Un bief de moulin du Morvan (rivière Romanée), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.
Les réservoirs biologiques attestent de rivières jugées en bon état écologique
Les services de l'Etat définissent ainsi la notion de "réservoir biologique" pour une rivières :
Les réservoirs biologiques, au sens de la loi sur l’eau et les milieux aquatiques du 30 décembre 2006 (LEMA, art. L214-17 du Code de l'Environnement), sont des cours d’eau ou parties de cours d’eau ou canaux qui comprennent une ou plusieurs zones de reproduction ou d’habitat des espèces aquatiques et permettent leur répartition dans un ou plusieurs cours d’eau du bassin versant. Ils sont nécessaires au maintien ou à l’atteinte du bon état écologique des cours d’eau d’un bassin versant. (source)
La circulaire DCE no 2008/25 du 6 février 2008 précise :
"Le réservoir biologique n’a ainsi de sens que si la libre circulation des espèces est (ou peut être) assurée en son sein et entre lui-même et les autres milieux aquatiques dont il permet de soutenir les éléments biologiques. Cette continuité doit être considérée à la fois sous l’angle longitudinal (relations amont-aval) et latéral (annexes fluviales, espace de liberté des cours d’eau). C’est pourquoi les réservoirs biologiques sont une des bases du classement des cours d’eau au titre du 1o de l’article L. 214-17-I et qu’ils peuvent également être mis en continuité avec d’autres secteurs du bassin grâce aux classements au titre du 2o.
L’article R. 214-108 indique les communautés biologiques à considérer pour la définition des réservoirs biologiques, à savoir le phytoplancton, les macrophytes et phytobenthos, la faune benthique invertébrée et l’ichtyofaune. Cette liste fait référence directe à l’annexe V de la DCE (éléments de qualité pour la définition du bon état écologique).
Elle exclut explicitement la prise en compte directe des mammifères, des amphibiens et des oiseaux dans l’identification des réservoirs biologiques (ce qui n’exclut pas les milieux abritant ces groupes lorsqu’ils contribuent au maintien des communautés biologiques de l’annexe V de la DCE)."
On notera que c'est la continuité longitudinale de dévalaison qui était mise en avant.
A la suite du vote de la loi de 2006, il a donc été demandé de repérer ces réservoirs biologiques et d'en faire un motif de classement d'une rivière en "liste 1" de la continuité écologique.
Partant de cette logique, une rivière en réservoir biologique est une rivière qui, en l'état de l'examen de sa faune aquatique, présente selon l'administration une bonne qualité écologique et un bon potentiel de conservation du vivant.
Si les moulins et les étangs, présents depuis plusieurs siècles, avaient un potentiel de destruction des milieux et des espèces que leur prêtent certains fonctionnaires et lobbies, il ne devrait exister aucune rivière en réservoir biologique présentant de tels ouvrages. Et, puisque le moulin et l'étang sont censés bloquer les sédiments, réchauffer l'eau, empêcher l'auto-épuration, entraver la circulation, détruire les habitats, toutes les rivières présentant de tels ouvrages devraient être fortement dégradées au fil du temps, et n'être à l'arrivée que des déserts biologiques.
Il n'en est rien.
Le lac de Saint-Agnan (rivière Cousin), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.
Voici un exemple familier à nos lecteurs : le bassin versant du Cousin est classé en réservoir biologique (comme de nombreuses autres tête de bassin), zones en couleur orange.
Le bassin du Cousin-Trinquelin, réservoir biologique.
Le bassin du Cousin est donc l'héritier d'un millénaire de présence humaine sur le lit mineur sous forme d'ouvrages de retenue et dérivation.
Dans de telles conditions, si les ouvrages signifiaient le déclin de la faune, il serait impossible d'avoir classé le bassin du Cousin en réservoir biologique. Ce ne fut pas le cas. A dire vrai, même certains sites d'étangs de ce bassin sont classés en ZNIEFF (exemple) ou autres zones spéciales de conservation, ce qui indique combien les ouvrages et leurs annexes hydrauliques présentent de l'intérêt pour diverses espèces.
On notera que pour l'espèce repère du Cousin, la moule perlière, un article scientifique récent a montré que les biefs de moulin forment des secteurs de sauvegarde et que dans certaines situations de sécheresse, il peut être préférable de conserver autant d'eau dans le bief que dans le tronçon de la rivière, afin de préserver des colonies de moules (Sousa et al 2019; voir aussi Matasova et al 2013 sur la présence observée de moules perlières dans les biefs de moulins à bonnes conditions hydrauliques). On notera aussi que ces moules perlières sont présentes malgré plus d'un millénaire d'existence des étangs et moulins, donc leur éventuelle raréfaction est à rapporter à d'autres causes tenant à des changements plus récents d'usage ou de condition (même remarque que pour les écrevisses du Morvan).
Etang du Griottier-Blanc en Morvan (ru des Paluds), écosystème créé par l'homme mais favorable au vivant aquatique.
Divertir l'attention sur les ouvrages, c'est être aveugle aux causes de la crise écologique
Cette réalité ne fait que traduire ce que nous répétons depuis des années : les ouvrages anciens ne représentent pas des dégradations majeures des cours d'eau et aucune recherche scientifique n'a montré que les obstacles à l'écoulement provoquent au premier titre la dégradation de l'état écologique DCE des masses d'eau ou une perte de biodiversité. Au contraire, toutes les recherches scientifiques menées avec assez de données quantitatives et qualitatives montrent que les pollutions et les usages des sols en lit majeur sont les causes premières de dégradation de l'eau, des berges, des faunes et des flores (voir cette idée reçue, voir Villeneuve et al 2015, Corneil et al 2018). Par ailleurs, un nombre croissant de travaux s'attachent à souligner l'importance des écosystèmes aquatiques créés par l'humain comme abritant aussi de la diversité biologique, que ce soit les étangs et petits plans d'eau (Davies et al 2008, Wezel et al 2014, Bubíková et Hrivnák 2018, Four et al 2019), les canaux de dérivation (Aspe et al 2015, Guivier et al 2019), les biefs de moulin (Sousa et al 2019a), les canaux d'irrigation (Sousa et al 2019b), les lacs réservoirs (Beatty et al 2017).
La dégradation des écosystèmes aquatiques s'est fortement accélérée depuis les années 1940-1950, et cela pour des causes connues :
- pression démographique
- mécanisation agricole, érosion de sols, drainage de zones humides
- artificialisation des lits majeurs et suppression des annexes des rivières
- explosion des polluants de synthèse qui se retrouvent en exutoire dans les rivières (fertilisants, pesticides, médicaments, additifs industriels, vernis, ignifuges, plastiques, ruissellement des produits de combustion des voitures, etc.)
- surexploitation de l'eau pour les activités humaines, déficit des lits et des nappes, en particulier lors du stress estival de l'étiage
- altération de nombreuses berges et ripisylves, perte des fonctions de régulation hydroclimatique locale des arbres et végétations
- réchauffement climatique modifiant les régimes thermiques et les assemblages biologiques.
La crise que nous subissons va amener à réviser les politiques publiques pour les recentrer sur l'essentiel. Le choix d'arrimer fortement l'écologie des rivières à l'hydromorphologie et l'hydromorphologie à la question des ouvrages en lit mineur et à la continuité en long a été une erreur, car ce n'est pas le premier enjeu pour l'eau et le vivant. Cela a du sens de mener des programmes de continuité en long dans quelques rivières où des migrateurs protégés peuvent revenir rapidement, mais ce n'est pas une priorité. Même au sein du poste continuité, les annexes latérales d'un cours d'eau et la qualité de ses berges sont des enjeux plus importants en création de zones à haute diversité et services rendus. Le choix de détruire les ouvrages anciens est quant à lui une gabegie et une erreur grave à l'heure où nous devons garder le maximum de moyens de gérer l'eau localement en phase de changement climatique.
Dans le monde d'après covid-19, il faut associer les ouvrages hydrauliques à l'écologie au lieu de les opposer. Car contrairement à la destruction dogmatique des moulins et étangs, la bonne information des propriétaires et la bonne gestion de ces ouvrages est un enjeu pour aider à protéger des biens communs.
L’expérience des réalités montre le contraire. Les mesures faites sur l’ensemble du territoire de Loire-Bretagne montrent que l’indice « poisson-rivière », qui synthétise la diversité et l’abondance des populations piscicoles, se détériore de manière inversement proportionnelle au nombre d’obstacles sur les cours d’eau, mesuré par le ’’taux d’étagement’’. Et les mesures sur la microfaune benthique ou les diatomées confirment cette perte. Installer des obstacles sur un cours d’eau, c’est mettre l’aval à l’amont, et au final uniformiser l’ensemble. Souvent vous assénez, entre autre « les obstacles au bon écoulement réduisent les étiages et les crues en aval », on se demande comment une retenue déjà pleine pourrait retenir une vraie crue ou bien, si elle était vide au départ, pendant combien de temps (en secondes) elle le ferait. L’affirmation serait risible si elle n’avait ce pouvoir de séduction donnant l’illusion d’abondance d’une part, et de sécurité de l’autre, dont les conséquences peuvent être catastrophiques. Le reste de vos affirmations, en particulier le ‘’stockage des polluants’’ est à l’avenant.
RépondreSupprimerUn parti politique il y a bien des années avait coutume d’utiliser des scientifiques en-dehors de leur champ de compétence pour leur faire dire ce que ce qu’il avait envie d’entendre et de propager. Le concept était appelé ‘’ L’Idiot utile ‘’. Changement climatique, marées vertes ou continuité écologique, il y a déjà suffisamment d’idiots utiles et de vrais malhonnêtes. Aussi, ne mettez pas en péril votre véritable domaine de compétence : les petits moulins ou les conférences inutiles devant des publics conquis. Restez-y et ne vous aventurez pas à l’aveuglette dans les eaux courantes.
Encore de l'enfumage des anonymes de service... on n'est plus en 1990 l'ami, cela n'impressionne plus ce jargon.
SupprimerLe taux d'étagement a été calculé par un mémoire d'étudiant et un service administratif notoirement connu pour ses biais et de même niveau de recevabilité qu'un lobby.
Il n’est pas sérieux d’établir un paramètre de politique publique sur le mémoire de master d’un étudiant : ce n’est pas le niveau de preuve et le niveau de robustesse que l’on attend pour les politiques fondées sur la science, qui s’imposent en écologie comme dans d’autres domaines. Les propositions doivent être adossées à des expertises collégiales, pluridisciplinaires, sur une base représentative de la diversité de l’objet d’étude et d’intervention.
En particulier, des travaux en France n’ont pas montré de lien clair entre le paramètre « densité de barrage » et la baisse de la biodiversité à échelle bassin versant, notamment pas de lien significatif au score global IPR ou I2M2 (Van Looy et al 2014), voire ont trouvé un effet positif des barrages sur l'abondance et la diversité des poissons depuis 1980 (Kuczynski et al 2018). Lorsqu’un autre travail français a utilisé les outils de l’hydro-écologie quantitative pour analyser la calibration des indices IPR, I2M2 et IBD en fonction des impacts des bassins, leurs résultats ont montré que le facteur « densité de barrage » occupe un rôle négligeable par rapport aux autres impacts du bassin versant, au premier rang desquels activités agricoles et usages de sols (Villeneuve et al 2015). Des conclusions similaires se retrouvent dans des travaux en Europe et aux Etats-Unis. Les chercheurs en écologie de la conservation insistent pour leur part sur l’importance du niveau spatial d’appréciation des gains et pertes de biodiversité (Primack et al 2018) et l’approche française par bassin versant suggère que le gestionnaire doit développer des métriques d’analyse et preuve à cette échelle, c’est-à-dire notamment comparer des biodiversités de la source à la confluence selon le niveau de fragmentation, si possible en ne limitant pas au compartiment poisson.
A minima, de telles recherches (publiées dans des revues indexées avec relecture par les pairs) indiquent que les travaux scientifiques doivent caractériser la biodiversité en lien à la fragmentation de manière bien plus rigoureuse.
Références citées :
Kuczynski L et al (2018), Concomitant impacts of climate change, fragmentation and non‐native species have led to reorganization of fish communities since the 1980s, Global Ecology and Biogeography, 27, 2, 213-222
Primack RB et al (2018), Biodiversity gains? The debate on changes in local- vs global-scale species richness, Biological Conservation, 219, A1-A3
Van Looy K et al (2014) Disentangling dam impacts in river networks, Ecological Indicators ,37, pp. 10-20
Villeneuve B et al (2015), Can we predict biological condition of stream ecosystems? A multi-stressors approach linking three biological indices to physico-chemistry, hydromorphology and land use, Ecological Indicators, 48, 88–98