Le gouvernement vient de déposer en consultation publique un projet de décret de modification du régime IOTA (installations, ouvrages et travaux en rivière).
Ce projet comporte cette disposition assez discrète, placée dans son article 5 :
9° Après la rubrique 3.3.4.0. est créée une rubrique 3.3.5.0. ainsi rédigée :« 3.3.5.0. Travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques, y compris les ouvrages nécessaires à cet objectif, définis par un arrêté du ministre en charge de l'environnement. (D)Cette rubrique est exclusive de l'application des autres rubriques de la présente nomenclature.Au nom d'une catégorie fourre-tout de "restauration des fonctionnalités naturelles", il serait désormais possible d'intervenir par une simple déclaration en préfecture, cela sans égard pour les impacts créés par le chantier de restauration.
Concrètement cela peut signifier : détruire des moulins, étangs et plans d'eau, assécher des biefs et canaux, sur la base d'une simple déclaration, sans avoir à se référer aux règles prudentielles des autres rubriques du régime IOTA.
Le projet d'arrêté ministériel précise ainsi les travaux concernés :
"À cet effet, un projet d’arrêté définissant les travaux de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques relevant de la rubrique 3.3.5.0. de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1 du code de l’environnement a été rédigé. Il liste les travaux suivants :
- arasement ou dérasement d’ouvrage en lit mineur ;
- désendiguement ;
- déplacement du lit mineur pour améliorer la fonctionnalité du cours d’eau ou rétablissement du cours d’eau dans son lit d’origine ;
- restauration de zones humides ;
- mise en dérivation ou suppression d’étangs existants ;
- remodelage fonctionnel ou revégétalisation de berges ;
- reméandrage ou remodelage hydromorphologique ;
- recharge sédimentaire du lit mineur ;
- remise à ciel ouvert de cours d’eau couverts ;
- restauration de zones naturelles d’expansion des crues.
- opération de restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques prévue dans des documents de gestion approuvés par l’autorité administrative (cf liste dans l’arrêté)."
Auparavant, dès lors que 100 mètres de profil en long ou en travers d'une masse d'eau étaient modifiés, l'autorisation s'imposait. Et pour cause, un projet qui modifie considérablement le milieu en place doit obéir à un principe de précaution tant vis-à-vis du vivant tel qu'il existe sur le site que vis-à-vis des riverains.
Cette règle d'autorisation a permis à notre association de sauver divers sites dont l'administration voulait tolérer la destruction sans s'encombrer des obligations de l'autorisation (mais cette administration a dû reculer après recours). Cela a surtout évité des destructions sans réflexion ni préparation sérieuses, car l'autorisation est une procédure assez exigeante et les syndicats (ou autres maîtres d'ouvrage) sont donc tenus à une certaine rigueur sur les chantiers de continuité.
La fin de ce régime d'autorisation sous prétexte de "restauration de fonctionnalités naturelles" signifierait ainsi pour les collectifs et associations impliqués sur la continuité écologique et pour les citoyens en général :
- quasi-impossibilité d'être informés des projets (la déclaration est un simple courrier sans publicité à la DDT-M),
- absence d'étude des impacts riverains / usages / environnement,
- fin de l'enquête publique qui permettait aux citoyens de s'exprimer (en général, contre les casses) et aux associations de préparer des recours contentieux éventuels contre l'arrêté d'autorisation
- possibilité de casser "à la chaîne" pour les maîtres d'ouvrage de type syndicats de rivière ou fédérations de pêche.
Nous appelons les associations, fédérations et syndicats à faire de même, à donner leur avis dans la consultation, à préparer si nécessaire une action collective en justice.
Déposez votre avis sur la consultation.
Nota : nous écrire si votre association est disposée à participer à un contentieux.
Les représentants nationaux des ouvrages
doivent prendre leur responsabilité!
Suite aux déclarations du ministre Rugy, à la mauvaise volonté de produire la moindre avancée en comité national de l'eau, à ce nouveau décret scélérat, les fédérations moulins-riverains-étangs et syndicats doivent tirer les conclusions qui s'imposent. L'heure n'est plus à la division, l'heure n'est plus au pinaillage de textes abscons proposés par des fonctionnaires manipulateurs: l'heure est à la lutte coordonnée, résolue, systématique, sur tous les terrains pour sauver les ouvrages dont l'administration poursuit manifestement la disparition planifiée. Nous demandons en conséquence aux fédérations d'examiner l'opportunité de poursuivre leur participation du comité national de l'eau, mais surtout d'exposer de manière unitaire aux parlementaires et aux médias la situation catastrophique des patrimoines des rivières et les manoeuvres insincères de l'administration en charge de l'eau. Le comité national de l'eau a eu pour effet concret de neutraliser la dynamique créée par les nombreux rapports critiques de la continuité de la période 2012-2017, d'endormir les élus en prétendant que la concertation était en train de régler les problèmes, de laisser du temps à une bureaucratie déstabilisée pour organiser sa riposte, poursuivre son idéologie et aggraver sa dérive antidémocratique. doivent prendre leur responsabilité!
Bonjour, merci pour cette information. Effectivement, cette réforme interpelle, on ne comprend pas bien si des seuils s'appliqueront pour distinguer les IOTA qui relèveront de la déclaration, et ceux qui dépendront de l'autorisation. J'imagine que les projets de "restauration" sur des ouvrages / aménagements de taille significative relèveront quoi qu'il en soit d'autres rubriques de la nomenclature (notamment celle relative au profil en long).
RépondreSupprimerMais la vigilance est de mise: il est clair qu'au sein des acteurs institutionnels, les opérations de restauration sont souvent perçues comme "positives" et "vertueuses" par essence, et que l'évaluation des incidences de ces projets est souvent faite a minima.
Je pense que cela renvoie à un problème de fond induit notamment par le fait que les agences de l'eau ont largement la main sur les programmes de restauration des milieux, et que tous les acteurs institutionnels participent à l'élaboration des programmes de restauration sur la base de proposition des bureaux d'études, avant d'être instruits dans des procédures d'autorisation réglementaire. Les services "police de l'eau" sont plutôt passifs dans la phase amont, et se contentent d'instruire les dossiers de manière purement administrative, afin que les procédures soient respectées, mais sans réelle indépendance et capacité critique. Comme les services de police de l'eau perdent en compétence technique (notamment ingénierique) et juridique, on se retrouve avec une politique de restauration des milieux sans réel "contre-pouvoir" institutionnel.
En parallèle du problème d'évaluation des incidences, il y a aussi le problème de l'inutilité récurrente des opérations de restauration (et donc un problème relatif à l'usage de l'argent public), et le fait qu'elles soient "déconnectées" des politiques relatives à la gestion quantitative de l'eau (caractère limitant de l'hydrologie pour le fonctionnement écologique) et aux politiques agricoles (problématique des sédiments fins et du colmatage). On pourrait imaginer une stratégie plus progressive de reconquête des milieux, articulées aux problématiques touchant le bassin versant. Vaste débat...
Quoi qu'il en soit, la question de fond soulevée par votre post doit trouver une réponse: comment mieux encadrer par le droit les opérations de restauration des milieux dans une perspective de gestion intégrée? Cela passe peut-être par une réforme de la nomenclature, mais très certainement aussi par une réflexion sur le rôle des services police de l'eau dans l'ensemble de la chaîne.
Merci de votre commentaire.
RépondreSupprimerLe problème est en effet ce que l'on pourrait appeler une "essentialisation" du fonctionnement "naturel" du cours d'eau : la "nature" est forcément bonne, le "retour aux conditions de la nature" est forcément bon. En plus, cela rejoint le manque de moyen et / ou la paresse et / ou l'obsession du chiffre dans les tableaux d'évaluation de l'action publique : discours idéal pour justifier l'effort minimum.
En fait, ce raisonnement est contestable du point de vue interne à l'écologie :
- nous ne sommes plus en conditions "naturelles" (non-impactées par l'homme) sur tous les paramètres des bassins, donc casser un élément sans voir comment cela réagit avec le reste ne garantit rien du tout (exemple : invasives, assecs, sédiments fins, polluants etc. autant d'éléments dont le régime change avec l'ouvrage, pas forcément "en bien" à supposer qu'il y ait un bien)
- les écosystèmes anthropisés sont largement reconnus comme hébergeant une faune et flore propres, l'examen in situ permet seul de voir ce qu'il en est (à condition de ne pas filer une pelleteuse à un fanatique sur simple déclaration)
- l'approche par service écosystémique a été préconisée avec le Millenium Ecosystem Assessment, mais elle n'est pas sérieusement appliquée (le serait-elle que la rivière anthropisée se verrait reconnaître des services manifestes).
Mais il est aussi critiquable du point de vue externe à l'écologie :
- la nature n'a pas de valeur normative posée d'avance et au-dessus de la volonté humaine, si nous en sommes à asseoir nos représentations sur des choses aussi simplistes que "tout fait naturel est bon" ou "la nature fait bien les choses", ce serait une régression intellectuelle assez considérable ;
- les études en sociologie, psychologie, ethnologie, géographie et autres montrent qu'il y a une grande variation interindividuelle ou inter-groupes dans l'appréciation de la "nature" et du "naturel ";
- la loi, la jurisprudence et l'expérience accordent des valeurs d'intérêt à des tas de choses autres que la faune ou la flore ou l'eau (la sécurité, l'énergie, la propriété, le patrimoine etc.) de sorte qu'abaisser les protections de ces autres valeurs revient à antagoniser nature et société, nature et humanité (ce qui n'a probablement pas d'avenir).
Bonsoir, votre présentation pourrait laisser penser que vous voyez dans ce projet de réforme une occasion saisie par le gouvernement pour encourager encore davantage la destruction des ouvrages. Est-ce bien cela?
RépondreSupprimerPersonnellement, j'y vois avant tout l'intention de simplifier toujours plus les procédures administratives afin de limiter au maximum les risques d'obstacles aux projets d'aménagements divers et variés. En témoigne aussi le projet relatif à la simplification de la procédure d'autorisation environnementale, et l'émoi qu'il suscite en particulier concernant les compétences du Conseil National de la Protection de la Nature: http://www.consultations-publiques.developpement-durable.gouv.fr/decret-relatif-a-la-simplification-de-la-procedure-a1941.html?debut_forums=20#pagination_forums
Bonsoir
SupprimerCele fait plusieurs années que les syndicats de rivière se plaignent de devoir passer par des procédures d'autorisation pour les chantiers dits "de restauration" : donc oui, c'est clairement une mesure destinée à leur permettre d'aller très vite, en particulier pour détruire les ouvrages hydrauliques et leurs annexes, chantiers très contestés en France. Mais nous ne lâcherons pas là-dessus.
Les dispositifs IOTA étaient raisonnables : 100 m de linéaire modifiés appelaient une étude d'impact et une enquête, donc des projets de petites continuités ou d'aménagements de berge se faisaient sur déclaration, les autres sur autorisation.
Après, cela s'inscrit dans un processus plus large de simplification des projets ayant des impacts sur l'environnement, comme vous le relevez. Nous n'y sommes pas favorables non plus.
Nous ne sommes pas des représentants d'industriels, mais une association loi 1901 qui représente des citoyens: nous souhaitons donc le respect de la démocratie, en particulier de la démocratie locale et participative qui est si malmenée dans la France jacobine où tout se décide en bureau fermé chez le préfet. Si l'on change l'environnement et le cadre de vie des citoyens (peu importe le chantier), on doit les consulter et on doit prendre des précautions. C'est aussi vrai pour les chantiers industriels, y compris hydro-électriques s'ils modifient la rivière telle qu'elle est sur un linéaire important.
Ce qui est grotesque et ce contre quoi nous nous élevons, ce sont les complications pour relancer des moulins qui ne changent pas le seuil, ne changent pas le bief, ne changent pas le niveau, ne changent pas le DMB, se contentent de remettre une turbine et une grille fine devant : là, on assiste à des demandes aberrantes de l'administration alors que l'impact hydraulique / écologique est à peu près nul par rapport à l'existant et que le particulier n'a pas du tout les moyens de faire les analyses demandées, sans proportion avec la modestie du chantier devant relever de la déclaration simplifiée.
Mais si en revanche vous créez une centrale hydro qui change la rivière, c'est tout à fait normal d'avoir l'autorisation, les études d'impact et l'enquête publique (y compris pour les opposants, qui ont le droit en démocratie de s'opposer!).
L'origine de la loi sur l'eau avait pour objectif de limiter l'impact catastrophique des travaux d'hydraulique agricoles exécutés dans les années 50-80, sans aucune précaution et avec des impacts encore visibles. Sauf qu'à ce jour, tout projet de restauration, c'est à dire dont l'objectif est de rendre plus fonctionnel un milieu, subit les m^eme contraintes réglementaires et administrative qu'un projet visant à les détruire, et le plus souvent sur argent public. Ce projet de réglementation a moins le mérite d'être moral. Il est normal que le législateur facilite la procédure d'un porteur de projet qui veut araser un barrage, ,rendant de fait la masse d'eau plus fonctionnelle plutôt que l'inverse, c'est a dire une création qui va inévitablement la perturber. La règle qui s'applique à l'intérêt général est plus douce que celle qui s'applique à l'intérêt privé, sonnant et trébuchant de quelques nantis.
RépondreSupprimerNous récusons en toute généralité l'idée qu'un fonctionnement "naturel" (ce qui n'a plus trop de sens) est a priori meilleur pour la société humaine, sans que cette société humaine ait son mot à dire en appréciation des milieux et des usages. Idem pour le vivant, un étang ou un lac est souvent riche en biodiversité par exemple, même s'il est de création humaine. C'est le cas par cas seul qui permet de le dire.
SupprimerL'éloge de la rivière sauvage est un choix comme les autres en démocratie, mais nous jugeons pour notre part que c'est une posture plutôt intégriste et minoritaire, n'ayant pas à s'imposer sans débat pour vérifier si elle est partagée ou non, si le citoyen consent à dépenser l'argent public pour cela plutôt qu'autre chose.
Là-dessus, votre défense du soi-disant "l'intérêt général" tout en refusant concrètement les moyens d'expression des citoyens, on sait ce que cela vaut : pas très étonnant que des mentalités comme les vôtres souhaitent avoir les mains libres entre bureaucrates coupés de citoyens et n'ayant pas à répondre devant eux. Si vous ne comprenez que ce régime antidémocratique pousse au conflit partout dans le pays et que cela va s'aggraver, c'est bien dommage.
Ps : vous parlez aussi de "morale" quand les mesures plus contestées (destruction de barrages, moulins, canaux) ont été notoirement inspirées par des pêcheurs de truites et de saumons qui blessent, stressent et tuent des animaux pour leur plaisir personnel, tout en finançant en sous-main diverses structures soi-disant écologistes. Gardez donc ce genre de "morale" pour vous et vos amis.
"rendant de fait la masse d'eau plus fonctionnelle" vous dites?
SupprimerSommes-nous d'accord avec le fait que la masse d'eau est un découpage plus ou moins cohérent du bassin versant et du réseau hydrographique des grands fleuves, afin de mettre en place une évaluation d'un état écologique, mesuré en un ou quelques points donnés, sur la base d'indicateurs qui intègrent des facteurs locaux et des facteurs globaux de manière complexe et non linéaire, sans jamais être représentatif de l'ensemble du linéaire de la masse d'eau, ni de l'ensemble des pressions?
Sommes-nous d'accord donc, qu'il est souvent impossible d'établir un lien de causalité entre un indicateur mesuré en un point donné du réseau de surveillance et un aménagement quelque qu'il soit? (sauf très gros aménagement bien entendu qui a un impact à large échelle).
La masse d'eau, les indicateurs, sont des outils, des instruments, qui traduisent une réalité qu'il est difficile de cerner. Ils ne sont certainement pas des voyants rouge ou vert qui permettraient de qualifier "l'intérêt général".
En quoi donc une opération d'arasement répondrait-elle systématiquement à l'intérêt général, si on admet que les objectifs poursuivis par la DCE sont d'intérêt général?
En quoi cet intérêt général devrait-il s'imposer à l'intérêt général porté par la Directive Energie?
Par ailleurs, il me semble que vous confondez "intérêt privé" et "propriété privée". Cette dernière, quoi qu'on en pense, est protégée par la Constitution et la loi, qui est quand même le socle de l'Etat de droit.
N'est-il pas juste, normal, que les propriétaires privés fassent valoir leur droit (j'insiste à nouveau inscrit dans différents textes juridiques) face à des opérations de restauration, qui ne concernent qui plus est qu'une facette de l'intérêt général?
Votre propos traduit une ambiguité fondamentale: la réglementation serait "bonne" quand elle sert votre représentation de l'intérêt général, et elle serait une contrainte lorsqu'elle vient mettre un tout petit obstacle dans sa réalisation.
C'est l'exacte symétrique de nombreux industriels, agriculteurs, promoteur de l'hydroélectricité, etc...