26/07/2019

La négation des réalités écologiques de terrain continue et s'aggrave dans le suivi des chantiers d'effacement d'ouvrages

Les experts publics (Irstea, OFB, agences de l'eau) viennent de proposer un guide de suivi des chantiers de restauration hydromorphologique. Ce guide est d'abord un aveu: depuis 10 ans, les agences de l'eau dépensent plusieurs centaines de millions € chaque année sur ce compartiment de la morphologie des rivières sans pouvoir apporter la moindre garantie scientifique de résultat, et cela alors que les retours critiques sur ces résultats très inégaux ont déjà 15 ans dans la recherche internationale. Les apprentis-sorciers ont trompé les décideurs et les citoyens en prétendant aux vertus garanties de leurs chantiers. Ce guide est ensuite biaisé en ce qui concerne le suivi avant-après des destructions d'ouvrages hydrauliques (continuité en long): les auteurs préconisent de nier purement et simplement la biodiversité et les fonctionnalités de tous les espaces aquatiques et humides qui sont dérivés de l'ouvrage (biefs et annexes). C'est donc kafkaïen : on propose une mesure qui, par elle-même, ne pourra qu'aboutir à un soi-disant résultat "positif", cela sans aucune certitude qu'il n'y a pas eu en fait une perte nette de milieux et d'espèces d'intérêt. C'est moins de la science qu'une idéologie de certification des choix publics.  En tout cas, on est toujours très loin de la continuité "apaisée". Mais les citoyens s'informent désormais et ils ne se laisseront pas duper par de telles méthodes, construites par une expertise fermée aux publics concernés. 


Des experts des agences de l'eau, de l'Irstea (Institut national de recherche en sciences et technologies pour l'environnement et l'agriculture) et de l'AFB (désormais OFB pour Office français de la biodiversité) viennent de publier un "Guide pour l'élaboration de suivis d'opérations de restauration hydromorphologique en cours d'eau".

Les chantiers concernés par le guide sont de sept types : reméandrage ; suppression d’ouvrage en travers ; contournement de plan d’eau (hors dispositif de franchissement piscicole type passe à poissons, rustique ou non) ; remise dans le talweg ; reconstitution du matelas alluvial ; suppression des contraintes latérales ; modification de la géométrie du lit (changemments locaux de faciès et profils) sans modification de l’emprise foncière.

Les auteurs observent en introduction que la littérature scientifique donne des conclusions ambivalentes :

"la littérature scientifique, notamment par le biais d’études de cas ou de méta-analyses, se penche sur la question des trajectoires suivies, d’une part par l’hydromorphologie, d’autre part par les communautés biologiques, suite à une opération de restauration. Ces travaux révèlent une grande variabilité dans ces trajectoires. Ainsi, les travaux menés dans le cadre du programme Reform, de Kail et al. montrent que la restauration a en moyenne des effets positifs sur les communautés biologiques, mais que les réponses sont très variables d’un site à l’autre. Les travaux menés par Roni et al. indiquent quant à eux qu’il est difficile de conclure sur l’efficacité des techniques, malgré les 345 études analysées." 

Deux remarques à ce sujets :
  • les auteurs sont encore loin de recenser tous les retours d'expérience en hydromorphologie, dont beaucoup sont fort critiques sur l'absence de résultats et l'absence de sérieux dans le suivi, malgré l'importance des sommes investies (voir quelques exemples ici),
  • les auteurs admettent que le suivi scientifique est défaillant en France... alors même que de nombreux chantiers sont engagés depuis 10 ans (10 à 20% des dépenses des agences de l'eau, soit des centaines de millions € par an) et que l'on prétendait au décideur public que l'Onema réalisait déjà des suivis attestant la qualité des choix opérés (comme nous l'avions montré, ces suivis étaient tout à fait défaillants car dénués de rigueur, cf références en bas d'article).
Précisons les choses : nous n'affirmons nullement que toutes les issues des chantiers sont négatives ou sans intérêt, simplement qu'il n'y a pour le moment pas de garantie. Or, on parle là de dépense d'argent public et, dans certains cas, de contraintes lourdes pour les riverains avec des options écologiques ayant des désavantages sur d'autres dimensions de la rivière et de ses usages.

Les résultats des "restaurations" mettront en fait des années voire des décennies à s'établir, certains seront bons mais d'autres médiocres, certains auront même des effets négatifs (comme favoriser des invasives, des assecs etc.). Nous demandons donc que soit reconnu le caractère encore très expérimental de tels chantiers, et qu'ils soient limités à des tronçons pour analyse avant-après au lieu que d'être généralisés comme des outils soi-disant routiniers et maîtrisés de la gestion de rivière. Ce qu'ils ne sont pas. L'argent public manque pour soutenir l'objectif n°1 de dépollution chimique des eaux et des rives (imposé par la directive cadre européenne de l'eau à peine d'amende), mais aussi pour financer une politique sérieuse de réserves de vie sauvage susceptibles d'héberger la biodiversité en crise (la cour des comptes européennes a critiqué la gestion des Natura 2000 et des outils de la directive HFF par la France). L'administration de l'eau ne peut pas continuer à dépenser ainsi sans discernement et sans méthode.

Effacements d'ouvrages : le déni organisé des milieux en place !
Par ailleurs et plus gravement, dans le suivi des effacements d'ouvrage en travers au nom de la continuité en long, les auteurs persistent à proposer de mauvaises méthodes. Ils considèrent en effet qu'il suffit d'échantillonner en amont et en aval de la retenue effacée, tout en veillant particulièrement à la "recolonisation des espèces rhéophiles au détriment des limnophiles" :


Figure extraite du guide citée en référence.

Or :

  • c'est une tautologie de dire que recréer un habitat lotique sera favorable aux espèces lotiques (mais défavorable aux espèces lentiques), la collectivité paie pour la sauvegarde de la biodiversité, pas pour des changements de détail de peuplements locaux (le score à mettre en avant pour valider ou non la dépense serait celui de la diversité bêta des stations, pas de la spécialisation lotique),
  • cette méthode de mesure ignore l'un des intérêts des ouvrages, en particulier de moulins, à savoir la création d'habitats dérivés (biefs et annexes).

Ce schéma expose le problème :



Nous sommes donc obligés de constater que l'écologie de la restauration en France persiste dans le déni de valeur des écosystèmes artificiels, selon une idéologie que nous avons déjà dénoncée et qui conduit selon nous à de mauvais choix dans le cas de la continuité en long. Les experts publics produisent des métriques qui servent d'abord à valider des choix publics, mais pas à établir une connaissance complète et objective des milieux en place qui sont perturbés par des chantiers.

Nous ne parviendrons pas à une continuité "apaisée" et à des échanges sereins entre parties prenantes sans sincérité intellectuelle. Elle fait défaut dans cette démarche pour ce qui concerne les destructions d'ouvrages et de leurs milieux associés.

Référence : Rolan-Meynard M. et al (2019), Guide pour l’élaboration de suivis d’opérations de restauration hydromorphologique en cours d’eau, Agence française pour la biodiversité, Collection Guides et protocoles, 190 pages

A lire en complément
Idée reçue #08 : "Les opérations de restauration écologique et morphologique de rivière ont toujours de très bons résultats"
Recueil d'expériences de l'Onema: un bon aperçu du manque de rigueur en effacement des ouvrages hydrauliques 
Comment dépasser les mauvaises pratiques actuelles en destruction des étangs et plans d'eau 

Exemples d'habitats de moulin négligés par la méthode OFB-Irstea-Agences de l'eau (milieux risquant la mise à sec si l'ouvrage est arasé ou dérasé)

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