Un des hydrosystèmes témoins qui a été examiné en support de la modélisation du bassin, site de Volmolen, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit
Anna-Lisa Maaß et Holger Schüttrumpf (université d'Aix-la-Chapelle) ont étudié deux petites rivières, leurs berges, leurs ouvrages et leurs lits majeurs en Europe occidentale: l'une est toujours affectée par des moulins à eau (rivière Geul, sud du Limbourg, Pays-Bas, 57 km, bassin versant 380 km2, débit à la confluence 3,4 m3/s) et l'autre est un cas témoin post-moulin à eau (rivière Wurm, embranchement du Bas-Rhin, Allemagne, 57,9 km, bassin versant 356 km2, débit à la confluence 4 m3/s). La rivière Geul dispose de 19 moulins dont 7 encore en activité permanente ou partielle. La rivière Wurm disposait historiquement d'environ 60 moulins, mais tous ont fini par disparaître pour différents motifs.
La méthode utilisée est la suivante : "Les effets d'un système rivière-moulin sont analysés à l'aide d'équations physiques des effets de remous et de la mobilité des sédiments, associées à des mesures sur le terrain de la pente du chenal et du développement du lit majeur inondable antérieur et postérieur aux moulins à eau, dans deux bassins de plaine très similaires. La morphologie avant la construction du moulin à eau est reconstruite en analysant une couche de lit de gravier visible sur la rive de la rivière Wurm (Allemagne), qui représente le lit historique pré-moulin (Buchty-Lemke et Lehmkuhl 2018). L'accrétion dans le lit majeur de la rivière Geul (Pays-Bas) est déterminée à l'aide de tapis de pièges à sédiments. La similitude de deux cours d'eau à lit méandré de graviers et lits majeurs limoneux permet d'étudier l'effet des sites en fonctionnement et l'effet de leur suppression, ce qui autorise un degré de contrôle n'étant généralement utilisé que dans les modèles expérimentaux ou numériques." Les chercheurs ajoutent un certain nombre de paramétrages (part du débit dans le chenal principal et les biefs, état d'équilibre morphologique présupposé de la rivière avant la construction des moulins).
Voici leurs principales conclusions
"Les lits majeurs autour des zones de retenue de l'eau sont plus souvent inondées pendant la période d'activité des moulins que ceux précédant leur construction en raison des niveaux d'eau plus élevés de la retenue au déversoir, ce qui entraîne une sédimentation relativement élevée dans les plaines inondables. Après l'élimination des moulins, les niveaux d'eau ne sont plus surélevés.Dans les chenaux, le débit ralenti en amont des seuils des moulins entraîne le dépôt de sédiments dans la zone de retenue.
La période entre la construction et la destruction des moulins a été si longue que les taux d’inondation du lit majeur et, par conséquent, la sédimentation de ce lit majeur ont diminué en raison de l’augmentation de la hauteur des rives.
Après la destruction des moulins, le flux ne pénètre plus dans le canal usinier, ce qui entraîne une incision dans le fond de la vallée, plus profonde que le dépôt formé pendant la période d'activité des moulins.
La réponse morphologique était si hystérétique que les effets des moulins sont toujours présents dans les systèmes fluviaux d’aujourd’hui.
La comparaison avec d'autres études a montré que les résultats des deux cours d'eau analysés dans la présente étude s'appliquent à de nombreux autres systèmes de lits majeurs en Europe comportant des lits de gravier et des plaines inondables limoneuses, qui ont été ou sont toujours affectés par une succession de moulins à eau ou par d'autres types de barrages, car les conséquences morphologiques globales de l’incision en canal sont indépendantes des conditions spécifiques du site d’étude."
Exemple d'incision après suppression des ouvrages, en bas à droite le lit de gravier montre le niveau ancien de la rivière, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit
Les chercheurs soulignent notamment le phénomène d'incision, de diminution de la granulométrie des sédiments et de divers effets secondaires indésirables dans les cas étudiés sur la rivière à moulins détruits:
"Après l'effacement du moulin à eau, les hauteurs des berges sont augmentées par rapport à l'état initial sans moulin à eau. Les effets de l'augmentation de la hauteur des berges sur la morphologie fluviale sont similaires à ceux des digues (Hesselink et al. 2003; Frings et al. 2009; Zhang et al. 2017). En raison de l'élévation des lits majeurs, le niveau plein bord du cours d'eau est augmenté dans le chenal principal par rapport aux niveaux antérieurs aux moulins. L'augmentation des niveaux d'eau entraîne une augmentation des contraintes de cisaillement. Cette augmentation de la contrainte de cisaillement du lit conduit généralement à l'érosion des grains fins et à la réduction de la taille des grains du lit de la rivière (Frings et al. 2009). Ici, l'incision est également associée à des problèmes qui persistent aujourd'hui, tels que l'excavation de conduites, le besoin de construction de fondations pour des travaux de génie civil et des problèmes de navigabilité à faible débit, ainsi que l'assèchement de la végétation naturelle dans les lits majeurs encaissés."
Le phénomène d'accrétion (élévation lit et berge) quand les moulins ont été bâtis et celui d'incision quand ils sont détruits, extrait de Maaß et Schüttrumpf 20019, art cit
Discussion
Si les analyses des effets morphologiques des grands barrages modernes sont assez répandues, celles portant sur les moulins et étangs anciens sont rares. Le travail de Maaß et Schüttrumpf contribue donc à améliorer nos connaissances encore très lacunaires. Leur résultat confirme que les bassins versants des zones densément et anciennement peuplées comme l'Europe occidentale ne sont pas seulement modifiés par l'âge industriel, mais que leur profil répond à des ajustements déjà millénaires tenant à l'usage de l'eau et des sols autour des rivières. L'anthropocène est donc plus ancien qu'on ne le pense généralement. Ce n'est pas une réelle surprise, l'idée d'une nature qui n'aurait été modifiée que très récemment par l'humain est battue en brèche par de très nombreux travaux d'histoire et d'archéologie environnementales, en particulier dans le domaine des rivières et des zones humides (voir quelques références récentes de recherche à la fin de cet article).
Les conclusions des chercheurs contredisent certains récits tenus par les gestionnaires publics des rivières en France. Même si chaque bassin doit être analysée dans sa morphologie historique et dynamique afin de faire des choix avisés (ce qui n'est pas souvent le cas dans la politique actuelle des syndicats et parcs, faute de moyens et de compétences), le résultat observé par Maaß et Schüttrumpf indique que sur les petites rivières à plaines alluviales, la politique de suppression des ouvrages tendra à inciser les lits, augmenter le transit de sédiments fins, limiter la capacité de débordements en lits majeurs. Ces effets sont donc plutôt négatifs pour la prévention des inondations (moins de débordements en lits majeurs), pour la continuité latérale (moins de milieux humides dans les écotones du lit majeur) et pour le colmatage des fonds. La compensation de ces effets demanderait des coûts sans doute considérables de ré-aménagements des lits majeurs, à supposer que le gestionnaire public trouve la disponibilité foncière pour cela (ces sols riverains sont généralement d'usage agricole et valorisés, voir Riegel 2018).
Une réflexion s'impose donc, et l'on peut regretter que l'Etat français ait décidé de politiques massives de continuité en long (20 000 ouvrages transversaux à traiter en quelques années) dans la précipitation et l'approximation. L'écologie n'est pas un domaine où l'effet d'annonce pour satisfaire quelques clientèles par des symboles donnera de bons résultats. Et la "renaturation" complète de bassins versants est un objectif qui excède aujourd'hui tant le contenu des lois que la capacité de financement des gestionnaires publics et, probablement, le consentement des citoyens. Le gouvernement a lancé récemment une option de "priorisation" des rivières à traiter au titre de la continuité en long : il nous paraît évident que de telles informations morphologiques et sédimentaires sont à mobiliser pour la décision, le choix d'obtenir des lits incisés et des assèchements de rives n'étant pas vraiment un objectif d'intérêt général ou écologique. Mais qui va prioriser au juste? Sur quels attendus scientifique? Depuis quelles concertations avec les acteurs subissant ces effets?
Référence : Maaß AL, H. Schüttrumpf (2019), Elevated floodplains and net channel incision as a result of the construction and removal of water mills, Geografiska Annaler: Series A, Physical Geography, DOI: 10.1080/04353676.2019.1574209
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Bonjour, si les services police de l'eau et les bureaux d'études font bien leur travail, ces risques doivent être évalués dans les dossiers réglementaires. Le risque d'incision après suppression de seuil me semble bien identifié depuis un certain temps déjà au sein des services de l'Etat (c'est pourquoi il arrive fréquemment qu'un seuil de fond soit préservé pour fixer le profil en long), mais cet article rappelle opportunément qu'une incision peut survenir également en contexte de petite rivière de plaine (et non pas seulement en contexte à fort transport solide). D'autres risques existent (géotechnique, transfert de sédiments contaminés, destruction de zone humide d'intérêt patrimoniale, etc) et les services de l'Etat doivent veiller à ce qu'il n'y ait pas d'excès de zèle et de précipitation dans les travaux engagés... Il ne faut pas non plus surévaluer a priori les impacts des seuils: ils peuvent être inexistants en fonction du contexte, des caractéristiques du seuil, etc... Les seuils peuvent au contraire être très "bénéfiques" pour la biodiversité. Les services de l'Etat doivent pouvoir le dire, ce qu'ils n'assument pas assez souvent. Rien qui ne remette fondamentalement en cause la politique de restauration de la continuité dans ses fondements donc... mais il est toujours bon de calmer les ardeurs des acteurs de la continuité écologique qui peuvent parfois avoir tendance à s'enfermer dans leur schéma de pensée sans bien toujours maîtriser ce qu'ils font.
RépondreSupprimerBonjour,
SupprimerNous sommes plutôt d'accord avec ce que vous dites, mais par rapport à nos observations de terrain, vous enjolivez un peu la situation. On lit des choses intéressantes dans les colloques qui sont tenus sur la restauration, mais les choses mises en valeur à ces occasions ne reflètent pas la masse de chantiers, ce sont souvent des cas à forte mobilisation financière et foncière dont chacun sait qu'ils ne sont pas généralisables.
- L'analyse par bassin versant est reconnue comme une nécessité forte en écologie aquatique depuis 50 ans, or elle est rarement faite avec rigueur, il n'existe pas en particulier (en lien à l'article commenté) de simulation des comportements crues-étiages sur des BV comportant des dizaines d'ouvrages, ni de l'évolution des berges, nappes, sols, ripisylves dans l'hypothèse où la préférence est donnée à une disparition complète des ouvrages du bassin avec un retour au lit mineur "libre". Encore récemment nous nous sommes heurtés à un PAPI aberrant qui se contentait de dire que l'ouvrage est insignifiant en effets sur la crue et à tout prendre mauvais pour la prévention des inondations, cela avec... zéro analyse empirique pour asseoir de tels propos (l'amont de la zone concernée par ce PAPI, soit l'ensemble de la Seine supérieure, doit comporter 1000 à 2000 petits ouvrages de moulins, étangs, plans d'eau, canaux, c'est étonnant de dire que tout cela n'existe pas ou n'influe pas sur la répartition de l'eau...),
- il faut régulièrement batailler pour obtenir des analyses chimiques de sédiments avant remobilisation, même si la pratique s'est un peu améliorée,
- les inventaires de biodiversité faune-flore des sites qui vont être perturbés par le chantier (dans certains cas détruits définitivement et devenir des milieux secs) sont presque tout le temps absents, aucune compensation n'est planifiée si l'on perd de la surface en eau, et de toute façon la focalisation de la continuité sur le poisson / l'insecte lotiques rendent ces inventaires sans effet car quoiqu'on trouve, on dira toujours qu'un certain profil et un certain assemblage conforme à ce profil est "meilleur" (jugement de valeur que nous contestons pour notre part).
La continuité en long reste une politique qui est historiquement née sous l'angle de la perturbation des grands migrateurs (vérifiée) et sous celui des effets cumulés de grands barrages entraînant des déficits sédimentaires aux estuaires ainsi que des débits d'exploitation très perturbés par rapport au "régime de débit naturel" (vérifiés aussi). Nous pensons que cette politique de continuité doit être "remise en cause" sur pas mal de bassins versants à ouvrages modestes qui n'ont pas ces enjeux, ou alors qui les ont à très bas bruit ne jtsifiant pas d'en faire une priorité d'action publique (la révision du classement de 2011-2012 était dans la loi, rappelons que la DEB s'y refuse). Par ailleurs, la critique de l'habitat anthropisé comme étant par nature "mauvais" car "altéré" et la valorisation d'un idéal de "nature sauvage" sont très vivantes chez nombre d'acteurs, soit par conviction idéologique forte (pourquoi pas, mais en ONG et autres cadres militants, ce serait mieux qu'en fonction publique ayant pou mission d'appliquer la loi de manière neutre) soit par paresse intellectuelle et routine gestionnaire (c'est plus simple de classer en noir et blanc sans réfléchir et analyser plus avant). Nous souhaitons que ces attitudes évoluent et si elles ne peuvent évoluer par la pratique, que la loi rappelle formellement à tous l'existence des écosystèmes anthropisés et la nécessité de les étudier avant d'y intervenir dans le but d'une altération significative et permanente de leur structure actuelle (pas dans le cas de leur gestion normale bien sûr).