02/01/2020

La Commission européenne demande aux Etats de traiter en priorité la pollution de l'eau

La Commission européenne vient de publier un bilan de qualité de la directive européenne (DCE) sur l'eau adoptée en 2000. Son orientation pour l'avenir est claire: "le domaine principal dans lequel des améliorations et de meilleurs résultats sont possibles est celui des produits chimiques". Il n'y a aucune insistance sur la dimension morphologique des cours d'eau, contrairement à ce que prétend l'administration française. L'analyse de la Commission est confirmée par les travaux de la recherche scientifique ayant montré que les polluants sont toujours et de loin les premiers prédicteurs de dégradation de l'eau et du vivant. La France va-t-elle continuer à financer des aberrations comme la destruction des moulins, étangs, canaux, barrages alors que nous avons déjà pris énormément de retard sur les pesticides, les eaux résiduaires, les polluants diffus issus du ruissellement routier et agricole, les toxiques émergents? L'argent public est rare: il doit servir aux priorités écologiques démontrées et à l'intérêt général, pas à détruire le patrimoine de l'eau et ses milieux en place.


La Commission européenne vient de publier un "bilan de qualité" de la directive-cadre sur l’eau (DCE) et d'autres directives filles:: directive sur les normes de qualité environnementale (DNQE); directive sur la protection des eaux souterraines; directive inondations. Malgré la non-atteinte des objectifs de qualité chimique et écologique fixés en 2000, la Commission considère que ses textes normatifs "sont adaptées à leur finalité" et ont permis "un enrichissement notable de la base de connaissances relative aux écosystèmes aquatiques dans l’UE".

Concernant les "perspectives d’avenir" et "enseignements tirés", la Commission européenne insiste sur les pollutions chimiques. Voici son avis:

"Sur la base des constats opérés, on peut s'attendre à ce que les progrès vers un bon état soient lents mais constants. La lenteur des progrès peut s'expliquer par les facteurs susmentionnés, outre les longs délais dont la nature a besoin pour réagir aux mesures. Il est également plus difficile de rendre les progrès visibles en raison du principe «one-out-all-out» (principe du paramètre déclassant) qui sous-tend la protection globale des masses d’eau et des écosystèmes, en vertu duquel le bon état n’est pas reconnu si l'un quelconque des paramètres pertinents n’est pas satisfaisant. En ce qui concerne les défis à venir, le présent bilan de qualité conclut que la directive-cadre sur l’eau est suffisamment contraignante à l'égard des pressions à traiter, tout en étant suffisamment souple pour renforcer sa mise en œuvre, le cas échéant, pour pouvoir appréhender de nouveaux défis qui ne sont pas mentionnés dans la directive, et notamment le changement climatique, la rareté de l’eau et les nouveaux polluants préoccupants (tels que les microplastiques et les produits pharmaceutiques).

Le domaine principal dans lequel des améliorations et de meilleurs résultats sont possibles est celui des produits chimiques. Bien qu'il soit avéré que la DCE, la DNQE ( directive sur les normes de qualité environnementale) et la directive sur la protection des eaux souterraines ont permis de réduire la pollution chimique des eaux de l’UE, l’analyse met en évidence trois domaines dans lesquels le cadre législatif actuel n’est pas optimal:

- les différences entre les États membres sont beaucoup plus importantes que ne le justifient les spécificités nationales [différences entre les listes de polluants locaux (polluants spécifiques aux bassins hydrographiques et polluants représentant un risque pour les masses d’eau souterraines) et les valeurs limites que ceux-ci ne devraient pas dépasser];

- la mise à jour de la liste des substances prioritaires (c'est-à-dire l’ajout ou le retrait de substances et des normes de qualité correspondantes) est un processus de longue haleine, en partie parce qu’il faut du temps pour rassembler les preuves scientifiques nécessaires et en partie en raison de la procédure législative ordinaire;

- la DNQE et la directive sur la protection des eaux souterraines évaluent le risque pour les personnes et l’environnement en se basant principalement sur des substances individuelles, sans tenir compte des effets combinés des mélanges et ne couvrent, inévitablement, qu’une partie infime des substances présentes dans l’environnement.

La prochaine série de programmes de mesures jouera un rôle essentiel dans la réalisation des progrès nécessaires en vue d'atteindre les objectifs environnementaux à l'horizon 2027. Plus de la moitié de toutes les masses d’eau européennes faisant actuellement l’objet d’exemptions, les défis que doivent relever les États membres sont plus que substantiels. Après 2027, les possibilités d’exemption seront réduites, étant donné que des reports d'échéances au titre de l’article 4, paragraphe 4, ne peuvent être autorisés que si toutes les mesures ont été mises en œuvre, mais les conditions naturelles sont telles que les objectifs ne peuvent être atteints d'ici 2027. La Commission devra continuer à travailler avec les États membres et à les aider à améliorer la mise en œuvre des directives au coût le plus faible possible, par exemple en partageant les meilleures pratiques en matière de récupération des coûts, de réduction des émissions de polluants à la source, d’infrastructure verte et autres."

La France va-t-elle corriger ses erreurs? 
Ce texte permet de constater le décalage entre les options européennes et les choix français. Notre pays est particulièrement soumis à des pollutions chimiques en raison de sa forte activité agricole, outre les polluants venus des consommations domestiques, des transports routiers, des activités industrielles. Or, il n'existe pas de politique intégrée en ce domaine : les syndicats de rivières et EPTB tendent à traiter de la morphologie alors que d'autres acteurs sont en charge des pressions agricoles ou des  eaux résiduaires. Il a été montré par la recherche en hydro-écologie que les pollutions chimiques restent les premiers facteurs de dégradation de la DCE (Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018), ce qui s'observe dans d'autres pays que la France (Dahm et al 2013, Lemm et Feld 2017).

L'assertion selon laquelle la restauration morphologique locale de la rivière peut apporter une contribution forte à son état de qualité DCE n'est pas vérifiée: au contraire, de nombreux travaux de recherche montrent que cette action est défaillante à garantir l''atteinte d'objectifs écologiques, car les déterminants chimiques, physiques et biologiques sont multi-échelles, une action locale ne corrigeant pas une dégradation plus générale du bassin versant (voir cette synthèse, Hiers et al 2016, Malhum et al 2017Zingraff-Hamed 2018, England et Wilkes 2018).

La recherche scientifique comme la Commission européenne convergent donc: la France devrait porter ses efforts sur les pollutions chimiques et sur les usages des sols des bassins versants. Nous attendons que l'administration de l'eau l'admette et change en conséquences ses priorités de financement comme ses méthodes d'analyse de qualité des eaux, des berges et de leurs milieux. Nous avons déjà perdu énormément de temps et d'argent avec des choix confus, voire absurdes, sans rapport avec les engagements exigés par les directives européennes. Les riverains le répètent depuis 10 ans : ce n'est pas en cassant des moulins ou en vidant des étangs ou en asséchant des plans d'eau que l'on va améliorer la santé, la biodiversité et la qualité de notre environnement.

Mais pourquoi est-ce si difficile à entendre? Pourquoi certains services de la direction de l'eau et de la biodiversité au ministère, ou des agences de l'eau sur certains bassins, maintiennent-ils des arbitrages qui n'ont pas fait leur preuve et qui apportent peu de résultats pour l'argent dépensé? Les collectivités locales et les citoyens devraient s'en inquiéter, car si des amendes sont infligées pour carence d'exécution des directives européennes, nous serons tenus pour co-responsables et ce ne sont pas les bureaucraties (ni les lobbies) qui assumeront leurs erreurs...

Source : Commission européenne (2019), Résumé du bilan de qualité de la directive-cadre sur l'eau, la directive sur la protection des eaux souterraines, la directive sur les normes de qualité environnementale, la directive «Inondations»

2 commentaires:

  1. Merci pour ces informations... Autre document intéressant (vous aurait-il échappé??), le rapport de la commission au parlement et au conseil, daté de février 2019, sur la mise en oeuvre de la DCE :
    https://eur-lex.europa.eu/legal-content/EN/TXT/HTML/?uri=COM:2019:95:FIN&from=EN

    L'annexe, pays par pays, est intéressante. On y trouve, pour la France, un paragraphe sur les pollutions et un paragraphe sur... l'hydromorphologie et la continuité.

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    1. Merci, nous ne l'avions pas lu en effet.

      Donc encouragement à supprimer des obstacle à la continuité de la rivière en lien aux engagements internationaux, parmi d'autres mesures.

      Très bien. Comme il y a aussi dans le même document encouragement à faire des plans de gestion de la sécheresse, comme d'autres politiques européennes encourage l'hydro-électricité tant en injection qu'en autoconsommation (et comme nous ne saurions penser qu'une bureaucratie publique fait des injonctions contradictoires décalées du terrain:-), cela incite à supposer que
      a) l'Europe encourage des solutions non destructrices pour la continuité en long, ce qui était déjà indiqué dans le Blue Print de la Commission européenne ;
      b) l'Europe n'a pas en tête que la continuité longitudinale de la rivière, dont on sait que l'importance particulière en France ne vient pas de la DCE, mais de politiques antérieures.

      C'est aussi notre point de vue : favoriser la continuité en long là où il y a des engagements internationaux saumon ou anguille avec enjeux attestés, en ne cassant pas les ouvrages sauf ceux orphelins de propriétaire ; travailler davantage la continuité latérale qui est plus intéressante pour le stockage de l'eau, l'épuration, la biodiversité.

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