, lamproie de Planer) que limnophiles (gardon, ablette, brème).
Concernant les grands migrateurs (esturgeon, alose et alose finte, saumon) ils ont disparu entre le milieu du XIXe siècle et le début du XXe siècle, ce qui peut être attribué à la construction ou la rehausse de barrages sur la Seine et l'Yonne, principalement pour la navigation.
Aujourd'hui, certains gestionnaires de l'eau (AFB, agence de l'eau) affirment que les impacts morphologiques et en particulier les discontinuités en long seraient les premiers facteurs de dégradation de la rivière. Ce point est contesté, en particulier pour la petite hydraulique, et les travaux scientifiques ne montrent pas du tout un poids majeur des ouvrages sur les poissons. Le travail de R. Poplin ne plaide pas non plus en ce sens dans le cas de l'Yonne moyenne, en tout pas pour les discontinuités en long de type chaussées, barrages et écluses, qui n'empêchaient pas la rivière d'avoir une population de poissons abondante et variée au milieu du XXe siècle.
Quant à espérer le retour des grands migrateurs sur cette zone, il faut déjà que le bassin aval de la Seine et de l'Yonne soit pourvu de dispositifs de franchissement sur tous les ouvrages de navigation, écrêtement de crue ou énergie, que les eaux ne soient pas trop polluées dans l'aval de l'agglomération parisienne jusqu'à l'estuaire et que les nouvelles espèces prédatrices (comme le silure) ne soient pas trop actives. Beaucoup de conditions avant d'en faire un enjeu pertinent vers les têtes de bassin.
Référence : Poplin R (1952), Le peuplement des eaux de l'Yonne moyenne, Bull Fr Piscic, 164, 109-114
22/09/2018
Zéro perte de linéaire, berge et diversité en rivière? Les fonctionnaires de l'écologie nagent dans leurs contradictions
Les hauts fonctionnaires du ministère de l'écologie appellent à des mesures de compensation pour tout chantier affectant les milieux aquatiques et humides, en particulier le linéaire en eau, ses berges, la capacité productive du milieu. Problème : les mêmes fonctionnaires exigent une application dogmatique de la continuité écologique avec préférence à l'effacement qui, dans de nombreux cas, amène à assécher des centaines de mètres de biefs et zones humides annexes, à faire crever la végétation riveraine, à diminuer la productivité biologique de plans d'eau et à réduire la capacité d'accueil de la biodiversité locale. Il faut donc désormais rappeler aux préfets et aux établissements porteurs de projets d'effacement ce qu'exige le ministère: la disparition d'un milieu en eau doit être évitée sinon compensée.
La direction de l'eau et de la biodiversité a participé en 2017 à un colloque sur les mesures compensatoires quand un environnement aquatique ou humide est altéré par un chantier (Dimensionnement de la compensation écologique des cours d’eau, Bron, septembre 2017). Les hauts fonctionnaires ont exprimé leur "doctrine".
Voici deux diapositives intéressantes où les hauts fonctionnaires exposent certains points à la vigilance des préfets.
Le problème : ces mêmes hauts fonctionnaires ont donné la préférence à la destruction systématique des ouvrages d'hydraulique ancienne au nom de la continuité écologique, cela pour divers motifs (parfois une stratégie sincère pour améliorer la situation de grands migrateurs comme le saumon ou l'anguille; plus souvent la soumission au lobby des pêcheurs de salmonidés et à des ONG minoritaires défendant une vision radicale de la conservation, ainsi que la démission de la puissance publique faute de moyens, avec volonté de se débarrasser d'ouvrages dont il faut assumer le suivi réglementaire).
Or cette politique de destruction des ouvrages, biefs, canaux et plans d'eau a de nombreux effets négatifs sur l'environnement local, au regard même des différents motifs de compensation écologique que le ministère reconnait et rappelle aux préfets. Il est en effet courant que les opérations de destructions d'ouvrages fassent disparaître des centaines voire des milliers de mètres d'annexes latérales en eau (bief) et de leurs abords humides, particulièrement en tête de bassin où des milliers d'ouvrages anciens (étangs, moulins) sont concernés.
Les chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, lorsqu'ils concernent des étangs ou des chaussées / barrages produisant des biefs d'intérêt avec des berges boisées, ont donc des impacts qu'il conviendrait de compenser, si l'on reprend la nomenclature proposée par le ministère:
Lors des préparations de dossier, enquêtes publiques et contentieux judiciaires concernant des effacements d'ouvrages hydrauliques, nous appelons les riverains ou leurs associations à opposer ces points au pétitionnaire qui détruit ou assèche des plans d'eau et des biefs avec toute la perte de productivité biologique que cela implique.
Comment procéder ?
Si l'administration et le pétitionnaire se refusent à éviter ou compenser les destructions opérées, le cas doit être porté en justice : requête en annulation de l'arrêté préfectoral autorisant les travaux malgré l'absence de compensation. Contacter notre association pour des modèles de contentieux.
Référence à citer : Direction de l'eau et de la biodiversité (MTES) (2017), Mesures compensatoires cours d’eau, réglementation, doctrine, 28 p. Egalement disponible à ce lien.
La direction de l'eau et de la biodiversité a participé en 2017 à un colloque sur les mesures compensatoires quand un environnement aquatique ou humide est altéré par un chantier (Dimensionnement de la compensation écologique des cours d’eau, Bron, septembre 2017). Les hauts fonctionnaires ont exprimé leur "doctrine".
Voici deux diapositives intéressantes où les hauts fonctionnaires exposent certains points à la vigilance des préfets.
Le problème : ces mêmes hauts fonctionnaires ont donné la préférence à la destruction systématique des ouvrages d'hydraulique ancienne au nom de la continuité écologique, cela pour divers motifs (parfois une stratégie sincère pour améliorer la situation de grands migrateurs comme le saumon ou l'anguille; plus souvent la soumission au lobby des pêcheurs de salmonidés et à des ONG minoritaires défendant une vision radicale de la conservation, ainsi que la démission de la puissance publique faute de moyens, avec volonté de se débarrasser d'ouvrages dont il faut assumer le suivi réglementaire).
Or cette politique de destruction des ouvrages, biefs, canaux et plans d'eau a de nombreux effets négatifs sur l'environnement local, au regard même des différents motifs de compensation écologique que le ministère reconnait et rappelle aux préfets. Il est en effet courant que les opérations de destructions d'ouvrages fassent disparaître des centaines voire des milliers de mètres d'annexes latérales en eau (bief) et de leurs abords humides, particulièrement en tête de bassin où des milliers d'ouvrages anciens (étangs, moulins) sont concernés.
Exemple des conséquences de destructions d'ouvrages en lit mineur : la rivière se trouve réduite à un chenal unique car tout le réseau latéral des biefs et zones humides alimentés par ces biefs sera à sec à terme. De tels chantiers font perdre du linéaire d'écoulement et de berge, donc de la productivité et de la diversité biologiques pour les milieux aquatiques et humides. En tête de bassin, ces chantiers ne sont généralement réputés favorables à la biodiversité qu'en raison de la focalisation sur certaines espèces halieutiques comme la truite, intéressant en réalité des usagers de la rivière (lobbying des pêcheurs et de leurs fédérations).
Les chantiers de destruction d'ouvrages hydrauliques, lorsqu'ils concernent des étangs ou des chaussées / barrages produisant des biefs d'intérêt avec des berges boisées, ont donc des impacts qu'il conviendrait de compenser, si l'on reprend la nomenclature proposée par le ministère:
- perte de linéaire de cours d’eau,
- perte de linéaire de berges naturelles,
- modification des écoulements souterrains, des échanges nappe/cours d’eau,
- déconnexion du chenal principal avec ses annexes hydrauliques, rupture ou altération de la continuité écologique latérale,
- modification ou diminution localisée de la capacité d'accueil du cours d'eau pour la flore et la faune : réduction de la richesse spécifique, modification de la diversité des peuplements et/ou baisse de la productivité.
Lors des préparations de dossier, enquêtes publiques et contentieux judiciaires concernant des effacements d'ouvrages hydrauliques, nous appelons les riverains ou leurs associations à opposer ces points au pétitionnaire qui détruit ou assèche des plans d'eau et des biefs avec toute la perte de productivité biologique que cela implique.
Comment procéder ?
- Les éléments en eau (et leur berge) appelés à disparaître sont photographiés et cartographiés par les riverains, avec autant que possible documentation de la biodiversité observée (arbres et plantes, insectes, amphibiens, oiseaux, poissons, etc.).
- Un rapport est publié avec une demande formelle soit de respect des milieux en place, soit de description des compensations à hauteur de ce qui sera détruit, sous forme de courrier à adresser à 4 interlocuteurs : service instructeur DDT-M (courrier recommandé); service instructeur AFB (courrier simple) ; pétitionnaire maître d'ouvrage du chantier (syndicat, parc, fédé pêche, etc.) (courrier recommandé) ; élus locaux sur le territoire du chantier (courrier simple).
Si l'administration et le pétitionnaire se refusent à éviter ou compenser les destructions opérées, le cas doit être porté en justice : requête en annulation de l'arrêté préfectoral autorisant les travaux malgré l'absence de compensation. Contacter notre association pour des modèles de contentieux.
Référence à citer : Direction de l'eau et de la biodiversité (MTES) (2017), Mesures compensatoires cours d’eau, réglementation, doctrine, 28 p. Egalement disponible à ce lien.
19/09/2018
La pollution, menace n°1 des estuaires et eaux de transition (Teichert et al 2016)
Une étude menée sur 90 estuaires de la façade Atlantique dont 25 en France montre que le premier facteur de dégradation de la vie biologique est formé par les pollutions de l'eau. Notre pays est malheureusement en retard sur le traitement à la source du problème. Pire encore, en supprimant au nom de la continuité les myriades de plans d'eau qui jouent le rôle local de stockage et d'épuration de certains polluants, on accélère le déversement vers l'aval de toutes les contaminations des bassins. Cette politique de l'autruche cible mal les priorités écologiques et vaudra à la France d'être condamnée pour non respect de la directive-cadre européenne sur l'eau, comme elle a déjà été sanctionnée pour ses manquements sur les directives nitrates et eaux résiduaires.
Nils Teichert et ses collègues ont examiné 90 zones estuariennes et eaux de transition sur la façade atlantique nord de l'Europe, incluant la France. Ils ont analysé 17 stresseurs rassemblé en 9 catégories (urbanisation de la côte, dragage de sédiments, pêcheries, changement de débit, perte de zone intertidale, eutrophisation, déplétion d'oxygène, développement portuaire et pollution chimique).
Voilà le résumé de leur recherche :
"Les estuaires sont soumis à de multiples facteurs de stress anthropiques, qui ont des effets additifs, antagonistes ou synergiques. Les défis actuels impliquent l'utilisation de grandes bases de données d'enquêtes de surveillance biologique (par exemple la directive-cadre européenne sur l'eau) pour aider les gestionnaires de l'environnement à hiérarchiser les mesures de restauration. Cette étude a examiné l'impact de neuf catégories d'agents stressants sur l'état écologique des poissons provenant de 90 estuaires des pays de l'Atlantique du Nord-Est. Nous avons utilisé un modèle à forêt aléatoire pour: 1) détecter les facteurs de stress dominants et leurs effets non linéaires; 2) évaluer les avantages écologiques attendus de la réduction de la pression des facteurs de stress; et 3) examiner les interactions entre les facteurs de stress. Les résultats ont montré que les principaux avantages de la restauration étaient attendus lors de l'atténuation de la pollution de l'eau et de la déplétion de l'oxygène."
Ce schéma montre que la dégradation physique et chimique de l'eau des estuaires par les polluants est le premier enjeu de gestion écologique :
Les chercheurs observent : "La qualité chimique des eaux est un élément crucial pour façonner l'abondance et les assemblages dans les estuaires (Delpech et al 2010; Le Pape et al 2007; Whitfield et Elliott 2002). Les contaminants chimiques peuvent avoir un impact direct ou indirect sur la physiologie du poisson en perturbant les fonctions biologiques fondamentales, telles que la reproduction ou la croissance, et peuvent induire des effets létaux dans les cas extrêmes (Fleeger et al 2003; Johnson et al 1998). et Van Der Kraak 1997; Scott et Sloman 2004). Dans notre étude, la pollution de l'eau a été classée au premier rang des priorités dans le schéma de restauration combiné et a montré un changement de seuil pour les effets biologiques de la qualité de l'eau."
Concernant la déplétion d'oxygène, ils précisent : "L'enrichissement en éléments nutritifs et en matière organique peut avoir de graves répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes marins, notamment en raison de problèmes d'épuisement de l'oxygène (Diaz et Rosenberg 1995; Diaz et Rosenberg 2008). L'hypoxie est généralement définie par des concentrations en oxygène inférieures à 2 mg l− 1 (environ 24% de saturation à 20 ° C et 15 psu), mais son effet sur les communautés de poissons peut survenir plus tôt lorsque les individus sont capables de détecter les signaux de déplétion del'oxygène (Breitburg 2002; Delage et al 2014). Bien que l'appauvrissement en oxygène soit souvent associé à l'eutrophisation, plusieurs autres facteurs affectent fortement la saturation en oxygène dans les eaux d'estuaires, telles que la température ou le temps de résidence des eaux affectées par le débit du fleuve. Les effets directs de l'eutrophisation n'ont pas été analysé dans notre étude, mais l'appauvrissement en oxygène a été classé au deuxième rang des priorités dans le schéma de restauration. L'état écologique des poissons a fortement diminué lorsque les problèmes d'hypoxie se sont étendus sur 1 à 5% de la longueur de l'estuaire. Uriarte et Borja (2009) ont déjà démontré pour les poissons dans les exploitations que la saturation en oxygène inférieure à 80% conduisait à un statut écologique moyen, tandis que la saturation à 60% conduisait à un statut médiocre avec un effet de seuil. Ces résultats suggèrent qu'un déclin modéré de la saturation en oxygène peut avoir des effets sur la faune mobile (Breitburg 2002), entraînant une modification de la structure des communautés de poissons (Pollock et al 2007)."
Discussion
Certains gestionnaires ont fait l'hypothèse en France que les impacts morphologiques sur les masses d'eau (leur berge, leur substrat, leur écoulement) sont aussi, voire plus importants que les impacts chimiques. Ce point est contredit par les études d'hydro-écologie quantitative, aussi bien dans les eaux continentales que dans les eaux estuariennes : ce sont les polluants qui arrivent en tête des facteurs expliquant le mieux la dégradation des indices biologiques, et cela assez nettement (voir par exemple Dahm et al 2013, Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018).
Pour les estuaires, le choix français de favoriser la suppression des barrages et seuils à fin de continuité longitudinale sur les rivières et fleuves devrait aggraver le bilan au lieu de l'améliorer. En effet, les zones lentiques de ces ouvrages jouent un rôle favorable à l'épuration locale de certains intrants (par voie biologique de métabolisation ou par voie physique de sédimentation). En supprimant ces "tampons" et en accélérant les écoulements, on repousse la charge polluante vers l'aval. Avec le réchauffement des eaux dû au changement climatique, ces évolutions risquent de rendre les estuaires (qui sont aussi les portes d'entrée et de sortie des poissons grands migrateurs) moins favorables au vivant.
La France a déjà été rappelée à l'ordre à plusieurs reprises par l'Europe pour son retard dans l'application des directives nitrates et eaux résiduaires urbaines, avec pour conséquence un lourd héritage d'eutrophisation. Elle gère également mal ses eaux pluviales, comme l'a rappelé le CGEDD dans un récent rapport. Quant aux pesticides, leur charge n'a pas diminué (Hossard et al 2017). Les pollutions chimiques doivent devenir l'enjeu prioritaire des rivières françaises, de la source à l'estuaire. Cela suppose de changer les arbitrages financiers des agences de l'eau qui dépensent actuellement plusieurs centaines de millions € par an pour des mesures morphologiques dont la nature reste en réalité expérimentale et dont les résultats sont, du point de vue de la science, très incertains.
Référence : Teichert N et al (2016), Restoring fish ecological quality in estuaries: Implication of interactive and cumulative effects among anthropogenic stressors, Sci Tot Env, 542, 383-393
Nils Teichert et ses collègues ont examiné 90 zones estuariennes et eaux de transition sur la façade atlantique nord de l'Europe, incluant la France. Ils ont analysé 17 stresseurs rassemblé en 9 catégories (urbanisation de la côte, dragage de sédiments, pêcheries, changement de débit, perte de zone intertidale, eutrophisation, déplétion d'oxygène, développement portuaire et pollution chimique).
Voilà le résumé de leur recherche :
"Les estuaires sont soumis à de multiples facteurs de stress anthropiques, qui ont des effets additifs, antagonistes ou synergiques. Les défis actuels impliquent l'utilisation de grandes bases de données d'enquêtes de surveillance biologique (par exemple la directive-cadre européenne sur l'eau) pour aider les gestionnaires de l'environnement à hiérarchiser les mesures de restauration. Cette étude a examiné l'impact de neuf catégories d'agents stressants sur l'état écologique des poissons provenant de 90 estuaires des pays de l'Atlantique du Nord-Est. Nous avons utilisé un modèle à forêt aléatoire pour: 1) détecter les facteurs de stress dominants et leurs effets non linéaires; 2) évaluer les avantages écologiques attendus de la réduction de la pression des facteurs de stress; et 3) examiner les interactions entre les facteurs de stress. Les résultats ont montré que les principaux avantages de la restauration étaient attendus lors de l'atténuation de la pollution de l'eau et de la déplétion de l'oxygène."
Ce schéma montre que la dégradation physique et chimique de l'eau des estuaires par les polluants est le premier enjeu de gestion écologique :
Les chercheurs observent : "La qualité chimique des eaux est un élément crucial pour façonner l'abondance et les assemblages dans les estuaires (Delpech et al 2010; Le Pape et al 2007; Whitfield et Elliott 2002). Les contaminants chimiques peuvent avoir un impact direct ou indirect sur la physiologie du poisson en perturbant les fonctions biologiques fondamentales, telles que la reproduction ou la croissance, et peuvent induire des effets létaux dans les cas extrêmes (Fleeger et al 2003; Johnson et al 1998). et Van Der Kraak 1997; Scott et Sloman 2004). Dans notre étude, la pollution de l'eau a été classée au premier rang des priorités dans le schéma de restauration combiné et a montré un changement de seuil pour les effets biologiques de la qualité de l'eau."
Concernant la déplétion d'oxygène, ils précisent : "L'enrichissement en éléments nutritifs et en matière organique peut avoir de graves répercussions sur le fonctionnement des écosystèmes marins, notamment en raison de problèmes d'épuisement de l'oxygène (Diaz et Rosenberg 1995; Diaz et Rosenberg 2008). L'hypoxie est généralement définie par des concentrations en oxygène inférieures à 2 mg l− 1 (environ 24% de saturation à 20 ° C et 15 psu), mais son effet sur les communautés de poissons peut survenir plus tôt lorsque les individus sont capables de détecter les signaux de déplétion del'oxygène (Breitburg 2002; Delage et al 2014). Bien que l'appauvrissement en oxygène soit souvent associé à l'eutrophisation, plusieurs autres facteurs affectent fortement la saturation en oxygène dans les eaux d'estuaires, telles que la température ou le temps de résidence des eaux affectées par le débit du fleuve. Les effets directs de l'eutrophisation n'ont pas été analysé dans notre étude, mais l'appauvrissement en oxygène a été classé au deuxième rang des priorités dans le schéma de restauration. L'état écologique des poissons a fortement diminué lorsque les problèmes d'hypoxie se sont étendus sur 1 à 5% de la longueur de l'estuaire. Uriarte et Borja (2009) ont déjà démontré pour les poissons dans les exploitations que la saturation en oxygène inférieure à 80% conduisait à un statut écologique moyen, tandis que la saturation à 60% conduisait à un statut médiocre avec un effet de seuil. Ces résultats suggèrent qu'un déclin modéré de la saturation en oxygène peut avoir des effets sur la faune mobile (Breitburg 2002), entraînant une modification de la structure des communautés de poissons (Pollock et al 2007)."
Discussion
Certains gestionnaires ont fait l'hypothèse en France que les impacts morphologiques sur les masses d'eau (leur berge, leur substrat, leur écoulement) sont aussi, voire plus importants que les impacts chimiques. Ce point est contredit par les études d'hydro-écologie quantitative, aussi bien dans les eaux continentales que dans les eaux estuariennes : ce sont les polluants qui arrivent en tête des facteurs expliquant le mieux la dégradation des indices biologiques, et cela assez nettement (voir par exemple Dahm et al 2013, Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018).
La France a déjà été rappelée à l'ordre à plusieurs reprises par l'Europe pour son retard dans l'application des directives nitrates et eaux résiduaires urbaines, avec pour conséquence un lourd héritage d'eutrophisation. Elle gère également mal ses eaux pluviales, comme l'a rappelé le CGEDD dans un récent rapport. Quant aux pesticides, leur charge n'a pas diminué (Hossard et al 2017). Les pollutions chimiques doivent devenir l'enjeu prioritaire des rivières françaises, de la source à l'estuaire. Cela suppose de changer les arbitrages financiers des agences de l'eau qui dépensent actuellement plusieurs centaines de millions € par an pour des mesures morphologiques dont la nature reste en réalité expérimentale et dont les résultats sont, du point de vue de la science, très incertains.
Référence : Teichert N et al (2016), Restoring fish ecological quality in estuaries: Implication of interactive and cumulative effects among anthropogenic stressors, Sci Tot Env, 542, 383-393
17/09/2018
Une agence française pour ou contre la biodiversité ? Quand l'AFB se plaint qu'il y a trop d'espèces autour des moulins et étangs...
Dans un texte écrit en réponse au mouvement de protection des ouvrages hydrauliques en rivière et de leurs milieux, dont notre association, l'Agence française pour la biodiversité affirme que la recherche et la préservation du maximum d'espèces vivantes sur un site n'est pas son objectif. Dommage, car c'est le nôtre et c'est surtout la première définition de la biodiversité. Cette agence révèle également sa vision douteuse sinon fallacieuse d'une référence à la nature sans l'homme comme devant guider nos politiques publiques. Une telle conviction reflète un parti-pris et un biais de sélection au sein des publications scientifiques en écologie. Elle ignore la démarche pluridisciplinaire dans l'évaluation de nos choix sur l'environnement. Notre association appelle la communauté des chercheurs à consolider de toute urgence le lien entre science, société et démocratie en revenant à des approches plus rigoureuses et plus ouvertes de l'écologie et de la biodiversité. C'est une condition critique pour la qualité de l'action publique, et pour la confiance des citoyens dans les justifications de cette action. Plus que jamais, nous attendons des données, pas des dogmes!
Dans le cadre des échanges sur la continuité écologique au sein du comité national de l'eau (octobre 2017 - juin 2018), le conseil scientifique de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) a publié un court document qui se veut une réponse aux arguments critiques sur cette réforme. L'association Hydrauxois est citée en note, mais nous observons que ce document ne répond en fait à aucune des "idées reçues" que nous avons pointées sur notre site, pas plus qu'il ne commente les 148 articles de recherche peer-reviewed ou thèses universitaires que nous avons recensés à date.
Le contenu de ce document de l'AFB est pauvre de références et il produit des énoncés sans aucune mesure quantifiée pour en établir la véracité, la réfutabilité, la portée relative. La première chose que devrait rappeler un conseil scientifique, c'est qu'il existe un nombre très faible d'études de terrain des petits ouvrages hydrauliques (contrairement aux grands barrages) dans la littérature scientifique nationale et internationale. C'est encore plus vrai sur la biodiversité autour de ces ouvrages — biodiversité qui ne se résume pas à des relevés de poissons par des techniciens de pêche, encore moins à des comptages de quelques espèces de poissons grands migrateurs. Cette pauvreté des données, base indispensable à toute démarche scientifique, devrait interdire d'émettre des jugements se prétendant définitifs et robustes, ce qui est pourtant le cas de cette note de l'AFB.
Nous ne relèverons pas toutes les omissions et inexactitudes de ce texte : la rubrique "idées reçues" y pourvoit déjà (en particulier les idées reçues #02 sur le poids relatif des impacts des seuils en rivière, #04 sur l'auto-épuration au droit des ouvrages et #08 sur les restaurations de rivière) ainsi que la rubrique "science".
Nous allons nous concentrer sur un argument central de l'AFB, car il résume finalement l'essentiel de nos divergences et révèle les partis-pris guidant la réflexion de l'Agence.
L'AFB écrit ainsi (en réponse à un argument exposé dans le premier paragraphe de cette citation) :
1. L'AFB parle de "conditions qui ne seraient pas naturellement présentes à ce niveau du cours d'eau". Ce point suggère que tout tronçon de rivière en France pourrait être conforme à une naturalité antérieure à l'homme, et que le seuil avec sa retenue serait une sorte d'anomalie artificielle isolée. Cela n'a aucun sens : les écocomplexes de notre pays sont modifiés par l'homme depuis des millénaires, les paysages où nous vivons n'ont rien de "naturel" au sens de "non humain", des espèces sont éteintes ou amenées par Homo sapiens depuis la colonisation paléolithique puis la diffusion néolithique de l'agriculture, tous les processus sédimentaires sont affectés par les usages des sols et des eaux, même à l'âge des sociétés pré-modernes. Les éléments que nous observons dans tous nos milieux sont donc des hybrides de processus spontanés et d'actions socio-techniques. Ce point est couramment discuté dans la littérature scientifique en écologie et en géographie, particulièrement pour l'histoire longue des dynamiques sédimentaires et biologiques des bassins versants, dont l'état actuel répond encore à des forçages anciens et de diverses natures (voir par exemple Astrade et al 2011, Lespez et al 2015, Verstraeten et al 2017). L'AFB ignore délibérément l'important travail de recherche pluridisciplinaire mené à partir des années 1980-1990 sur les anthroposystèmes ou socio-écosystèmes (voir par exemple Lévêque et van der Leeuw 2003), ayant démontré la fusion déjà ancienne des trajectoires naturelles et sociales. Ces approches se poursuivent avec les discussions internationales actuelles sur la réalité et la valeur en biodiversité des "nouveaux écosystèmes" créés par l'homme (voir par exemple Backstrom et al 2018). La modification locale opérée par le seuil en rivière n'est donc qu'un aspect parmi d'autres de la modification générale du bassin versant et de ses propriétés physiques, chimiques, biologiques au cours de l'histoire humaine. Aucune donnée ne permet de prédire que les destins de l'homme et de la nature seraient dissociés à l'avenir, et la proposition de nombreux scientifiques de nommer "Anthropocène" notre époque acte en réalité le contraire : penser la nature, c'est penser les trajectoires du vivant et du non-vivant modifiées par l'action humaine.
2. L'AFB parle d'un "déséquilibre de la structure du peuplement local en faveur des taxons les plus tolérants vis-à-vis de la température, de la désoxygénation de l'eau et de l'homogénéisation des habitats". Cette présentation est biaisée pour plusieurs raisons.
3. L'AFB parle de "nouvelles espèces, généralement introduites et qui se développent au détriment de celles naturellement présentes" et du "cortège attendu en conditions naturelles". Comme pour le point 1, la distinction entre espèces attendues (implicitement "bonnes") et espèces introduites (implicitement "mauvaises") est fallacieuse. Il a été montré par la recherche scientifique que de nombreuses espèces de poissons se sont naturalisées depuis 2000 ans en France (comme ailleurs) et que la diversité bêta a augmenté en conséquence, le déclin de certaines espèces spécialisées étant plus que compensé par l'installation de nouvelles espèces (voir Belliard et 2016, les livres de Lévêque et Mounolou 2008, Lévêque 2017 pour une revue des études en ce sens avec une place importante à l'hydrobiologie). Les piscicultures et déversements à finalité de pêche, les constructions de canaux franchissant les barrières de bassins versants, les introductions volontaires ou accidentelles ont d'ores et déjà modifié en profondeur les peuplements aquatiques. Ce point fait d'ailleurs l'objet de débats contemporains plus généraux en écologie de la conservation, avec une mise en lumière de l'importance de la biodiversité acquise et de la difficulté croissante à opposer les endémiques aux exotiques dans l'appréciation de cette biodiversité (voir par exemple Vellend et al 2017, Schlaepfer 2018, Primack et al 2018 et le récent numéro spécial de la revue Biological Conservation). Il est épistémologiquement douteux et en tout cas discutable que l'on puisse encore aujourd'hui se représenter la nature, ses espèces ou ses habitats comme une "référence" pré-industrielle ou pré-agricole dont nous pourrions ou devrions retrouver les caractéristiques, cela en raison d'une part du caractère non-réversible de l'évolution et d'autre part des nombreux changements annoncés pour ce siècle, à commencer par les prévisions des sciences du climat (voir Bouleau et Pont 2015).
4. L'AFB prétend définir les "objectifs de préservation/restauration" et refuser "la recherche d'un nombre maximum d'espèces". D'où tire-t-elle au juste une légitimité à affirmer qu'un milieu présentant davantage d'espèces qu'un autre serait un milieu pauvre ou dégradé en biodiversité? C'est le contraire du sens premier de la biodiversité définie comme richesse spécifique et mesurée en diversité alpha (sur site), bêta (entre sites) ou gamma (dans une écorégion). Pour notre part, nous réfutons totalement cette vision et nous nous engageons au contraire à promouvoir les systèmes socio-naturels qui permettent au "maximum d'espèces" de vivre dans nos paysages en évolution, aujourd'hui comme demain. D'ores et déjà, des travaux de recherches en France ont montré que les canaux (Aspe et al 2014), les étangs (Wezel et al 2014) ou encore les épis hydrauliques (Thonel et al 2018) peuvent jouer des rôles favorables pour la biodiversité. Le rôle de l'AFB est de coordonner, solliciter inspirer des travaux d'analyse objective de cette biodiversité dans les systèmes naturels anthropisés, pas d'en nier ou d'en condamner l'existence pour des raisons idéologiques.
5. L'AFB ne saurait ignorer ni dissimuler la réalité de débats scientifiques aux décideurs politiques que cette agence est censée informer de manière fiable, ouverte et multidisciplinaire. Il apparaît en filigrane de ses prises de position haliocentrées que cette agence reste trop marquée par un héritage institutionnel et méthodologique ayant mené du Conseil supérieur de la pêche à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques puis à l'AFB, avec un intérêt disproportionné pour quelques espèces de poissons rhéophiles et migratrices répondant souvent à certains enjeux sociaux et économiques, pêche de loisir au premier chef. Nous déplorons que le discours de la biodiversité aquatique soit aujourd'hui appauvri dans un "prêt-à-penser" qui ne reflète nullement la richesse et la complexité des débats de l'écologie contemporaine, mais aussi des sciences humaines et sociales. Nous appelons la communauté des chercheurs académiques à sortir de cet état de fait déplorable pour les liens entre science, société et démocratie, ainsi que pour la confiance que l'on peut porter dans les politiques environnementales que ces chercheurs informent. L'écologie comme science et comme action publique a besoin de données d'observation, de modèles d'interprétation et de suivis d'intervention, pas de généralités présentées comme des vérités gravées dans le marbre ni de visions de la conservation biologique aveugles à leurs propres partis-pris idéologiques.
Référence citée : AFB (2018), Eléments de réponse à certains arguments contradictoires sur le bien-fondé du maintien et de la restauration de la continuité écologique dans les cours d'eau, note du Conseil scientifique, 5 p.
Illustration (haut) : le plan d'eau de Garchy (Nièvre), créé par un petit ouvrage alimentant un lavoir depuis plus d'un siècle, aujourd'hui menacé de disparition au nom du dogme de la continuité écologique. Aucun inventaire de biodiversité du site n'a été commandé par l'administration en charge de l'eau, qui agit de manière systématique, sans intérêt réel pour le vivant, davantage pour se débarrasser d'ouvrages à surveiller et réglementer que pour se préoccuper de l'état réel de la nature sur chaque site. La destruction des singularités hydrauliques que représentent les petits ouvrages rappelle l'erreur majeure de la suppression des haies voici 50 ans.
A lire en complément notre dossier complet:
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes
A visionner :
Des scientifiques s'expriment sur la continuité écologique
A lire pour comprendre la trajectoire AFB-Onema et ses biais:
L'Onema à travers ses mots: comment l'Office a surexprimé les enjeux poisson et continuité dans sa communication
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques
Dans le cadre des échanges sur la continuité écologique au sein du comité national de l'eau (octobre 2017 - juin 2018), le conseil scientifique de l'Agence française pour la biodiversité (AFB) a publié un court document qui se veut une réponse aux arguments critiques sur cette réforme. L'association Hydrauxois est citée en note, mais nous observons que ce document ne répond en fait à aucune des "idées reçues" que nous avons pointées sur notre site, pas plus qu'il ne commente les 148 articles de recherche peer-reviewed ou thèses universitaires que nous avons recensés à date.
Le contenu de ce document de l'AFB est pauvre de références et il produit des énoncés sans aucune mesure quantifiée pour en établir la véracité, la réfutabilité, la portée relative. La première chose que devrait rappeler un conseil scientifique, c'est qu'il existe un nombre très faible d'études de terrain des petits ouvrages hydrauliques (contrairement aux grands barrages) dans la littérature scientifique nationale et internationale. C'est encore plus vrai sur la biodiversité autour de ces ouvrages — biodiversité qui ne se résume pas à des relevés de poissons par des techniciens de pêche, encore moins à des comptages de quelques espèces de poissons grands migrateurs. Cette pauvreté des données, base indispensable à toute démarche scientifique, devrait interdire d'émettre des jugements se prétendant définitifs et robustes, ce qui est pourtant le cas de cette note de l'AFB.
Nous ne relèverons pas toutes les omissions et inexactitudes de ce texte : la rubrique "idées reçues" y pourvoit déjà (en particulier les idées reçues #02 sur le poids relatif des impacts des seuils en rivière, #04 sur l'auto-épuration au droit des ouvrages et #08 sur les restaurations de rivière) ainsi que la rubrique "science".
Nous allons nous concentrer sur un argument central de l'AFB, car il résume finalement l'essentiel de nos divergences et révèle les partis-pris guidant la réflexion de l'Agence.
L'AFB écrit ainsi (en réponse à un argument exposé dans le premier paragraphe de cette citation) :
"La présence de seuils crée des habitats colonisés par certaines espèces, qui disparaitraient avec le seuil, ce gui provoquerait une perte de biodiversité. Comme précédemment, la première partie de la phrase est exacte, mais la conclusion est erronée.
La zone d'influence amont du seuil présente effectivement des conditions qui ne seraient pas naturellement présentes à ce niveau du cours d'eau. Si ces conditions peuvent être utilisées par certains individus des espèces autochtones, 1) elles provoquent un déséquilibre de la structure du peuplement local en faveur des taxons les plus tolérants vis-à-vis de la température, de la désoxygénation de l'eau et de l'homogénéisation des habitats, ce qui représente une altération de la biodiversité ; 2) on voit apparaître dans certains cas de nouvelles espèces, généralement introduites et qui se développent au détriment de celles naturellement présentes. Si, arithmétiquement, cela augmente la richesse spécifique des assemblages, ces espèces ne font pas partie du cortège attendu en conditions naturelles, voire sont parfois des espèces invasives. Les objectifs de préservation/restauration de la biodiversité d'un site d'eau courante doivent reposer sur le maintien/retour du peuplement qui colonise naturellement le bassin versant et non pas sur la recherche d'un nombre maximum d'espèces."
1. L'AFB parle de "conditions qui ne seraient pas naturellement présentes à ce niveau du cours d'eau". Ce point suggère que tout tronçon de rivière en France pourrait être conforme à une naturalité antérieure à l'homme, et que le seuil avec sa retenue serait une sorte d'anomalie artificielle isolée. Cela n'a aucun sens : les écocomplexes de notre pays sont modifiés par l'homme depuis des millénaires, les paysages où nous vivons n'ont rien de "naturel" au sens de "non humain", des espèces sont éteintes ou amenées par Homo sapiens depuis la colonisation paléolithique puis la diffusion néolithique de l'agriculture, tous les processus sédimentaires sont affectés par les usages des sols et des eaux, même à l'âge des sociétés pré-modernes. Les éléments que nous observons dans tous nos milieux sont donc des hybrides de processus spontanés et d'actions socio-techniques. Ce point est couramment discuté dans la littérature scientifique en écologie et en géographie, particulièrement pour l'histoire longue des dynamiques sédimentaires et biologiques des bassins versants, dont l'état actuel répond encore à des forçages anciens et de diverses natures (voir par exemple Astrade et al 2011, Lespez et al 2015, Verstraeten et al 2017). L'AFB ignore délibérément l'important travail de recherche pluridisciplinaire mené à partir des années 1980-1990 sur les anthroposystèmes ou socio-écosystèmes (voir par exemple Lévêque et van der Leeuw 2003), ayant démontré la fusion déjà ancienne des trajectoires naturelles et sociales. Ces approches se poursuivent avec les discussions internationales actuelles sur la réalité et la valeur en biodiversité des "nouveaux écosystèmes" créés par l'homme (voir par exemple Backstrom et al 2018). La modification locale opérée par le seuil en rivière n'est donc qu'un aspect parmi d'autres de la modification générale du bassin versant et de ses propriétés physiques, chimiques, biologiques au cours de l'histoire humaine. Aucune donnée ne permet de prédire que les destins de l'homme et de la nature seraient dissociés à l'avenir, et la proposition de nombreux scientifiques de nommer "Anthropocène" notre époque acte en réalité le contraire : penser la nature, c'est penser les trajectoires du vivant et du non-vivant modifiées par l'action humaine.
2. L'AFB parle d'un "déséquilibre de la structure du peuplement local en faveur des taxons les plus tolérants vis-à-vis de la température, de la désoxygénation de l'eau et de l'homogénéisation des habitats". Cette présentation est biaisée pour plusieurs raisons.
- D'abord, le vivant est en équilibre dynamique, il s'adapte en permanence aux conditions qui lui sont offertes. Il n'y a pas un "équilibre" versus un "déséquilibre", il y a simplement les lois de l'évolution par sélection, adaptation, spéciation, extinction (voir Alexandre et al 2017 pour une discussion sur le fixisme, Boivin et al 2016 sur la révolution récente de nos connaissances concernant l'influence humaine ancienne et diffuse sur les milieux).
- Ensuite, l'AFB décrit des habitats lentiques en interprétant de manière négative des caractéristiques physiques et chimiques propres à ces habitats. Mais en réalité, ce sont simplement des habitats différents de zones lotiques adjacentes par leur vitesse, substrat, hauteur, largeur, température : il n'y a rien de négatif en soi à cela. Comme le soulignaient récemment deux universitaires spécialistes des limnosystèmes, si des chutes d'arbre ou des éboulis créent une rupture de continuité sur une petite rivière et produisent une zone lentique, personne n'ira qualifier le nouvel habitat de dégradé ou problématique, alors même qu'il produit des effets comparables à un équivalent anthropique (Touchart et Bartout 2018).
- Par ailleurs, des travaux d'inventaires menés sur les plans d'eau anthropisés de type retenues, petits lacs, étangs ont montré qu'ils présentent une diversité biologique équivalente et parfois supérieure à des milieux aquatiques adjacents, y compris des espèces menacées et protégées (Davies et al 2008, Chester et Obson 2013, Hill et al 2018, Bubíková et Hrivnák 2018).
- Enfin, l'AFB méconnaît les micro-habitats des ouvrages hydrauliques. Variables selon les sites, ils ne sont pas seulement formés de la retenue, mais aussi de ses marges humides, des canaux de diversion, de la chute, de l'influence sur la nappe d'accompagnement et la ripisylve, etc. Des chercheurs ont par exemple récemment souligné que les restaurations de continuité écologique méconnaissent toutes ces dimensions latérales et posent en conséquence des objectifs partiels ou de grilles d'évaluation incomplètes pour l'ensemble des effets sur le vivant (Dufour et al 2017, certaines recherches rassemblées dans Barraud et Germaine 2017 et le numéro spécial de la revue Water Alternatives). D'autres chercheurs invitent également à reconsidérer la valeur des ouvrages hydrauliques pour le vivant à l'aune des évolutions climatiques et de la possibilité d'un rôle refuge face à la pression croissante des aléas hydrologiques (Beatty et al 2017).
Exemple d'inventaire des habitats aquatiques et humides d'un moulin, mené par notre association. Affirmer que l'ouvrage hydraulique et ses dérivations nuisent à la diversité morphologique et biologique est une généralité inexacte. Seules des études au cas par cas permettent d'évaluer ce point sur la base de relevés de terrain, et non d'hypothèses de bureau. A condition que ces études soient menées sans préjugé consistant à dénoncer a priori comme "dégradés" des milieux anthropisés ou à ne s'intéresser qu'à des poissons d'eau courante à l'exclusion de toutes les autres espèces qui profitent des surfaces en eau et de leurs rives.
4. L'AFB prétend définir les "objectifs de préservation/restauration" et refuser "la recherche d'un nombre maximum d'espèces". D'où tire-t-elle au juste une légitimité à affirmer qu'un milieu présentant davantage d'espèces qu'un autre serait un milieu pauvre ou dégradé en biodiversité? C'est le contraire du sens premier de la biodiversité définie comme richesse spécifique et mesurée en diversité alpha (sur site), bêta (entre sites) ou gamma (dans une écorégion). Pour notre part, nous réfutons totalement cette vision et nous nous engageons au contraire à promouvoir les systèmes socio-naturels qui permettent au "maximum d'espèces" de vivre dans nos paysages en évolution, aujourd'hui comme demain. D'ores et déjà, des travaux de recherches en France ont montré que les canaux (Aspe et al 2014), les étangs (Wezel et al 2014) ou encore les épis hydrauliques (Thonel et al 2018) peuvent jouer des rôles favorables pour la biodiversité. Le rôle de l'AFB est de coordonner, solliciter inspirer des travaux d'analyse objective de cette biodiversité dans les systèmes naturels anthropisés, pas d'en nier ou d'en condamner l'existence pour des raisons idéologiques.
5. L'AFB ne saurait ignorer ni dissimuler la réalité de débats scientifiques aux décideurs politiques que cette agence est censée informer de manière fiable, ouverte et multidisciplinaire. Il apparaît en filigrane de ses prises de position haliocentrées que cette agence reste trop marquée par un héritage institutionnel et méthodologique ayant mené du Conseil supérieur de la pêche à l'Office national de l'eau et des milieux aquatiques puis à l'AFB, avec un intérêt disproportionné pour quelques espèces de poissons rhéophiles et migratrices répondant souvent à certains enjeux sociaux et économiques, pêche de loisir au premier chef. Nous déplorons que le discours de la biodiversité aquatique soit aujourd'hui appauvri dans un "prêt-à-penser" qui ne reflète nullement la richesse et la complexité des débats de l'écologie contemporaine, mais aussi des sciences humaines et sociales. Nous appelons la communauté des chercheurs académiques à sortir de cet état de fait déplorable pour les liens entre science, société et démocratie, ainsi que pour la confiance que l'on peut porter dans les politiques environnementales que ces chercheurs informent. L'écologie comme science et comme action publique a besoin de données d'observation, de modèles d'interprétation et de suivis d'intervention, pas de généralités présentées comme des vérités gravées dans le marbre ni de visions de la conservation biologique aveugles à leurs propres partis-pris idéologiques.
Référence citée : AFB (2018), Eléments de réponse à certains arguments contradictoires sur le bien-fondé du maintien et de la restauration de la continuité écologique dans les cours d'eau, note du Conseil scientifique, 5 p.
Illustration (haut) : le plan d'eau de Garchy (Nièvre), créé par un petit ouvrage alimentant un lavoir depuis plus d'un siècle, aujourd'hui menacé de disparition au nom du dogme de la continuité écologique. Aucun inventaire de biodiversité du site n'a été commandé par l'administration en charge de l'eau, qui agit de manière systématique, sans intérêt réel pour le vivant, davantage pour se débarrasser d'ouvrages à surveiller et réglementer que pour se préoccuper de l'état réel de la nature sur chaque site. La destruction des singularités hydrauliques que représentent les petits ouvrages rappelle l'erreur majeure de la suppression des haies voici 50 ans.
A lire en complément notre dossier complet:
Rapport sur la biodiversité et les fonctionnalités écologiques des ouvrages hydrauliques et de leurs annexes
A visionner :
Des scientifiques s'expriment sur la continuité écologique
A lire pour comprendre la trajectoire AFB-Onema et ses biais:
L'Onema à travers ses mots: comment l'Office a surexprimé les enjeux poisson et continuité dans sa communication
Contenus Onema 2007-2017 : pas davantage proportionnés aux publications scientifiques
14/09/2018
Programmation énergétique : les citoyens appellent le gouvernement à faire le choix de l'hydro-électricité
Les conclusions du débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie viennent d'être présentées par la commission en charge de son organisation. Les citoyens consultés pour la première fois et les représentants de la commission appellent le gouvernement à favoriser le développement de l'hydro-électricité en France. Notre association s'en félicite. A condition que le gouvernement entende la parole des citoyens et ne persiste pas dans le déni de démocratie, où l'on consulte les gens sans donner suite à leurs avis, ce qui nourrit une perte de légitimité de l'action politique. Nous demandons en conséquence aux pouvoirs publics de cesser immédiatement la politique absurde et décriée d'effacement des seuils et barrages en rivières, et de favoriser au contraire leur équipement hydro-électrique. Ré-utiliser et moderniser en priorité le génie civil en place plutôt que construire de nouveaux barrages sur des rivières qui en sont intactes est dans l'esprit de la transition énergétique, de la protection de la biodiversité comme de l'économie locale et circulaire, à faible impact carbone et matière première.
Jacques Archimbaud, président de la commission particulière du débat public (CPDP), a présenté le rapport du débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui s’est déroulé du 19 mars au 30 juin 2018. Ce débat a pris la forme de 86 rencontres publiques auxquelles ont assisté 8 000 personnes, d’un débat en ligne (47 572 visiteurs uniques, 666 questions et 571 avis), de 11 150 questionnaires renseignés, de 193 cahiers d’acteurs et d‘un G400 lors duquel 400 citoyens tirés au sort étaient invités à débattre sur les grands enjeux de la PPE.
Parmi les enseignements de ce débat tirés par la commission, et sa demande conséquente au gouvernement, nous retenons :
En conséquence, notre association appelle le gouvernement et les collectivités territoriales à trois mesures urgentes :
La destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique est une erreur grave de nos politiques publiques, pour l'énergie et pour bien d'autres atouts des ouvrages. La priorité doit être donnée à l'équipement des canaux, digues, chaussées et barrages déjà en place sur les cours d'eau, qui demandent moins de génie civil, moins de coûts d'investissement, moins d'émission carbone que la construction de nouveaux ouvrages. Inversement, il est utile de préserver certaines rivières aujourd'hui intactes de grands barrages hydro-électriques (coeur de parcs nationaux, zones spéciales de conservation), en évitant de créer des pressions sur des cours d'eau relativement préservés.
L'aménagement des sites déjà en place, la construction de sites ichtyocompatibles sur des rivières à faibles enjeux écologiques et la protection de cours d'eau à forts enjeux écologiques doivent devenir les priorités de nos politiques nationales et régionales en matière d'hydro-électricité et biodiversité.
Illustration : installation de deux turbines dans le moulin de la Motte-Josserand (Nièvre, rivière Nohain), puissance de 35 kW, équivalent consommation de 30 familles hors chauffage. La restauration des moulins anciens apporte une énergie locale, propre, bas carbone, intégrée dans le paysage. Les pouvoirs publics doivent l'encourager, déjà en préservant les seuils et barrages qui permettent de créer le potentiel énergétique au lieu de faire pression pour les détruire.
A lire en complément:
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres
Sur le taux d'équipement énergétique des rivières
Idée reçue : "Un moulin produit moins qu'une éolienne, inutile de l'équiper"
Une majorité de Français veut accélérer l'hydro-électricité plutôt que l'éolien, le solaire ou le nucléaire
Dépenser 1 million d'euros pour casser une usine d'hydro-électricité très bas carbone?
Jacques Archimbaud, président de la commission particulière du débat public (CPDP), a présenté le rapport du débat public sur la Programmation pluriannuelle de l’énergie (PPE) qui s’est déroulé du 19 mars au 30 juin 2018. Ce débat a pris la forme de 86 rencontres publiques auxquelles ont assisté 8 000 personnes, d’un débat en ligne (47 572 visiteurs uniques, 666 questions et 571 avis), de 11 150 questionnaires renseignés, de 193 cahiers d’acteurs et d‘un G400 lors duquel 400 citoyens tirés au sort étaient invités à débattre sur les grands enjeux de la PPE.
Parmi les enseignements de ce débat tirés par la commission, et sa demande conséquente au gouvernement, nous retenons :
- Tenir compte des souhaits formulés dans le débat public quant à une place plus importante pour l’hydroélectricité, le biogaz, le solaire thermique, la géothermie et un renforcement du fonds chaleur.Dans leur majorité, les citoyens sont attachés au développement de l'énergie hydraulique, qui a l'avantage d'être très bas carbone, discrète et peu invasive dans les paysages, moins chère que le solaire racheté aux particuliers ou en petites surfaces, présente partout sur le territoire, complémentaire des énergies intermittentes.
En conséquence, notre association appelle le gouvernement et les collectivités territoriales à trois mesures urgentes :
- cesser toute destruction d'ouvrage hydraulique (moulin, forge, barrage) en rivière, car ils représentent un potentiel énergétique déjà installé, sur des sites qui ont souvent déjà produit de l'énergie dans le passé, et peuvent en produire à nouveau demain ;
- encourager l'équipement de ces ouvrages en autoconsommation ou en injection réseau, ce qui passe d'abord par une simplification et une accélération de l'instruction administrative, aujourd'hui rédhibitoire par ses demandes disprorportionnées et ses délais très longs ;
- financer des passes à poissons et rivières de contournement au droit des ouvrages hydrauliques, là elles sont nécessaires, ce qui permet de concilier la restauration des fonctionnalités écologiques avec le développement de l'énergie hydro-électrique
La destruction des ouvrages hydrauliques au nom de la continuité écologique est une erreur grave de nos politiques publiques, pour l'énergie et pour bien d'autres atouts des ouvrages. La priorité doit être donnée à l'équipement des canaux, digues, chaussées et barrages déjà en place sur les cours d'eau, qui demandent moins de génie civil, moins de coûts d'investissement, moins d'émission carbone que la construction de nouveaux ouvrages. Inversement, il est utile de préserver certaines rivières aujourd'hui intactes de grands barrages hydro-électriques (coeur de parcs nationaux, zones spéciales de conservation), en évitant de créer des pressions sur des cours d'eau relativement préservés.
L'aménagement des sites déjà en place, la construction de sites ichtyocompatibles sur des rivières à faibles enjeux écologiques et la protection de cours d'eau à forts enjeux écologiques doivent devenir les priorités de nos politiques nationales et régionales en matière d'hydro-électricité et biodiversité.
Illustration : installation de deux turbines dans le moulin de la Motte-Josserand (Nièvre, rivière Nohain), puissance de 35 kW, équivalent consommation de 30 familles hors chauffage. La restauration des moulins anciens apporte une énergie locale, propre, bas carbone, intégrée dans le paysage. Les pouvoirs publics doivent l'encourager, déjà en préservant les seuils et barrages qui permettent de créer le potentiel énergétique au lieu de faire pression pour les détruire.
A lire en complément:
Les moulins à eau et la transition énergétique: faits et chiffres
Sur le taux d'équipement énergétique des rivières
Idée reçue : "Un moulin produit moins qu'une éolienne, inutile de l'équiper"
Une majorité de Français veut accélérer l'hydro-électricité plutôt que l'éolien, le solaire ou le nucléaire
Dépenser 1 million d'euros pour casser une usine d'hydro-électricité très bas carbone?
12/09/2018
7500 propriétaires et riverains d'ouvrages hydrauliques menacés interpellent François de Rugy
En juin dernier, l'association Hydrauxois lançait une lettre-pétition au ministre de l'écologie pour cesser la politique publique de destruction des moulins, forges, barrages, étangs en France. Plus de 7500 propriétaires et riverains de ces ouvrages ont répondu à l'appel. Ils disent à François de Rugy leur désarroi, leur indignation et leur colère face à l'attitude de son administration, leur refus de voir disparaître le patrimoine de la rivière et leur attente des solutions promises par l'Etat lors du vote de la loi de 2006. Nous reproduisons ci-dessous cet appel et la lettre d'accompagnement envoyée au ministre. Les parlementaires en recevront copie. Nous demandons à nos lecteurs et associations correspondantes de saisir eux aussi leurs parlementaires en les informant de cette démarche et des problèmes sur chaque rivière, afin que le ministère de l'écologie mette fin sans délai aux dérives observées depuis le classement des rivières.
Monsieur le Ministre d’Etat
Recevez d’abord toutes nos félicitations et tous nos encouragements pour votre nomination à la direction du ministère de la Transition écologique et solidaire. Les défis de cette transition sont immenses, les réponses à ces défis sont complexes : votre engagement d’une vie sur la question n’est pas de trop pour vous guider dans cette tâche.
En juin dernier, notre association a lancé une lettre-pétition pour stopper la destruction des ouvrages en rivières (moulins, forges étangs barrages) : en l’espace de 3 mois, 7588 propriétaires et riverains de ces ouvrages ont signé cet appel. Nous vous écrivons en leur nom et nous reproduisons l’appel en post scriptum de ce courrier.
En janvier dernier, votre prédécesseur M Nicolas HULOT avait déjà reçu un appel à moratoire sur les destructions d’ouvrages signés par 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs.
M. HULOT et son cabinet n’avaient pas jugé nécessaire d’entendre les porteurs de cet appel.
Pourquoi une telle émotion ? Pourquoi un tel mouvement dans tous les territoires ? Pourquoi une telle division là où l'écologie devrait nous rassembler ?
Les propriétaires et riverains vous demandent de stopper les dérives que l’on observe aujourd’hui au bord de nos cours d’eau :
Les propriétaires et riverains vous demandent aussi – et nous savons toute votre sensibilité à l’équilibre des pouvoirs – que l’administration placée sous votre tutelle respecte davantage l’esprit et la lettre des lois que les parlementaires ont rappelé à de nombreuses reprises depuis 7 ans :
Aussi nous ne pouvons plus accepter que des représentants de l’administration (DREAL, agences de l’eau, DDT-M, AFB) affirment encore en 2018 aux maître d’ouvrages communaux ou particuliers que seul l’effacement pur et simple des sites est d’intérêt public, et subventionné à hauteur de ses coûts inaccessibles. Cette distorsion de la lecture de la loi a induit une terrible crise de confiance dans la neutralité et l’objectivité de l’action publique portée par votre ministère sur ce volet précis de l’action en rivière.
Un dernier point qui explique le désarroi des riverains : en 2006 lors du vote de la loi sur l’eau, l’Etat s’était engagé à indemniser les sommes considérables que représentent les dispositifs de franchissement de type passes à poissons. Aujourd’hui, l’Etat renie sa parole et refuse d’appliquer les dispositions prévues dans le code de l’environnement. Le blocage est évidemment complet, des particuliers ou des petits exploitants ne peuvent tout simplement pas engager des dizaines à centaines de milliers € pour des dispositifs servant au bien commun, représentant déjà une servitude de surveillance et entretien.
Les ouvrages hydrauliques sont des atouts pour le vivant, pour la société, pour le territoire : nous sollicitons donc de votre sagesse un engagement à les protéger et à engager une continuité écologique positive, fondée sur des solutions financées qui améliorent le transit sédimentaire et piscicole là où c’est nécessaire de le faire, sans altérer le cadre de vie des riverains, la production énergétique, l’équilibre des milieux en place.
La sécheresse et la canicule 2018 ont encore montré la fragilité de la ressource en eau, et nous savons tous que les prévisions pour ce siècle sont pessimistes : le destin des ouvrages qui retiennent cette eau précieuse dans nos vallées depuis des décennies et parfois des siècles mérite toute votre attention. C’est aussi un engagement devant l’histoire, et pour les générations futures.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre d’Etat, l’expression de nos sentiments respectueux.
—
Monsieur le Ministre d’Etat,
Votre administration en charge de l’eau a engagé en 2009 un plan d’action pour la restauration de continuité écologique des cours d’eau, et procédé en 2012-2013 au classement à cette fin de nombreuses rivières.
Plus de 20 000 ouvrages hydrauliques sont concernés en France.
Nous sommes propriétaires ou riverains d’ouvrages hydrauliques d’intérêt : moulins, forges, anciennes usines à eau, étangs, plans d’eau communaux.
Nous acceptons bien sûr de participer à l’amélioration des conditions de vie des poissons migrateurs menacés. Mais cette politique doit respecter les autres dimensions de la gestion équilibrée des rivières et de l’intérêt général au sein des territoires.
Nos ouvrages et leurs annexes ont ainsi de multiples atouts : agrément paysager, patrimoine historique, production énergétique, régulation hydrologique des crues et étiages, usages locaux, biodiversité des milieux lentiques, rives et zones humides.
Ces atouts ont été reconnus et maintes fois rappelés par les députés et sénateurs.
Nous constatons que ces atouts sont trop souvent niés, ignorés ou minimisés par l’administration en charge de l’eau, dont les priorités vont à la destruction des sites et au refus de financer à hauteur suffisante les aménagements « doux » de continuité (vannes, passes à poissons, rivières de contournement).
Par la présente, nous sommes dans l’obligation de vous signifier que :
- nous déplorons la manière biaisée dont vos services instruisent la continuité écologique des cours d’eau,
- nous refusons de détruire les ouvrages hydrauliques dont nous sommes propriétaires ou riverains,
- nous contesterons si nécessaire en justice les pratiques de vos services si elles devaient persister dans le sens actuel d’une pression systématique à la destruction et d'une méconnaissance des atouts locaux des ouvrages, alors que ni les lois françaises ni les directives européennes n'ont prévu cette issue.
La continuité écologique agressive et destructrice n’est plus acceptable et n'est plus acceptée, comme l’ont déjà reconnu les rapports parlementaires et les audits administratifs de cette réforme.
Nous vous demandons en conséquence de mettre en œuvre une continuité écologique positive, fondée sur le respect des patrimoines naturel et culturel ainsi que sur la valorisation des sites.
Monsieur le Ministre d’Etat
Recevez d’abord toutes nos félicitations et tous nos encouragements pour votre nomination à la direction du ministère de la Transition écologique et solidaire. Les défis de cette transition sont immenses, les réponses à ces défis sont complexes : votre engagement d’une vie sur la question n’est pas de trop pour vous guider dans cette tâche.
En juin dernier, notre association a lancé une lettre-pétition pour stopper la destruction des ouvrages en rivières (moulins, forges étangs barrages) : en l’espace de 3 mois, 7588 propriétaires et riverains de ces ouvrages ont signé cet appel. Nous vous écrivons en leur nom et nous reproduisons l’appel en post scriptum de ce courrier.
En janvier dernier, votre prédécesseur M Nicolas HULOT avait déjà reçu un appel à moratoire sur les destructions d’ouvrages signés par 1392 élus dont 36 parlementaires, 514 personnalités du monde économique, artistique, technique et scientifique, 349 associations représentant 110.000 adhérents directs.
M. HULOT et son cabinet n’avaient pas jugé nécessaire d’entendre les porteurs de cet appel.
Pourquoi une telle émotion ? Pourquoi un tel mouvement dans tous les territoires ? Pourquoi une telle division là où l'écologie devrait nous rassembler ?
Les propriétaires et riverains vous demandent de stopper les dérives que l’on observe aujourd’hui au bord de nos cours d’eau :
- Des centaines de millions € d’argent public dépensés pour détruire au lieu d’aménager les ouvrages
- Des choix de liquidation de centrales hydro-électriques ou de sites à potentiel de production renouvelable totalement contraires à nos objectifs de transition bas carbone ni fossile ni fissile
- Des lacs, étangs, plans d’eau, canaux, zones humides vidés, asséchés, détruits avec toute leur biodiversité, dans des opérations où le vivant est sacrifié aux seuls poissons migrateurs, cela bien souvent pour des motifs paraissant davantage halieutiques qu’écologiques
Les propriétaires et riverains vous demandent aussi – et nous savons toute votre sensibilité à l’équilibre des pouvoirs – que l’administration placée sous votre tutelle respecte davantage l’esprit et la lettre des lois que les parlementaires ont rappelé à de nombreuses reprises depuis 7 ans :
- jamais la loi française et jamais les directives européennes n’ont demandé la destruction des ouvrages au nom de la continuité écologique et de la trame bleue, c’est la gestion et l’aménagement qui sont attendus, pas l’effacement ;
- la « gestion équilibrée et durable » de l’eau inscrite dans la loi ordonne au nom de l’intérêt général que la continuité écologique respecte les autres enjeux, comme l’hydro-électricité, l’irrigation, la préservation de l’eau face au changement climatique, le patrimoine historique, culturel et paysager
Aussi nous ne pouvons plus accepter que des représentants de l’administration (DREAL, agences de l’eau, DDT-M, AFB) affirment encore en 2018 aux maître d’ouvrages communaux ou particuliers que seul l’effacement pur et simple des sites est d’intérêt public, et subventionné à hauteur de ses coûts inaccessibles. Cette distorsion de la lecture de la loi a induit une terrible crise de confiance dans la neutralité et l’objectivité de l’action publique portée par votre ministère sur ce volet précis de l’action en rivière.
Un dernier point qui explique le désarroi des riverains : en 2006 lors du vote de la loi sur l’eau, l’Etat s’était engagé à indemniser les sommes considérables que représentent les dispositifs de franchissement de type passes à poissons. Aujourd’hui, l’Etat renie sa parole et refuse d’appliquer les dispositions prévues dans le code de l’environnement. Le blocage est évidemment complet, des particuliers ou des petits exploitants ne peuvent tout simplement pas engager des dizaines à centaines de milliers € pour des dispositifs servant au bien commun, représentant déjà une servitude de surveillance et entretien.
Les ouvrages hydrauliques sont des atouts pour le vivant, pour la société, pour le territoire : nous sollicitons donc de votre sagesse un engagement à les protéger et à engager une continuité écologique positive, fondée sur des solutions financées qui améliorent le transit sédimentaire et piscicole là où c’est nécessaire de le faire, sans altérer le cadre de vie des riverains, la production énergétique, l’équilibre des milieux en place.
La sécheresse et la canicule 2018 ont encore montré la fragilité de la ressource en eau, et nous savons tous que les prévisions pour ce siècle sont pessimistes : le destin des ouvrages qui retiennent cette eau précieuse dans nos vallées depuis des décennies et parfois des siècles mérite toute votre attention. C’est aussi un engagement devant l’histoire, et pour les générations futures.
Veuillez agréer, Monsieur le Ministre d’Etat, l’expression de nos sentiments respectueux.
—
Appel
7588 riverains et propriétaires
refusent de détruire leur ouvrage hydraulique
refusent de détruire leur ouvrage hydraulique
Monsieur le Ministre d’Etat,
Votre administration en charge de l’eau a engagé en 2009 un plan d’action pour la restauration de continuité écologique des cours d’eau, et procédé en 2012-2013 au classement à cette fin de nombreuses rivières.
Plus de 20 000 ouvrages hydrauliques sont concernés en France.
Nous sommes propriétaires ou riverains d’ouvrages hydrauliques d’intérêt : moulins, forges, anciennes usines à eau, étangs, plans d’eau communaux.
Nous acceptons bien sûr de participer à l’amélioration des conditions de vie des poissons migrateurs menacés. Mais cette politique doit respecter les autres dimensions de la gestion équilibrée des rivières et de l’intérêt général au sein des territoires.
Nos ouvrages et leurs annexes ont ainsi de multiples atouts : agrément paysager, patrimoine historique, production énergétique, régulation hydrologique des crues et étiages, usages locaux, biodiversité des milieux lentiques, rives et zones humides.
Ces atouts ont été reconnus et maintes fois rappelés par les députés et sénateurs.
Nous constatons que ces atouts sont trop souvent niés, ignorés ou minimisés par l’administration en charge de l’eau, dont les priorités vont à la destruction des sites et au refus de financer à hauteur suffisante les aménagements « doux » de continuité (vannes, passes à poissons, rivières de contournement).
Par la présente, nous sommes dans l’obligation de vous signifier que :
- nous déplorons la manière biaisée dont vos services instruisent la continuité écologique des cours d’eau,
- nous refusons de détruire les ouvrages hydrauliques dont nous sommes propriétaires ou riverains,
- nous contesterons si nécessaire en justice les pratiques de vos services si elles devaient persister dans le sens actuel d’une pression systématique à la destruction et d'une méconnaissance des atouts locaux des ouvrages, alors que ni les lois françaises ni les directives européennes n'ont prévu cette issue.
La continuité écologique agressive et destructrice n’est plus acceptable et n'est plus acceptée, comme l’ont déjà reconnu les rapports parlementaires et les audits administratifs de cette réforme.
Nous vous demandons en conséquence de mettre en œuvre une continuité écologique positive, fondée sur le respect des patrimoines naturel et culturel ainsi que sur la valorisation des sites.
07/09/2018
Dépenser 1 million d'euros pour casser une usine d'hydro-électricité très bas carbone?
Scandale à Pont-Audemer : l'Agence de l'eau Seine-Normandie envisagerait d'engager plus d'un million € d'argent public pour casser une usine hydro-électrique en état de fonctionnement. On marche sur la tête, alors que nous sommes très en retard sur nos objectifs d'électricité renouvelable ni fossile ni fissile. Le ministère de l'écologie doit ordonner à ses fonctionnaires de cesser cette gabegie contraire aux priorités de la France dans la transition énergétique, et manifestement opposée à l'intérêt général. Les seuls bénéficiaires sociaux de ces mesures sont le lobby des pêcheurs de salmonidés qui, en Normandie, fait pression sur les services de l'Etat pour détruire tous les ouvrages. Mais on peut faire migrer des poissons sans effacer les seuils et barrages. Nicolas Hulot avait constaté que notre maison brûle et que nous ne faisons rien : c'est pire en réalité, puisque l'Etat dépense des sommes et des efforts considérables pour détruire ou pour empêcher l'équipement du potentiel bas-carbone des rivières françaises.
L'affaire est rapportée par le site Paris-Normandie. Le maire de la ville explique ainsi : "Je ne suis pas un spécialiste de la remontée des espèces, j’ai donc suivi les recommandations de l’Agence de l’eau en ce qui concerne les aménagements à prévoir pour rétablir la continuité écologique de ce que l’on appelle le nœud de la Risle. La ville est désormais propriétaire de ce barrage et n’a pas déboursé un seul centime. En effet, l’Agence de l’eau a financé, à 100 %, le rachat et les aménagements qui sont prévus".
Mais en fait, depuis 5 ans, les fonctionnaires de l'Agence de l'eau Seine-Normandie exercent un chantage financier à seule fin de mener un programme idéologique : détruire le maximum d'ouvrages. Un programme qui est soutenu en Normandie par le lobby des pêcheurs de saumons et truites de mer, seuls réels bénéficiaires sociaux de ces mesures (voir leur bilan sur la Touques, leurs dérives sur la Dives, leur rôle dans la casse des barrages de la Sélune).
Richard Rodier co-signataire d’un courrier adressé la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l’Eure avec une copie adressée au préfet et au sous-préfet de l’Eure, n'est pas du tout d'accord avec cette vision :
"contrairement à ce que l’Agence de l’eau indique pour faire voter la subvention qu’elle octroie à la ville et faire disparaître la turbine, aucun comité de pilotage n’a jamais décidé d’effacer le barrage, bien au contraire. Lors du comité de pilotage n°10, il a été simplement décidé de choisir le meilleur scénario en tenant compte du potentiel électrique qui doit absolument être conservé. Cette interprétation est très grave car ce mensonge présenté dans le dossier remis à la commission des aides a permis de débloquer 1,2 M€ ».
Selon le rapport du CGEDD 2016 sur les problèmes de la continuité écologique, l'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé la destruction de 75% des ouvrages hydrauliques dans les dossiers de continuité qu'elle a traités. Ce comportement est le symptôme d'une scandaleuse dérive de ses fonctionnaires : la loi n'a jamais demandé la disparition des ouvrages et la loi considère que la continuité écologique doit se rendre compatible avec l'intérêt général c'est-à-dire avec une "gestion durable et équilibrée" de l'eau, incluant les sources d'énergie bas-carbone.
Avec ses consoeurs, notre association va porter en cette rentrée une motion contre les pratiques injustifiables de l'agence de l'eau. Nous souhaitons que chaque lecteur observant ces pratiques en informe systématiquement son député et son sénateur, en leur demandant expressément de saisir du problème le ministre de l'écologie, François de Rugy. Les mesures doctrinaires et arbitraires de l'administration de l'eau cesseront quand elles seront clairement condamnées par le ministre de tutelle. Les citoyens n'ont plus à accepter la destruction du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique des rivières françaises au service de quelques idées extrémistes, minoritaires et déjà condamnées à de nombreuses reprises par les parlementaires.
Illustration : la Risle à Pont-Audemer, JacoNed travail personnel, CC BY-SA 3.0
L'affaire est rapportée par le site Paris-Normandie. Le maire de la ville explique ainsi : "Je ne suis pas un spécialiste de la remontée des espèces, j’ai donc suivi les recommandations de l’Agence de l’eau en ce qui concerne les aménagements à prévoir pour rétablir la continuité écologique de ce que l’on appelle le nœud de la Risle. La ville est désormais propriétaire de ce barrage et n’a pas déboursé un seul centime. En effet, l’Agence de l’eau a financé, à 100 %, le rachat et les aménagements qui sont prévus".
Mais en fait, depuis 5 ans, les fonctionnaires de l'Agence de l'eau Seine-Normandie exercent un chantage financier à seule fin de mener un programme idéologique : détruire le maximum d'ouvrages. Un programme qui est soutenu en Normandie par le lobby des pêcheurs de saumons et truites de mer, seuls réels bénéficiaires sociaux de ces mesures (voir leur bilan sur la Touques, leurs dérives sur la Dives, leur rôle dans la casse des barrages de la Sélune).
Richard Rodier co-signataire d’un courrier adressé la Direction départementale des territoires et de la mer (DDTM) de l’Eure avec une copie adressée au préfet et au sous-préfet de l’Eure, n'est pas du tout d'accord avec cette vision :
"contrairement à ce que l’Agence de l’eau indique pour faire voter la subvention qu’elle octroie à la ville et faire disparaître la turbine, aucun comité de pilotage n’a jamais décidé d’effacer le barrage, bien au contraire. Lors du comité de pilotage n°10, il a été simplement décidé de choisir le meilleur scénario en tenant compte du potentiel électrique qui doit absolument être conservé. Cette interprétation est très grave car ce mensonge présenté dans le dossier remis à la commission des aides a permis de débloquer 1,2 M€ ».
Selon le rapport du CGEDD 2016 sur les problèmes de la continuité écologique, l'agence de l'eau Seine-Normandie a déjà engagé la destruction de 75% des ouvrages hydrauliques dans les dossiers de continuité qu'elle a traités. Ce comportement est le symptôme d'une scandaleuse dérive de ses fonctionnaires : la loi n'a jamais demandé la disparition des ouvrages et la loi considère que la continuité écologique doit se rendre compatible avec l'intérêt général c'est-à-dire avec une "gestion durable et équilibrée" de l'eau, incluant les sources d'énergie bas-carbone.
Avec ses consoeurs, notre association va porter en cette rentrée une motion contre les pratiques injustifiables de l'agence de l'eau. Nous souhaitons que chaque lecteur observant ces pratiques en informe systématiquement son député et son sénateur, en leur demandant expressément de saisir du problème le ministre de l'écologie, François de Rugy. Les mesures doctrinaires et arbitraires de l'administration de l'eau cesseront quand elles seront clairement condamnées par le ministre de tutelle. Les citoyens n'ont plus à accepter la destruction du patrimoine hydraulique et du potentiel énergétique des rivières françaises au service de quelques idées extrémistes, minoritaires et déjà condamnées à de nombreuses reprises par les parlementaires.
Illustration : la Risle à Pont-Audemer, JacoNed travail personnel, CC BY-SA 3.0
04/09/2018
Ministère de l'écologie : le besoin d'une politique pragmatique et durable
Ce jour a vu la nomination du 6e ministre de l'écologie depuis la création de l'association Hydrauxois. Quelques réflexions sur la difficulté de ce ministère à définir un cadre stable et partagé pour les politiques de l'environnement.
Depuis sa création en 2012, notre association a connu 6 ministres de l'écologie (N. Bricq, D. Batho, P Martin, S. Royal, N. Hulot, F. de Rugy), pour seulement deux présidents et deux législatures. Nous regrettons cette instabilité politique, à plusieurs titres.`
D'abord, l'écologie est le domaine du temps long et des choix structurants dans de nombreux domaines : eau, énergie, agriculture, transport, logement, territoire, etc. Il est déplacé d'en faire un symbole de l'inconstance politique. Ensuite, il est forcément inefficace pour l'action publique d'avoir une valse trop rapide de ministres qui doivent s'installer avec leurs cabinets dans les lieux, prendre connaissance de dossiers généralement très techniques, identifier les acteurs, poser leurs visions, etc. Enfin, la volatilité de la direction politique laisse le champ libre à la haute administration comme seul élément stable pour définir les directions des choix publics. Or, comme nous l'avons analysé en détail sur le cas particulier des ouvrages en rivières, ces hauts fonctionnaires (qui ne sont pas élus) ont tendance à imposer leur propre idéologie sur les sujets qu'ils administrent, cela sans avoir à en répondre directement devant les représentants des citoyens. C'est très insatisfaisant au plan démocratique.
En quittant son poste après seulement 15 mois d'exercice, Nicolas Hulot a délivré un message assez désespérant, brossant le tableau d'un pouvoir qui serait soumis aux lobbies et qui ne pourrait prendre aucune des décisions nécessaires pour l'écologie, accusant les citoyens d'être trop indifférents aux questions de climat, de biodiversité et de pollution.
Ce diagnostic très sombre doit être pour le moins nuancé.
Concernant les lobbies, leur existence est indéniable, mais elle n'est pas anormale dans une démocratie contemporaine où, au-delà de l'élection définissant les grandes orientations publiques, les élus comme les fonctionnaires ont vocation à entendre le message des groupes organisés qui défendent des intérêts, des valeurs, des causes, des professions etc. Il faut d'ailleurs y intégrer aussi bien les lobbies qui soutenaient l'ancien ministre (ONG écologistes, industriels du renouvelable, du bio, de l'apiculture, etc.) et qui expriment soit les intérêts de secteurs économiques de la transition écologique, soit les avis de citoyens. Ce qui n'est pas acceptable, c'est le manque de transparence sur le rôle des lobbies et le manque de rationalité dans les choix publics. Nous l'avons par exemple souligné dans la politique de l'eau : le poids des lobbies agricoles explique le retard sur le traitement de certaines pollutions chimiques comme le poids du lobby pêcheur et de certains lobbies conservationnistes explique le choix aberrant de détruire un grand nombre de moulins et barrages. Dans l'un et l'autre cas, c'est la grande masse des riverains qui n'est pas entendue, c'est-à-dire que les pouvoirs publics écoutent certains lobbies au lieu d'entendre tous les groupes pertinents pour co-construire des politiques publiques.
Au regard des enjeux écologiques, Nicolas Hulot s'est plaint de la politique des "petits pas" et de la grande difficulté de son ministère à gagner des arbitrages face à ses collègues, notamment l'économie et les finances. En 1974, le premier ministre de l'environnement de l'histoire politique française, Robert Poujade, avait déjà décrit son poste comme le "ministère de l'impossible".
On peut se demander si Nicolas Hulot était réellement à sa place à la tête du ministère, ses multiples confessions aux médias de doutes et de déchirements depuis 15 mois suggérant que ce n'était pas le cas. L'écologie de gouvernement et de terrain est soumise à la contrainte du réalisme, contrairement à l'écologie de contestation qui peut se permettre d'avancer des idéaux sans avoir à vérifier leur partage par tous les citoyens, leur impact sur des secteurs économiques ou leur compatibilité avec les finances publiques. En devenant l'affaire de tous et non plus le combat d'une minorité, ce qui est une bonne nouvelle, l'écologie affronte forcément la complexité des sociétés, où tous les choix humains ne sont pas dictés par les seuls paramètres environnementaux. Il ne faut pas y raisonner en termes de victoires ou de défaites d'un "camp" contre un autre, mais plutôt en recherche des meilleurs compromis provisoires.
Notre expérience associative montre que les Français sont réellement intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la défense de leur paysage, la promotion d'énergies nouvelles, la préservation de la biodiversité, la protection de la santé. Mais, assez logiquement, ils sont aussi soucieux d'enjeux comme la vitalité économique des territoires ou la préservation d'un pouvoir d'achat. Comme l'argent public est rare, les citoyens souhaitent aussi qu'il soit employé à bon escient : à la fois pour ne pas altérer davantage l'environnement et, quand cet argent public finance des projets écologiques, pour choisir les meilleures options.
La France souffre aussi d'un travers peu souligné par les commentateurs de la démission de Nicolas Hulot : la centralisation du pouvoir, le fonctionnement très vertical de l'administration, la concentration de l'attention médiatique sur des personnalités très en vue à Paris, la faible autonomie fiscale et décisionnnelle des collectivités tendent à dévitaliser la démocratie (qui devient une technocratie lointaine) et à augmenter la "conflictualité idéologique" dans les politiques publiques. Ce problème est particulièrement manifeste dans l'environnement : si certains défis sont globaux, les réponses et les actions sont toujours locales. On étudie la biodiversité, on lutte contre des pollutions et on cherche des sources d'énergie renouvelable dans des lieux donnés, pour une population donnée. Redéployer les politiques écologiques en faisant monter les compétences des régions et des intercommunalités, en donnant du jeu local à l'interprétation des directives et des lois, en assurant la participation accrue des citoyens aux décisions ultimes irait dans un sens plus favorable à l'appropriation des enjeux environnementaux.
François de Rugy, nouveau ministre, a défendu une "écologie pragmatique et concrète". Il a par ailleurs appelé dans le passé à une manière plus concertée et ouverte de gouverner. Il a enfin porté l'idée d'une France à l'énergie 100% renouvelables en 2050. Nous aurons donc à coeur de lui soumettre dès ce mois de septembre la question de la continuité écologique et de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui a donné lieu à toutes les dérives d'une (soi-disant) écologie dogmatique, autoritaire et irréaliste depuis 10 ans.
François de Rugy, nouveau ministre de l'écologie (source CC SA-BY-4.0).
D'abord, l'écologie est le domaine du temps long et des choix structurants dans de nombreux domaines : eau, énergie, agriculture, transport, logement, territoire, etc. Il est déplacé d'en faire un symbole de l'inconstance politique. Ensuite, il est forcément inefficace pour l'action publique d'avoir une valse trop rapide de ministres qui doivent s'installer avec leurs cabinets dans les lieux, prendre connaissance de dossiers généralement très techniques, identifier les acteurs, poser leurs visions, etc. Enfin, la volatilité de la direction politique laisse le champ libre à la haute administration comme seul élément stable pour définir les directions des choix publics. Or, comme nous l'avons analysé en détail sur le cas particulier des ouvrages en rivières, ces hauts fonctionnaires (qui ne sont pas élus) ont tendance à imposer leur propre idéologie sur les sujets qu'ils administrent, cela sans avoir à en répondre directement devant les représentants des citoyens. C'est très insatisfaisant au plan démocratique.
En quittant son poste après seulement 15 mois d'exercice, Nicolas Hulot a délivré un message assez désespérant, brossant le tableau d'un pouvoir qui serait soumis aux lobbies et qui ne pourrait prendre aucune des décisions nécessaires pour l'écologie, accusant les citoyens d'être trop indifférents aux questions de climat, de biodiversité et de pollution.
Ce diagnostic très sombre doit être pour le moins nuancé.
Concernant les lobbies, leur existence est indéniable, mais elle n'est pas anormale dans une démocratie contemporaine où, au-delà de l'élection définissant les grandes orientations publiques, les élus comme les fonctionnaires ont vocation à entendre le message des groupes organisés qui défendent des intérêts, des valeurs, des causes, des professions etc. Il faut d'ailleurs y intégrer aussi bien les lobbies qui soutenaient l'ancien ministre (ONG écologistes, industriels du renouvelable, du bio, de l'apiculture, etc.) et qui expriment soit les intérêts de secteurs économiques de la transition écologique, soit les avis de citoyens. Ce qui n'est pas acceptable, c'est le manque de transparence sur le rôle des lobbies et le manque de rationalité dans les choix publics. Nous l'avons par exemple souligné dans la politique de l'eau : le poids des lobbies agricoles explique le retard sur le traitement de certaines pollutions chimiques comme le poids du lobby pêcheur et de certains lobbies conservationnistes explique le choix aberrant de détruire un grand nombre de moulins et barrages. Dans l'un et l'autre cas, c'est la grande masse des riverains qui n'est pas entendue, c'est-à-dire que les pouvoirs publics écoutent certains lobbies au lieu d'entendre tous les groupes pertinents pour co-construire des politiques publiques.
Au regard des enjeux écologiques, Nicolas Hulot s'est plaint de la politique des "petits pas" et de la grande difficulté de son ministère à gagner des arbitrages face à ses collègues, notamment l'économie et les finances. En 1974, le premier ministre de l'environnement de l'histoire politique française, Robert Poujade, avait déjà décrit son poste comme le "ministère de l'impossible".
On peut se demander si Nicolas Hulot était réellement à sa place à la tête du ministère, ses multiples confessions aux médias de doutes et de déchirements depuis 15 mois suggérant que ce n'était pas le cas. L'écologie de gouvernement et de terrain est soumise à la contrainte du réalisme, contrairement à l'écologie de contestation qui peut se permettre d'avancer des idéaux sans avoir à vérifier leur partage par tous les citoyens, leur impact sur des secteurs économiques ou leur compatibilité avec les finances publiques. En devenant l'affaire de tous et non plus le combat d'une minorité, ce qui est une bonne nouvelle, l'écologie affronte forcément la complexité des sociétés, où tous les choix humains ne sont pas dictés par les seuls paramètres environnementaux. Il ne faut pas y raisonner en termes de victoires ou de défaites d'un "camp" contre un autre, mais plutôt en recherche des meilleurs compromis provisoires.
Notre expérience associative montre que les Français sont réellement intéressés par l'amélioration de leur cadre de vie, la défense de leur paysage, la promotion d'énergies nouvelles, la préservation de la biodiversité, la protection de la santé. Mais, assez logiquement, ils sont aussi soucieux d'enjeux comme la vitalité économique des territoires ou la préservation d'un pouvoir d'achat. Comme l'argent public est rare, les citoyens souhaitent aussi qu'il soit employé à bon escient : à la fois pour ne pas altérer davantage l'environnement et, quand cet argent public finance des projets écologiques, pour choisir les meilleures options.
La France souffre aussi d'un travers peu souligné par les commentateurs de la démission de Nicolas Hulot : la centralisation du pouvoir, le fonctionnement très vertical de l'administration, la concentration de l'attention médiatique sur des personnalités très en vue à Paris, la faible autonomie fiscale et décisionnnelle des collectivités tendent à dévitaliser la démocratie (qui devient une technocratie lointaine) et à augmenter la "conflictualité idéologique" dans les politiques publiques. Ce problème est particulièrement manifeste dans l'environnement : si certains défis sont globaux, les réponses et les actions sont toujours locales. On étudie la biodiversité, on lutte contre des pollutions et on cherche des sources d'énergie renouvelable dans des lieux donnés, pour une population donnée. Redéployer les politiques écologiques en faisant monter les compétences des régions et des intercommunalités, en donnant du jeu local à l'interprétation des directives et des lois, en assurant la participation accrue des citoyens aux décisions ultimes irait dans un sens plus favorable à l'appropriation des enjeux environnementaux.
François de Rugy, nouveau ministre, a défendu une "écologie pragmatique et concrète". Il a par ailleurs appelé dans le passé à une manière plus concertée et ouverte de gouverner. Il a enfin porté l'idée d'une France à l'énergie 100% renouvelables en 2050. Nous aurons donc à coeur de lui soumettre dès ce mois de septembre la question de la continuité écologique et de la destruction des ouvrages hydrauliques, qui a donné lieu à toutes les dérives d'une (soi-disant) écologie dogmatique, autoritaire et irréaliste depuis 10 ans.