Le travail mené par le Comité national de l'eau depuis 24 mois n'est pas représentatif des attentes des défenseurs des ouvrages hydrauliques, et ses conclusions sont très loin des évolutions nécessaires de l'action publique. La principale fédération de moulins (FFAM) a déjà signifié son refus de plusieurs dispositions du plan et de la note d'exécution de la continuité apaisée. Les représentants des étangs, des forestiers, des petits producteurs d'hydro-électricité, des défenseurs du patrimoine rural, technique et industriel n'ont pas été conviés à la conduite des échanges. Les associations indépendantes comme Hydrauxois pas davantage. D'autres secteurs de la société ont été sur-représentés dans ces travaux qui, conformément aux mauvais usages de l'administration centrale, ne sont pas représentatifs de la réalité et restent dans une logique autoritaire verticale qui a mené à la faillite de la politique de continuité. Toutes les propositions visant à aller à la racine des problèmes et à réviser les choix publics ont été écartées. Et les récentes déclarations de François de Rugy (au Sénat comme à l'Assemblée nationale) suggèrent hélas une vision dramatiquement fausse des enjeux présents et futurs autour de la continuité.
Nous rappelons les conditions d'une "continuité apaisée" :
- reconnaissance claire et sincère de l'existence légitime de tous les ouvrages autorisés en rivière,
- arrêt immédiat de toute prime à la destruction de ces ouvrages,
- financement public des dispositifs de franchissement autres que la bonne gestion des vannes et des ouvrages,
- abandon de la doctrine inefficace, maximaliste et inadaptée de "renaturation" et de la "rivière sauvage", au profit d'une gestion adaptative des rivières avec leurs ouvrages et au service des biens communs menacés.
Le recours porté par la Coordination nationale Eaux et rivières humaines concerne principalement quatre points :
- l'organisation de nouvelles charges et l'inégalité devant les charges, avec insécurité juridique des "non prioritaires",
- la persistance à promouvoir l'effacement d'ouvrage,
- l'abus de pouvoir dans la discrimination des projets hydro-électriques,
- la persistance à justifier la continuité par des gains d'habitats et non par des recherches de fonctionnalités, ainsi que pour des espèces sans besoin particulier de migration à longue distance.
En outre, deux autres recours (contentieux) en justice ont été déposés voici 3 mois par un collectif de 35 associations contre les programmes d'intervention des agences de l'eau Seine-Normandie et Loire-Bretagne, qui persistent à surfinancer les aides à la destruction des moulins, étangs barrages et canaux, en contradiction flagrante du prétendu "apaisement" public.
A tous les niveaux de l'action, les bureaucraties de l'eau doivent désormais cesser de faire de la destruction d'ouvrages légalement autorisés, écologiquement intégrés et socialement appréciés un élément des doctrines ou des planifications publiques.
Nous invitons toutes les associations désireuses de mener un vrai travail collectif sur leur grand bassin hydrographique et au niveau national à rejoindre la Coordination nationale Eaux et rivières humaines. Cela sans exclusive aucune et sans concurrence inutile par rapport à d'autres appartenances syndicales ou fédérales. Seule une action systématique et une tolérance zéro contre les abus de pouvoir permettront de protéger l'avenir des rivières françaises, de leurs ouvrages et de leurs usages.
La destruction et l'assèchement sur choix public des canaux, des biefs, des retenues, des lacs, des étangs, des plans d'eau, des mares, des zones humides, du patrimoine des moulins, des forges et des barrages représentent une catastrophe sans précédent et une dérive inadmissible des administrations en charge de l'eau.
Pour tous ceux qui en sont conscients, c'est désormais un devoir citoyen de s'engager et une obligation morale de défendre les patrimoines en péril, partout où notre parole collective devra porter.
Ci après, quelques arguments extraits du recours, pouvant aussi être utilisé dans des débats avec les services des préfectures.
Note technique NOR : TREL1904749N
Objet du recours
Page 4 : l’article L211-1 du Code de l’environnement ne doit pas être ignoré
La note litigieuse dispose :
« A l’échelle nationale, les objectifs de ces politiques ne sont pas incompatibles. A l’échelle locale, ils nécessitent de faire des choix dans le cadre d’un dialogue de qualité entre tous les acteurs. Le plan d’action cité ci-dessus présente des éléments de méthode et d’organisation pour que les discussions locales et nationales puissent se faire de manière apaisée, au service d’une mise en œuvre efficace de l’action publique, à la fois sur les plans techniques, administratifs, sociaux et économiques. »
Cette mention contredit l’article L211-1 CE qui prévoit une « gestion équilibrée et durable » de la ressource en eau, et rappelle les différents enjeux à prendre en compte en tout point du territoire.
Nous sollicitons en conséquence que les deux premières phrases de ce chapitre soient remplacées par : «Les discussions locales de mise en œuvre de la continuité écologique se feront dans le respect des enjeux établis à l’article L211-1 du code de l’environnement et des modalités de mise en œuvre prévues conformément à l’article L214-17 CE.»
Page 5 : inégalité devant la loi et les nouvelles charges
La note litigieuse vise à définir des ouvrages « prioritaires » au titre de la continuité écologique et précise :
« Les ouvrages sélectionnés seront prioritaires : - pour les moyens d’accompagnement et d’expertise coordonnée des services de l’État et ses établissements publics ; - pour les moyens financiers des agences de l’eau, même s’il demeurera toujours possible d’aider des opérations « volontaires » sur des ouvrages « non prioritaires » ; - pour la police administrative et les contrôles. »
Or, dans le même temps, aucune disposition n’est prévue pour définir au plan règlementaire le sort des ouvrages « non prioritaires ». L’article L 214-17 CE prévoit un délai de 5 ans pour la mise en conformité, prorogé une fois de 5 ans. Donc le délai maximal de mise en œuvre se situe en 2021 ou 2022 selon les bassins.
En faisant le choix de concentrer sur cette courte période les instructions administratives et les aides financières sur certains ouvrages dits prioritaires :
- la note créé une pression supplémentaire sur certains ouvrages indéfinis,
- la note n’infirme ou ne confirme pas que les dispositions de l’art L214-17CE s’appliquent ou non aux ouvrages « non prioritaires »,
- la note instaure une inégalité manifeste des propriétaires d’ouvrages hydrauliques devant la loi et crée de nouvelles charges ou des différences sans base légale dans l’obligation de satisfaire des charges.
Nous sollicitons en conséquence l’annulation de cette disposition discriminante qui fait peser une charge spéciale particulière sur certains ouvrages indéfinis bien supérieure aux dispositions générales de l’article L214-17 CE et qui crée une inégalité de traitement dans la mise en œuvre de la loi commune à toutes les rivières classées.
Pages 6 et 7 : abus de pouvoir sur les futures instructions et autorisations de relance hydro-électrique des ouvrages autorisés
La note technique litigieuse dispose :
« L’équipement pour la production hydroélectrique des seuils existants est en effet une priorité pour le développement de l’hydroélectricité, car il est considéré comme ayant un moindre impact sur les milieux que la création d’une centrale nouvelle. Toutefois, ce nouvel impact est délicat à justifier sur les seuils existants en liste 1 et ne peut être accepté que sous certaines conditions très particulières. Cela conduit à privilégier en premier lieu l’équipement des ouvrages existants situés en dehors des cours d’eau classés en liste 1 et à respecter des exigences plus fortes d’évitement, de réduction et, le cas échéant, de compensation, en cas de projet d’équipement sur un seuil en liste 1, sur lesquelles les porteurs de projets doivent être alertés. »
Les ouvrages sous statut de droit fondé en titre sont réputés réguliers et autorisés pour faire usage de la force hydraulique tant au titre du code de l’environnement qu’au titre du code de l’énergie. Les autres, ayant fait l’objet d’une autorisation administrative peuvent produire dans le cadre de ce règlement. La jurisprudence a notamment précisé que ni les listes 1 ni les listes 2 ne s’opposent à la construction d’un nouvel ouvrage, a fortiori à la relance d’un ouvrage existant a fortiori toujours autorisé.
Dans l'arrêt du Conseil d'Etat "moulin du Bœuf" du 11 avril 2019 (n° 414211), il est expressément rappelé par le juge que l'intérêt d'un projet d'énergie renouvelable est d’intérêt général au sens de la loi sur l’eau et ne s'apprécie pas selon sa puissance : "Il résulte de ces dispositions que la valorisation de l’eau comme ressource économique et, en particulier, pour le développement de la production d’électricité d’origine renouvelable ainsi que la répartition de cette ressource constitue l’un des objectifs de la gestion équilibrée et durable de la ressource en eau dont les autorités administratives chargées de la police de l’eau doivent assurer le respect. Il appartient ainsi à l’autorité administrative compétente, lorsqu’elle autorise au titre de cette police de l’eau des installations ou ouvrages de production d’énergie hydraulique, de concilier ces différents objectifs dont la préservation du patrimoine hydraulique et en particulier des moulins aménagés pour l’utilisation de la force hydraulique des cours d’eau, compte tenu du potentiel de production électrique propre à chaque installation ou ouvrage."
Dans la directive européenne énergies renouvelables n°2018/2011 du 11 décembre 2018, il est expressément dit par le législateur de l'Union que tous les projets doivent être soutenus en Europe y compris l'autoconsommation en petite puissance. Il est aussi précisé que les Etats doivent faire des demandes proportionnées : "Les petites installations peuvent largement contribuer à renforcer l'acceptation par le public et à assurer le déploiement de projets en matière d'énergie renouvelable, en particulier au niveau local. Les États membres peuvent imposer des frais non discriminatoires et proportionnés aux auto-consommateurs d'énergies renouvelables pour l'électricité renouvelable qu'ils ont eux-mêmes produite et qui reste dans leurs locaux, dans l'un ou plusieurs des cas suivants: (...)c) si l'électricité renouvelable produite par les auto-consommateurs est produite dans des installations d'une capacité électrique installée totale supérieure à 30 kW."
Nous sollicitons en conséquence l’annulation de ces dispositions illégales.
Page 12 : priorité donnée à l’effacement sur certains cas prioritaires et motivations indues par rapport aux enjeux légaux de la continuité
La note technique litigieuse indique comme critère de priorité pour les tronçons prioritaires :
« les sections de cours d’eau où le gain écologique serait le plus fort avec le moins d’interventions possibles, notamment les secteurs sur lesquels l'effacement permet la reconquête et la diversification de linéaires significatifs de cours d'eau dégradés ou très dégradés (notamment en zone de plaine) »
« pour les cours d’eau à espèces exclusivement d’eau douce (holobiotiques) : il est important de recréer des habitats (dont frayères), par effacement par exemple, pour les espèces holobiotiques rhéophiles (grands cyprinidés)».
Cette préconisation :
- porte un soutien implicite a priori à « l’effacement » d’ouvrages autorisés alors que ni les lois françaises ni les directives européennes n’ont jamais prévu cette exigence ;
- pourrait s’appliquer à tous les moulins et étangs de France, ouvrant toutes grandes les portes de l’intuitu personae ;
- suggère le principe contesté que l’objectif de la continuité écologique serait la restauration d’habitats ou de profils antérieurs de la rivière, alors que le classement de continuité (objet du plan et de la note technique) évoque la circulation de poissons migrateurs et le transit de sédiments, non pas une doctrine de « renaturation » de rivières ou de soutien d’effectifs de poissons holobiotiques. La circulaire du 18 janvier 2013 sur la mise en œuvre du classement en liste 2 était claire : «L’objectif de la liste 2 est l’amélioration du fonctionnement écologique des cours d’eau. Il ne s’agit pas de rendre au cours d’eau son état naturel d’origine mais de rétablir des fonctions écologiques et hydrologiques à un niveau permettant notamment l’atteinte des objectifs de la DCE, en rétablissant une circulation optimale des poissons migrateurs et un transfert suffisant des sédiments.»
Nous sollicitons en conséquence l’annulation de ces dispositions illégales.
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Rappel : nous nous retrouvons tous à la fin de ce mois pour organiser la promotion des ouvrages et la reconquête des rivières. En présence de nombreux experts, responsables d'associations, exposants. Inscrivez-vous vite !
Quand on voit l'impact de l'humain sur notre planète, et sur nos cours d'eau, vous êtes au moins en cohérence avec Eaux et Rivières Humaines. Eh ben.....
RépondreSupprimerIl y a une notion qui s'appelle Anthropocène. Il faut en tirer les conséquences. Mais l'humain fait les choix qu'il veut : faire une "réserve naturelle" ou une "renaturation", c'est aussi un choix humain, par exemple. Nous sommes toujours dans des débats entre humains en rapport au non-humain.
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