Photos extraites d'Ovidio et al 2007, art cit. Les ouvrages étudiés (seuils, chaussées) sont caractéristiques des moulins anciens. Les flèches rouges indiquent les voies de passage privilégiées.
Entre 1996 et 2004, des truites fario adultes Salmo trutta (n=40) et des ombres communs Thymallus thymallus (n=39) ont été suivis par radio dans ces trois rivières afin d'évaluer leurs capacités pour contourner ou franchir divers seuils. Au cours de leurs migrations vers l'amont, les individus ont rencontré différents types d'obstacles physiques et en ont franchi avec succès, dans des conditions environnementales variables. Les ouvrages franchis par les poissons ont été caractérisés sur la base d'un protocole de description topographique et comparés aux données de suivi.
Trois types d'ouvrage : une chute verticale ou quasi verticale, une chute à parement inclinée avec radier plus ou moins long, un mixte des deux. Les données d'intérêt sont notamment la hauteur totale, l'existence d'une fosse d'appel plus ou moins profonde à l'aval de la chute, la hauteur de la ligne d'eau sur les parements inclinés. Planche extraite d'Ovidio et al 2007, art cit. Cliquer pour agrandir.
Les obstacles identifiés comme des chutes avaient une élévation de la crête de 0,39 à 1,89 m et un bassin d'appel aval allant de 0,07 à 0,77 m. La longueur des obstacles variait de 0,54 à 8 m, avec des pentes comprises entre 4% et 74%.
La tableau ci-dessous (cliquer pour agrandir) donne les caractéristiques physiques de ces ouvrages.
Dans l'Aisne, 100% des poissons (truites et ombres) ont pu contourner les obstacles lors de la migration en amont. Les poissons réussissaient généralement à franchir les obstacles entre deux sites à 24 heures d'intervalle, sauf à deux occasions où il a fallu 2 et 3 jours. Bien qu'un ouvrage soit équipé d'une passe à poissons haute performance, certains individus ont contourné l'obstacle sans utiliser la passe. Sur le Néblon, un obstacle a été franchi en 3 jours, deux individus ne l'ont pas passé. Un ombre a facilement franchi un obstacle à deux reprises. Un autre a été contourné par une truite, mais un ombre situé en aval pendant la migration n'a pas réussi à le négocier. Dans la Lhomme, une truite a négocié un obstacle en 2 jours. Les temps sont donc variables.
Les auteurs concluent notamment :
"La plupart des poissons ont pu franchir tous les obstacles le long de leur route de migration dans les conditions existantes de température et de débit de l'eau. En raison de ce taux de réussite élevé, il n'a pas été possible de discriminer entre les individus qui ont réussi à négocier ou non les obstacles."
Ils ajoutent :
"Il faut également veiller à ne pas prendre en compte tous les poissons qui n'ont pas tenté de négocier les obstacles avec succès, car l'aval d'un barrage peut être propice à la truite fario qui, par exemple, peut élaborer une stratégie de résidence permettant des taux de croissance très élevés tout en évitant les risques inhérents aux migrations à longue distance. La truite fario et l'ombre commun ont également fréquemment frayé dans des environnements de lits de gravier en aval d'obstacles (Ovidio et al., 2004). L'observation visuelle des poissons qui tentent de franchir des obstacles est une meilleure méthodologie pour distinguer les tentatives réussies et les tentatives infructueuses (Lauritzen et al. 2005)."Discussion
Notre expérience associative en têtes de bassin bourguignonnes nous a souvent amenés à rencontrer des ouvrages hydrauliques comparables à ceux décrits dans ce travail de recherche, aussi bien en région cristalline (Morvan) que sédimentaire (Auxois, Châtillonnais). Il n'est pas rare sur ces petits cours d'eau que plus des trois-quarts des ouvrages datent de l'Ancien Régime, nombre d'entre eux étant restés dans leur configuration d'origine. La capacité des poissons à franchir ou non de tels ouvrages est un motif régulier de désaccord entre les riverains et les gestionnaires (syndicats, services instructeurs de l'Etat, agences de bassin).
La réforme de continuité écologique en France a été initialement portée sous un angle maximaliste. Tout une partie de l'administration (direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, certaines agences de l'eau, l'AFB-Onema) voulait aller bien au-delà des prescriptions de la directive européenne sur l'eau de 2000 comme des lois de 2006 (continuité) et de 2009 (trame bleue), en s'intéressant non pas à des franchissements pour des espèces cibles présentant des déficits dans les rivières, voire protégées car menacées d'extinction (saumon, anguille), mais à une "renaturation" complète avec destruction préférentielle de l'ouvrage et de ses habitats. Cette radicalisation a suscité de vives protestations quand elle se traduisait par une pression univoque à la casse du patrimoine sans réflexion sur la hiérarchie des impacts et par un refus de financement public de solutions plus douces (ouverture de vannes, rivières de contournement, passes à poissons). Le blocage a conduit à plusieurs corrections de la loi visant à protéger les ouvrages, à des audits administratifs et à des évolutions ministérielles.
Face au trop grand nombre d'ouvrages classés au titre de la continuité (plus de 20000) et face au coût public-privé trop lourd des chantiers, nous sommes aujourd'hui revenus à une logique de priorisation: redéfinir les axes fluviaux, les tronçons, les ouvrages et les espèces qui sont réellement d'intérêt prioritaire en restauration de continuité. Ce travail de M. Ovidio et de ses collègues, comme le précédent déjà recensé (Philippart et Ovidio 2007), sera à verser au dossier de cette priorisation quand les services de l'Etat proposeront de débattre de leur grille d'analyse et préconisation. Nous sommes toujours en attente aujourd'hui du lancement de ces discussions ouvertes, dont la transparence méthodologique devra être irréprochable.
Référence : Ovidio M etal (2007), Field protocol for assessing small obstacles to migration of brown trout Salmo trutta, and European grayling Thymallus thymallus: a contribution to the management of free movement in rivers, Fisheries Management and Ecology, 14, 41–50
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