Projet au moulin de Maroilles, photo pierre Roannet la Voix du Nord, source.
Nous attirons l'attention sur le fait que cette transition énergétique doit aussi tenir compte des réalités locales et des avis démocratiquement exprimés par les citoyens. Toutes les sources d'énergie sans exception soulèvent des objections, toutes présentent certains inconvénients en contrepartie de leurs avantages. La réussite de la transition énergétique, par la nature même des sources mobilisables, se fera au niveau de chaque territoire, de chaque commune et de chaque ménage. Il importe d'assurer un cadre sécurisé, ouvert et transparent à tous les porteurs de projets et, quand ces projets relèvent de l'autorisation préfectorale, à tous les riverains qui peuvent en être impactés.
Concernant plus particulièrement l'énergie hydro-électrique, nous apprécions que l'Etat ré-affirme clairement et pleinement sa place dans le mix énergétique bas-carbone en déploiement pour respecter les accords de Paris, prévenir le réchauffement climatique, assurer notre autonomie énergétique, alléger notre balance commerciale des importations de produits fossiles.
Concernant la petite hydro-électricité, nous faisons les observations suivantes sur le document complet justifiant la programmation de la France ("Projet pour consultation").
Potentiel sous-estimé d'un facteur 2 à 4. Le potentiel technique total des sites existants (barrages non équipés et moulins) est donné à 350 MW dans le document directeur. C'est une erreur tenant à des estimations anciennes. Selon les travaux récents des chercheurs européens (Punys et al 2019), le seul potentiel des moulins les plus facilement équipables en France s'évalue plutôt autour de 500 MW. Ce chiffre n'inclut pas les nombreux barrages (plusieurs centaines) de taille plus importante que les moulins et ayant aujourd'hui d'autres usages que l'énergie (plan d'eau, lac et étang, navigation, eau potable, irrigation). La programmation publique doit réviser ses estimations pour partir des réalités de terrain. Elle doit inciter les schémas locaux de programmation (SDAGE, SAGE, SRADDET) à intégrer et évaluer le potentiel réel des rivières. Ce n'est pas fait aujourd'hui car le personnel en charge de l'eau et de la biodiversité ne reçoit pas le rappel de cette mission par son ministère de tutelle. Il convient d'y pallier, particulièrement dans les SDAGE en cours de construction et devant être adoptés en 2021-2022.
Avantage environnemental des sites anciens et modestes, bilan carbone doublement négatif de leur destruction. Le document remarque que "à l’instar des ouvrages existants, les projets hydroélectriques soulèvent des problématiques environnementales très différentes suivant la taille du projet et selon le lieu d’implantation". Il convient de souligner que les ouvrages de faible hauteur, ne barrant pas le lit majeur, surversés en crue, anciennement installés sur les lits de rivière sont ceux qui ont généralement les impacts les plus faibles – c'est en particulier le cas des moulins, forges et étangs, comme de la plupart des petites usines hydrauliques installées au 19e siècle. Bien entendu, la construction de sites nouveaux peut aussi bénéficier des avancées de la connaissance et réduire au maximum les impacts dès la conception du génie civil. Mais la France doit d'abord cesser la politique de destruction des ouvrages en place, lancée avec le très contesté plan de continuité écologique de 2009, et préférer désormais leur ré-équipement. La transition est aussi un état d'esprit et une économie de moyens: nous ne sommes plus à l'époque où nous pouvions dilapider de l'argent (et de l'énergie!) à détruire ici pour reconstruire là-bas. Casser des ouvrages qui peuvent produire est une double hérésie au plan du bilan carbone.
Cadrage des services administratifs pour limiter à la dévalaison et au débit réservé l'enjeu des relances. Le document énonce que "pour un projet de faible ampleur visant l’équipement d’un barrage existant, l’impact du projet pourra se limiter à la problématique de dévalaison des poissons en lien avec l’installation d’une turbine et à la modification du régime hydrologique en cas de tronçon court-circuité". Nous sommes d'accord avec cette orientation, mais elle ne correspond pas à la réalité observée sur le terrain. Les porteurs de projets hydro-électriques rencontrent aujourd'hui de nombreux problèmes avec l'administration : lenteur des instructions, caractère variable et arbitraire des demandes, coûts exorbitants de certains dispositifs demandés. La création en 2014 du "porter à connaissance" pour la relance de moulins fondés en titre (art R 214-18-1 CE) a été interprétée de manière maximaliste et irréaliste par certains services, occasionnant non seulement de nombreux blocages de relance, mais aussi des contentieux. Nous demandons que le ministère de la Transition écologique et solidaire précise dans une circulaire aux DREAL, DDT-M et OFB que la relance des moulins et petites usines hydrauliques déjà autorisés implique des respects de débits réservés et grilles de protection de chambre d'eau (si turbine rapide), comme précisé dans la PPE, mais pas des dispositions indues (étude complète du site et de son impact alors qu'il est régulièrement installé de longue date, demandes non subventionnées de passes à poissons dont le coût excède le revenu ou l'équivalent revenu en autoconsommation du projet énergétique). L'attitude actuelle de l'administration bloque la transition sur de trop nombreux projets.
Soutenir sans réserve les petites puissances. Le document énonce que "compte tenu de leur coût plus élevé et de leur bénéfice moins important pour le système électrique au regard de leur impact environnemental, le développement de nouveaux projets de faible puissance doit être évité sur les sites présentant une sensibilité environnementale particulière". Cette phrase est ambiguë. Les sites déjà en place ne créent aucun impact nouveau, il devrait être clairement précisé qu'ils ne sont pas concernés par cette réserve. La notion de "sensibilité environnementale particulière" est floue et laisse place à des interprétations sans fondement factuel, comme on en a trop vu depuis 10 ans. Enfin, nous rappelons que les directives européennes encouragent l'autoconsommation en petite puissance (Directive UE 2018/2001 du 11 décembre 2018 relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables) et que le conseil d'Etat a condamné le ministère de l'écologie lorsqu'il a prétendu faire de la puissance d'un moulin un critère pour juger du bien fondé de sa relance (Conseil d'Etat 2019, arrêt n° 414211, arrêt moulin du Boeuf). Toutes les puissances hydrauliques peuvent et doivent être mobilisées, depuis le premier kilowatt.
Réviser la conception des appels d'offres avec les représentants des porteurs de projets (moulins, hydro-électriciens). Sur la période 2019-2024, la PPE prévoit 6 appels d'offres annuels, de 35 MW chacun, dédiés à la petite hydro-électricité. Nous nous en félicitons, mais nous soulignons que les appels d'offres de l'Etat lancés dans le passé n'ont pas obtenu le succès espéré. Les raisons en sont les suivantes: trop grande complexité des cahiers des charges pour les petits porteurs (les plus nombreux dans le pays, cf travaux de Punys et al 2019 cités ci-dessus), prescriptions environnementales allant très au-delà des demandes sus-mentionnées (débit réservé, grille de protection, optimisation de dévalaison) et annulant la rentabilité de la plupart des projets en petite puissance. L'objectif d'une politique publique est d'être réaliste et efficace : il convient donc de concerter la construction des futurs appels d'offres avec les acteurs de l'environnement incluant les représentants des porteurs concernés, à savoir les fédérations de moulins et les syndicats de petite hydro-électricité.