22/11/2019

La première étape du plan de continuité apaisée ne remplit pas ses promesses

Le plan de continuité apaisée du gouvernement prévoyait une concertation pour définir des rivières et des ouvrages prioritaires. Cette priorisation a été faite par l'administration, mais avec une simple présentation du résultat et sans discussion en amont sur les bases de la priorité. Par ailleurs, les services de l'Etat confirment que cette priorisation est un canevas interne pour faire face à l'irréalisme du classement de 2012-2013 et à l'impossibilité de le satisfaire : les ouvrages non prioritaires n'ayant rien fait en 2022-2023 seront dans l'illégalité, donc sujets à l'aléa juridique d'une mise en demeure administrative ou d'un contentieux porté par un tiers. C'est donc un mauvais départ. Si, sur les rivières prioritaires, les services de l'Etat viennent avec la même volonté de démolir les ouvrages et le même refus de financer les seules solutions prévues par la loi (équipement, gestion, entretien), les contentieux vont repartir en flèche. A compter de cet hiver, les associations doivent visiter un par un les sites des rivières classées prioritaires afin de définir une position commune propriétaires-riverains, puis d'organiser des rencontres avec les acteurs publics de l'eau sur la base des solutions souhaitées... et exclues.


Exemple des rivières et sites prioritaires de la Nièvre (trois niveaux de priorité dans le cas de la Bourgogne Franche-Comté, les ouvrages en priorité 1 sont censés être traités d'ici 2021-2022 au plus tard)


Nous avions annoncé voici presque cinq ans déjà que le classement des rivières au titre de la continuité écologique avait été totalement irréaliste au regard du coût et de la complexité induits, demandant des décennies (et non le délai légal de 5 ans) pour s'appliquer. Le CGEDD a par la suite validé notre analyse. En Bourgogne sur les bassins Loire-Bretagne et Seine-Normandie, seuls 30 ouvrages sur 170 sont mis en conformité à date sur la partie ligurienne, 90 sur 495 sur la partie séquanienne. Encore ce rythme concernait-il les ouvrages "faciles" qui consentaient aux solutions proposées : de nombreux autres ont clairement refusé la volonté d'araser ou de déraser.

La solution à cette erreur majeure de la planification administrative était simple et prévue dans la loi (article L 214-17 code environnement) : réviser le classement des cours d'eau pour revenir à un périmètre réaliste.

Mais nous sommes en France, de surcroît ici avec la direction de l'eau et de la biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie : pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué?

Refusant d'admettre son erreur et d'ajuster ses ambitions à ses moyens, essayant aussi de divertir l'attention après le feu des critiques parlementaires et des rapports du CGEDD, la DEB a préféré engager un processus de "priorisation" au sein de classement. Ce choix, sans aucune base légale, sera contesté au Conseil d'Etat. D'ici là et dans l'incertitude de l'avis des conseillers d'Etat, nous sommes obligés de suivre le cheminement complexe des bureaucraties.

Notre association a donc été invitée avec plusieurs de ses consoeurs à la présentation des cours d'eau de Bourgogne Franche-Comté qui seront "prioritaires" en liste 2 au titre de la mise en oeuvre de la continuité écologique. C'était l'une des mesures du plan pour une politique apaisée de continuité écologique, lancé (à la va-vite et sans conviction) par Nicolas Hulot en 2018 et ayant fait l'objet d'une note technique du ministère en avril 2019, après un travail au comité national de l'eau.


Liste non exhaustive de rivières en priorité P1 dans les bassins ligurien et séquanien de la Bourgogne.

Par ailleurs, grâce ses adhérents hors Bourgogne et son réseau d'associations partenaires, nous avons eu des compte-rendus des réunions similaires qui se sont tenues dans d'autres régions (notamment Auvergne, Centre Loire, Normandie, Picardie).

Le retour des associations est critique. 

Reviennent en particulier les points suivants :

  • la priorisation a été présentée comme déjà décidée et devant être actée sur un délai court, les associations n'étaient pas conviées à une co-construction en amont pour définir les principes présidant à la priorité et leur application aux bassins,
  • la priorisation a été un patchwork de motivations, certaines écologiques et de bon sens (rivières à enjeu migrateur important, traitement de l'aval avant l'amont), mais d'autres administratives et sans réelle cohérence par rapport aux objectifs propres à la continuité ou à la DCE (prime aux rivières ayant des syndicats de rivière très engagés, par exemple),
  • la démarche reste verticale et segmentée, en évitant le débat démocratique ouvert, l'administration ne s'engage pas sur les rivières définies comme prioritaires à organiser des états-généraux avec toutes les parties prenantes, au premier rang desquels les propriétaires et riverains des ouvrages concernés, les élus locaux, les divers usagers de l'eau, 
  • la priorisation n'est en rien une exemption de continuité en rivière classée L2, ce qui signifie que les ouvrages non traités dans le délai de 5 ans (2022-2023 selon les bassins) prévu par la loi seront en réalité dans l'illégalité, pouvant être considérés comme non régulièrement installés par l'administration et pouvant être attaqués en justice par des tiers (riverains, associations environnementalistes ou pêche, etc.). 
Par ailleurs, les échanges avec l'administration montrent que les désaccords de fond ne sont nullement réglés :

Pour la suite, plusieurs points sont à retenir :
  • notre association et ses consoeurs vont organiser des actions systématiques d'information sur les rivières prioritaires, afin que le maximum de propriétaires et riverains y défendent des positions communes et cohérentes ;
  • en rivière prioritaire où les maîtres d'ouvrage seront prochainement contactés par l'administration, rien n'a changé: tout ouvrage doit être géré, équipé, entretenu (pas effacé, arasé, dérasé) et si des mesures d'équipement sont exorbitantes, elles doivent être indemnisées. C'est la loi, rien que la loi, toute la loi. Chaque fois que l'administration et les syndicats manqueront à respecter cette loi, notamment feront pression pour des solutions d'effacement non désirées ou des solutions non indemnisées d'aménagement lourd, un contentieux sera ouvert;
  • en rivière non-prioritaire, les propriétaires ne doivent surtout pas tomber dans le piège tendu de la pente douce vers l'illégalité en ne faisant rien. Un modèle de constat de carence de l'administration à proposer des solutions prévues par la loi sera dressé, nous engagerons la démarche avec chaque propriétaire après consultation de nos avocats. Il est fondamental que les "non prioritaires" ne baissent pas leur vigilance en pensant qu'ils n'ont pas à s'en faire : la loi s'applique toujours, ne pas appliquer la loi les mettrait en position de faiblesse vis-à-vis de l'Etat et des tiers, donc il convient de respecter strictement ce qu'attend le législateur.

Le test réel sera dans l'attitude de l'administration et des syndicats (ou parcs) dans les rivières prioritaires. 

Si nous voyons revenir la même pression à détruire observée depuis le PARCE 2009 et la même mauvaise foi à ne pas reconnaître cette pression, le combat judiciaire, parlementaire, médiatique et militant face aux dérives des acteurs publics de l'eau reprendra immédiatement et fortement. Nous y mettrons d'autant plus d'ardeur que l'apaisement aurait été un mensonge d'Etat pour endormir l'attention de nos députés et sénateurs.

Si nous voyons les administrations et les syndicats / parcs proposer les seules dispositions inscrites dans la loi - gestion des vannes, passes techniques, rampes rustiques, rivières de contournement -, alors peut-être que la continuité avancera enfin, et de manière plus apaisée.

Nous devrions être rapidement fixés sur la volonté réelle d'apaisement des acteurs publics de l'eau. Toutes les associations en France doivent désormais se concentrer sur ces actions menées en rivières prioritaires et prendre l'habitude de partager les informations (l'opacité est toujours notre pire adversaire en ces matières) :

  • contacter chaque site dans une démarche pro-active,
  • définir les orientations réalistes et à moindre coût de continuité sur les ouvrages,
  • publier en ligne les pratiques observées sur leurs rivières,
  • interpeller immédiatement les préfets lorsque des dérapages sont observés,
  • informer les députés et sénateurs des pratiques constatées, leur demander de saisir le préfet et la ministre là où des plans de destruction persistent,
  • préparer et engager des contentieux dans les cas où des DDT-M, des syndicats-parcs, des agences de l'eau sont manifestement dans un état d'esprit négatif et ne proposent pas des solutions solvables de continuité non destructrice. 
L'association Hydrauxois, tout comme la Coordination nationale Eaux & rivières humaines, sera à disposition pour des conseils stratégiques et publiera régulièrement des documents juridiques permettant a) de faire respecter la loi en rivière prioritaire ; b) de protéger les ouvrages non-prioritaires des risques d'illégalité d'ici 2022-2023.  

2 commentaires:

  1. Engager des contentieux dans les cas où des DDT-M, des syndicats-parcs, des agences de l'eau sont manifestement dans un état d'esprit négatif. Quelle loi, quel texte pour combattre un état d'esprit négatif? Solution de continuité non-destructrice, à ce jour les ouvrages sont destructeurs, pas les solutions pour limiter leurs impacts....même si ça justifie quelques coups de pelleteuse que vous avez définitivement bien du mal à accepter. Pas de panique, ça concerne un faible nombre

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    1. La loi demande un ouvrage géré, équipé, entretenu, les parlementaires ont répété maintes fois depuis le PARCE 2009 que cela ne signifie pas destruction, la DEB le sait, nous le savons, les propriétaires que nous contactons le savent, en fait tout le monde le sait.

      Il est donc inutile de perdre son temps en bla bla : un agent public qui viendrait encore avec l'intention d'imposera priori une destruction est en tort.

      Dans l'hypothèse où un propriétaire accepte la destruction de son bien, ce qui est tout à fait possible, le chantier reste soumis aux exigences du code de l'environnement sur les droits des tiers et sur la préservation des milieux aquatiques / humides. Cinq ou six motifs environnementaux permettent de contrôler si un chantier concernant ces milieux est bien mené (diagnostic, précaution, compensation) : nous examinerons la qualité au cas par cas, engagerons contentieux selon cette qualité.

      (Beaucoup d'ouvrages sont créateurs et non destructeurs de milieux, de même qu'ils hébergent du vivant pouvant être d'intérêt au même titre que les espèces de poissons visées par la continuité en long: ce point étant nié par une partie de l'administration dont on connaît désormais bien les biais d'analyse, il doit avancer par voie technique, parlementaire et jurisprudentielle. C'est un de nos domaines de travail.)

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