La pétition exigeant que l'Etat s'engage résolument dans la prévention du réchauffement climatique est sur le point de recueillir 2 millions de signatures. Ce phénomène exceptionnel signale que la société civile se réveille et qu'elle n'entend plus subir de manière passive les actions ou inactions des technocraties. Mais la France est aussi le pays d'un scandale sans précédent : alors même que toutes les voix appellent au développement des énergies bas carbone de manière distribuée sur tous les territoires, le ministère de l'écologie et plusieurs lobbies ont engagé une politique de destruction à grande échelle du potentiel hydro-électrique du pays, allant jusqu'au démantèlement sur argent public de barrages hydro-électriques en parfait état de fonctionnement, comme sur la Sélune ou sur la Risle. De même, les services de ce ministère bloquent un peu partout la relance des moulins, forges et usines à eau par des complications réglementaires et des impositions de coûts économiques irréalistes. Cette dérive doit cesser: la société française ne peut plus supporter de tels carcans aberrants et gabegies honteuses. En 2019, nous appelons les propriétaires, riverains et leurs collectifs à briser partout les obstacles bureaucratiques, à se ré-approprier leur avenir et à s'engager dans la transition écologique qui formera un enjeu majeur de ce siècle.
La pétition pour une action vigoureuse de l'Etat sur le climat, lancée par 4 ONG (Notre Affaire à Tous, la Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France, Oxfam France) et baptisée l'Affaire du siècle, est sur le point de recueillir 2 millions de signatures. Si des critiques ont été émises sur la sécurité des signatures, mal assurée, il ne fait guère de doute que le soutien est massif. Il fait suite à plusieurs marches pour le climat organisées en France après la démission de Nicolas Hulot, en août dernier.
Cette pétition est adossée à un recours en justice contre l'Etat français pour "carence fautive", c'est-à-dire efforts insuffisants pour mettre en oeuvre les obligations de la France en matière de transition énergétique bas-carbone.
Voici quelques remarques sur cette initiative :
- comme la pétition des "gilets jaunes" sur la taxe carbone (1,1 million de signatures, là aussi un record) quoique dans une direction différente, ce mouvement des citoyens représente une affirmation de plus en plus forte de la société civile face à des bureaucraties publiques françaises dont le fonctionnement est trop rigide, trop lent, trop déconnecté des réalités, trop prisonnier des jeux parisiens de lobbies et de coteries ;
- le récent rapport 2018 du GIEC sur une planète dont la hausse de température serait limitée à +1,5°C signale que le combat est déjà quasiment désespéré. Il faudrait en effet zéro émission carbone nette dans le monde en 2050, cela alors que la population atteindra 9 à 10 milliards d'humains, avec une croissances des pays émergents, une déforestation en zone tropicale, un usage persistant du fossile pour assurer la base des réseaux et les transports.
- les efforts pour limiter le risque d'un réchauffement climatique dangereux seront donc immenses, sans précédent connu dans l'histoire. Si le gros des progrès doit concerner l'usage des sols en agriculture (déforestation au premier chef), la décarbonation du transport routier et du chauffage des bâtiments, la production d'énergie reste un enjeu majeur de cette transition. Nous devons inventer aujourd'hui et très rapidement un monde post-fossile, un monde à sources d'énergie distribuées partout sur les territoires. En France, cet enjeu climatique se double d'un enjeu d'indépendance énergétique : nous sommes dépendants de toute ressource fossile (ou fissile) que nous devons importer, alors que les tensions seront de plus en plus fortes sur ces ressources.
- en France hélas, des visions maximalistes de l'écologie ayant gagné certains services de l'Etat ont conduit à un quasi-gel des initiatives en hydro-électricité, qui est l'une des énergies au meilleur bilan carbone en zone tempérée et boréale, mais aussi au meilleur bilan matières premières par sa simplicité et à excellent taux de retour énergétique. Non seulement les projets sont assommés de complications réglementaires, mais le ministère de l'écologie et la technocratie de l'eau envisagent de détruire les barrages hydro-électriques de la Sélune (gabegie de 50 M€ d'argent public), de détruire l'usine hydroélectrique de Pont-Audemer (gabegie d'au moins 1 M€). Partout les services de l'Etat freinent et alourdissent les demandes de relance hydro-électrique des moulins, des forges et des anciennes usines à eau, au point de pousser certains porteurs de projet à l'abandon face aux coûts et complexités (voir dans la seule actualité de décembre cet exemple aux Eyzies, cet exemple à Argentré, cet exemple au Bugue). Le lobby des pêcheurs et certaines ONG font pression et parfois déposent des plaintes contre des projets hydro-électriques (voir cet exemple au Theusseret, cet exemple à Chanteuges), allant à contre-courant du mouvement général de relocalisation et de diversification des sources d'énergie.
Aujourd'hui, 2 millions de personnes demandent d'agir pour le climat. Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine transition énergétique est devenu inaudible et illégitime. En 2019, nous appelons toutes nos consoeurs associatives, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique.
30/12/2018
28/12/2018
A quoi pensent les poissons? Des réflexions sur la condition des animaux aquatiques
On tue aujourd'hui entre 1000 et 2700 milliards de poissons chaque année dans le monde, soit 97% des animaux exploités pour leur chair. Et pourtant, nos lointains cousins aquatiques suscitent moins d'intérêt que les mammifères ou les oiseaux quand il s'agit de protéger la condition animale ou la biodiversité. Le biologiste Jonathan Balcombe, spécialiste des poissons, a publié un essai pour comprendre cette indifférence, alors que la recherche récente a montré les étonnantes capacités cognitives et sociales des poissons, mais aussi leur capacité à fuir la douleur et rechercher le plaisir. Une lecture qui fait réfléchir.
Connaissez-vous le menhaden, nom donné à quatre espèces très proches pêchés pour la nourriture des poissons d'élevage, et appelés pour cette raison poissons-fourrage? Sans doute pas. Leur forme et leur couleur sont communes (photo ci-dessus), on les trouve dans les eaux de l'Atlantique et du Pacifique où ils se nourrissent de plancton. Pourtant, ces poisons à peu près inconnus du grand nombre ont été pêchés à hauteur de 1,2 milliards d'individus par an jusque récemment, où l'on a baissé le total autorisé de capture de 300 millions. Ce qui laisse de la marge...
Chaque année sur la planète, l'homme tue entre 1000 et 2700 milliards de poissons par la pêche commerciale, selon une étude d'Allison Mood fondée sur les chiffres de la FAO. A en croire un autre travail de Stephen Cooke et Ian Cowx, ce sont 47 milliards de poissons qui sont capturés chaque année pour la seule pêche de loisir, dont 17 milliards sont tués, et le reste rejeté à l'eau après divers traumatismes.
Ces chiffres indiquent combien l'exploitation des poissons par l'homme est massive, énorme : de très loin, ce sont les animaux les plus tués et les plus harcelés dans le monde. Et pourtant, ce phénomène suscite une certaine indifférence : les êtes humains semblent bien plus sensibles à la question des mammifères ou des oiseaux. Les campagnes de protestation contre la chasse en forêt sont fréquentes, celles contre la pêche en rivière assez rares! Quoique les choses évoluent peu à peu.
Biologiste spécialisé dans l’étude du comportement animal, Jonathan Balcombe a souhaité produire un livre de synthèse sur l'évolution de nos connaissances en ichtyologie. L'auteur nous fait voyager sous l’océan, dans les fleuves et les lacs, à travers les parois de l’aquarium de laboratoire pour révéler les surprenantes aptitudes des poissons. Capacité mentale et existence sensible, vie sociale et familiale, coopération pour la chasse, facultés d’adaptation souvent remarquables : les poissons ne méritent certainement pas l'indifférence que nourrissent leur absence d'expression faciale et leur caractère muet.
"On a beaucoup d’idées préconçues au sujet des poissons. La principale source de préjugés à leur égard est leur incapacité à exprimer leurs sentiments. Je voulais rétablir la vérité avec ce livre, science à l’appui", expose Jonathan Balcombe.
L'auteur a également une démarche engagée : il souhaiterait la reconnaissance d'un statut juridique particulier à l'animal. Cette dimension plus militante peut susciter des réserves si la démonstration scientifique devient plaidoyer moral ou politique. Certains sujets sont par exemple encore débattus chez les chercheurs, comme la notion de souffrance (douleur consciente et non simple nociception). Toutefois les expériences narrées par Balcombe suggèrent fortement que le poisson est bel et bien capable de ressentir cette souffrance, comme au demeurant de chercher du plaisir.
Le livre de Jonathan Balcombe est un exposé très vivant et très convaincant sur les facultés de nos lointains cousins aquatiques, et sur l'intérêt que les humains ont à réfléchir dans leur rapport au monde animal. C'est également un essai rappelant la nécessité de mieux protéger les océans et les rivières.
Référence : Joanathan Balcombe (2018), A quoi rêvent les poissons? La vie secrète de nos cousins sous-marins, La Plage, 348 p.
Illustration : image par Bob Williams, domaine public.
Connaissez-vous le menhaden, nom donné à quatre espèces très proches pêchés pour la nourriture des poissons d'élevage, et appelés pour cette raison poissons-fourrage? Sans doute pas. Leur forme et leur couleur sont communes (photo ci-dessus), on les trouve dans les eaux de l'Atlantique et du Pacifique où ils se nourrissent de plancton. Pourtant, ces poisons à peu près inconnus du grand nombre ont été pêchés à hauteur de 1,2 milliards d'individus par an jusque récemment, où l'on a baissé le total autorisé de capture de 300 millions. Ce qui laisse de la marge...
Chaque année sur la planète, l'homme tue entre 1000 et 2700 milliards de poissons par la pêche commerciale, selon une étude d'Allison Mood fondée sur les chiffres de la FAO. A en croire un autre travail de Stephen Cooke et Ian Cowx, ce sont 47 milliards de poissons qui sont capturés chaque année pour la seule pêche de loisir, dont 17 milliards sont tués, et le reste rejeté à l'eau après divers traumatismes.
Ces chiffres indiquent combien l'exploitation des poissons par l'homme est massive, énorme : de très loin, ce sont les animaux les plus tués et les plus harcelés dans le monde. Et pourtant, ce phénomène suscite une certaine indifférence : les êtes humains semblent bien plus sensibles à la question des mammifères ou des oiseaux. Les campagnes de protestation contre la chasse en forêt sont fréquentes, celles contre la pêche en rivière assez rares! Quoique les choses évoluent peu à peu.
Biologiste spécialisé dans l’étude du comportement animal, Jonathan Balcombe a souhaité produire un livre de synthèse sur l'évolution de nos connaissances en ichtyologie. L'auteur nous fait voyager sous l’océan, dans les fleuves et les lacs, à travers les parois de l’aquarium de laboratoire pour révéler les surprenantes aptitudes des poissons. Capacité mentale et existence sensible, vie sociale et familiale, coopération pour la chasse, facultés d’adaptation souvent remarquables : les poissons ne méritent certainement pas l'indifférence que nourrissent leur absence d'expression faciale et leur caractère muet.
"On a beaucoup d’idées préconçues au sujet des poissons. La principale source de préjugés à leur égard est leur incapacité à exprimer leurs sentiments. Je voulais rétablir la vérité avec ce livre, science à l’appui", expose Jonathan Balcombe.
L'auteur a également une démarche engagée : il souhaiterait la reconnaissance d'un statut juridique particulier à l'animal. Cette dimension plus militante peut susciter des réserves si la démonstration scientifique devient plaidoyer moral ou politique. Certains sujets sont par exemple encore débattus chez les chercheurs, comme la notion de souffrance (douleur consciente et non simple nociception). Toutefois les expériences narrées par Balcombe suggèrent fortement que le poisson est bel et bien capable de ressentir cette souffrance, comme au demeurant de chercher du plaisir.
Le livre de Jonathan Balcombe est un exposé très vivant et très convaincant sur les facultés de nos lointains cousins aquatiques, et sur l'intérêt que les humains ont à réfléchir dans leur rapport au monde animal. C'est également un essai rappelant la nécessité de mieux protéger les océans et les rivières.
Référence : Joanathan Balcombe (2018), A quoi rêvent les poissons? La vie secrète de nos cousins sous-marins, La Plage, 348 p.
Illustration : image par Bob Williams, domaine public.
20/12/2018
L'écrevisse à pattes blanches bénéficie de la fragmentation des cours d'eau par les chutes naturelles et artificielles (Manenti et al 2018)
Une équipe de chercheurs ayant analysé la situation de l'écrevisse à pattes blanches dans 196 rivières et zones humides du nord de l'Italie montre que la présence de chutes naturelles et artificielles en aval est un facteur prédictif de la conservation de l'espèce en tête de bassin. Les scientifiques appellent à prendre en compte cette complexité dans la gestion des bassins versants changés par l'homme, où des "discontinuités écologiques" peuvent aussi avoir des bénéfices pour le vivant. Ils écrivent notamment : "Nos résultats contestent l'idée selon laquelle la connectivité des habitats hydrologiques a toujours des effets positifs sur la biodiversité endémique". Le discours public des rivières en France (ministère de l'écologie et ses services) pose a priori le bénéfice écologique supérieur de la destruction de tout ouvrage en rivière. La recherche montre que les réalités sont plus complexes, dès lors qu'on prend le temps de les analyser. Etudions cette réalité du vivant sur chaque bassin, évitons les précipitations dans les programmations publiques, cessons de diffuser des vues simplistes et des choix dogmatiques dont le bilan réel pour la biodiversité n'est pas connu.
Raoul Manenti et ses collègues (université de Milan, université de Pavie, CNRS-LECA) ont utilisé des enquêtes à long terme pour évaluer l'influence du changement d'habitat, de la modification du paysage et des espèces invasives sur le risque d'extinction de l'écrevisse autochtone Austropotamobius pallipes (écrevisse à pattes blanches). Ils ont examiné la littérature existante pour évaluer les services écosystémiques menacés par l'extinction locale d'A. Pallipes et son remplacement par des écrevisses exotiques.
Les chercheurs résument ainsi leur travail :
"Compte tenu du déclin continu de nombreuses espèces, il est important de procéder à des analyses multifactorielles de l'état de conservation et d'évaluer les effets de l'extinction des espèces sur les services écosystémiques. (...)
Nous avons échantillonné 196 cours d'eau et zones humides dans le nord de l'Italie. Parmi ceux-ci, 117 ont reçu plusieurs enquêtes sur une période de 13 ans (2004-2017), permettant ainsi une mesure précise du taux d'extinction.
34% des populations d'A. Pallipes ont subi une extinction entre 2004 et 2017. La présence d'écrevisses exotiques dans le bassin versant et la croissance urbaine dans le paysage environnant des cours d'eau ont été associées à l'extinction d'A. Pallipes. La probabilité de persistance était significativement plus élevée dans les populations proches des sources de ruisseaux et séparées par des barrières physiques (notamment des chutes d’eau) qui les isolaient des bassins contenant des écrevisses exotiques.
L'extinction des écrevisses indigènes altère la structure de la communauté et compromet les services de régulation tels que la dégradation détritique et la régulation des nuisibles. Le remplacement par des écrevisses exotiques (Procambarus clarkii et Faxonius limosus) menace également les services de soutien et de régulation en modifiant le cycle des éléments nutritifs, les réseaux trophiques, les sédiments et l'érosion.
La mise en œuvre de pratiques de gestion qui contrôlent la connectivité des rivières à l'aide de barrières sélectives est nécessaire pour éviter une extinction locale supplémentaire des espèces indigènes. Intégrer les informations sur l'extinction à la connaissance des impacts sur les services écosystémiques est essentiel pour élaborer des politiques de conservation plus efficaces."
Concernant le bénéfice des barrières naturelles ou artificielles, les scientifiques observent plus particulièrement dans leur article:
"Les barrières situées en aval étaient associées à la persistance des populations d'écrevisses indigènes. Les barrières physiques telles que les cascades naturelles et artificielles ont été particulièrement efficaces. Le rôle potentiellement positif joué par les barrières a été suggéré par d'autres études sur la conservation des écrevisses (Gil-Sanchez et Alba-Tercedor 2006; Manenti et al 2014). Ici, nous avons explicitement testé la relation entre les barrières de flux et l'extinction, en prenant en compte à la fois le nombre de différents types de barrières et le rôle relatif de chaque type. Nos résultats contestent l'idée selon laquelle la connectivité des habitats hydrologiques a toujours des effets positifs sur la biodiversité endémique. De profondes modifications de l'habitat ont modifié la manière dont les composants naturels interagissent (Crutzen 2006). Par conséquent, dans les paysages à dominance humaine, il est nécessaire de réévaluer les stratégies de gestion traditionnelles pour faire face aux nouveaux défis (Kueffer & Kaiser-Bunbury 2014). Les chutes d'eau peuvent entraver la propagation d'espèces étrangères d'écrevisses et également limiter le contact entre les écrevisses indigènes en aval et en amont, prévenant ainsi la propagation des maladies."
La question est donc pressante à l'heure où plusieurs espèces d'écrevisses autochtones européennes sont menacés d'extinction et où les modèles indiquant les habitats seront de plus en plus favorables aux espèces exotiques :
"Les modèles de répartition des espèces prévoient que, dans les décennies à venir, l'intégralité de la répartition des écrevisses européennes conviendra à au moins une espèce d'écrevisse envahissante (Capinha, Larson, Tricarico, Olden et Gherardi 2013). Notre étude suggère que les populations d'écrevisses indigènes survivantes peuvent échapper aux principales menaces telles que les espèces exotiques et la peste des écrevisses si des obstacles naturels ou artificiels se dressent en aval."
Raoul Manenti et ses collègues ne dissimulent pas en conclusion que le choix entre continuité et discontinuité implique une gestion plus complexe que la simple "renaturation" des rivières modifiées par l'humain :
"L'utilité des barrières pour la conservation des écrevisses peut fortement compliquer la gestion des cours d'eau. Le rétablissement de la connectivité des cours d'eau en supprimant les barrages et les tronçons pollués peut reconstituer la dynamique de la métapopulation et apporter de précieux avantages écologiques aux poissons et aux invertébrés aquatiques (Jackson & Pringle 2010). Dans le même temps, la suppression des barrières pour permettre la reconstitution du poisson peut favoriser les mouvements d'écrevisses invasives en amont (Dana et al 2011), et le retour du poisson peut également propager la peste des écrevisses et d'autres maladies (Oidtmann 2012). Un large éventail de connaissances est nécessaire pour comprendre les effets écologiques de l'augmentation ou de la réduction de la connectivité hydrologique dans des paysages profondément façonnés par les activités humaines (Jackson et Pringle 2010). Pour ces raisons, nous suggérons que les mesures de gestion devraient (a) favoriser la connectivité des zones non envahies afin d'éviter l'isolement entre les populations indigènes; et (b) favoriser l'isolement des populations indigènes de celles des écrevisses exotiques."
Référence : Manenti R et al (2018), Causes and consequences of crayfish extinction: Stream connectivity, habitat changes, alien species and ecosystem services, Freshwater Biology, https://doi.org/10.1111/fwb.13215
Illustration en haut : Von Chucholl, Ch. - Travail personnel, CC BY 3.0.
A lire sur la biodiversité
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
La biodiversité se limite-t-elle aux espèces indigènes ? (Schlaepfer 2018)
La biodiversité locale est-elle réellement en déclin? (Vellend et al 2017)
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017)
Nos requêtes
Rapport demandant une analyse de la biodiversité et des fonctionnalités des ouvrages hydrauliques
Guide de bonnes pratiques pour les projets d’effacement de seuils et barrages en rivière
Raoul Manenti et ses collègues (université de Milan, université de Pavie, CNRS-LECA) ont utilisé des enquêtes à long terme pour évaluer l'influence du changement d'habitat, de la modification du paysage et des espèces invasives sur le risque d'extinction de l'écrevisse autochtone Austropotamobius pallipes (écrevisse à pattes blanches). Ils ont examiné la littérature existante pour évaluer les services écosystémiques menacés par l'extinction locale d'A. Pallipes et son remplacement par des écrevisses exotiques.
Les chercheurs résument ainsi leur travail :
"Compte tenu du déclin continu de nombreuses espèces, il est important de procéder à des analyses multifactorielles de l'état de conservation et d'évaluer les effets de l'extinction des espèces sur les services écosystémiques. (...)
Nous avons échantillonné 196 cours d'eau et zones humides dans le nord de l'Italie. Parmi ceux-ci, 117 ont reçu plusieurs enquêtes sur une période de 13 ans (2004-2017), permettant ainsi une mesure précise du taux d'extinction.
34% des populations d'A. Pallipes ont subi une extinction entre 2004 et 2017. La présence d'écrevisses exotiques dans le bassin versant et la croissance urbaine dans le paysage environnant des cours d'eau ont été associées à l'extinction d'A. Pallipes. La probabilité de persistance était significativement plus élevée dans les populations proches des sources de ruisseaux et séparées par des barrières physiques (notamment des chutes d’eau) qui les isolaient des bassins contenant des écrevisses exotiques.
L'extinction des écrevisses indigènes altère la structure de la communauté et compromet les services de régulation tels que la dégradation détritique et la régulation des nuisibles. Le remplacement par des écrevisses exotiques (Procambarus clarkii et Faxonius limosus) menace également les services de soutien et de régulation en modifiant le cycle des éléments nutritifs, les réseaux trophiques, les sédiments et l'érosion.
La mise en œuvre de pratiques de gestion qui contrôlent la connectivité des rivières à l'aide de barrières sélectives est nécessaire pour éviter une extinction locale supplémentaire des espèces indigènes. Intégrer les informations sur l'extinction à la connaissance des impacts sur les services écosystémiques est essentiel pour élaborer des politiques de conservation plus efficaces."
Concernant le bénéfice des barrières naturelles ou artificielles, les scientifiques observent plus particulièrement dans leur article:
"Les barrières situées en aval étaient associées à la persistance des populations d'écrevisses indigènes. Les barrières physiques telles que les cascades naturelles et artificielles ont été particulièrement efficaces. Le rôle potentiellement positif joué par les barrières a été suggéré par d'autres études sur la conservation des écrevisses (Gil-Sanchez et Alba-Tercedor 2006; Manenti et al 2014). Ici, nous avons explicitement testé la relation entre les barrières de flux et l'extinction, en prenant en compte à la fois le nombre de différents types de barrières et le rôle relatif de chaque type. Nos résultats contestent l'idée selon laquelle la connectivité des habitats hydrologiques a toujours des effets positifs sur la biodiversité endémique. De profondes modifications de l'habitat ont modifié la manière dont les composants naturels interagissent (Crutzen 2006). Par conséquent, dans les paysages à dominance humaine, il est nécessaire de réévaluer les stratégies de gestion traditionnelles pour faire face aux nouveaux défis (Kueffer & Kaiser-Bunbury 2014). Les chutes d'eau peuvent entraver la propagation d'espèces étrangères d'écrevisses et également limiter le contact entre les écrevisses indigènes en aval et en amont, prévenant ainsi la propagation des maladies."
La question est donc pressante à l'heure où plusieurs espèces d'écrevisses autochtones européennes sont menacés d'extinction et où les modèles indiquant les habitats seront de plus en plus favorables aux espèces exotiques :
"Les modèles de répartition des espèces prévoient que, dans les décennies à venir, l'intégralité de la répartition des écrevisses européennes conviendra à au moins une espèce d'écrevisse envahissante (Capinha, Larson, Tricarico, Olden et Gherardi 2013). Notre étude suggère que les populations d'écrevisses indigènes survivantes peuvent échapper aux principales menaces telles que les espèces exotiques et la peste des écrevisses si des obstacles naturels ou artificiels se dressent en aval."
Cette illustration (cliquer pour agrandir) compare les effets positifs ou négatifs de trois espèces d'écrevisses en terme de services rendus par les écosystèmes. Extrait de Manenti et al 2018 art cit, tous droits réservés. On remarquera au passage que des espèces autochtones peuvent avoir des effets jugés négatifs et que des espèces exotiques peuvent avoir des effets jugés positifs. Si conserver une espèce menacée a du sens pour éviter la disparition d'une lignée évolutive, valoriser systématiquement l'endémique par rapport à l'exotique doit faire l'objet d'une réflexion sur nos objectifs sociaux de gestion des milieux.
"L'utilité des barrières pour la conservation des écrevisses peut fortement compliquer la gestion des cours d'eau. Le rétablissement de la connectivité des cours d'eau en supprimant les barrages et les tronçons pollués peut reconstituer la dynamique de la métapopulation et apporter de précieux avantages écologiques aux poissons et aux invertébrés aquatiques (Jackson & Pringle 2010). Dans le même temps, la suppression des barrières pour permettre la reconstitution du poisson peut favoriser les mouvements d'écrevisses invasives en amont (Dana et al 2011), et le retour du poisson peut également propager la peste des écrevisses et d'autres maladies (Oidtmann 2012). Un large éventail de connaissances est nécessaire pour comprendre les effets écologiques de l'augmentation ou de la réduction de la connectivité hydrologique dans des paysages profondément façonnés par les activités humaines (Jackson et Pringle 2010). Pour ces raisons, nous suggérons que les mesures de gestion devraient (a) favoriser la connectivité des zones non envahies afin d'éviter l'isolement entre les populations indigènes; et (b) favoriser l'isolement des populations indigènes de celles des écrevisses exotiques."
Référence : Manenti R et al (2018), Causes and consequences of crayfish extinction: Stream connectivity, habitat changes, alien species and ecosystem services, Freshwater Biology, https://doi.org/10.1111/fwb.13215
Illustration en haut : Von Chucholl, Ch. - Travail personnel, CC BY 3.0.
A lire sur la biodiversité
Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Les barrages comme refuges? Intégrer le changement climatique dans les choix sur les ouvrages hydrauliques (Beatty et al 2017)
La biodiversité se limite-t-elle aux espèces indigènes ? (Schlaepfer 2018)
La biodiversité locale est-elle réellement en déclin? (Vellend et al 2017)
Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
Des saumons, des barrages et des symboles, leçons de la Snake River (Kareiva et Carranza 2017)
Nos requêtes
Rapport demandant une analyse de la biodiversité et des fonctionnalités des ouvrages hydrauliques
Guide de bonnes pratiques pour les projets d’effacement de seuils et barrages en rivière
18/12/2018
Barbegal, première grande usine hydraulique de l'histoire et fabrique de biscuits (Sürmelihindi et al 2018)
L'aqueduc et les moulins de Barbegal constituent un complexe romain de meunerie hydraulique situé à Fontvieille, à proximité (7 km) de la ville d'Arles, non loin du moulin d'Alphonse Daudet. Cet ensemble a été construit au début du IIe siècle siècle de notre ère et forme la première grande usine hydraulique connue de l'histoire, avec 16 roues de moulins. Une équipe de chercheurs vient de suggérer que la production de cette usine à eau était probablement destinée à l'exportation de biscuits de mer (Panus nauticus) pour les marins, et non à la consommation locale.
Le vallon des Arcs en amont du complexe de Barbegal est franchi par deux ponts aqueducs parallèles sur arches. Ce dispositif résulte de modifications sur l'aqueduc d'Arles, dont la branche orientale fut détournée pour alimenter la meunerie de Barbegal. L'eau conduite dans l'aqueduc actionnait deux séries de huit roues verticales à augets, disposées de part et d'autre d'une allée centrale. Il s'agissait de roue de dessus, fonctionnement par remplissage d'augets et utilisation de l'énergie gravitaire.
Les roues de Barbegal fournissaient l'énergie à des moulins à farine. L'usage cette mouture reste débattu (alimentation de la ville d'Arles, exportation pour des garnisons...).
Dans un travail venant de paraître, cinq chercheurs (Gül Sürmelihindi, Philippe Leveau, Christoph Spötl, Vincent Bernard et Cees W. Passchier) suggèrent une production de biscuits :
"Les dépôts de carbonate précipités à partir de l’eau pendant le fonctionnement des moulins, formant des moulages sur le bois. Ces moulages sont préservés et fournissent des informations uniques sur la fréquence d'utilisation et de maintenance des moulins, et même sur la structure des chambres de la roue hydraulique. Les séries chronologiques d'isotopes stables des gisements de carbonate révèlent que l'activité de l'usine était régulièrement interrompue pendant plusieurs mois. Cela suggère fortement que le complexe de la minoterie n'était pas utilisé pour fournir régulièrement de la farine à un grand centre de population, comme on le pensait auparavant, mais servait probablement à produire du biscuit de mer non périssable pour les ports à proximité."
Barbegal a été désigné comme "la plus grande concentration connue de puissance mécanique du monde antique" (Greene 2000)
Et pourtant, selon nos critères modernes, cette usine antique avait une puissance très modeste.
Le débit de l'aqueduc a été estimé entre 240 et 1000 litres par seconde. Le dénivelé exploité par les moulins est de 18 mètres. La puissance maximale brute de l'aménagement devait être de l'ordre de 50 kW, la puissance nette encore moindre en raison de pertes de charge dans les goulottes d'amenée et les roues. Il a été proposé une puissance efficace de l'ordre de 32 kW et une capacité quotidienne de production de 4,5 tonnes de mouture (Sellin 1983).
A titre de comparaison, le barrage le plus puissant de France (Grand-Maison en Isère) aune puissance de 1 800 000 kW, soit 30 000 fois supérieure. On voit combien nos économies modernes dépendent d'un usage intensif de l'énergie par rapport au monde antique, ou féodal (voir le remarquable essai de Smil 2017).
Références :
Sürmelihindi G et al (2018), The second century CE Roman watermills of Barbegal: Unraveling the enigma of one of the oldest industrial complexes, Science Advances, DOI: 10.1126/sciadv.aar3620
Greene K (2000), Technological Innovation and Economic Progress in the Ancient World: M.I. Finley Re-Considered, The Economic History Review, New Series, 53, 1, 29-59.
Sellin RHJ (1983), The large Roman water mill at Barbegal (France), History of Technology, 8, 91-109
Smil V (2017), Energy and civilization. A history, MIT Press, 552 p.
Le vallon des Arcs en amont du complexe de Barbegal est franchi par deux ponts aqueducs parallèles sur arches. Ce dispositif résulte de modifications sur l'aqueduc d'Arles, dont la branche orientale fut détournée pour alimenter la meunerie de Barbegal. L'eau conduite dans l'aqueduc actionnait deux séries de huit roues verticales à augets, disposées de part et d'autre d'une allée centrale. Il s'agissait de roue de dessus, fonctionnement par remplissage d'augets et utilisation de l'énergie gravitaire.
Les roues de Barbegal fournissaient l'énergie à des moulins à farine. L'usage cette mouture reste débattu (alimentation de la ville d'Arles, exportation pour des garnisons...).
Dans un travail venant de paraître, cinq chercheurs (Gül Sürmelihindi, Philippe Leveau, Christoph Spötl, Vincent Bernard et Cees W. Passchier) suggèrent une production de biscuits :
"Les dépôts de carbonate précipités à partir de l’eau pendant le fonctionnement des moulins, formant des moulages sur le bois. Ces moulages sont préservés et fournissent des informations uniques sur la fréquence d'utilisation et de maintenance des moulins, et même sur la structure des chambres de la roue hydraulique. Les séries chronologiques d'isotopes stables des gisements de carbonate révèlent que l'activité de l'usine était régulièrement interrompue pendant plusieurs mois. Cela suggère fortement que le complexe de la minoterie n'était pas utilisé pour fournir régulièrement de la farine à un grand centre de population, comme on le pensait auparavant, mais servait probablement à produire du biscuit de mer non périssable pour les ports à proximité."
Reconstitution du complexe de Barbegal, illustration in Sürmelihindi G et al (2018), art cit.
Et pourtant, selon nos critères modernes, cette usine antique avait une puissance très modeste.
Le débit de l'aqueduc a été estimé entre 240 et 1000 litres par seconde. Le dénivelé exploité par les moulins est de 18 mètres. La puissance maximale brute de l'aménagement devait être de l'ordre de 50 kW, la puissance nette encore moindre en raison de pertes de charge dans les goulottes d'amenée et les roues. Il a été proposé une puissance efficace de l'ordre de 32 kW et une capacité quotidienne de production de 4,5 tonnes de mouture (Sellin 1983).
A titre de comparaison, le barrage le plus puissant de France (Grand-Maison en Isère) aune puissance de 1 800 000 kW, soit 30 000 fois supérieure. On voit combien nos économies modernes dépendent d'un usage intensif de l'énergie par rapport au monde antique, ou féodal (voir le remarquable essai de Smil 2017).
Références :
Sürmelihindi G et al (2018), The second century CE Roman watermills of Barbegal: Unraveling the enigma of one of the oldest industrial complexes, Science Advances, DOI: 10.1126/sciadv.aar3620
Greene K (2000), Technological Innovation and Economic Progress in the Ancient World: M.I. Finley Re-Considered, The Economic History Review, New Series, 53, 1, 29-59.
Sellin RHJ (1983), The large Roman water mill at Barbegal (France), History of Technology, 8, 91-109
Smil V (2017), Energy and civilization. A history, MIT Press, 552 p.
14/12/2018
A chacun sa rivière : diversité des perceptions sociales de l'Ain (Boyer et al 2018)
Un groupe de cinq chercheurs du CNRS et de l'université de Besançon s'est penché sur la diversité des perceptions de la rivière Ain, en particulier de sa qualité environnementale. L'Ain présente une grande diversité de faciès de l'amont vers l'aval, avec des zones très aménagées et d'autres présentant des habitats plus libres, moins marqués par l'homme. Il s'avère que les groupes sociaux (gestionnaires, pêcheurs, riverains) divergent dans le détail de leurs appréciations et attentes. Mais plus encore : les individus au sein des groupes divergent (ou parfois convergent) aussi et loin de se penser comme dépositaire d'un continuum fluvial, c'est la position géographique sur la rivière qui détermine des attentes très locales. La rivière est d'abord un "territoire hydrosocial" : il sera difficile de la gérer comme une rivière abstraite devant seulement répondre de normes technocratiques et écologiques.
La rivière Ain prend sa source dans les montagnes du Jura français. Son bassin versant est de 3762 km2. L'Ain coule sur 200 km et rejoint le Rhône en amont de Lyon. Le régime des débits de pointe est sous l'influence de cinq barrages hydroélectriques gérés par EDF. Le seul barrage de Vouglans (construit en 1968, photo ci-dessus) contrôle 30% du bassin versant avec une capacité de stockage de 605 millions de m3 dans sa retenue (plus haut barrage et troisième plus grand réservoir de France).
Outre cette influence anthropique sur son écoulement, l'Ain présente un corridor à riche biodiversité : en amont ravins forestiers, sols calcaires et tourbières ; en aval, bancs de galets, des forêts alluviales et annexes hydrauliques variées. La confluence de l’Ain et de la Rhône est l’un des derniers deltas intérieurs encore intacts en Europe (zones protégées Natura 2000 et diverses protections nationales).
Anne-Lise Boyer et ses quatre collègues (CNRS, université de Franche-Comté - Besançon) ont analysé la dimension sociale de cette rivière, notamment la perception de sa qualité environnementale.
La rivière Ain est soumise à différents modes de gouvernance, sans intégration sur l’ensemble du corridor fluvial. Il y a dissociation des gestionnaires entre amont et aval, EDF se superposant en tant que partie prenante à forte influence (contrôle du niveau d'eau depuis le réservoir). Les principaux conflits surviennent durant la période estivale : les installations touristiques du lac de Vouglans (gérées par le département) attendent un niveau minimum d’eau pour des fins récréatives, ce qui induit des débits plus faibles en aval alors que le stress hydrique est important. Sur l'Ain, la production d'hydroélectricité et le tourisme sont les utilisations prioritaires de l'eau. "L’apparition de conflits liés à l’utilisation des cours d’eau montre que certaines parties prenantes tentent de remettre en question les relations de pouvoir qui façonnent la gestion actuelle du fleuve", soulignent les chercheurs.
Les chercheurs ont sondé trois catégories de parties prenantes : dix gestionnaires de fleuve (gestionnaires de barrage, gestionnaires d'aires protégées, responsables locaux du plan de gestion et d'aménagement de l'eau, responsables de la politique de l'eau au département, représentants de l'Onema) ; huit pêcheurs, en particulier des membres d’associations de pêcheurs, acteurs de mobilisation autour du bassin ; douze habitants vivant dans des municipalités riveraines. Vingt-deux personnes interrogées étaient des hommes et huit des femmes, dont 80% entre 30 et 65 ans. La collecte d'information s'est faite par entretiens semi-structurés sur les perceptions de la qualité du paysage fluvial.
Le graphique ci-dessous montre par exemple la variété des réponses dans les 3 communautés quand on demande les critères de qualité de l'Ain. On voit que les pêcheurs sont avant tout sensibles aux algues, aux poissons et aux autres espèces. Les riverains sont davantage sensibles à la couleur de l'eau, aux déchets. Les niveaux d'eau intéressent également les 3 communautés, mais pas forcément pour les mêmes raisons (volonté d'avoir de l'eau dans le lac versus volonté d'en laisser à l'aval pour les milieux).
Commentaire des chercheurs : "Les résultats montrent que les utilisateurs s'appuient principalement sur des critères visuels pour évaluer la qualité de la rivière. Leur évaluation mobilise fortement les sens et est façonnée par un attachement émotionnel à la rivière lié aux utilisations quotidiennes. Certains des indicateurs mentionnés par nos répondants ont été partagés entre les groupes de parties prenantes (par exemple, les communautés de poissons et la présence d'autres espèces sauvages), tandis que d'autres étaient vraiment spécifiques à un groupe (par exemple, la saleté sur les rives des rivières parmi les résidents locaux) ou interprétés de différentes manières (par exemple, problème de niveau d'eau)."
Anne-Lise Boyer et ses collègues relativisent cependant la division en trois catégories, qui ne se révèlent pas homogènes : "Nos résultats soulignent que les perceptions sont variées, en fonction des types d'intervenants que nous avons interrogés mais également au sein des différents groupes. Par conséquent, il semble difficile de classer les parties prenantes par catégorie. En effet, les parties prenantes que nous avons rencontrées n'appartenaient pas à un seul groupe (les gestionnaires de rivières, les pêcheurs à la ligne, les résidents), mais elles entretenaient des liens avec deux ou les trois groupes en même temps. La prise en compte des dimensions sociales dans l’évaluation de la qualité des paysages fluviaux la rend plus complexe"
Autre constat : "les perceptions du problème de la qualité du paysage aquatique varient spatialement le long du continuum amont / aval. Lorsqu'on perçoit l'Ain, l'emplacement est important parce que nos répondants ont considéré des zones très spécifiques auxquelles ils sont attachés. L’importance de l’échelle locale et de l’attachement aux sites locaux montre à quel point le fleuve est construit de façon naturelle, politique et sociale, ce qui peut être considéré comme un agencement de «territoires hydrosociaux»."
Conclusion des chercheurs : "notre étude confirme que si la rivière est considérée comme un corridor par les gestionnaires de l'eau et les scientifiques, elle devient un environnement diversifié et pluriel si les perceptions des résidents et des utilisateurs sont prises en compte."
Discussion
Les sciences de l'homme et la société sont souvent les grandes absentes de la politique publique de l'eau en France. Le tournant écologique marqué par l'évolution des lois françaises (1984, 1992, 2006) et directives européennes (2000) a été orienté sur la gestion de l'eau comme milieu naturel à travers des batteries d'indicateurs physiques, chimiques, biologiques (voir Morandi 2016 par exemple). Mais en fait, les "masses d'eau" de ce dialecte technocratique - rivières, étangs, lacs, canaux, estuaires - ne sont presque jamais vécues par les humains comme des milieux seulement naturels. Ce sont des usages, des expériences, des paysages, des plaisirs, des dangers aussi, registres qui n'auront pas comme critère de première appréciation l'état écologique au sens de l'expert. Au demeurant, en reconnaissant à partir des années 2000 la notion de services rendus par les écosystèmes, le gestionnaire s'est avisé que l'écologique doit s'intriquer dans l'économique et le social (comme le voulait la première définition du développement durable), et non pas se poser comme instance séparée des humains.
Le travail d'Anne-Lise Boyer et ses collègues a le mérite de montrer l'importance de ce regard de la société sur la rivière, mais aussi et surtout de souligner sa pluralité : pluralité des groupes d'acteurs, pluralité des individus, pluralité des échelles spatiales, pluralité des perceptions et des attentes.
Cette recherche met en relief une difficulté de la gestion publique de l'eau en France. Après avoir connu dans les années 1960 une démarche plutôt novatrice visant à la décentraliser et à la rattacher à la logique (hydrographique et sociologique) de chaque bassin versant (création des agences de l'eau en 1964), elle s'est progressivement re-centralisée, avec un poids très dominant des normes nationales et européennes laissant peu de jeu aux acteurs dans les choix programmatiques et financiers. Du même coup, la diversité des "territoires hydrosociaux" est gommée, voire niée, dans la nécessité d'appliquer les mêmes priorités et les mêmes solutions partout (déjà de penser l'action publique comme un couple problème-solution avec une exigence d'efficacité en vue de parvenir à une référence qui n'est pas pensée ni débattue). Mais si elles donnent (imposent) un langage commun à tous les acteurs, cette verticalité et cette homogénéité trouvent leur limite : une rivière est aussi ce que les riverains en attendent et en font. L'oubli technocratique des dimensions locales et humaines se heurte au refus de la dépossession par divers acteurs.
Référence : Boyer AL et al (2018), The social dimensions of a river’s environmental quality assessment, Ambio, DOI:10.1007/s13280-018-1089-9
La rivière Ain prend sa source dans les montagnes du Jura français. Son bassin versant est de 3762 km2. L'Ain coule sur 200 km et rejoint le Rhône en amont de Lyon. Le régime des débits de pointe est sous l'influence de cinq barrages hydroélectriques gérés par EDF. Le seul barrage de Vouglans (construit en 1968, photo ci-dessus) contrôle 30% du bassin versant avec une capacité de stockage de 605 millions de m3 dans sa retenue (plus haut barrage et troisième plus grand réservoir de France).
Outre cette influence anthropique sur son écoulement, l'Ain présente un corridor à riche biodiversité : en amont ravins forestiers, sols calcaires et tourbières ; en aval, bancs de galets, des forêts alluviales et annexes hydrauliques variées. La confluence de l’Ain et de la Rhône est l’un des derniers deltas intérieurs encore intacts en Europe (zones protégées Natura 2000 et diverses protections nationales).
Anne-Lise Boyer et ses quatre collègues (CNRS, université de Franche-Comté - Besançon) ont analysé la dimension sociale de cette rivière, notamment la perception de sa qualité environnementale.
La rivière Ain est soumise à différents modes de gouvernance, sans intégration sur l’ensemble du corridor fluvial. Il y a dissociation des gestionnaires entre amont et aval, EDF se superposant en tant que partie prenante à forte influence (contrôle du niveau d'eau depuis le réservoir). Les principaux conflits surviennent durant la période estivale : les installations touristiques du lac de Vouglans (gérées par le département) attendent un niveau minimum d’eau pour des fins récréatives, ce qui induit des débits plus faibles en aval alors que le stress hydrique est important. Sur l'Ain, la production d'hydroélectricité et le tourisme sont les utilisations prioritaires de l'eau. "L’apparition de conflits liés à l’utilisation des cours d’eau montre que certaines parties prenantes tentent de remettre en question les relations de pouvoir qui façonnent la gestion actuelle du fleuve", soulignent les chercheurs.
Les chercheurs ont sondé trois catégories de parties prenantes : dix gestionnaires de fleuve (gestionnaires de barrage, gestionnaires d'aires protégées, responsables locaux du plan de gestion et d'aménagement de l'eau, responsables de la politique de l'eau au département, représentants de l'Onema) ; huit pêcheurs, en particulier des membres d’associations de pêcheurs, acteurs de mobilisation autour du bassin ; douze habitants vivant dans des municipalités riveraines. Vingt-deux personnes interrogées étaient des hommes et huit des femmes, dont 80% entre 30 et 65 ans. La collecte d'information s'est faite par entretiens semi-structurés sur les perceptions de la qualité du paysage fluvial.
Le graphique ci-dessous montre par exemple la variété des réponses dans les 3 communautés quand on demande les critères de qualité de l'Ain. On voit que les pêcheurs sont avant tout sensibles aux algues, aux poissons et aux autres espèces. Les riverains sont davantage sensibles à la couleur de l'eau, aux déchets. Les niveaux d'eau intéressent également les 3 communautés, mais pas forcément pour les mêmes raisons (volonté d'avoir de l'eau dans le lac versus volonté d'en laisser à l'aval pour les milieux).
Extrait de Boyer et al 2018, art. cit.
Anne-Lise Boyer et ses collègues relativisent cependant la division en trois catégories, qui ne se révèlent pas homogènes : "Nos résultats soulignent que les perceptions sont variées, en fonction des types d'intervenants que nous avons interrogés mais également au sein des différents groupes. Par conséquent, il semble difficile de classer les parties prenantes par catégorie. En effet, les parties prenantes que nous avons rencontrées n'appartenaient pas à un seul groupe (les gestionnaires de rivières, les pêcheurs à la ligne, les résidents), mais elles entretenaient des liens avec deux ou les trois groupes en même temps. La prise en compte des dimensions sociales dans l’évaluation de la qualité des paysages fluviaux la rend plus complexe"
Autre constat : "les perceptions du problème de la qualité du paysage aquatique varient spatialement le long du continuum amont / aval. Lorsqu'on perçoit l'Ain, l'emplacement est important parce que nos répondants ont considéré des zones très spécifiques auxquelles ils sont attachés. L’importance de l’échelle locale et de l’attachement aux sites locaux montre à quel point le fleuve est construit de façon naturelle, politique et sociale, ce qui peut être considéré comme un agencement de «territoires hydrosociaux»."
Conclusion des chercheurs : "notre étude confirme que si la rivière est considérée comme un corridor par les gestionnaires de l'eau et les scientifiques, elle devient un environnement diversifié et pluriel si les perceptions des résidents et des utilisateurs sont prises en compte."
Discussion
Les sciences de l'homme et la société sont souvent les grandes absentes de la politique publique de l'eau en France. Le tournant écologique marqué par l'évolution des lois françaises (1984, 1992, 2006) et directives européennes (2000) a été orienté sur la gestion de l'eau comme milieu naturel à travers des batteries d'indicateurs physiques, chimiques, biologiques (voir Morandi 2016 par exemple). Mais en fait, les "masses d'eau" de ce dialecte technocratique - rivières, étangs, lacs, canaux, estuaires - ne sont presque jamais vécues par les humains comme des milieux seulement naturels. Ce sont des usages, des expériences, des paysages, des plaisirs, des dangers aussi, registres qui n'auront pas comme critère de première appréciation l'état écologique au sens de l'expert. Au demeurant, en reconnaissant à partir des années 2000 la notion de services rendus par les écosystèmes, le gestionnaire s'est avisé que l'écologique doit s'intriquer dans l'économique et le social (comme le voulait la première définition du développement durable), et non pas se poser comme instance séparée des humains.
Le travail d'Anne-Lise Boyer et ses collègues a le mérite de montrer l'importance de ce regard de la société sur la rivière, mais aussi et surtout de souligner sa pluralité : pluralité des groupes d'acteurs, pluralité des individus, pluralité des échelles spatiales, pluralité des perceptions et des attentes.
Cette recherche met en relief une difficulté de la gestion publique de l'eau en France. Après avoir connu dans les années 1960 une démarche plutôt novatrice visant à la décentraliser et à la rattacher à la logique (hydrographique et sociologique) de chaque bassin versant (création des agences de l'eau en 1964), elle s'est progressivement re-centralisée, avec un poids très dominant des normes nationales et européennes laissant peu de jeu aux acteurs dans les choix programmatiques et financiers. Du même coup, la diversité des "territoires hydrosociaux" est gommée, voire niée, dans la nécessité d'appliquer les mêmes priorités et les mêmes solutions partout (déjà de penser l'action publique comme un couple problème-solution avec une exigence d'efficacité en vue de parvenir à une référence qui n'est pas pensée ni débattue). Mais si elles donnent (imposent) un langage commun à tous les acteurs, cette verticalité et cette homogénéité trouvent leur limite : une rivière est aussi ce que les riverains en attendent et en font. L'oubli technocratique des dimensions locales et humaines se heurte au refus de la dépossession par divers acteurs.
Référence : Boyer AL et al (2018), The social dimensions of a river’s environmental quality assessment, Ambio, DOI:10.1007/s13280-018-1089-9
11/12/2018
Aux Eyzies, les dérives des bureaucraties empêchent les moulins de tourner
Un projet de relance de moulins dans la vallée de l’Homme, en Dordogne, vient d'être abandonné par les acteurs locaux, pourtant impliqués dans la transition énergétique. L'Etat voulait y imposer des mesures hors sol de continuité écologique, tuant toute faisabilité. Sans parler du mécanisme pervers des subventions publiques qui complexifient sans cesse les cahiers des charges, ôtent tout réalisme aux projets hydro-électriques locaux et mènent à une inertie complète, faute de visibilité ou de rentabilité. Voilà comment on fabrique des gilets jaunes, par le matraquage réglementaire permanent d'une administration prisonnière de visées idéologiques ou technocratiques, oubliant qu'elle existe pour rendre service aux populations, et non pas les punir ou les harceler. Il faut sortir de cet étouffoir bureaucratique des territoires. Vite.
C'est le journal Sud-Ouest qui révèle l'affaire dans son édition locale. La communauté de communes de la vallée de l’Homme (CCVH) avait signé une convention dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Ségolène Royal en 2017. La CCVH devait alors toucher 504 000 euros pour remettre en fonction deux moulins du Bugue et des Eyzies pour la production d’énergie hydroélectrique.
La CCVH est reconnue "territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV)" et très impliquée dans la prévention du réchauffement climatique.
Nous avions mis en garde dès 2016, à propos de cet appel d'offres de l'Etat sur l'hydro-électricité. L'intention de Ségolène Royal était bonne, mais l'administration centrale tend à perdre toute mesure et tout bon sens dans ses attentes. Nous écrivions à l'époque: "Il reste cependant beaucoup de progrès à faire : l'administration française est traditionnellement plus à l'aise avec la grande industrie qu'avec les petits producteurs, elle a du mal à dimensionner ses exigences et ses réglementations à la réalité des chutes les plus modestes."
Les faits nous ont ici donné raison.
Pourquoi le projet de la CCVH a-t-il capoté ?
Le journal observe : "Très ancien, le moulin sur la Beune, aux Eyzies, est devenu producteur d’énergie dès le début du XXe siècle avec 17,8 kW/h pour un débit de 360 litres par seconde. Le nouveau projet prévoyait l’installation de deux turbines de 14 kW/h, celles-ci ayant une meilleure efficacité. D’un coût de 220 000 euros, il bénéficiait d’une subvention de 100 000 euros. La préfecture avait accepté ce dossier, mais la Direction départementale des territoires, qui assure la police de l’eau, a imposé des conditions, comme la création d’une passe à poissons (bien que cette retenue soit submergée régulièrement par les crues de la Vézère), d’un coût de 150 000 euros, et la limitation du prélèvement d’eau, réduisant la production électrique."
De plus, comme le projet avait une aide pour la partie électrique, les nouvelles réglementations font qu'il n’est plus éligible à celle associée à la continuité écologique (60 % au départ). Au final, le projet est abandonné.
Ce cas résume les effets pervers du système actuel trop jacobin, trop complexe, trop hors-sol.
Rien n'y fait, rien ne change.
L'administration centrale continue d'ergoter des changements de détail pour une réforme rejetée sur de nombreux sites pour ses nuisances.
Faut-il désormais enfiler un gilet jaune et occuper les préfectures pour que de telles dérives cessent?
Si cette technocratie jacobine ne se réforme pas de toute urgence et n'arrive pas à entendre les objections des citoyens, de leurs associations et de leurs élus, le pays court vers une aggravation majeure des fractures territoriales sur fond de perte de légitimité de l'Etat. Tous ceux qui, depuis l'administration centrale et ses représentations en régions, poussent les gens à bout de leur patience en porteront la responsabilité.
C'est le journal Sud-Ouest qui révèle l'affaire dans son édition locale. La communauté de communes de la vallée de l’Homme (CCVH) avait signé une convention dans le cadre de l'appel d'offres lancé par Ségolène Royal en 2017. La CCVH devait alors toucher 504 000 euros pour remettre en fonction deux moulins du Bugue et des Eyzies pour la production d’énergie hydroélectrique.
La CCVH est reconnue "territoire à énergie positive pour la croissance verte (TEPCV)" et très impliquée dans la prévention du réchauffement climatique.
Nous avions mis en garde dès 2016, à propos de cet appel d'offres de l'Etat sur l'hydro-électricité. L'intention de Ségolène Royal était bonne, mais l'administration centrale tend à perdre toute mesure et tout bon sens dans ses attentes. Nous écrivions à l'époque: "Il reste cependant beaucoup de progrès à faire : l'administration française est traditionnellement plus à l'aise avec la grande industrie qu'avec les petits producteurs, elle a du mal à dimensionner ses exigences et ses réglementations à la réalité des chutes les plus modestes."
Les faits nous ont ici donné raison.
Le journal observe : "Très ancien, le moulin sur la Beune, aux Eyzies, est devenu producteur d’énergie dès le début du XXe siècle avec 17,8 kW/h pour un débit de 360 litres par seconde. Le nouveau projet prévoyait l’installation de deux turbines de 14 kW/h, celles-ci ayant une meilleure efficacité. D’un coût de 220 000 euros, il bénéficiait d’une subvention de 100 000 euros. La préfecture avait accepté ce dossier, mais la Direction départementale des territoires, qui assure la police de l’eau, a imposé des conditions, comme la création d’une passe à poissons (bien que cette retenue soit submergée régulièrement par les crues de la Vézère), d’un coût de 150 000 euros, et la limitation du prélèvement d’eau, réduisant la production électrique."
De plus, comme le projet avait une aide pour la partie électrique, les nouvelles réglementations font qu'il n’est plus éligible à celle associée à la continuité écologique (60 % au départ). Au final, le projet est abandonné.
Ce cas résume les effets pervers du système actuel trop jacobin, trop complexe, trop hors-sol.
- Le ministère lance des appels à projets "petite hydro-électricité" en pensant qu'un site artisanal de petite puissance peut répondre aux mêmes cahiers de charges qu'un grand barrage d'industriels à forte capacité capitalistique. C'est évidemment décalé et, sauf cas très favorable de sites demandant peu de travaux, impossible. L'Etat français raisonne depuis Paris par et pour les "gros", il charge sans cesse la barque des exigences, il rend du même coup la vie impossible aux "petits".
- Les subventions des agences de l'eau (dont les programmations sont largement le fait des services des préfectures de bassin préparant tous les textes) sont prioritairement orientées vers la casse du patrimoine hydraulique, l'argent public des Français nourrit un idéal intégriste de la "rivière sans humain" qui n'est nullement partagée dans le corps social et ne représente en rien une forme d'intérêt général, juste une vision particulière avancée par certains lobbies. Sans grande surprise, l'argent public que l'on préfère dépenser pour les besoins des poissons manque ensuite pour les projets des humains.
- Les mesures dites de continuité écologique représentent une ruine pour les particuliers et pour les petits producteurs : sans subvention publique à 80 ou 100%, elles sont inapplicables. Le revenu moyen d'un petit site hydro-électrique (par les tarifs de rachat aux ENR bas carbone), c'est environ 800 € du kW de puissance nette installée. Cela veut dire qu'un moulin d'une puissance de 20 kW (cas assez commun) ne pourra espérer qu'un revenu de l'ordre de 16 k€ par an. Revenu annuel sur 20 ans de contrat de rachat, mais sur lequel il faut bien sûr payer les impôts, les taxes, rembourser le matériel (turbine, génératrice) ainsi que le coût de chantier (génie civil raccordement). Les marges sont donc en général faibles, les 10 voire 15 premières années servent à payer le projet. Or, les demandes de l'administration sont de l'orde de 10 ans de chiffres d'affaires : aucun secteur ne peut évidement affronter de telles règles, c'est un non-sens économique complet. En proportion, c'est comme si l'on demandait à la division EDF Hydro de dépenser 50 milliards € pour la continuité écologique!
- Au final, rien ne se passe. Au lieu de chercher des projets simples, en financement privé ou en partenariat privé-public, avec des demandes écologiques proportionnées à l'impact et au chiffre d'affaires (donc modestes dans le cas des moulins), on monte des usines à gaz qui se perdent en réunions et en rapports sans fin, pour s'achever dans l'inaction, avec de l'argent et du temps dépensés à pure perte.
Rien n'y fait, rien ne change.
L'administration centrale continue d'ergoter des changements de détail pour une réforme rejetée sur de nombreux sites pour ses nuisances.
Faut-il désormais enfiler un gilet jaune et occuper les préfectures pour que de telles dérives cessent?
Si cette technocratie jacobine ne se réforme pas de toute urgence et n'arrive pas à entendre les objections des citoyens, de leurs associations et de leurs élus, le pays court vers une aggravation majeure des fractures territoriales sur fond de perte de légitimité de l'Etat. Tous ceux qui, depuis l'administration centrale et ses représentations en régions, poussent les gens à bout de leur patience en porteront la responsabilité.
06/12/2018
Le silure, le saumon et la passe à poissons (Boulêtreau et al 2018)
Ce pourrait être le titre d'une fable moderne de La Fontaine. Une équipe de chercheurs et ingénieurs français montre que les silures organisent leur chasse au niveau d'une passe à poissons de la Garonne et consomment jusqu'à 35% des saumons se présentant dans le dispositif. Le silure est un poisson-chat géant originaire du Danube, introduit voici cinquante ans dans la plupart de nos eaux. Il représente donc une nouvelle menace pour les grands migrateurs déjà affectés par d'autres pressions (obstacles, pollutions, surpêche, pathogènes, pertes de frayères, réchauffement, changement de cycles océaniques). Cela pose question sur les choix publics, car cette énumération des menaces anciennes ou nouvelles signifie aussi une addition des coûts sociaux et économiques si l'on souhaitait revenir à des conditions antérieures sur toutes les rivières du pays. Combien doit-on et veut-on investir (ou perdre)? Pour quels résultats? Avec quel consentement des citoyens et quels enjeux pour eux? Car ces passes à poissons coûtent cher, surtout si elles devaient devenir de simples garde-manger pour espèces opportunistes...
Les principales causes historiques du déclin mondial des salmonidés sont la fragmentation des cours d'eau, la modification de l'habitat, l'acidification, la pollution et la surexploitation. Désormais,les changements climatiques et les espèces de poissons introduites sont aussi considérés comme des menaces potentielles, quoique moins bien connues.
Stéphanie Boulêtreau et ses 5 collègues (CNRS, université Toulouse, LNHE, EDF—R&D, Migado) ont analysé les comportements des silures vis-à-vis des saumons atlantique dans la Garonne.
Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".
Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).
Dans ce travail, les chercheurs ont étudié le comportement de prédation des silures au niveau d'une passe à poissons. La Garonne s'étend sur 580 km de sa source dans les Pyrénées à l’océan Atlantique. Le complexe hydroélectrique Golfech-Malause a été construit en 1971 à environ 270 km de l'embouchure de la rivière, en aval de la confluence avec le Tarn. C'est le premier obstacle à la montaisons des anadromes. La centrale a été équipée en 1987 d’un ascenseur à poisson sur la rive droite du canal de fuite.
Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.
"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."
Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.
Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).
Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!
Autre enseignement de l'étude : les espèces exotiques et invasives sont en train de changer peu à peu toutes les conditions du vivant. Jadis, seuls les océans et les airs étaient libres de barrières physiques. Désormais, depuis plusieurs millénaires mais avec une forte accélération depuis un siècle, des espèces sont introduites par l'homme dans tous les milieux terrestres. A court terme, nous observons surtout des proliférations ici ou là. Mais à long terme, ce sont toutes les cartes de l'évolution qui sont rebattues.
Comme souvent, l'étude pose question sur les choix publics. Pour certains, elle démontrera qu'il convient de démanteler tous les ouvrages des fleuves et rivières, conditions pour un retour garanti des grands migrateurs vers les têtes de bassin, puis une survie optimale de la progéniture retournant vers la mer. Pour d'autres, elles suggérera au contraire que la volonté de revenir à des conditions naturelles antérieures représente un coût et une contrainte considérables sur les usages humains de la rivière, donc que la politique de conservation des poissons migrateurs devrait se dédier à certains axes peu ou pas équipés, mais ne plus prétendre "renaturer" des systèmes ayant déjà changé et présentant désormais d'autres dynamiques.
Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.
Image : localisation de l'étude Boulêtreau et 2018 ci-dessus, organisation de la passe à poisson de Golfech sur la Garonne, droit de courte citation
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Quand les saumons franchissent un seuil de moulin... en évitant les passes à poissons! (Newton et al 2017)
Les principales causes historiques du déclin mondial des salmonidés sont la fragmentation des cours d'eau, la modification de l'habitat, l'acidification, la pollution et la surexploitation. Désormais,les changements climatiques et les espèces de poissons introduites sont aussi considérés comme des menaces potentielles, quoique moins bien connues.
Stéphanie Boulêtreau et ses 5 collègues (CNRS, université Toulouse, LNHE, EDF—R&D, Migado) ont analysé les comportements des silures vis-à-vis des saumons atlantique dans la Garonne.
Comme le remarquent ces auteurs, "les introductions de poissons prédateurs de grande taille qui se nourrissent au sommet des réseaux trophiques sont réputées pour avoir un impact sur les populations de poissons indigènes et modifier les assemblages de proies ainsi que la structure du réseau trophique. Un exemple bien connu est donné par l'introduction de la perche du Nil dans des lacs africains qui ont eu un impact négatif sur les populations de cichlidés et le réseau trophique par le biais d'effets descendants".
Largement introduit dans les années 1970, le silure (Silurus glanis) est un grand poisson-chat européen répandu dans les eaux douces d’Europe occidentale et méridionale. Il a établi des populations autonomes dans la plupart des grandes rivières. Les plus grands individus peuvent mesurer plus de 2,7 m de longueur et peser 130 kg. Le silure est un prédateur potentiel pour de nombreux poissons indigènes, y compris les migrateurs diadromes (vivant alternativement en eaux douces et salées dans leur cycle de vie, avec des migrations de plus ou moins longue distance entre ces milieux).
Dans ce travail, les chercheurs ont étudié le comportement de prédation des silures au niveau d'une passe à poissons. La Garonne s'étend sur 580 km de sa source dans les Pyrénées à l’océan Atlantique. Le complexe hydroélectrique Golfech-Malause a été construit en 1971 à environ 270 km de l'embouchure de la rivière, en aval de la confluence avec le Tarn. C'est le premier obstacle à la montaisons des anadromes. La centrale a été équipée en 1987 d’un ascenseur à poisson sur la rive droite du canal de fuite.
Un comptage vidéo installé en 1993 a permis d'observer le risque de prédation, et une analyse télémétrie RFID avec caméra acoustique de poisons taggés a été organisée pour analyser les stratégies du silure.
"Nos résultats démontrent un taux de prédation élevé (35% - 14/39 indindividus) sur le saumon à l'intérieur de la passe à poisson lors de la migration de la période de frai de 2016. Nos résultats suggèrent que quelques silures spécialisés ont adapté leur comportement de chasse à de telles proies, y compris leur présence synchronisée avec celle du saumon (c'est-à-dire davantage d'occurrences d'ici la fin de la journée). De tels résultats suggèrent que la propagation du silure pourrait avoir un impact sur la migration des espèces anadromes par le biais de systèmes anthropisés."
Le fait que le saumon a une activité à dominante diurne et le silure à dominante nocturne ne prévient donc pas cette forte prédation.
Discussion
Le cas de la Garonne n'est pas isolé pour ces constats de prédation des migrateurs par des silures. Une forte expansion du silure en bassin de Loire est aussi signalée depuis quelque temps, avec des consommations d'aloses, saumons, lamproies, mulets, flets variant notamment selon la taille des individus (voir par exemple cette note de Boisneau et Belhamiti 2015).
Cette étude de Stéphanie Boulêtreau et ses collègues rappelle que les poissons ont des capacités adaptatives et des stratégies alimentaires assez élaborées. Le barrage et la passe à poisson sont un système artificiel, pour lequel les poissons n'ont évidement pas reçu de pression sélective menant à un répertoire dédié de comportement : cela n'empêche pas les individus adultes des silures de repérer l'opportunité qu'il y a à se placer à des endroits stratégiques de la passe, pour surveiller les montaisons et dévalaisons. Habituellement méprisé en raison de son absence d'expression faciale familière pour l'homme, le poisson se révèle un animal doté d'une certaine vie intérieure!
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Comme souvent, l'étude pose question sur les choix publics. Pour certains, elle démontrera qu'il convient de démanteler tous les ouvrages des fleuves et rivières, conditions pour un retour garanti des grands migrateurs vers les têtes de bassin, puis une survie optimale de la progéniture retournant vers la mer. Pour d'autres, elles suggérera au contraire que la volonté de revenir à des conditions naturelles antérieures représente un coût et une contrainte considérables sur les usages humains de la rivière, donc que la politique de conservation des poissons migrateurs devrait se dédier à certains axes peu ou pas équipés, mais ne plus prétendre "renaturer" des systèmes ayant déjà changé et présentant désormais d'autres dynamiques.
Référence : Boulêtreau S et al (2018), Adult Atlantic salmon have a new freshwater predator, PLoS One, 13(4): e0196046.
Image : localisation de l'étude Boulêtreau et 2018 ci-dessus, organisation de la passe à poisson de Golfech sur la Garonne, droit de courte citation
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02/12/2018
A Genay (21), chantage à la destruction du plan d'eau et du moulin pour payer l'assainissement
Pour accorder des subventions sur une opération d'assainissement non collectif dans la commune de Genay, l'agence de l'eau Seine-Normandie exige la destruction d'un seuil de moulin et du plan d'eau du village. C'est le chantage d'une bureaucratie intégriste ayant promu la casse des ouvrages sur tout le bassin de Seine et de Normandie – une bureaucratie d'ores et déjà responsable d'une altération sans précédent du patrimoine hydraulique de notre pays. Au lieu de défendre l'intérêt des citoyens, le syndicat SMBVA appuie cette politique absurde et décriée. Mais cette écologie punitive peut-elle persister dans un tel aveuglement dogmatique alors que les Français se montrent excédés du mauvais comportement de l'Etat et du mauvais usage des impôts? Les technocrates de l'eau ont-ils compris que de telles méthodes et de tels gâchis d'argent public sont de moins en moins tolérés, surtout dans une ruralité où l'argent manque partout? Les citoyens doivent demander aux gestionnaires publics de traiter d'abord toutes les pollutions et de satisfaire les réelles exigences de qualité de l'eau posées par les directives européennes, au lieu de ces nuisances sans rapport à l'intérêt général. Autre choix prioritaire : développer l'hydro-électricité dans chaque village ayant la chance de pouvoir le faire grâce à la présence d'ouvrages.
Notre association a reçu copie d'un courrier de l'Agence de l'eau au syndicat mixte de l'Armançon (SMBVA, ex SIRTAVA). En voici un extrait (cliquer pour agrandir) :
Dans ce courrier du 18 septembre 2018, le directeur territorial Seine Amont de l'Agence de l'eau Seine-Normandie prétend au président du SMBVA que "l'élément déclencheur" d'une aide financière de l'agence de l'eau pour améliorer l'assainissement non collectif serait la destruction de l'ouvrage hydraulique et du plan d'eau de la commune.
En d'autres termes : pas de casse de moulin et pas de suppression du plan d'eau, alors pas d'aide à la lutte contre la pollution.
Le chantage bureaucratique usuel sur les rivières, le bassin Seine-Normandie étant le plus intégriste en matière de destruction du patrimoine hydraulique (75% des sites détruits selon le rapport CGEDD 2016)
Ce courrier, que nous considérons comme un abus de pouvoir de l'agence de l'eau Seine-Normandie, sera versé si besoin dans un éventuel dossier contentieux contre la destruction du patrimoine de la commune de Genay.
Il y a des alternatives
Rappelons les faits, dans ce village de l'Auxois où coule l'Armançon.
Le propriétaire du moulin aval de la commune (moulin dit de la scierie ou moulin des Noues), agriculteur ayant acquis en 2000 le bien dans le cadre d'une préemption SAFER, a subi des pressions régulières du syndicat SMBVA et la DDT 21 l'ayant mené à abandonner son droit d'eau, de peur d'avoir à payer des amendes au titre de la continuité écologique. Le droit d'eau abandonné, le propriétaire se trouve dans l'obligation de remettre la rivière en l'état. Il faut noter que rien n'est clairement spécifié dans la loi sur ce que doit devenir un site après abandon de droit d'eau : tout serait donc encore possible, à condition de s'entendre sur l'interprétation d'une "remise en état".
Ainsi, si nous avions une ambition collective répondant aux enjeux réels de l'avenir des rivières et du climat au lieu de satisfaire des exigences intégristes et absurdes de soi-disant "renaturation", la commune de Genay pourrait décider de gérer le site à la place du propriétaire défaillant, développer un projet de petite usine hydro-électrique pour décarboner l'électricité du village (puissance de 50 kW, équivalent consommation d'une cinquantaine de familles), conserver le plan d'eau, ajouter une passe à poissons ou une rivière de contournement.
Le SMBVA avait organisé une réunion publique à Genay, le 16 décembre 2016. Une étude complète devait être faite sur le seuil, notamment sur son intérêt écologique (analyse d'effet d'épuration, analyse de biodiversité dont les rives). Rien de clair ne nous a été présenté, le syndicat semble avoir acté le principe de destruction du site, essayant de vendre aux habitants de la commune une improbable mare en guise de nouveau plan d'eau. Nous avions lors de cette réunion demandé à la salle si les personnes présentes souhaitaient garder le plan d'eau communal : tous les bras s'étaient levés. Et nous avions demandé au personnel du syndicat de prendre acte de cette volonté villageoise.
Mais en matière d'ouvrages hydrauliques, le SMBVA n'agit plus dans l'intérêt des communes ni des citoyens : il exécute simplement les ordres reçus de l'Etat de l'agence de l'eau, quand il n'en rajoute pas dans l'intégrisme de la renaturation allant bien au-delà de ce que demande la loi. Hélas, aucun avantage écologique clair ne ressort de telles mesures : on fait varier localement des densités de poissons ou d'insectes aquatiques, des caractéristiques morphologiques du lit, mais c'est loin de représenter une cause prioritaire de protection de la biodiversité.
Cette écologie punitive et bureaucratique dépense l'argent public sans intérêt clair pour l'environnement et contre l'avis des habitants : peut-elle se poursuivre à l'heure où le pays est excédé de ce genre d'excès public? Les habitants de Genay voulant préserver leur cadre de vie devront-ils enfiler à leur tour un gilet jaune pour se faire entendre? Le gestionnaire public n'est-il pas capable de se remettre en question quand il voit l'opposition de la société qu'il est censé servir?
Nous le verrons en 2019.
Vidéo sur les pratiques du SMBVA
Le scandale de la casse de la chaussée de Perrigny-sur-Armançon
A lire en complément
Lettre ouverte aux élus de l'Armançon sur la destruction des ouvrages hydrauliques
Techniques ordinaires de manipulation en évaluation écologique des seuils de moulins
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Dans ce courrier du 18 septembre 2018, le directeur territorial Seine Amont de l'Agence de l'eau Seine-Normandie prétend au président du SMBVA que "l'élément déclencheur" d'une aide financière de l'agence de l'eau pour améliorer l'assainissement non collectif serait la destruction de l'ouvrage hydraulique et du plan d'eau de la commune.
En d'autres termes : pas de casse de moulin et pas de suppression du plan d'eau, alors pas d'aide à la lutte contre la pollution.
Le chantage bureaucratique usuel sur les rivières, le bassin Seine-Normandie étant le plus intégriste en matière de destruction du patrimoine hydraulique (75% des sites détruits selon le rapport CGEDD 2016)
Ce courrier, que nous considérons comme un abus de pouvoir de l'agence de l'eau Seine-Normandie, sera versé si besoin dans un éventuel dossier contentieux contre la destruction du patrimoine de la commune de Genay.
Il y a des alternatives
Rappelons les faits, dans ce village de l'Auxois où coule l'Armançon.
Le propriétaire du moulin aval de la commune (moulin dit de la scierie ou moulin des Noues), agriculteur ayant acquis en 2000 le bien dans le cadre d'une préemption SAFER, a subi des pressions régulières du syndicat SMBVA et la DDT 21 l'ayant mené à abandonner son droit d'eau, de peur d'avoir à payer des amendes au titre de la continuité écologique. Le droit d'eau abandonné, le propriétaire se trouve dans l'obligation de remettre la rivière en l'état. Il faut noter que rien n'est clairement spécifié dans la loi sur ce que doit devenir un site après abandon de droit d'eau : tout serait donc encore possible, à condition de s'entendre sur l'interprétation d'une "remise en état".
Ainsi, si nous avions une ambition collective répondant aux enjeux réels de l'avenir des rivières et du climat au lieu de satisfaire des exigences intégristes et absurdes de soi-disant "renaturation", la commune de Genay pourrait décider de gérer le site à la place du propriétaire défaillant, développer un projet de petite usine hydro-électrique pour décarboner l'électricité du village (puissance de 50 kW, équivalent consommation d'une cinquantaine de familles), conserver le plan d'eau, ajouter une passe à poissons ou une rivière de contournement.
Le SMBVA avait organisé une réunion publique à Genay, le 16 décembre 2016. Une étude complète devait être faite sur le seuil, notamment sur son intérêt écologique (analyse d'effet d'épuration, analyse de biodiversité dont les rives). Rien de clair ne nous a été présenté, le syndicat semble avoir acté le principe de destruction du site, essayant de vendre aux habitants de la commune une improbable mare en guise de nouveau plan d'eau. Nous avions lors de cette réunion demandé à la salle si les personnes présentes souhaitaient garder le plan d'eau communal : tous les bras s'étaient levés. Et nous avions demandé au personnel du syndicat de prendre acte de cette volonté villageoise.
Mais en matière d'ouvrages hydrauliques, le SMBVA n'agit plus dans l'intérêt des communes ni des citoyens : il exécute simplement les ordres reçus de l'Etat de l'agence de l'eau, quand il n'en rajoute pas dans l'intégrisme de la renaturation allant bien au-delà de ce que demande la loi. Hélas, aucun avantage écologique clair ne ressort de telles mesures : on fait varier localement des densités de poissons ou d'insectes aquatiques, des caractéristiques morphologiques du lit, mais c'est loin de représenter une cause prioritaire de protection de la biodiversité.
Cette écologie punitive et bureaucratique dépense l'argent public sans intérêt clair pour l'environnement et contre l'avis des habitants : peut-elle se poursuivre à l'heure où le pays est excédé de ce genre d'excès public? Les habitants de Genay voulant préserver leur cadre de vie devront-ils enfiler à leur tour un gilet jaune pour se faire entendre? Le gestionnaire public n'est-il pas capable de se remettre en question quand il voit l'opposition de la société qu'il est censé servir?
Nous le verrons en 2019.
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29/11/2018
Comment la bureaucratie jacobine tue l'écologie au bord des rivières
En arrière-plan de la crise des gilets jaunes, née d'une révolte contre une mesure perçue comme d'écologie punitive, les observateurs décèlent une crise plus profonde en France : pouvoir trop jacobin, trop vertical, trop centralisé, déclin des communs et extinction de la démocratie locale réduite à l'exécution docile de mesures technocratiques décidées ailleurs, profusion de normes hors-sol, sans aucun jeu d'exécution ni réalisme économique ni contrôle du consentement populaire réel, sentiment que les citoyens ne sont plus représentés et ne peuvent plus réellement diriger leur destin. En tant qu'association, faisant (très modestement!) partie de ces corps intermédiaires et acteurs sociaux que l'on n'écoute plus guère, nous avons précisément observé, vécu, documenté ce phénomène depuis 7 ans au bord des rivières, dans le cadre de la politique très contestée de destruction imposée des ouvrages hydrauliques (moulins, étangs, barrages, plans d'eau). Notre diagnostic était déjà celui d'une dérive grave de l'action publique, avec un mépris manifeste de l'avis des riverains et un fossé béant opposant les gestionnaires publics aux populations. Il faut en sortir : nous avons urgemment besoin d'une écologie démocratique, concertée, co-décidée et constructive.
Les riverains parlent, les syndicats et administrations les ignorent
Le phénomène se répète, de village en village, de rivière en rivière. Lors de réunions publiques, des représentants de syndicats de rivières, d'agence de l'eau, de l'Etat (DDT, AFB) présentent un projet. Les diapositives projetées sur l'écran démontrent que ce projet a déjà été largement avancé, en petits comités, avant la réunion.
Thème: une mesure de continuité écologique. Ici on cassera un moulin et on asséchera son bief, là on videra un étang.
La salle écoute en silence. Et puis des mots fusent. On se demande à quoi cela sert. On rappelle des anecdotes d'anciens. On dit que le site n'est pas si laid tel qu'il est. On se rappelle des souvenirs de pêche miraculeuse, il y a longtemps, avant les 30 glorieuses, avant que tout soit pollué ou bétonné.
A la tribune, les représentants administratifs opinent, écoutent, répondent parfois. Ils prennent des notes, ils adoptent un air concerné.
Cela ne change strictement rien.
Le cadre normatif du projet est figé, il a déjà été défini par la directive cadre européenne (DCE) sur l'eau de 2000 et par les circulaires du ministère de l'écologie interprétant à leur manière la loi sur l'eau de 2006. Les services déconcentrés de l'Etat n'ont pas de marge réelle de manoeuvre, ils obéissent à leur hiérarchie ministérielle et ils visent des objectifs. Avec une politique du chiffre. Le financement du projet est de toute façon très fléché, pas de négociation en vue : les agences de l'eau paieront à subvention publique maximale une certaine solution, mais décourageront les autres. En Seine-Normandie, et en Artois-Picardie, les trois quarts de ces réunions décident la destruction des sites. Plus de la moitié en Loire-Bretagne. Cela se passe un peu mieux en bassin de Rhône, où il y a moins de dogmes et de rigidités. Mais les problèmes ne sont pas absents sur ce bassin non plus.
Dans les cas les plus caricaturaux, les enquêtes publiques des projets voient s'exprimer massivement des oppositions quand des sites sont menacés de destruction et les commissaires enquêteurs donnent des avis négatifs, mais l'Etat, l'agence de l'eau et le syndicat de rivière les ignorent. C'est arrivé sur l'Orge comme c'est arrivé sur l'Armançon.
Mépris ultime de la voix des citoyens, aveu que tous les processus de concertation et de participation ne sont qu'une façade destinée à avaliser de gré ou de force une politique. Une politique essentiellement décidée, planifiée et encadrée par l'administration centrale de l'Etat.
Ces descriptions ne prétendent pas couvrir tous les aménagements de rivières en France, fort heureusement. Mais elles décrivent la plupart des expériences que nous avons vécues quand des riverains nous ont appelé à l'aide. La rubrique témoignages de ce site apporte des dizaines d'exemples, de même que l'observatoire de la continuité écologique.
Le résultat en est attendu, il ne détonne pas avec les propos entendus ces jours-ci dans le mouvement des "gilets jaunes" : nous avons perdu confiance dans l'Etat, nous le percevons comme une sorte de machine sourde à toute objection, aveugle à tout écart entre ses injonctions et les réalités. Pire encore, il apparaît à des gens qu'ils sont devenus du jour au lendemain comme des adversaires désignés par leur propre Etat. Parce que des décisions ont été prises. Loin.
La rivière comme laboratoire d'une écologie du diktat et du carcan
La question des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques détruits au nom de la continuité écologique a ainsi été le laboratoire d'une écologie punitive, une écologie bureaucratique qui tue l'idée même d'écologie en la transformant en diktat et en carcan.
Le choix de faire disparaître en première intention le patrimoine des rivières, massivement, méthodiquement, est un choix proprement inouï par sa violence sociale et symbolique. On détache des fonctionnaires centraux ou territoriaux pour faire du porte à porte et expliquer à des gens que l'on veut détruire leur propriété. Qu'ils sont des pollueurs, des ennemis de la nature. Que leur ouvrage hydraulique ne devrait pas exister.
Et on affirme tout cela alors que les bassins versants français ont subi la plus importante pollution de leur histoire depuis un siècle, cela sans rapport aucun avec des ouvrages anciens les accompagnant parfois depuis l'ère médiévale.
Par exemple, dans une présentation aux services administratifs, une représentante de direction centrale du ministère de l'écologie peut appeler froidement à supprimer 90% des moulins sans usages et à encercler les récalcitrants. Comment ce discours de "guerre" de l'administration environnementale contre une partie de sa propre population a-t-il pu se développer? Comment les garde-fous démocratiques élémentaires n'ont pas conduit à sanctionner ce fonctionnaire pour des propos aussi agressivement déplacés? Comment se fait-il que ces mêmes hauts fonctionnaires, malgré l'échec de la réforme de continuité écologique comme l'échec de la DCE 2000, n'aient jamais été audités sérieusement par le parlement pour répondre de leurs erreurs manifestes d'appréciation?
Ce choix est la résultante de toute une série d'approximations et d'impréparations dans la construction des normes, puis de confiscations du pouvoir visant à imposer une pensée unique de la rivière et à anesthésier la capacité critique des citoyens devant des arguments d'autorité :
- côté légal, la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en 2000 dans une préparation de légèreté assez stupéfiante en terme d'échanges intellectuels et de consultations citoyennes, quand on songe à l'importance et au coût de cet ensemble normatif s'imposant à tous les pays de l'Union et engageant des dépenses structurantes sur un quart de siècle ; la loi sur l'eau de 2006 a été elle-même engagée avec peu de débats et de travaux techniques malgré l'importance du sujet, comme trop de lois françaises en raison de la faiblesse de notre parlement (en moyens d'audit, d'expertise, de contrôle) et de son excès d'activité législative, le conduisant à produire trop de textes trop mal préparés, mal budgétisés et mal anticipés dans l'ensemble de leurs effets;
- côté réglementaire et administratif, la direction centrale de l'eau et la biodiversité au sein du ministère de l'écologie prend toutes les décisions structurantes, elle interprète les lois à sa convenance, elle précise la doctrine de l'Etat jusqu'au moindre détail dans ses circulaires et instructions (aux DDT-M et DREAL), elle se permet d'ignorer les réprimandes des parlementaires et table sur sa capacité à épuiser les contestations judiciaires, d'autant plus aisément que la justice administrative française n'a nulle indépendance vis-à-vis de l'Etat ;
- côté "sachant", technique et intellectuel, l'agence française pour la biodiversité (ancien Onema) déploie une vision fermée voire corporatiste de ses enjeux, avec peu d'échanges hors de certaines disciplines (hydrobiologie au premier chef), beaucoup de littérature grise non revue par les pairs, un moindre appel à la recherche scientifique, des biais manifestes dans la communication et dans l'analyse des enjeux, une approche de la biodiversité visant davantage à créer des doctrines rigides pour légitimer l'action publique qu'à ouvrir des débats sans préjugés ou à problématiser les rapports de notre société à la nature. Le travail s'accompagne d'une normalisation de techniques d'analyse de la rivière, avec des choix implicites opérés derrière une pseudo-neutralité de la norme, selon un raisonnement circulaire (définissons comme "dégradation" ce que mesure un indice de "dégradation") ;
- côté programmatique et financier, les comités de bassin des agences de l'eau (censés être une "démocratie de l'eau" décidant des schémas d'aménagement "SDAGE") voient leur composition décidée par les préfets (donc à la discrétion de l'Etat central). Dans le collège non politique et non administratif, seuls sont présents des lobbies "installés" (qu'ils soient industriels, sociétaux ou idéologiques) ne représentant qu'une modeste partie de la société civile. Les moulins, les étangs, les riverains, les associations du patrimoine, les sociétés des sciences et tant d'autres acteurs de vie locale en sont par exemple absents. Ces comités de bassin sont une démocratie de l'eau vidée de sa substance par le contrôle étatique de sa nomination et de son fonctionnement, sans réelle capacité de résistance critique sur des sujets souvent très techniques. Ils sont devenus avec le temps une chambre d'enregistrement de la volonté gouvernementale car ce sont là encore les représentants de l'Etat dans les préfectures de bassin qui préparent tous les textes normatifs et programmatiques.
Sortir de la bureaucratisation totale de l'action en rivière
Le résultat en est une bureaucratisation totale de l'action en rivière. Quand le citoyen voit arriver les porteurs de projet, il y a déjà 4 échelons normatifs qui ont cadré l'action et une grille de financement qui définit les solutions privilégiées.
Nous avons documenté cette dérive sur ce site, par des dizaines d'articles. Nous l'avons documentée aussi par des centaines d'échanges avec des riverains.
Nous l'avons dit dès notre naissance : une telle manière de procéder n'a pas de légitimité démocratique aux yeux des citoyens qui en sont informés.
Formellement, cette manière respecte certes les procédures – sauf des abus de pouvoir de-ci de-là que condamnent parfois des cours administratives. Intellectuellement, moralement et politiquement, cette manière de faire est coupée des citoyens, elle ignore les attentes sociales et la diversité des points de vue, elle surinterprète les lois selon certaines visées idéologiques à la mode, elle exprime un exercice fermé, vertical, autoritaire du pouvoir.
Les pouvoirs publics doivent ré-inventer de toute urgence l'exercice de la démocratie sur la question de l'eau, et plus largement de l'écologie. Cela passe par une inversion des mentalités et des pratiques dont voici quelques pistes :
La bureaucratie jacobine est en crise, le consentement à l'écologie est en crise, ces deux crises sont indissociablement liées dans notre pays.
Les riverains parlent, les syndicats et administrations les ignorent
Le phénomène se répète, de village en village, de rivière en rivière. Lors de réunions publiques, des représentants de syndicats de rivières, d'agence de l'eau, de l'Etat (DDT, AFB) présentent un projet. Les diapositives projetées sur l'écran démontrent que ce projet a déjà été largement avancé, en petits comités, avant la réunion.
Thème: une mesure de continuité écologique. Ici on cassera un moulin et on asséchera son bief, là on videra un étang.
La salle écoute en silence. Et puis des mots fusent. On se demande à quoi cela sert. On rappelle des anecdotes d'anciens. On dit que le site n'est pas si laid tel qu'il est. On se rappelle des souvenirs de pêche miraculeuse, il y a longtemps, avant les 30 glorieuses, avant que tout soit pollué ou bétonné.
A la tribune, les représentants administratifs opinent, écoutent, répondent parfois. Ils prennent des notes, ils adoptent un air concerné.
Cela ne change strictement rien.
Le cadre normatif du projet est figé, il a déjà été défini par la directive cadre européenne (DCE) sur l'eau de 2000 et par les circulaires du ministère de l'écologie interprétant à leur manière la loi sur l'eau de 2006. Les services déconcentrés de l'Etat n'ont pas de marge réelle de manoeuvre, ils obéissent à leur hiérarchie ministérielle et ils visent des objectifs. Avec une politique du chiffre. Le financement du projet est de toute façon très fléché, pas de négociation en vue : les agences de l'eau paieront à subvention publique maximale une certaine solution, mais décourageront les autres. En Seine-Normandie, et en Artois-Picardie, les trois quarts de ces réunions décident la destruction des sites. Plus de la moitié en Loire-Bretagne. Cela se passe un peu mieux en bassin de Rhône, où il y a moins de dogmes et de rigidités. Mais les problèmes ne sont pas absents sur ce bassin non plus.
Dans les cas les plus caricaturaux, les enquêtes publiques des projets voient s'exprimer massivement des oppositions quand des sites sont menacés de destruction et les commissaires enquêteurs donnent des avis négatifs, mais l'Etat, l'agence de l'eau et le syndicat de rivière les ignorent. C'est arrivé sur l'Orge comme c'est arrivé sur l'Armançon.
Mépris ultime de la voix des citoyens, aveu que tous les processus de concertation et de participation ne sont qu'une façade destinée à avaliser de gré ou de force une politique. Une politique essentiellement décidée, planifiée et encadrée par l'administration centrale de l'Etat.
Ces descriptions ne prétendent pas couvrir tous les aménagements de rivières en France, fort heureusement. Mais elles décrivent la plupart des expériences que nous avons vécues quand des riverains nous ont appelé à l'aide. La rubrique témoignages de ce site apporte des dizaines d'exemples, de même que l'observatoire de la continuité écologique.
Le résultat en est attendu, il ne détonne pas avec les propos entendus ces jours-ci dans le mouvement des "gilets jaunes" : nous avons perdu confiance dans l'Etat, nous le percevons comme une sorte de machine sourde à toute objection, aveugle à tout écart entre ses injonctions et les réalités. Pire encore, il apparaît à des gens qu'ils sont devenus du jour au lendemain comme des adversaires désignés par leur propre Etat. Parce que des décisions ont été prises. Loin.
La rivière comme laboratoire d'une écologie du diktat et du carcan
La question des moulins, étangs et autres ouvrages hydrauliques détruits au nom de la continuité écologique a ainsi été le laboratoire d'une écologie punitive, une écologie bureaucratique qui tue l'idée même d'écologie en la transformant en diktat et en carcan.
Le choix de faire disparaître en première intention le patrimoine des rivières, massivement, méthodiquement, est un choix proprement inouï par sa violence sociale et symbolique. On détache des fonctionnaires centraux ou territoriaux pour faire du porte à porte et expliquer à des gens que l'on veut détruire leur propriété. Qu'ils sont des pollueurs, des ennemis de la nature. Que leur ouvrage hydraulique ne devrait pas exister.
Et on affirme tout cela alors que les bassins versants français ont subi la plus importante pollution de leur histoire depuis un siècle, cela sans rapport aucun avec des ouvrages anciens les accompagnant parfois depuis l'ère médiévale.
Par exemple, dans une présentation aux services administratifs, une représentante de direction centrale du ministère de l'écologie peut appeler froidement à supprimer 90% des moulins sans usages et à encercler les récalcitrants. Comment ce discours de "guerre" de l'administration environnementale contre une partie de sa propre population a-t-il pu se développer? Comment les garde-fous démocratiques élémentaires n'ont pas conduit à sanctionner ce fonctionnaire pour des propos aussi agressivement déplacés? Comment se fait-il que ces mêmes hauts fonctionnaires, malgré l'échec de la réforme de continuité écologique comme l'échec de la DCE 2000, n'aient jamais été audités sérieusement par le parlement pour répondre de leurs erreurs manifestes d'appréciation?
- côté légal, la directive cadre européenne sur l'eau a été adoptée en 2000 dans une préparation de légèreté assez stupéfiante en terme d'échanges intellectuels et de consultations citoyennes, quand on songe à l'importance et au coût de cet ensemble normatif s'imposant à tous les pays de l'Union et engageant des dépenses structurantes sur un quart de siècle ; la loi sur l'eau de 2006 a été elle-même engagée avec peu de débats et de travaux techniques malgré l'importance du sujet, comme trop de lois françaises en raison de la faiblesse de notre parlement (en moyens d'audit, d'expertise, de contrôle) et de son excès d'activité législative, le conduisant à produire trop de textes trop mal préparés, mal budgétisés et mal anticipés dans l'ensemble de leurs effets;
- côté réglementaire et administratif, la direction centrale de l'eau et la biodiversité au sein du ministère de l'écologie prend toutes les décisions structurantes, elle interprète les lois à sa convenance, elle précise la doctrine de l'Etat jusqu'au moindre détail dans ses circulaires et instructions (aux DDT-M et DREAL), elle se permet d'ignorer les réprimandes des parlementaires et table sur sa capacité à épuiser les contestations judiciaires, d'autant plus aisément que la justice administrative française n'a nulle indépendance vis-à-vis de l'Etat ;
- côté "sachant", technique et intellectuel, l'agence française pour la biodiversité (ancien Onema) déploie une vision fermée voire corporatiste de ses enjeux, avec peu d'échanges hors de certaines disciplines (hydrobiologie au premier chef), beaucoup de littérature grise non revue par les pairs, un moindre appel à la recherche scientifique, des biais manifestes dans la communication et dans l'analyse des enjeux, une approche de la biodiversité visant davantage à créer des doctrines rigides pour légitimer l'action publique qu'à ouvrir des débats sans préjugés ou à problématiser les rapports de notre société à la nature. Le travail s'accompagne d'une normalisation de techniques d'analyse de la rivière, avec des choix implicites opérés derrière une pseudo-neutralité de la norme, selon un raisonnement circulaire (définissons comme "dégradation" ce que mesure un indice de "dégradation") ;
- côté programmatique et financier, les comités de bassin des agences de l'eau (censés être une "démocratie de l'eau" décidant des schémas d'aménagement "SDAGE") voient leur composition décidée par les préfets (donc à la discrétion de l'Etat central). Dans le collège non politique et non administratif, seuls sont présents des lobbies "installés" (qu'ils soient industriels, sociétaux ou idéologiques) ne représentant qu'une modeste partie de la société civile. Les moulins, les étangs, les riverains, les associations du patrimoine, les sociétés des sciences et tant d'autres acteurs de vie locale en sont par exemple absents. Ces comités de bassin sont une démocratie de l'eau vidée de sa substance par le contrôle étatique de sa nomination et de son fonctionnement, sans réelle capacité de résistance critique sur des sujets souvent très techniques. Ils sont devenus avec le temps une chambre d'enregistrement de la volonté gouvernementale car ce sont là encore les représentants de l'Etat dans les préfectures de bassin qui préparent tous les textes normatifs et programmatiques.
Sortir de la bureaucratisation totale de l'action en rivière
Le résultat en est une bureaucratisation totale de l'action en rivière. Quand le citoyen voit arriver les porteurs de projet, il y a déjà 4 échelons normatifs qui ont cadré l'action et une grille de financement qui définit les solutions privilégiées.
Nous avons documenté cette dérive sur ce site, par des dizaines d'articles. Nous l'avons documentée aussi par des centaines d'échanges avec des riverains.
Nous l'avons dit dès notre naissance : une telle manière de procéder n'a pas de légitimité démocratique aux yeux des citoyens qui en sont informés.
Formellement, cette manière respecte certes les procédures – sauf des abus de pouvoir de-ci de-là que condamnent parfois des cours administratives. Intellectuellement, moralement et politiquement, cette manière de faire est coupée des citoyens, elle ignore les attentes sociales et la diversité des points de vue, elle surinterprète les lois selon certaines visées idéologiques à la mode, elle exprime un exercice fermé, vertical, autoritaire du pouvoir.
Les pouvoirs publics doivent ré-inventer de toute urgence l'exercice de la démocratie sur la question de l'eau, et plus largement de l'écologie. Cela passe par une inversion des mentalités et des pratiques dont voici quelques pistes :
- co-construire les programmes avec les riverains, depuis la base,
- répondre à des attentes réelles, et ne pas imposer des dogmes,
- préférer l'incitation et le volontariat à la contrainte et la répression,
- donner du jeu à l'application des normes (quitte à laisser le juge trancher des conflits d'interprétation),
- reconnaître de l'autonomie locale dans l'usage des financements,
- cibler les priorités touchant la santé et la sécurité humaines (pollutions, inondations, sécheresses) avant les autres sujets concernant le seul "non-humain",
- considérer l'argent public comme un bien précieux dédié à des usages nécessaires,
- confier l'écologie au bloc communal et aux régions plutôt qu'à l'Etat central.
La bureaucratie jacobine est en crise, le consentement à l'écologie est en crise, ces deux crises sont indissociablement liées dans notre pays.
27/11/2018
Emmanuel Macron: "Je n'oublie pas l'eau, l'énergie hydraulique est une richesse des territoires"
Le président de la république appelle à développer l'énergie hydraulique en France. C'est un désaveu clair des casseurs de barrages, y compris les fonctionnaires ayant engagé une dérive intégriste au sein de l'appareil d'Etat, en l'occurrence la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie. La destruction du patrimoine hydraulique de notre pays était devenue un symbole de l'écologie punitive et de la gabegie d'argent public, alors que les Français doivent faire des sacrifices. Nous veillerons à ce que ces paroles deviennent des actes, car l'écart entre les discours et les réalités est à la base de notre crise démocratique. Le gel des destructions contestées de barrages et de moulins devra être observable partout sur nos rivières dès 2019. Les gestionnaires de l'eau doivent désormais concilier écologie et hydro-électricité, au lieu de les opposer stérilement.
Dans son discours de lancement de la programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE), le président de la république a pris soin de préciser à propos de la mobilisation des énergies renouvelables : "Je n'oublie pas l'eau (...) richesse des territoires, avec l'énergie hydraulique".
Et de préciser, "Nous (...) renforcerons notre production d’énergie hydraulique, une énergie à bas coût et de faible pollution ".
C'est une évolution notable car jusqu'à présent, la plupart des déclarations du gouvernement ciblaient le vent et le soleil, mais jamais l'eau. Que le chef de l'Etat prenne soin de citer explicitement l'énergie hydraulique et les territoires est une avancée majeure. Il faudra analyser en détail les cadrages de la PPE et, surtout, le comportement des administrations en charge de l'eau et de l'énergie.
Le président de la république a également appelé à cesser l'inflation des normes (lois et règlements) qui assomment les citoyens et transforment l'action publique en carcan punitif ne recevant plus de consentement démocratique.
Ce message est un désaveu clair du lobby des casseurs d'ouvrages hydrauliques (mouvements écologistes intégristes très minoritaires dans la population, branche militante des pêcheurs de salmonidés). C'est surtout un désaveu des choix de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie depuis 20 ans, avec une prétention à "renaturer" les rivières en faisant disparaître leur patrimoine hydraulique, cela par une insupportable pression sur les propriétaires et riverains.
Le choix d'Emmanuel Macron est conforme à la consultation publique organisée à l'occasion de la PPE, dont les participants comme les organisateurs avaient conclu à la nécessité de développer l'énergie hydro-électrique. Continuer à faire la sourde oreille à ces avis citoyens, donner la primauté à des minorités radicales ne représentant qu'elles-mêmes ne serait plus tenable alors que le pacte démocratique de notre pays est menacé par la colère des Français considérant que l'Etat ne les entend plus.
Nous appelons en conséquence le gouvernement et son administration à mettre les actes en conformité avec ces paroles:
A lire :
Les moulins à eau et les transitions énergétique : faits et chiffres
Dans son discours de lancement de la programmation pluri-annuelle de l'énergie (PPE), le président de la république a pris soin de préciser à propos de la mobilisation des énergies renouvelables : "Je n'oublie pas l'eau (...) richesse des territoires, avec l'énergie hydraulique".
Et de préciser, "Nous (...) renforcerons notre production d’énergie hydraulique, une énergie à bas coût et de faible pollution ".
C'est une évolution notable car jusqu'à présent, la plupart des déclarations du gouvernement ciblaient le vent et le soleil, mais jamais l'eau. Que le chef de l'Etat prenne soin de citer explicitement l'énergie hydraulique et les territoires est une avancée majeure. Il faudra analyser en détail les cadrages de la PPE et, surtout, le comportement des administrations en charge de l'eau et de l'énergie.
Le président de la république a également appelé à cesser l'inflation des normes (lois et règlements) qui assomment les citoyens et transforment l'action publique en carcan punitif ne recevant plus de consentement démocratique.
Ce message est un désaveu clair du lobby des casseurs d'ouvrages hydrauliques (mouvements écologistes intégristes très minoritaires dans la population, branche militante des pêcheurs de salmonidés). C'est surtout un désaveu des choix de la direction de l'eau et de la biodiversité du ministère de l'écologie depuis 20 ans, avec une prétention à "renaturer" les rivières en faisant disparaître leur patrimoine hydraulique, cela par une insupportable pression sur les propriétaires et riverains.
Le choix d'Emmanuel Macron est conforme à la consultation publique organisée à l'occasion de la PPE, dont les participants comme les organisateurs avaient conclu à la nécessité de développer l'énergie hydro-électrique. Continuer à faire la sourde oreille à ces avis citoyens, donner la primauté à des minorités radicales ne représentant qu'elles-mêmes ne serait plus tenable alors que le pacte démocratique de notre pays est menacé par la colère des Français considérant que l'Etat ne les entend plus.
Nous appelons en conséquence le gouvernement et son administration à mettre les actes en conformité avec ces paroles:
- gel de la destruction des barrages de la Sélune,
- gel de toutes les destructions d'usines hydro-électriques, moulins, forges et autres ouvrages ayant un intérêt énergétique,
- incitation forte à équiper ces ouvrages en énergie, d'abord par des simplifications et accélérations de procédures, afin d'éviter les surcoûts inutiles.
A lire :
Les moulins à eau et les transitions énergétique : faits et chiffres
17/11/2018
Quelques réflexions sur l'écologie punitive : les dix commandements de politiques environnementales apaisées
A l'occasion du mouvement social des "gilets jaunes", protestation populaire contre la hausse des taxes sur les carburants et plus généralement la baisse du pouvoir d'achat, on entend beaucoup parler ces temps-ci de "l'écologie punitive". Les rivières françaises ont été depuis 10 ans un laboratoire d'une forme particulière de cette écologie punitive: l'organisation par l'Etat de la destruction des ouvrages hydrauliques, souvent contre l'avis des riverains, par le moyen du chantage financier et de la menace règlementaire, avec comme résultat une politique publique de l'eau reconnue comme l'une des plus conflictuelles du moment. Aux automobilistes on demande un effort de quelques euros à dizaines d'euros par mois. Mais aux moulins, il est question de demander des dépenses des dizaines à centaines de milliers d'euros! Quant aux riverains, ils sont sommés d'accepter la disparition du paysage hydraulique formant leur cadre de vie. Comment dépasser cette écologie punitive tout en gardant des ambitions environnementales? Nous proposons dix commandements au gestionnaire public s'il veut que l'écologie se réconcilie avec la société et l'économie, sans s'enfermer dans l'impasse actuelle du conflit et de la division.
Face au risque de changement climatique, à la pollution de l'air dans les métropoles, à la dépendance au pétrole importé (de régimes pas toujours amicaux), il n'y a que des bonnes raisons de se passer d'essence ou de diesel. La taxe carbone intégrée aux carburants, en rendant le pétrole moins attractif et plus pesant dans le portefeuille, doit inciter à changer nos comportements.
Taxer et réglementer oui... s'il existe des alternatives viables
Oui mais voilà : la voiture est un objet très pratique, synonyme de liberté et de confort ; en zones rurales et péri-urbaines, on est obligé de prendre cette voiture pour sa vie sociale et professionnelle (pas de transport en commun, plus de travail, de commerces, ni de services publics de proximité) ; les alternatives électriques et hybrides restent chères ou insatisfaisantes pour certains usages ; les revenus sont trop faibles et d'autres contraintes pèsent déjà sur le pouvoir d'achat (y compris celles de chauffage pour l'énergie).
On parle alors d'écologie punitive : faute de réelle option pour changer de comportement, la mesure est juste perçue comme une brimade, une contrainte à laquelle on ne peut échapper. Certains ajoutent dans le cas des taxes que le but serait de renflouer les caisses de l'Etat. Ce soupçon est renforcé par le fait que le revenu des taxes sur les carburants n'est que très faiblement dédié à la transition écologique proprement dit : l'essentiel abonde le budget général de l'Etat et des collectivités.
Une conflictualité à bas bruit sur de nombreux sujets "écolos"
Le coût du carburant n'est pas le seul motif de mécontentement en France : les ré-introductions et expansions de l'ours et du loup provoquent des réactions localement violentes ; la moitié des projets éoliens seraient en contentieux du fait de la moins-value immobilière et paysagère, ainsi que des atteintes à la biodiversité locale ; une conflictualité à bas bruit s'installe sur de nombreux sujets ayant trait à l'environnement (abattoir, consommation de viande et bien-être animal ; contestation de grands projets jugés inutiles ; tension avec l'agriculture autour des pesticides etc.)
Et il y a bien sûr le cas des ouvrages en rivières (moulins, forges, étangs), dont nous sommes acteurs et pas seulement observateurs.
A partir d'une attente de meilleure circulation de poissons et des sédiments, qui n'est pas en soi absurde et qui était initialement prévue sur un nombre limité de rivières à enjeux, on est passé sur beaucoup de rivières à une idéologie dogmatique de "renaturation" et de "restauration" visant en réalité à effacer les traces de la mémoire humaine des cours d'eau. Une trame bleue au bulldozer et la pelleteuse : sur fond de chantage financier et de menace règlementaire, des propriétaires de moulins et étangs sont traités comme des délinquants en puissance, menacés de futures mises en demeure à peine d'amende voire de prison s'ils n'obéissent pas aux injonctions. L'aide publique ne rend abordable que la solution de la destruction pure et simple de l'ouvrage en rivière, avec son paysage et son héritage.
Le harcèlement des moulins, étangs et barrages, un diktat qui ne passe pas
Dans les formes les plus scandaleuses de la gabegie d'argent public, l'Etat envisage aujourd'hui de détruire des grands barrages de production d'électricité et d'eau potable, pour des sommes de dizaines de millions €, contre l'avis de leurs dizaines de milliers de riverains : c'est l'exemple odieux des deux barrages de la Sélune, sacrifiés au lobby des pêcheurs de saumon, et qui vont nourrir bientôt contentieux judiciaires et luttes locales.
Cette écologie de l'agression et de la punition ne mène logiquement qu'à la multiplication des conflits. Et si l'Etat ne comprend pas le sens des résistances populaires à ses politiques mal préparées, mal concertés et non acceptées, ces oppositions se radicaliseront : quand on menace l'existence même de votre cadre de vie ou quand on veut vous contraindre à la ruine, qu'a-t-on encore à perdre?
La question se pose d'éviter cette radicalisation face à une écologie perçue comme punitive par les populations. Voici quelques idées à ce sujet.
Tu appelleras "écologie" ce qui l'est vraiment. L'écologie est la connaissance des écosystèmes, des relations entre habitats et espèces, par extension des grands cycles bio-géo-chimiques de la planète et de leurs liens au vivant. L'écologie est d'abord une science et une ingénierie. On devrait désormais éviter d'appeler "écologique" ou "écologiques" des croyances, des idéologies, des projets de société qui correspondent à des vues particulières sur la société et sur le rapport à la nature. Ou à des intérêts de lobbies. Exemple sur les rivière : non, augmenter localement des truites à la demande d'une société de pêche ou détruire un étang sans analyser d'abord ses peuplements, ce n'est pas spécialement de l'écologie.
Tu prendras garde aux émotions négatives. Pour capter l'attention du public, les médias, les ONG mais aussi parfois les politiques ont tendance à faire du catastrophisme environnemental, à ne retenir que le négatif dans la réalité et que les pires prévisions pour le futur. Certes, nous devons protéger la nature menacée par des excès de notre développement économique et démographique. Mais la peur et la colère ne sont pas des sentiments qui permettent une vie démocratique sereine ni qui soutiennent durablement des choix de société. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas dire aux citoyens qu'elles se dégradent partout et tout le temps, alors que les bilans poissons ou bilans insectes des dernières décennies ne sont pas toujours mauvais.
Tu statueras avec prudence et précision sur la réalité. L'écologie est une discipline assez jeune, elle est parcourue de débats internes nombreux, elle manque encore souvent de données solides et de long terme. Comme politique publique tardive, l'environnement est largement en phase de test d'ajustage aux contraintes de la société et de l'économie. Tous nos modèles de la réalité sont des approximations (donc ils sont faux, stricto sensu!) : il faut alors se garder de prononcer des jugements définitifs et de généralités invérifiables. De la modestie, pas de l'arrogance. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas lancer des assertions sur l'auto-épuration de cours d'eau qui se révèlent ensuite des inexactitudes.
Tu permettras une co-décision, et non une concertation en trompe l'oeil. Les politiques environnementales ont été depuis 20 ans associées à un impératif de démocratie participative, d'appropriation par les citoyens des enjeux relatifs à leur cadre de vie. Mais il faut en accepter les conséquences : on ne fait pas de l'écologie contre l'avis des premiers intéressés, on ne prétend pas qu'un seul point de vue est correct et que la "pédagogie" imposera cette vue unique. Exemple sur les rivières : non, quand tout un village signe une pétition pour garder sa chute d'eau de moulin et quand l'enquête publique conclut à l'absence d'intérêt général et d'intérêt écologique, on n'insiste pas et on révise son projet au lieu de détruire le site.
Tu éviteras des arbitrages lointains, contraints et brutaux. En France, l'Etat a perdu la capacité d'animer, gérer, produire des consensus forts sur des projets de territoire et de société. Le centralisme et l'autoritarisme jacobins ne fonctionnent plus, notamment parce que l'ère numérique a ouvert un âge d'horizontalité où tout le monde est informé en temps réel et où l'Etat est devenu un acteur à côté d'autres. Par ailleurs l'écologie, c'est toujours du cas par cas. Le modèle de l'action publique est à revoir en accordant une plus grande autonomie politique et fiscale au niveau local, proche du terrain. Exemple sur les rivières : non, les SAGE ne peuvent pas être de simples copiés-collés de 3 niveaux normatifs supérieurs (SDAGE, lois et règlements nationaux, directive de l'Europe) et d'un financement déjà fléché sur chaque poste de l'agence de l'eau, ce qui ôte toute substance à la liberté locale de choix et dépossède le citoyen de capacité à s'impliquer.
Tu respecteras le réalisme économique. Beaucoup de mesures écologiques ont des coûts mais n'ont aucun bénéfice économique à court terme, certaines n'en ayant pas même à long terme (elles défendent des valeurs intrinsèques, non marchandes). Pour ne pas assommer le contribuable et déprimer l'économie, nous sommes donc condamnés à pratique une écologie des petits pas, à mesure de notre solvabilité (ménage, entreprise, Etat). Exemple sur les rivières : non, demander des investissements de passes à poissons qui ont une valeur supérieure à celle d'un bien immobilier ou qui représentent 20 ans de bénéfice d'une petite entreprise n'a aucun sens, c'est une caricature de la bureaucratie hors sol.
Tu seras économe de l'argent public. Nous sommes sortis depuis longtemps de la période d'abondance des 30 glorieuses. L'argent public devient plus difficile à lever, son usage est nettement plus observé, et contesté. En temps de crise, la population attend de l'Etat qu'il garantisse l'essentiel de ses missions sociales et régaliennes avant de faire de l'écologie. Et cette écologie doit répondre à des enjeux forts, non contestés. Exemple sur les rivières : non il n'est pas normal que les analyses cout-bénéfice de la directive cadre européenne montre qu'elle coûte davantage qu'elle ne rapporte dans les 3/4 des cas, ou que l'Etat détruise sur argent public des ouvrages d'électricité bas-carbone en fonctionnement (à Pont-Audemer ou sur la Sélune).
Tu avanceras des faits et des preuves, en ayant à l'esprit la complexité. Les dogmes et les slogans ne sauraient remplacer les données et les débats. Les phénomènes humains comme naturels sont complexes : on ne peut plus faire des politiques publiques qui essaient de mobiliser par des simplifications. Nous vivons l'âge des politiques fondées sur les preuves, les citoyens n'ont jamais été aussi éduqués et les moyens de vérifier les sources aussi nombreux. Il ne suffit pas d'avancer un propos d'un scientifique, ou d'une discipline scientifique, mais de montrer que des communautés scientifiques pluridisciplinaires sont d'accord entre elles sur l'interprétation d'un phénomène. Exemple sur les rivières : non, la rivière "sauvage" ou la rivière "naturelle" sont des phénomènes qui n'existent plus réellement en Europe, nous n'avons que des rivières hybrides qui portent des millénaires d'influence humaine, il faut une éducation de cette complexité.
Tu entendras ce que te dit la société. La nature n'est pas le catalogue figé d'un muséum d'histoire naturelle, c'est d'abord une histoire, une dynamique : elle change sans cesse. C'est aussi une construction sociale : les gens n'ont pas les mêmes idées, goûts, représentations et attentes sur la nature. L'écologie ne peut pas être la revanche de la nature contre l'homme, ou la séparation de la nature et de l'homme : c'est une modulation de l'interface entre humain et non-humain à travers des choix sociaux. On ne peut donc faire l'impasse du social et des services (réellement) rendus par les écosystèmes selon leurs aménagements. Exemple sur les rivières : non, quand des centaines d'associations et des milliers d'élus demandent de stopper les destructions d'ouvrages et en saisissent le ministre de l'écologie, les ignorer, ne pas leur répondre et refuser de les recevoir n'est pas une solution digne d'une gestion ouverte aux enjeux sociaux.
Tu feras preuve de bon sens (et de bonne foi). Ce dernier commandement est peut-être le plus important... mais pas le plus simple à respecter ! L'appel au bon sens ne doit pas être un éloge de l'ignorance volontaire : si nos ancêtres savaient tout et si nous avions une juste compréhension de tout, il n'y aurait jamais de progrès des connaissances et des pratiques. Le bon sens n'est pas l'intuition (parfois trompeuse) mais un mélange d'expérience, d'observation et de logique, avec de la cohérence dans les positions que l'on défend. C'est aussi le recul : nous ne sommes pas omniscient, l'idée géniale du moment sera critiquée demain ! Exemple sur les rivières : non, il n'y a pas de bon sens (ni de bonne foi) à assécher des retenues d'eau quand on subit des sécheresses, à détruire des centrales hydro-électriques en place quand on dit que l'énergie bas-carbone est une urgence, à défendre la biodiversité mais à ignorer toutes les espèces d'étangs et de lacs, à refuser que les moulins changent les peuplements de poissons mais à accepter que la pêche et le climat changent ces mêmes peuplements, etc.
Face au risque de changement climatique, à la pollution de l'air dans les métropoles, à la dépendance au pétrole importé (de régimes pas toujours amicaux), il n'y a que des bonnes raisons de se passer d'essence ou de diesel. La taxe carbone intégrée aux carburants, en rendant le pétrole moins attractif et plus pesant dans le portefeuille, doit inciter à changer nos comportements.
Taxer et réglementer oui... s'il existe des alternatives viables
Oui mais voilà : la voiture est un objet très pratique, synonyme de liberté et de confort ; en zones rurales et péri-urbaines, on est obligé de prendre cette voiture pour sa vie sociale et professionnelle (pas de transport en commun, plus de travail, de commerces, ni de services publics de proximité) ; les alternatives électriques et hybrides restent chères ou insatisfaisantes pour certains usages ; les revenus sont trop faibles et d'autres contraintes pèsent déjà sur le pouvoir d'achat (y compris celles de chauffage pour l'énergie).
On parle alors d'écologie punitive : faute de réelle option pour changer de comportement, la mesure est juste perçue comme une brimade, une contrainte à laquelle on ne peut échapper. Certains ajoutent dans le cas des taxes que le but serait de renflouer les caisses de l'Etat. Ce soupçon est renforcé par le fait que le revenu des taxes sur les carburants n'est que très faiblement dédié à la transition écologique proprement dit : l'essentiel abonde le budget général de l'Etat et des collectivités.
Une conflictualité à bas bruit sur de nombreux sujets "écolos"
Le coût du carburant n'est pas le seul motif de mécontentement en France : les ré-introductions et expansions de l'ours et du loup provoquent des réactions localement violentes ; la moitié des projets éoliens seraient en contentieux du fait de la moins-value immobilière et paysagère, ainsi que des atteintes à la biodiversité locale ; une conflictualité à bas bruit s'installe sur de nombreux sujets ayant trait à l'environnement (abattoir, consommation de viande et bien-être animal ; contestation de grands projets jugés inutiles ; tension avec l'agriculture autour des pesticides etc.)
Et il y a bien sûr le cas des ouvrages en rivières (moulins, forges, étangs), dont nous sommes acteurs et pas seulement observateurs.
A partir d'une attente de meilleure circulation de poissons et des sédiments, qui n'est pas en soi absurde et qui était initialement prévue sur un nombre limité de rivières à enjeux, on est passé sur beaucoup de rivières à une idéologie dogmatique de "renaturation" et de "restauration" visant en réalité à effacer les traces de la mémoire humaine des cours d'eau. Une trame bleue au bulldozer et la pelleteuse : sur fond de chantage financier et de menace règlementaire, des propriétaires de moulins et étangs sont traités comme des délinquants en puissance, menacés de futures mises en demeure à peine d'amende voire de prison s'ils n'obéissent pas aux injonctions. L'aide publique ne rend abordable que la solution de la destruction pure et simple de l'ouvrage en rivière, avec son paysage et son héritage.
Le harcèlement des moulins, étangs et barrages, un diktat qui ne passe pas
Dans les formes les plus scandaleuses de la gabegie d'argent public, l'Etat envisage aujourd'hui de détruire des grands barrages de production d'électricité et d'eau potable, pour des sommes de dizaines de millions €, contre l'avis de leurs dizaines de milliers de riverains : c'est l'exemple odieux des deux barrages de la Sélune, sacrifiés au lobby des pêcheurs de saumon, et qui vont nourrir bientôt contentieux judiciaires et luttes locales.
Cette écologie de l'agression et de la punition ne mène logiquement qu'à la multiplication des conflits. Et si l'Etat ne comprend pas le sens des résistances populaires à ses politiques mal préparées, mal concertés et non acceptées, ces oppositions se radicaliseront : quand on menace l'existence même de votre cadre de vie ou quand on veut vous contraindre à la ruine, qu'a-t-on encore à perdre?
La question se pose d'éviter cette radicalisation face à une écologie perçue comme punitive par les populations. Voici quelques idées à ce sujet.
Les 10 commandements
d'une écologie de la conciliation
d'une écologie de la conciliation
Tu prendras garde aux émotions négatives. Pour capter l'attention du public, les médias, les ONG mais aussi parfois les politiques ont tendance à faire du catastrophisme environnemental, à ne retenir que le négatif dans la réalité et que les pires prévisions pour le futur. Certes, nous devons protéger la nature menacée par des excès de notre développement économique et démographique. Mais la peur et la colère ne sont pas des sentiments qui permettent une vie démocratique sereine ni qui soutiennent durablement des choix de société. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas dire aux citoyens qu'elles se dégradent partout et tout le temps, alors que les bilans poissons ou bilans insectes des dernières décennies ne sont pas toujours mauvais.
Tu statueras avec prudence et précision sur la réalité. L'écologie est une discipline assez jeune, elle est parcourue de débats internes nombreux, elle manque encore souvent de données solides et de long terme. Comme politique publique tardive, l'environnement est largement en phase de test d'ajustage aux contraintes de la société et de l'économie. Tous nos modèles de la réalité sont des approximations (donc ils sont faux, stricto sensu!) : il faut alors se garder de prononcer des jugements définitifs et de généralités invérifiables. De la modestie, pas de l'arrogance. Exemple sur les rivières : non, on ne doit pas lancer des assertions sur l'auto-épuration de cours d'eau qui se révèlent ensuite des inexactitudes.
Tu éviteras des arbitrages lointains, contraints et brutaux. En France, l'Etat a perdu la capacité d'animer, gérer, produire des consensus forts sur des projets de territoire et de société. Le centralisme et l'autoritarisme jacobins ne fonctionnent plus, notamment parce que l'ère numérique a ouvert un âge d'horizontalité où tout le monde est informé en temps réel et où l'Etat est devenu un acteur à côté d'autres. Par ailleurs l'écologie, c'est toujours du cas par cas. Le modèle de l'action publique est à revoir en accordant une plus grande autonomie politique et fiscale au niveau local, proche du terrain. Exemple sur les rivières : non, les SAGE ne peuvent pas être de simples copiés-collés de 3 niveaux normatifs supérieurs (SDAGE, lois et règlements nationaux, directive de l'Europe) et d'un financement déjà fléché sur chaque poste de l'agence de l'eau, ce qui ôte toute substance à la liberté locale de choix et dépossède le citoyen de capacité à s'impliquer.
Tu respecteras le réalisme économique. Beaucoup de mesures écologiques ont des coûts mais n'ont aucun bénéfice économique à court terme, certaines n'en ayant pas même à long terme (elles défendent des valeurs intrinsèques, non marchandes). Pour ne pas assommer le contribuable et déprimer l'économie, nous sommes donc condamnés à pratique une écologie des petits pas, à mesure de notre solvabilité (ménage, entreprise, Etat). Exemple sur les rivières : non, demander des investissements de passes à poissons qui ont une valeur supérieure à celle d'un bien immobilier ou qui représentent 20 ans de bénéfice d'une petite entreprise n'a aucun sens, c'est une caricature de la bureaucratie hors sol.
Tu seras économe de l'argent public. Nous sommes sortis depuis longtemps de la période d'abondance des 30 glorieuses. L'argent public devient plus difficile à lever, son usage est nettement plus observé, et contesté. En temps de crise, la population attend de l'Etat qu'il garantisse l'essentiel de ses missions sociales et régaliennes avant de faire de l'écologie. Et cette écologie doit répondre à des enjeux forts, non contestés. Exemple sur les rivières : non il n'est pas normal que les analyses cout-bénéfice de la directive cadre européenne montre qu'elle coûte davantage qu'elle ne rapporte dans les 3/4 des cas, ou que l'Etat détruise sur argent public des ouvrages d'électricité bas-carbone en fonctionnement (à Pont-Audemer ou sur la Sélune).
Tu avanceras des faits et des preuves, en ayant à l'esprit la complexité. Les dogmes et les slogans ne sauraient remplacer les données et les débats. Les phénomènes humains comme naturels sont complexes : on ne peut plus faire des politiques publiques qui essaient de mobiliser par des simplifications. Nous vivons l'âge des politiques fondées sur les preuves, les citoyens n'ont jamais été aussi éduqués et les moyens de vérifier les sources aussi nombreux. Il ne suffit pas d'avancer un propos d'un scientifique, ou d'une discipline scientifique, mais de montrer que des communautés scientifiques pluridisciplinaires sont d'accord entre elles sur l'interprétation d'un phénomène. Exemple sur les rivières : non, la rivière "sauvage" ou la rivière "naturelle" sont des phénomènes qui n'existent plus réellement en Europe, nous n'avons que des rivières hybrides qui portent des millénaires d'influence humaine, il faut une éducation de cette complexité.
Tu entendras ce que te dit la société. La nature n'est pas le catalogue figé d'un muséum d'histoire naturelle, c'est d'abord une histoire, une dynamique : elle change sans cesse. C'est aussi une construction sociale : les gens n'ont pas les mêmes idées, goûts, représentations et attentes sur la nature. L'écologie ne peut pas être la revanche de la nature contre l'homme, ou la séparation de la nature et de l'homme : c'est une modulation de l'interface entre humain et non-humain à travers des choix sociaux. On ne peut donc faire l'impasse du social et des services (réellement) rendus par les écosystèmes selon leurs aménagements. Exemple sur les rivières : non, quand des centaines d'associations et des milliers d'élus demandent de stopper les destructions d'ouvrages et en saisissent le ministre de l'écologie, les ignorer, ne pas leur répondre et refuser de les recevoir n'est pas une solution digne d'une gestion ouverte aux enjeux sociaux.
Tu feras preuve de bon sens (et de bonne foi). Ce dernier commandement est peut-être le plus important... mais pas le plus simple à respecter ! L'appel au bon sens ne doit pas être un éloge de l'ignorance volontaire : si nos ancêtres savaient tout et si nous avions une juste compréhension de tout, il n'y aurait jamais de progrès des connaissances et des pratiques. Le bon sens n'est pas l'intuition (parfois trompeuse) mais un mélange d'expérience, d'observation et de logique, avec de la cohérence dans les positions que l'on défend. C'est aussi le recul : nous ne sommes pas omniscient, l'idée géniale du moment sera critiquée demain ! Exemple sur les rivières : non, il n'y a pas de bon sens (ni de bonne foi) à assécher des retenues d'eau quand on subit des sécheresses, à détruire des centrales hydro-électriques en place quand on dit que l'énergie bas-carbone est une urgence, à défendre la biodiversité mais à ignorer toutes les espèces d'étangs et de lacs, à refuser que les moulins changent les peuplements de poissons mais à accepter que la pêche et le climat changent ces mêmes peuplements, etc.