Selon un rapport venant de paraître, les populations de poissons migrateurs en Europe auraient chuté de 93% entre 1970 et 2016. Cette baisse spectaculaire étant difficilement attribuable aux moulins et aux étangs présents depuis des siècles (mais en régression depuis 100 ans dans le cas des moulins), d'où vient-elle au juste? Que signifie-t-elle? Pourquoi les auteurs des rapports entretiennent-ils un flou artistique sur les dégradations de l'eau, notamment les pollutions chimiques?
Cette courbe représente le déclin des populations de poissons migrateurs en Europe entre 1970 et 2016, selon le rapport Living Planet Index venant de paraître. Une baisse des effectifs de 93% est observée, en agrégat de 408 populations et 49 espèces.
En tenant compte d'un effet retard (dette écologique) de 5 à 10 ans (temps maximal de reproduction et retour des poissons), on peut se demander ce qui s'est passé à compter des années 1960 et qui aurait pu entraîner ce déclin observé à compter de l'année 1970.
Entre 1960 et 2016, il ne s'est pas construit à notre connaissance une grande quantité de moulins ou d'étangs sur les lits mineurs des rivières françaises ou européennes. Au contraire, cette hydraulique ancienne a eu tendance à régresser (ennoiement dans des grandes retenues, délitement des chaussées par usure, effacement au nom de la continuité écologique). Le maximum des moulins et petites usines à eau se situe vers 1850, soit plus d'un siècle avant la chute observée.
En revanche, on a vu émerger au cours de cette période de 60 ans :
- des grands barrages non franchissables (coupant le lit majeur)
- des seuils bétons de protection berge ou génie civil (pont, accotement)
- une hausse majeure des pollutions (engrais, pesticides, plastiques, produits de synthèse à effet géno-, neuro- ou reprotoxiques)
- une augmentation des prélèvements d'eau à fin domestique, agricole, industrielle
- une dégradation des sols et donc des lits (colmatage par sédiments fins)
- une bétonisation des bassins versants (routes, zones urbaines)
- une intensification de la pêche en mer et estuaire
- un réchauffement climatique modifiant les régimes fleuves et océans
- une expansion des espèces exotiques
Une étude récente a ainsi montré que la Seine était tellement polluée lors des 30 glorieuses que la migration des poissons y était de toute façon compromise, la discontinuité chimique s'ajoutant à une discontinuité physique (voir Le Pichon et al 2020). Ce que certains ont appelé dans un contexte plus large la "grande accélération" de l'Anthropocène (Steffen et al 2015), marquée par une hausse de toutes les empreintes écologiques des sociétés industrielles.
Ces points ne sont malheureusement pas mis en perspective dans le rapport dont le commanditaire privé, la World Fish Migration Foundation, est surtout engagé dans la promotion de la politique-spectacle de destruction des ouvrages hydrauliques.
Pourquoi les tenants de la "libre-circulation" des rivières sont-ils à ce point silencieux sur des causes manifestes de dégradation de l'eau, qui ne concernent pas que les migrateurs, mais toutes les espèces aquatiques? A quels intérêts obéissent les acteurs qui concentrent l'attention sur les ouvrages? En quoi la destruction d'une hydraulique ancienne ayant co-existé longtemps avec des poissons migrateurs représente-t-elle la moindre rationalité et priorité dans les politiques européennes de l'eau? Nous n'aurons pas les réponses dans ce rapport. Mais nous continuerons à poser les questions tant que les acteurs seront aussi flous dans l'analyse des causalités des phénomènes qu'ils décrivent.
Enfin, il est une autre question, plus fondamentale. Les poissons migrateurs sont des espèces dont la stratégie de vie demande des parcours à longue distance. Ce trait comportemental entre en contradiction avec les usages humains de l'eau tels qu'ils se sont développés au cours de l'histoire (alimentation, navigation, énergie, irrigation, loisirs) et avec des évolutions en cours des paramètres biophysiques (intensification du changement climatique, croissance des espèces exotiques). Vouloir éviter l'extinction des poissons migrateurs est évidemment une cause de la conservation écologique. Mais éviter l'extinction d'une espèce peut difficilement signifier revenir au périmètre historique d'expansion maximale des migrateurs, au début du Holocène, à l'époque où les conditions étaient totalement différentes (voir Kareiva et Carraza 2017).
Si les poissons migrateurs soulèvent plus que d'autres de l'intérêt en raison de certains usages (pêche de loisir notamment), ils ne sont pas l'alpha et l'omega de la biodiversité aquatique. Et le fait de poser des ambitions très au-delà des moyens tend à décourager les efforts qui ne seront pas suivis des effets promis. Il a été aussi montré que la dépense pour les espèces rares se fait au détriment des autres, ce qui pose question à l'heure où l'écologie est une politique publique devant répondre de choix et de résultats (Neeson et al 2018).
Il faut donc essayer de préserver les poissons migrateurs de l'extinction, mais cela ne peut plus être au prix d'une action indistincte "quoiqu'il en coûte", d'une absence de stratégie claire et d'un oubli des autres enjeux de l'eau, dont le rôle majeur des pollutions.
Source : Deinet S. et al (2020) The Living Planet Index (LPI) for migratory freshwater fish - Technical Report. World Fish Migration Foundation, Pays-Bas.
31/07/2020
29/07/2020
L'Etat veut détruire la réserve naturelle du Loch au nom du dogme de la continuité écologique
En Bretagne, une réserve naturelle de 118 ha issue d'anciens polders doit être perturbée et en large partie détruite car l'administration et l'Office français de la biodiversité (sic) exigent le démantèlement d'une vanne à clapet empêchant certains poissons de passer. Avec à la clé l'expulsion des fermiers qui s'occupent des terres depuis 70 ans. On atteint des sommets de bêtise et de nuisance au nom du dogme de la continuité soi-disant "écologique". Si les élus ne reprennent pas fermement la main sur ce dossier qui pourrit la vie de tous les bassins versants depuis 2009, ce sont les citoyens qui devront protéger les sites des administrations en pleine dérive sectaire.
La politique de continuité écologique en France est menée depuis 10 ans dans une ambiance de dogmatisme et de mépris des citoyens ayant conduit à l'émergence de conflits et de contentieux partout sur le territoire. Les services de l'Etat et leurs administrations - Office français de la biodiversité (ex Onema), agences de l'eau, direction de l'eau au ministère - ont en effet engagé une programmation publique marquée par de nombreux biais :
Le journal Ouest-France expose aujourd'hui les malheurs des étangs du petit et du grand Loch à Guidel (Morbihan).
"Située sur la commune de Guidel, cette réserve de 118 hectares, classée espace naturel sensibles (ENS) par le département et partie du périmètre Natura 2000, a développé un écosystème remarquable grâce aux eaux saumâtres du petit Loch et aux eaux douces du grand Loch. 400 espèces de végétaux, 147 espèces d’oiseaux, de nombreux mammifères et insectes y sont recensés. Le paysage et certaines de ces espèces, rares et protégées, se retrouvent menacées par la destruction de la réserve sous sa forme actuelle.
(...)la Saudraye, une rivière traversant la réserve, ne se jette pas en continu dans la mer. Façonné par l’homme, le cours d’eau est obstrué, depuis la fin du 19è siècle, par un ouvrage à clapets. La continuité écologique n’est donc pas respectée. L’ouvrage empêche la mer de remonter dans la réserve à marée haute et limite la migration des poissons. Le bureau d’études Hydroconcept note en 2013 : «Une densité de truite faible, avec 5,5 individus pour 100 m2 alors que celle de l’anguille est bonne avec 47,7 individus aux 100 m²».
Cet ouvrage, limitant la présence d’eau salée – l’altitude moyenne du petit Loc’h se situe sous le niveau moyen de la mer – a cependant permis le développement de cet écosystème. Selon le cabinet X.Hardy, missionné pour un plan de gestion en 2009 : «La richesse écologique du site est en grande partie liée à la présence du clapet à marée.» Une seconde étude pointe l’importance de l’ouvrage : «toute action sur l’ouvrage de sortie de mer peut potentiellement perturber l’équilibre de la zone en amont et être en contradiction avec le document d’objectifs Natura 2 000.»
L'office français de la biodiversité, qui a refusé de répondre aux journalistes de Ouest-France, n'a pas accepté les solutions incluant le maintien de l'ouvrage.
"Pour respecter la loi, «l’Office Français de la biodiversité (OFB) a sommé la réserve d’étudier la continuité», explique Stéphane Basck, responsable du service technique à la fédération des chasseurs du Morbihan, gestionnaire de la réserve. La fédération a donc mandaté, en 2013, le bureau d’études DCI environnement situé à Quimper, pour étudier l’ouverture. Il s’est penché sur 3 scénarii. Le premier rend le Loc’h à son état d’origine en détruisant l’ouvrage pour un ré-esturarisation. Le Loc’h redeviendrait une Ria, comme au 19è siècle. Le deuxième scénario maintient l’ouvrage, en supprimant les clapets. Le dernier, qui obtient la meilleure note de l’étude, prévoit l’aménagement des clapets par des vérins. Ce système permettrait ainsi de laisser rentrer l’eau de mer tout en limitant le passage. Selon DCI environnement, cette solution permettrait : « Une restauration de la libre circulation des espèces cibles et des sédiments tout en maintenant la richesse écologique du Loc’h » «Une solution acceptée par la fédération des chasseurs du Morbihan mais refusée par l’OFB qui veut une continuité dans le temps et l’espace», affirme Stéphane Basck."
Enfin, un fermier et sa famille sont menacés d'expulsion :
"L’étude de DCI pointe aussi un risque d’inondation de la ferme des Besnard, située à l’entrée du Grand Loc’h. Cette famille, installée dans les années 50, a longtemps cultivé les terres du Loc’h et contribué à son état actuel en consolidant l’ouvrage. Après une première expropriation en 1972 pour permettre l’installation d’une station d’épuration, depuis détruite, la famille Besnard a reçu la visite de France Domaine en février 2020 pour estimer la propriété, préalable à une éventuelle expropriation. « Mon père a dépassé le stade d’en avoir marre, mes parents ont juste envie de terminer leurs jours ici », clame le fils, Christophe Besnard."
Les élus et riverains exposent ainsi la problématique (source) :
"Petit et Grand Loch constituent un espace naturel remarquable de Bretagne, connu sous le nom de « Réserve naturelle des étangs du Petit et du Grand Loch ». Cet espace naturel, reconnu pour son environnement, sa faune et sa flore, est aujourd’hui menacé de disparition.
Poldérisée depuis 1884, la zone est reliée à la mer au moyen d’une canalisation passant sous la route côtière. A marée montante, un clapet empêche l’eau de mer de rentrer dans les terres. A marée descendante, poussé par la pression de l’eau douce, le clapet s’ouvre permettant ainsi à la Saudraye de rejoindre la mer. Cet espace humide représente en outre un filtre naturel et de dénitrification des eaux de ruissellement.
Cette zone d’une centaine d’hectares est constituée d’étangs, de marécages, de terres agricoles et de pâturages. Peuplée de nombreuses espèces végétales et animales adaptées aux milieux d’eau douce, elle est un lieu apprécié des promeneurs et un lieu d’observation privilégié des nombreuses espèces d’oiseaux qui la fréquentent.
Ce bel ordonnancement est aujourd’hui menacé de disparition, par une application trop restrictive d’une directive européenne visant à assurer la continuité écologique des cours d’eau « de la source à la mer ».
Dans un article OF du 19 juillet 2019, le maire, Jo Daniel, signale qu’il est prévu de « réouvrir l’étang du Loch à la mer ».
Le 31 décembre 2019, il annonce aux propriétaires de la ferme du Loch que des démarches sont engagées en vue d’une expulsion.
En effet, la principale conséquence de l’ouverture du clapet sera l’envahissement de la zone par l’eau de mer à chaque marée, entraînant la disparition de la ferme du Loch. France Domaine a procédé à l’expertise de la ferme le 28 février 2020.
Ces actions ont été réalisées sans que les élus en soient préalablement informés. Il est à noter qu’une proposition alternative consistant à ne noyer que le Petit Loch en installant un clapet entre les deux étangs a été refusée.
D’autres solutions évitant de noyer la zone, comme l’installation d’une passe à poissons, peuvent être envisagées.
Globalement, la réserve naturelle a une altitude inférieure ou égale à 6 mètres.
Au vu des hauteurs de marée, on peut donc raisonnablement penser que toutes les terres situées au-dessous de 6 mètres sont potentiellement inondables.
La mer ne se contentera pas d’envahir les zones actuellement en eau, elle recouvrira l’ensemble des surfaces dont le niveau est inférieur à celui de la marée.
La végétation et une grande partie de la faune actuelle disparaîtront sous l’effet du sel.
Un nouvel écosystème, compatible avec l’eau salée, s’installera mais personne n’est capable de dire lequelcar les experts ne se prononcent pas. Il s’agit de réaliser un test pour voir ce que cela donne, de servir de cobaye pour d’autres réalisations de ce genre. Les guidélois ne sont pas des cobayes et n’ont pas vocation à jouer aux apprentis sorciers, ils méritent mieux.
Pourquoi sacrifier cette zone humide alors que partout ailleurs ont s’acharne à les préserver ? Pourquoi laisser pénétrer l’eau salée aussi loin à l’intérieur des terres ? Pour créer une mini rivière d’Etel? Dans ce cas, on sait ce que cela va donner, inutile de faire un test.
De plus, il est à craindre que cela n’entraîne un lessivage de l’ancienne décharge sauvage jouxtant le Petit loch et ne fasse remonter des dépôts de l’ancienne zone de lagunage de Guidel Plages.
Enfin, l’action récurrente de la marée pourrait éroder les parties sableuses ainsi que les soubassements de la route proche de la ferme du Loch et de la route côtière qui pourraient être coupées à cet endroit.
Le profil de la plage du Loch pourrait être modifié.
Soutenir la mise en œuvre du plan de gestion de la Réserve Naturelle Régionale du Loch était un des objectifs de l’Agenda 21 de la commune, établi en 2010. Pourquoi remettre cela en question alors que la directive européenne n’a pas de caractère obligatoire en France ? En revanche, elle impose une concertation avec les habitants avant de modifier l’existant, ce qui n’a pas été fait. Pourquoi tant de précipitation ?
Il est de notre devoir de protéger cet espace naturel remarquable et il est possible de garantir la continuité écologique sans procéder à la réouverture du Loch à la mer à laquelle nous sommes opposés."
Nous appelons les riverains, les usagers et les élus à résister à cette oppression administrative qui les frappe comme elle frappe tout le pays. Il s'agit notamment pour eux de :
La politique de continuité écologique en France est menée depuis 10 ans dans une ambiance de dogmatisme et de mépris des citoyens ayant conduit à l'émergence de conflits et de contentieux partout sur le territoire. Les services de l'Etat et leurs administrations - Office français de la biodiversité (ex Onema), agences de l'eau, direction de l'eau au ministère - ont en effet engagé une programmation publique marquée par de nombreux biais :
- pression financière et règlementaire à la destruction du patrimoine culturel et paysager,
- ignorance des écosystèmes d'origine humaine,
- indifférence à leur biodiversité acquise au nom d'une vision intégriste de la restauration de nature "sauvage",
- centrage local sur des espèces spécialisées de poissons et quelques intérêts halieutiques,
- absence d'écoute des citoyens et de co-construction.
Le journal Ouest-France expose aujourd'hui les malheurs des étangs du petit et du grand Loch à Guidel (Morbihan).
"Située sur la commune de Guidel, cette réserve de 118 hectares, classée espace naturel sensibles (ENS) par le département et partie du périmètre Natura 2000, a développé un écosystème remarquable grâce aux eaux saumâtres du petit Loch et aux eaux douces du grand Loch. 400 espèces de végétaux, 147 espèces d’oiseaux, de nombreux mammifères et insectes y sont recensés. Le paysage et certaines de ces espèces, rares et protégées, se retrouvent menacées par la destruction de la réserve sous sa forme actuelle.
(...)la Saudraye, une rivière traversant la réserve, ne se jette pas en continu dans la mer. Façonné par l’homme, le cours d’eau est obstrué, depuis la fin du 19è siècle, par un ouvrage à clapets. La continuité écologique n’est donc pas respectée. L’ouvrage empêche la mer de remonter dans la réserve à marée haute et limite la migration des poissons. Le bureau d’études Hydroconcept note en 2013 : «Une densité de truite faible, avec 5,5 individus pour 100 m2 alors que celle de l’anguille est bonne avec 47,7 individus aux 100 m²».
Cet ouvrage, limitant la présence d’eau salée – l’altitude moyenne du petit Loc’h se situe sous le niveau moyen de la mer – a cependant permis le développement de cet écosystème. Selon le cabinet X.Hardy, missionné pour un plan de gestion en 2009 : «La richesse écologique du site est en grande partie liée à la présence du clapet à marée.» Une seconde étude pointe l’importance de l’ouvrage : «toute action sur l’ouvrage de sortie de mer peut potentiellement perturber l’équilibre de la zone en amont et être en contradiction avec le document d’objectifs Natura 2 000.»
L'office français de la biodiversité, qui a refusé de répondre aux journalistes de Ouest-France, n'a pas accepté les solutions incluant le maintien de l'ouvrage.
"Pour respecter la loi, «l’Office Français de la biodiversité (OFB) a sommé la réserve d’étudier la continuité», explique Stéphane Basck, responsable du service technique à la fédération des chasseurs du Morbihan, gestionnaire de la réserve. La fédération a donc mandaté, en 2013, le bureau d’études DCI environnement situé à Quimper, pour étudier l’ouverture. Il s’est penché sur 3 scénarii. Le premier rend le Loc’h à son état d’origine en détruisant l’ouvrage pour un ré-esturarisation. Le Loc’h redeviendrait une Ria, comme au 19è siècle. Le deuxième scénario maintient l’ouvrage, en supprimant les clapets. Le dernier, qui obtient la meilleure note de l’étude, prévoit l’aménagement des clapets par des vérins. Ce système permettrait ainsi de laisser rentrer l’eau de mer tout en limitant le passage. Selon DCI environnement, cette solution permettrait : « Une restauration de la libre circulation des espèces cibles et des sédiments tout en maintenant la richesse écologique du Loc’h » «Une solution acceptée par la fédération des chasseurs du Morbihan mais refusée par l’OFB qui veut une continuité dans le temps et l’espace», affirme Stéphane Basck."
Enfin, un fermier et sa famille sont menacés d'expulsion :
"L’étude de DCI pointe aussi un risque d’inondation de la ferme des Besnard, située à l’entrée du Grand Loc’h. Cette famille, installée dans les années 50, a longtemps cultivé les terres du Loc’h et contribué à son état actuel en consolidant l’ouvrage. Après une première expropriation en 1972 pour permettre l’installation d’une station d’épuration, depuis détruite, la famille Besnard a reçu la visite de France Domaine en février 2020 pour estimer la propriété, préalable à une éventuelle expropriation. « Mon père a dépassé le stade d’en avoir marre, mes parents ont juste envie de terminer leurs jours ici », clame le fils, Christophe Besnard."
Les élus et riverains exposent ainsi la problématique (source) :
"Petit et Grand Loch constituent un espace naturel remarquable de Bretagne, connu sous le nom de « Réserve naturelle des étangs du Petit et du Grand Loch ». Cet espace naturel, reconnu pour son environnement, sa faune et sa flore, est aujourd’hui menacé de disparition.
Poldérisée depuis 1884, la zone est reliée à la mer au moyen d’une canalisation passant sous la route côtière. A marée montante, un clapet empêche l’eau de mer de rentrer dans les terres. A marée descendante, poussé par la pression de l’eau douce, le clapet s’ouvre permettant ainsi à la Saudraye de rejoindre la mer. Cet espace humide représente en outre un filtre naturel et de dénitrification des eaux de ruissellement.
Cette zone d’une centaine d’hectares est constituée d’étangs, de marécages, de terres agricoles et de pâturages. Peuplée de nombreuses espèces végétales et animales adaptées aux milieux d’eau douce, elle est un lieu apprécié des promeneurs et un lieu d’observation privilégié des nombreuses espèces d’oiseaux qui la fréquentent.
Ce bel ordonnancement est aujourd’hui menacé de disparition, par une application trop restrictive d’une directive européenne visant à assurer la continuité écologique des cours d’eau « de la source à la mer ».
Dans un article OF du 19 juillet 2019, le maire, Jo Daniel, signale qu’il est prévu de « réouvrir l’étang du Loch à la mer ».
Le 31 décembre 2019, il annonce aux propriétaires de la ferme du Loch que des démarches sont engagées en vue d’une expulsion.
En effet, la principale conséquence de l’ouverture du clapet sera l’envahissement de la zone par l’eau de mer à chaque marée, entraînant la disparition de la ferme du Loch. France Domaine a procédé à l’expertise de la ferme le 28 février 2020.
Ces actions ont été réalisées sans que les élus en soient préalablement informés. Il est à noter qu’une proposition alternative consistant à ne noyer que le Petit Loch en installant un clapet entre les deux étangs a été refusée.
D’autres solutions évitant de noyer la zone, comme l’installation d’une passe à poissons, peuvent être envisagées.
Globalement, la réserve naturelle a une altitude inférieure ou égale à 6 mètres.
Au vu des hauteurs de marée, on peut donc raisonnablement penser que toutes les terres situées au-dessous de 6 mètres sont potentiellement inondables.
La mer ne se contentera pas d’envahir les zones actuellement en eau, elle recouvrira l’ensemble des surfaces dont le niveau est inférieur à celui de la marée.
La végétation et une grande partie de la faune actuelle disparaîtront sous l’effet du sel.
Un nouvel écosystème, compatible avec l’eau salée, s’installera mais personne n’est capable de dire lequelcar les experts ne se prononcent pas. Il s’agit de réaliser un test pour voir ce que cela donne, de servir de cobaye pour d’autres réalisations de ce genre. Les guidélois ne sont pas des cobayes et n’ont pas vocation à jouer aux apprentis sorciers, ils méritent mieux.
Pourquoi sacrifier cette zone humide alors que partout ailleurs ont s’acharne à les préserver ? Pourquoi laisser pénétrer l’eau salée aussi loin à l’intérieur des terres ? Pour créer une mini rivière d’Etel? Dans ce cas, on sait ce que cela va donner, inutile de faire un test.
De plus, il est à craindre que cela n’entraîne un lessivage de l’ancienne décharge sauvage jouxtant le Petit loch et ne fasse remonter des dépôts de l’ancienne zone de lagunage de Guidel Plages.
Enfin, l’action récurrente de la marée pourrait éroder les parties sableuses ainsi que les soubassements de la route proche de la ferme du Loch et de la route côtière qui pourraient être coupées à cet endroit.
Le profil de la plage du Loch pourrait être modifié.
Soutenir la mise en œuvre du plan de gestion de la Réserve Naturelle Régionale du Loch était un des objectifs de l’Agenda 21 de la commune, établi en 2010. Pourquoi remettre cela en question alors que la directive européenne n’a pas de caractère obligatoire en France ? En revanche, elle impose une concertation avec les habitants avant de modifier l’existant, ce qui n’a pas été fait. Pourquoi tant de précipitation ?
Il est de notre devoir de protéger cet espace naturel remarquable et il est possible de garantir la continuité écologique sans procéder à la réouverture du Loch à la mer à laquelle nous sommes opposés."
Nous appelons les riverains, les usagers et les élus à résister à cette oppression administrative qui les frappe comme elle frappe tout le pays. Il s'agit notamment pour eux de :
- saisir M. Castex et Mme Pompili, puisque le gouvernement se prétend au service des territoires et non des lubies de ses administrations centrales, le premier ministre ayant signifié qu'il voulait mettre fin à l'écologie "punitive" et "sectaire",
- préparer un contentieux administratif (et pénal) contre toute solution entraînant une perte nette de biodiversité, une destruction de milieux, une atteinte à la gestion équilibrée et durable de l'eau,
- saisir les parlementaires pour exiger un audit de ces soi-disant expertises qui ont déjà coûté des centaines de millions € au pays, et la destruction de nombreux patrimoines, pour des gains dont nul n'a démontré la réalité et la durabilité,
- informer et organiser les citoyens pour assurer si besoin la garde du site menacé, l'Etat ayant déjà démontré sa politique du fait accompli.
L'association Hydrauxois se met à disposition des riverains qui le souhaitent pour participer au contentieux si l'administration ne cesse pas sa politique de destruction.
La continuité écologique sera "apaisée" le jour où la ministre de l'écologie ordonnera à son administration, de manière explicite et opposable , de respecter les ouvrages hydrauliques autorisés, les milieux anthropiques et les usages riverains. D'ici là, nous continuerons dans le spectacle navrant de dérives locales des fonctionnaires, de contentieux avec les citoyens et de gabegies d'argent public.
Illustrations : extrait du site de Guidel, tous droits réservés.
Engagement local : le groupe de l'association les faits mer.
Engagement local : le groupe de l'association les faits mer.
28/07/2020
La Loue victime au premier chef des pollutions, et non des changements morphologiques
Des chercheurs du laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC (Franche-Comté) viennent de publier la synthèse de 8 ans d'études sur la Loue et ses affluents. Nous reproduisons et commentons leurs conclusions, qui imputent les dysfonctionnements écologiques des rivières comtoises en zone karstique aux excès de diverses pollutions, entraînant des proliférations précoces de végétation et des baisses de qualité d'eau. Les ouvrages en travers ne sont pas mentionnés comme cause majeure d'altération des bassins, la morphologie ayant été davantage impactée par les incisions et chenalisations (extraction de matériaux, évacuation de crue). Cela rejoint les conclusions des études de Jean Verneaux réalisées il y a déjà 40 ans, au début du phénomène. Le milieu des pêcheurs se trompe de cible sur la question de la continuité en long: les moulins étaient déjà là de longue date quand la Loue était un spot international réputé pour ses abondances de truites.
L’étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants a été réalisée par le laboratoire Chrono-Environnement CNRS-UFC, co-financée par la région Bourgogne-Franche-Comté, le département du Doubs et l’agence de l’eau.
Les objectifs de ce travail, mené sur la Loue en tant que cours d’eau caractéristique et représentatif des rivières karstiques, étaient de définir l’état de la rivière, d’identifier les contaminants présents et de hiérarchiser leurs impacts.
Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.
1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles
2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires
3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).
4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau
5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).
6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.
7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.
Source
Commentaires
On notera que le bassin de la Haute Loue (jusqu'à la confluence avec la Furieuse) compte 50 ouvrages transversaux, cf bilan du SAGE 2013. Ceux-ci ne sont pas signalés dans l'étude des chercheurs francs-comtois comme faisant obstacle à la présence de salmonidés ou réchauffant les eaux au-delà de la limite de tolérance de ces espèces.
Déjà dans sa thèse célèbre soutenue en 1973 et faisant suite à 10 ans d'observations et mesures sur ces cours d'eau au moment des Trente Glorieuses, l'hydrobiologiste Jean Verneaux ne mentionnait nullement des ruptures de pentes, habitats ou températures comme un facteur de disparition des salmonidés. En revanche, il pontait déjà la disparition des taxons polluo-sensibles. Les travaux conduits sous la direction François Degiorgi et Pierre-Marie Badot n'isolent pas non plus l'ouvrage transversal comme problème, en tout cas majeur. Les altérations morphologiques notables sont des incisions de lit par extraction de matériaux et chenalisation d'évacuation rapide de crue, des pertes de ripisylves et des bienfaits associés (zones tampon, déchets de bois en lit).
Les rivières comtoises ont été jusque dans les années 1950 des spots très réputés en France et en Europe de pêche à la mouche. Des ouvrages présents depuis un à six siècles n'avaient en rien empêché cette richesse faunistique. On se trompe de combat, on divise les riverains, on dilapide l'argent rare de l'écologie et on détourne l'attention publique à harceler et démanteler les ouvrages hydrauliques anciens au lieu de traiter les pollutions. Il est bien dommage qu'une partie du lobby pêche agisse en complice de cette impasse, alors que des ouvrages bien gérés sont des facteurs utiles pour la gestion des eaux, surtout en période de changement hydroclimatique et de multiplication des assecs meurtriers pour toute la faune.
Référence disponible : François Degiorgi, Pierre-Marie Badot (2020), Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles.
Résumé présenté par les chercheurs
Les objectifs de ce travail, mené sur la Loue en tant que cours d’eau caractéristique et représentatif des rivières karstiques, étaient de définir l’état de la rivière, d’identifier les contaminants présents et de hiérarchiser leurs impacts.
Les dysfonctionnements écologiques mis en évidence dans la Loue sont induits principalement par les causes suivantes.
1. Les excès d’azote dans les milieux aquatiques et l’accroissement des teneurs en bicarbonates sont la conséquence de l’intensification des pratiques agricoles
2. Les contaminations multiples par des produits phytosanitaires, des biocides et les substances actives issues des médicaments vétérinaires
3. Une part sans doute non négligeable de ces contaminations trouve aussi son origine au sein de la filière bois par le biais des traitements des grumes en forêt et en scierie, mais aussi dans les utilisations domestiques (insecticides en poudre, en aérosol, biocides en tout genre, produits de traitement des bois d’oeuvre...).
4. La collecte et le traitement des eaux usées ne sont pas impliqués au premier chef dans les contaminations azotées mais présentent des marges de progression pour réduire leurs contributions aux apports de substances toxiques et de bouffées de phosphore dans les cours d’eau
5. Une contamination par des concentrations parfois très élevées d’hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP) lourds non solubles existe à l’échelle du bassin versant dans les différents types de prélèvements analysés et notamment dans les particules fines (sédiments et matières en suspension).
6. La nature karstique du substratum et le positionnement en tête de bassin accroît la vulnérabilité des cours d’eau, vis à vis des contaminants chimiques qui peuvent être transférés des sols vers les eaux et transportés très rapidement au sein des masses d’eau.
7. Les modifications physiques des cours d’eau et les altérations de la végétation de bordure – réduite et artificialisée – dégradent les habitats des poissons et des communautés vivant au fond et constituent des facteurs aggravants.
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Commentaires
On notera que le bassin de la Haute Loue (jusqu'à la confluence avec la Furieuse) compte 50 ouvrages transversaux, cf bilan du SAGE 2013. Ceux-ci ne sont pas signalés dans l'étude des chercheurs francs-comtois comme faisant obstacle à la présence de salmonidés ou réchauffant les eaux au-delà de la limite de tolérance de ces espèces.
Déjà dans sa thèse célèbre soutenue en 1973 et faisant suite à 10 ans d'observations et mesures sur ces cours d'eau au moment des Trente Glorieuses, l'hydrobiologiste Jean Verneaux ne mentionnait nullement des ruptures de pentes, habitats ou températures comme un facteur de disparition des salmonidés. En revanche, il pontait déjà la disparition des taxons polluo-sensibles. Les travaux conduits sous la direction François Degiorgi et Pierre-Marie Badot n'isolent pas non plus l'ouvrage transversal comme problème, en tout cas majeur. Les altérations morphologiques notables sont des incisions de lit par extraction de matériaux et chenalisation d'évacuation rapide de crue, des pertes de ripisylves et des bienfaits associés (zones tampon, déchets de bois en lit).
Les rivières comtoises ont été jusque dans les années 1950 des spots très réputés en France et en Europe de pêche à la mouche. Des ouvrages présents depuis un à six siècles n'avaient en rien empêché cette richesse faunistique. On se trompe de combat, on divise les riverains, on dilapide l'argent rare de l'écologie et on détourne l'attention publique à harceler et démanteler les ouvrages hydrauliques anciens au lieu de traiter les pollutions. Il est bien dommage qu'une partie du lobby pêche agisse en complice de cette impasse, alors que des ouvrages bien gérés sont des facteurs utiles pour la gestion des eaux, surtout en période de changement hydroclimatique et de multiplication des assecs meurtriers pour toute la faune.
Référence disponible : François Degiorgi, Pierre-Marie Badot (2020), Étude de l’état de santé des rivières karstiques en relation avec les pressions anthropiques sur leurs bassins versants. Bilan synthétique des opérations réalisées et des recherches et analyses effectuées et disponibles.
27/07/2020
Le moulin est devenu un patrimoine naturel autant que culturel
Les moulins appartiennent-ils seulement au monde de la culture, de le technique, de l'histoire, qui s'opposerait à celui de la nature? Non. Cette manière binaire de voir la réalité n'est plus d'actualité: les moulins forment des socio-écosystèmes. Ils relèvent à la fois du patrimoine culturel et naturel, ils hébergent du vivant autant qu'ils permettent des usages, ils sont un environnement modifié par l'humain comme tous les environnements l'ont été au fil des générations. Les moulins figurent ainsi parmi les premiers témoignages de l'Anthropocène, cette période qui a fusionné des écosystèmes biophysiques et des sociosystèmes humains. Aussi est-il important de renforcer dans toutes les associations de propriétaires une conscience et une connaissance écologiques, afin d'enrichir et améliorer la gestion de ces biens hydrauliques "hybrides". Mais il est urgent aussi, dans les politiques publiques, de ne plus imaginer un jeu à somme à somme nulle où ce qui est concédé à la culture serait perdu pour la nature: le moulin est une réalité locale où nature et culture se sont métissées. C'est ainsi que la recherche scientifique décrit ces espaces hybrides, et c'est ainsi qu'il faut désormais envisager le moulin, comme tous les autres milieux créés par des ouvrages hydrauliques.
Les moulins ont été souvent valorisés par leurs acheteurs et par leurs associations comme un patrimoine historique, technique et culturel. Et pour cause, ils sont un témoignage exceptionnel du passé, des générations qui ont nourri la France et construit par leur travail l'économie du pays. Les moulins furent depuis deux millénaires les usines à tout faire des communautés humaines de chaque bassin versant : farines, huiles, tissus, métaux, bois, papiers, électricité... tout pouvait être transformé avec un moteur hydraulique à roue, puis à turbine. Et cela reste vrai aujourd'hui pour tous les moulins encore producteurs, ou le redevenant.
Un autre attrait des moulins à eau est évidemment paysager, l'agrément du bord de rivière. Certes, les crues sont difficiles à vivre, même si les anciens avaient l'habileté de surélever leurs biefs un peu à l'écart de la rivière, et de conserver un rez-de-chaussée inondable en connaissance des caprices de l'eau. Hors ces risques propres à toute propriété riveraine, la présence de l'eau est une joie de tous les jours pour ceux qui en ont la sensibilité.
Mais le moulin ne peut être seulement habité et vécu comme témoignage historique et agrément paysager. Aujourd'hui, les propriétaires de moulin doivent ajouter une nouvelle dimension : l'écologie du site.
Ce point n'est pas toujours familier à tous. Le plaisir de l'eau comme paysage n'est pas la connaissance de l'eau comme milieu. Or, le moulin a des effets sur l'eau-milieu. Ici il va accumuler des sédiments, là ralentir des écoulements, la gestion des vannes modifiant ces paramètres. Les premiers bâtisseurs en étaient parfois conscients, au moins partiellement, par empirisme. On voit par exemple de-ci de-là des chaussées empierrées fort anciennes dont la crête du côté de l'ancrage en rive opposée au moulin est abaissée : c'était la "passe à poissons" intuitive des bâtisseurs de l'époque, l'endroit où l'eau verse préférentiellement et où la chute s'annule vite quand la rivière gonfle. Ayant parfois oublié cela, le propriétaire en lien avec l'administration a pu remettre au 20e siècle la crête de son ouvrage "au cordeau" uniforme du niveau légal... mais cet oubli d'une culture de la nature au profit d'une rectitude réglementaire ne fut pas forcément un gain environnemental.
Penser et gérer le moulin comme milieu à part entière
Plus encore, le moulin est un milieu écologique à part entière. Il doit aujourd'hui être envisagé, mais aussi revendiqué et géré, comme un patrimoine naturel autant que technique.
Cette conclusion provient d'une évolution majeure de la connaissance en écologie des 30 dernières années: peu importe qu'un habitat soit d'origine artificielle ou naturelle, humaine ou non-humaine, l'important est d'examiner les fonctionnalités et les biodiversités de cet habitat. Exemples de fonctionnalités : le moulin va collecter une partie des eaux de crue ou rehausser la hauteur de nappe. Exemples de biodiversités : le moulin va héberger des poissons, oiseaux, mammifères, invertébrés, végétaux dans ses parties aquatiques et rivulaires. Le moulin crée bien sûr un milieu modifié, comme l'étang ou le plan d'eau, mais cela reste un milieu biophysique ayant certaines propriétés adaptés à certains vivants.
La "nature" entendue comme ce qui serait totalement indemne d'une influence humaine n'existe plus, sinon comme construction intellectuelle fausse. Il n'y a que des milieux présentant des gradients de modification. Même les tronçons de rivière qui coulent en amont et en aval de l'emprise directe du moulin sont des milieux eux aussi modifiés, comme leurs berges.
Les scientifiques discutent aujourd'hui pour savoir si notre époque géologique se nomme Anthropocène, c'est-à-dire l'époque où l'être humain a modifié par son action de grands cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore, uranium, eau, répartition des espèces...). Or si cette période est reconnue, le moulin pourrait sûrement figurer comme son ancêtre : en s'installant avec l'étang et la forge au fil de l'eau dès l'Antiquité, il témoigne de la lente fusion de l'humain et du non-humain sur les rives. C'était à la période "calme" de l'Anthropocène, la période des changements modestes et ajustements délicats, c'était avant la "grande accélération" d'après 1945 qui a dégradé les milieux. Des chercheurs l'ont montré en France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, aux Etats-Unis : les petits ouvrages ayant émergé au long des siècles sont partie intégrante de la dynamique morphologique et biologique de leurs bassins. Les effets sur l'énergie de l'eau, le transport des sédiments, l'apparition d'habitats ont créé des nouveaux écosystèmes, parfois appelés écosystèmes culturels. Des espèces ont pu refluer, d'autres se sont installées.
Ce lien entre nature et culture est parfois oublié ou ignoré: il faut le réveiller. Le percevoir, le comprendre, l'entretenir. C'est vrai chez certains propriétaires, plus portés à la dimension historique ou technique, mais c'est vrai aussi chez les gestionnaires publics des rivières. Aujourd'hui, le ministère de l'écologie et le ministère de la culture travaillent en parallèle sur la question des moulins. Les uns ne voient que la nature, les autres que la culture, alors que la réalité est hybride. Les uns ou les autres raisonnent en terme de "concession" (un peu pour la nature ou un peu pour la culture?), alors que le moulin doit être vu comme un socio-écosystème intégré. Il s'agit de savoir comment, au droit du moulin, le complexe nature-culture uni en une seule réalité peut évoluer. Et non pas de dire que l'on accorde la primauté à ceci ou cela.
Toutes les associations de moulins doivent aujourd'hui diffuser chez leurs adhérents cette nouvelle culture écologique, qui ne manquera pas de prendre de l'importance dans les politiques publiques et dans les choix privés. Car la ressource en eau, le maintien de la biodiversité, la lutte contre les pollutions, l'atténuation du changement climatique, ce sont les enjeux de notre siècle. L'attention portée à la nature et l'attention portée à la culture se nourrissent aux mêmes désirs : veiller, protéger, valoriser, transmettre. Les propriétaires de moulins, en raison du patrimoine dont ils ont la charge, ont vocation à devenir exemplaires.
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Eau, climat, vivant, paysage: s'engager pour les biens communs
Les moulins ont été souvent valorisés par leurs acheteurs et par leurs associations comme un patrimoine historique, technique et culturel. Et pour cause, ils sont un témoignage exceptionnel du passé, des générations qui ont nourri la France et construit par leur travail l'économie du pays. Les moulins furent depuis deux millénaires les usines à tout faire des communautés humaines de chaque bassin versant : farines, huiles, tissus, métaux, bois, papiers, électricité... tout pouvait être transformé avec un moteur hydraulique à roue, puis à turbine. Et cela reste vrai aujourd'hui pour tous les moulins encore producteurs, ou le redevenant.
Un autre attrait des moulins à eau est évidemment paysager, l'agrément du bord de rivière. Certes, les crues sont difficiles à vivre, même si les anciens avaient l'habileté de surélever leurs biefs un peu à l'écart de la rivière, et de conserver un rez-de-chaussée inondable en connaissance des caprices de l'eau. Hors ces risques propres à toute propriété riveraine, la présence de l'eau est une joie de tous les jours pour ceux qui en ont la sensibilité.
Mais le moulin ne peut être seulement habité et vécu comme témoignage historique et agrément paysager. Aujourd'hui, les propriétaires de moulin doivent ajouter une nouvelle dimension : l'écologie du site.
Ce point n'est pas toujours familier à tous. Le plaisir de l'eau comme paysage n'est pas la connaissance de l'eau comme milieu. Or, le moulin a des effets sur l'eau-milieu. Ici il va accumuler des sédiments, là ralentir des écoulements, la gestion des vannes modifiant ces paramètres. Les premiers bâtisseurs en étaient parfois conscients, au moins partiellement, par empirisme. On voit par exemple de-ci de-là des chaussées empierrées fort anciennes dont la crête du côté de l'ancrage en rive opposée au moulin est abaissée : c'était la "passe à poissons" intuitive des bâtisseurs de l'époque, l'endroit où l'eau verse préférentiellement et où la chute s'annule vite quand la rivière gonfle. Ayant parfois oublié cela, le propriétaire en lien avec l'administration a pu remettre au 20e siècle la crête de son ouvrage "au cordeau" uniforme du niveau légal... mais cet oubli d'une culture de la nature au profit d'une rectitude réglementaire ne fut pas forcément un gain environnemental.
Penser et gérer le moulin comme milieu à part entière
Plus encore, le moulin est un milieu écologique à part entière. Il doit aujourd'hui être envisagé, mais aussi revendiqué et géré, comme un patrimoine naturel autant que technique.
Cette conclusion provient d'une évolution majeure de la connaissance en écologie des 30 dernières années: peu importe qu'un habitat soit d'origine artificielle ou naturelle, humaine ou non-humaine, l'important est d'examiner les fonctionnalités et les biodiversités de cet habitat. Exemples de fonctionnalités : le moulin va collecter une partie des eaux de crue ou rehausser la hauteur de nappe. Exemples de biodiversités : le moulin va héberger des poissons, oiseaux, mammifères, invertébrés, végétaux dans ses parties aquatiques et rivulaires. Le moulin crée bien sûr un milieu modifié, comme l'étang ou le plan d'eau, mais cela reste un milieu biophysique ayant certaines propriétés adaptés à certains vivants.
La "nature" entendue comme ce qui serait totalement indemne d'une influence humaine n'existe plus, sinon comme construction intellectuelle fausse. Il n'y a que des milieux présentant des gradients de modification. Même les tronçons de rivière qui coulent en amont et en aval de l'emprise directe du moulin sont des milieux eux aussi modifiés, comme leurs berges.
Les scientifiques discutent aujourd'hui pour savoir si notre époque géologique se nomme Anthropocène, c'est-à-dire l'époque où l'être humain a modifié par son action de grands cycles biogéochimiques (carbone, azote, phosphore, uranium, eau, répartition des espèces...). Or si cette période est reconnue, le moulin pourrait sûrement figurer comme son ancêtre : en s'installant avec l'étang et la forge au fil de l'eau dès l'Antiquité, il témoigne de la lente fusion de l'humain et du non-humain sur les rives. C'était à la période "calme" de l'Anthropocène, la période des changements modestes et ajustements délicats, c'était avant la "grande accélération" d'après 1945 qui a dégradé les milieux. Des chercheurs l'ont montré en France, en Belgique, en Angleterre, en Allemagne, en Pologne, aux Etats-Unis : les petits ouvrages ayant émergé au long des siècles sont partie intégrante de la dynamique morphologique et biologique de leurs bassins. Les effets sur l'énergie de l'eau, le transport des sédiments, l'apparition d'habitats ont créé des nouveaux écosystèmes, parfois appelés écosystèmes culturels. Des espèces ont pu refluer, d'autres se sont installées.
Ce lien entre nature et culture est parfois oublié ou ignoré: il faut le réveiller. Le percevoir, le comprendre, l'entretenir. C'est vrai chez certains propriétaires, plus portés à la dimension historique ou technique, mais c'est vrai aussi chez les gestionnaires publics des rivières. Aujourd'hui, le ministère de l'écologie et le ministère de la culture travaillent en parallèle sur la question des moulins. Les uns ne voient que la nature, les autres que la culture, alors que la réalité est hybride. Les uns ou les autres raisonnent en terme de "concession" (un peu pour la nature ou un peu pour la culture?), alors que le moulin doit être vu comme un socio-écosystème intégré. Il s'agit de savoir comment, au droit du moulin, le complexe nature-culture uni en une seule réalité peut évoluer. Et non pas de dire que l'on accorde la primauté à ceci ou cela.
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24/07/2020
Les agences de l'eau planifient en coulisses la destruction "apaisée" des moulins, canaux, étangs et plans d'eau jusqu'en 2027 !
Après le décret scélérat du ministre de l'écologie faisant de la destruction des ouvrages et de leurs milieux une simple formalité de déclaration, les projets de SDAGE 2022-2027 en cours d'élaboration montrent que l'administration de l'eau et de la biodiversité entend donner la prime financière et règlementaire à l'effacement jusqu'en 2027. En inscrivant ainsi la préférence à la destruction des ouvrages dans les SDAGE s'imposant à échelle de tout le bassin, les syndicats de rivière et les collectivités GEMAPI auront ensuite un ordre clair : vous recevrez de l'argent si vous cassez tout, sinon il faudra chercher des moyens... qui n'existent généralement pas, puisque les agences de l'eau sont premiers payeurs des chantiers sur l'eau par les taxes des citoyens. Nous appelons à nouveau les représentants nationaux des moulins et riverains participant à la comédie de la continuité écologique "apaisée" à en tirer les conclusions : l'administration n'a rien changé de ses doubles discours et de ses manipulations, elle entend exercer sa pression maximale pour casser les ouvrages, faire disparaître leurs milieux, marginaliser leurs usages. C'est une aberration à l'aune des enjeux des transitions écologique, climatique et énergétique en cours. Les fédérations de moulins et de riverains veulent-elles être complices de ce scandale quand les pelleteuses viendront tout détruire? Il est temps de changer de ton et de méthode, car les associations et collectifs de terrain ne peuvent se retrouver seuls face au rouleau compresseur.
L'argent des citoyens servira-t-il encore demain à détruire des moulins, étangs, canaux, barrages et plans d'eau? On s'y dirige pour les plus grands bassins hydrographiques du pays, à travers les choix de coulisses s'opérant en ce moment même dans les agences de l'eau.
Ces agences de l'eau sont en effet en train de discuter les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE) sur la période 2022-2027. Les SDAGE sont des programmes quinquennaux essentiels dans la gestion de l'eau puisque :
En clair, si un SDAGE appelle à l'effacement prioritaire des ouvrages, il sera très difficile pour les acteurs d'avoir d'autres options à portée de financement pendant 5 ans.
Aujourd'hui, les moulins, les étangs, les protecteurs du patrimoine historique et paysager, les riverains sont exclus des comités de bassin des agences de l'eau, comme de leurs commissions techniques. Notre association a demandé à participer à la préparation des textes du SDAGE Seine-Normandie relatifs aux ouvrages : on nous a opposé une fin de non-recevoir. Le comité de bassin, nommé par le préfet et non élu, agit actuellement comme une chambre d'enregistrement de lobbies puissants et d'élus dociles, non représentative de la société et des acteurs de chaque rivière. C'est un déni massif de démocratie. On adopte des normes et on distribue l'argent public sans discuter avec ceux qui en subissent les conséquences, sans contrôler les choix par l'élection de ceux qui choisissent.
Nous avons réussi à obtenir des versions en cours de discussions des projets de SDAGE sur 3 bassins. Ces projets sont rédigés par les représentants de l'Etat et de l'administration au sein des agences de l'eau, donc placés sous tutelle du ministère de l'écologie ayant promis une "politique apaisée de continuité écologique".
Or, il n'en est rien, les textes analysés sur les bassins Seine-Normandie, Loire-Bretagne et Rhin-Meuse sont toujours médiocres au plan de l'intégration des conclusions de la recherche, et surtout orientés résolument vers la destruction des ouvrages :
Le scandale continue donc à l'identique : le "cas par cas" mis en avant par le plan de continuité apaisée n'est pas respecté, le choix a priori est d'effacer, cela vu d'un bureau et sans rien savoir de chaque ouvrage concerné par cette priorité. Les fonctionnaires doctrinaires de ces agences de l'eau persistent dans un programme de destruction massive et de chantage financier en faveur de cette seule solution solvabilisée par une subvention maximale.
Projet de SDAGE Seine-Normandie
Nous en tirons deux conclusions.
- Les experts administratifs des agences de bassin agissent désormais explicitement comme des fonctionnaires militants n'en faisant qu'à leur tête et manipulant les normes en absence de toute légitimité démocratique à le faire, cela alors que la loi française n'a jamais envisagé l'effacement des ouvrages, mais leur gestion, entretien et équipement. On pouvait encore dans les années 2000 plaider l'ignorance et la bonne foi. Mais en 2020, après une décennie de contestations, d'échanges, d'envois d'argumentaires, d'intervention de scientifiques, de protestations des parlementaires, de réformes de la loi indiquant que les ouvrages ont de la valeur, de contentieux devant les tribunaux, il faut en tirer la conclusion qui s'impose : une fraction de l'appareil administratif poursuit un agenda purement idéologique sur cette question des ouvrages en rivière, en parfait mépris des citoyens concernés par le sujet et des lanceurs d'alerte. Nous en tirerons pour notre part les conséquences sur la manière dont il faudra demain désigner et traiter cette fraction militante des agences de l'eau si les arbitrages ne changent pas.
- Les acteurs nationaux des moulins et riverains ayant participé au processus de continuité dite "apaisée" (FFAM, FMDF, ARF) sont eux aussi appelés à tirer les conséquences des manipulations et doubles discours de l'Etat (car ce sont bien les représentants de l'Etat au sein des agences qui préparent les textes). La direction de l'eau et de la biodiversité fait toujours la même chose depuis 10 ans : considérer les représentants des ouvrages comme négligeables par rapport aux lobbies formant la clientèle de la direction centrale du ministère (DEB), enterrer les rapports d'audit qui la gênent (CGEDD 2012, CGEDD 2016), ignorer les interpellations innombrables des parlementaires, contourner les évolutions de la loi, ne pas un changer un iota du dogme central, à savoir que le bon ouvrage est l'ouvrage qui n'existe plus. Les acteurs nationaux des moulins et riverains doivent choisir : soit on défend les ouvrages, ce qui demande une dénonciation de l'abus de pouvoir permanent de l'administration de l'eau sur ce thème, soit on négocie leur destruction avec l'Etat, ce qui poserait évidemment question sur la raison d'être et la représentativité de ces acteurs.
La coordination nationale Eaux & rivières humaines engage pour sa part une saisine des préfets de bassin et des directions d'agences pour demander le retrait de ces mesures scandaleuses de prime à la destruction, en attendant la saisine du juge si cette demande n'est pas suivie d'effets. Et elle prépare chacune de ses associations à l'engagement de futurs contentieux de terrain contre les représentants de ces agences — qui ne seront évidemment pas les bienvenus au bord des biefs, retenues et plans d'eau s'ils y apportent encore un message de prime à la destruction.
L'association Hydrauxois a toujours respecté les autres acteurs des rivières aménagées, toujours souhaité (et participé à) des démarches unitaires et transversales comme celle de l'appel au moratoire sur les destructions d'ouvrages, entre 2015 et 2017. Nous arrivons à un tournant : si le décret scélérat du 30 juin 2020 n'est pas annulé (et ne fait pas l'objet d'une stratégie de réponse judiciaire sur le terrain en cas d'échec de l'annulation au conseil d'Etat), si ces projets de SDAGE passent dans leur état actuel, alors le rouleau compresseur de l'Etat effacera ouvrage par ouvrage le patrimoine hydraulique français, avec leurs services sociaux et écosystémiques associés. Nous ne serons jamais les complices de cette infamie, nous y résisterons aussi longtemps que nous en aurons l'énergie et les moyens, nous défendrons les cadres de vie menacés aux cotés de leurs riverains. Nous appelons chaque acteur à prendre la mesure de ses responsabilités, en particulier ceux qui prétendent à une représentation nationale de ces ouvrages menacés partout, et hélas déjà détruits sur de nombreuses rivières martyres qui ont été livrées aux casseurs.
Nous avons déjà exposé les besoins, auxquels nous essayons de répondre dans la limite de notre bénévolat et des dons de nos adhérents : informer en permanence les parlementaires des enjeux et des dérives en cours, exprimer une tolérance zéro au plan juridique et organiser des contentieux sur les textes ou chantiers ne respectant pas la loi, offrir des aides juridiques standardisées à chaque ouvrage objet de chantage et d'abus de pouvoir, interpeller régulièrement des préfets de département et de bassin, exiger de participer aux choix techniques des agences sur les ouvrages... ce travail est-il fait par les acteurs nationaux, oui ou non?
L'argent des citoyens servira-t-il encore demain à détruire des moulins, étangs, canaux, barrages et plans d'eau? On s'y dirige pour les plus grands bassins hydrographiques du pays, à travers les choix de coulisses s'opérant en ce moment même dans les agences de l'eau.
Ces agences de l'eau sont en effet en train de discuter les schémas directeurs d'aménagement et de gestion de l'eau (SDAGE) sur la période 2022-2027. Les SDAGE sont des programmes quinquennaux essentiels dans la gestion de l'eau puisque :
- ils prennent la forme d'un arrêté préfectoral de bassin opposable, faisant la pluie et le beau temps sur les projets recevables ou non (dimension normative des SDAGE),
- ils distribuent la manne des taxes de l'eau (2 milliards € par an) en choisissant ce qu'ils financent ou non au nom de l'intérêt général (dimension économique des SDAGE).
En clair, si un SDAGE appelle à l'effacement prioritaire des ouvrages, il sera très difficile pour les acteurs d'avoir d'autres options à portée de financement pendant 5 ans.
Aujourd'hui, les moulins, les étangs, les protecteurs du patrimoine historique et paysager, les riverains sont exclus des comités de bassin des agences de l'eau, comme de leurs commissions techniques. Notre association a demandé à participer à la préparation des textes du SDAGE Seine-Normandie relatifs aux ouvrages : on nous a opposé une fin de non-recevoir. Le comité de bassin, nommé par le préfet et non élu, agit actuellement comme une chambre d'enregistrement de lobbies puissants et d'élus dociles, non représentative de la société et des acteurs de chaque rivière. C'est un déni massif de démocratie. On adopte des normes et on distribue l'argent public sans discuter avec ceux qui en subissent les conséquences, sans contrôler les choix par l'élection de ceux qui choisissent.
Nous avons réussi à obtenir des versions en cours de discussions des projets de SDAGE sur 3 bassins. Ces projets sont rédigés par les représentants de l'Etat et de l'administration au sein des agences de l'eau, donc placés sous tutelle du ministère de l'écologie ayant promis une "politique apaisée de continuité écologique".
Or, il n'en est rien, les textes analysés sur les bassins Seine-Normandie, Loire-Bretagne et Rhin-Meuse sont toujours médiocres au plan de l'intégration des conclusions de la recherche, et surtout orientés résolument vers la destruction des ouvrages :
- aucun de ces SDAGE n'intègre des connaissances scientifiques récentes ayant montré la valeur des ouvrages hydrauliques et de leurs milieux, ainsi que l'urgence à entendre les avis de la société sur la rivière de demain,
- aucun de ces SDAGE ne développe de modèle d'hydro-écologie quantitative permettant de mesurer le poids réel de chacun des facteurs faisant varier l'état des eaux (pollution, morphologie etc.),
- aucun de ces SDAGE n'exige de véritables grilles multi-critères permettant d'intégrer toutes les dimensions de l'eau et des ouvrages, en conformité au droit et à la connaissance scientifique actualisée,
- trois SDAGE au moins, sur les plus grands linéaires hydrographiques du pays, appellent à l'effacement prioritaire des ouvrages, seule option qui reçoit le financement maximal de 80-90%.
Le scandale continue donc à l'identique : le "cas par cas" mis en avant par le plan de continuité apaisée n'est pas respecté, le choix a priori est d'effacer, cela vu d'un bureau et sans rien savoir de chaque ouvrage concerné par cette priorité. Les fonctionnaires doctrinaires de ces agences de l'eau persistent dans un programme de destruction massive et de chantage financier en faveur de cette seule solution solvabilisée par une subvention maximale.
Projet de SDAGE Seine-Normandie
Les maîtres d’ouvrage d’opération de restauration de la continuité écologique, de manière à atteindre les objectifs de réduction du taux d’étagement et de gain de linéaire accessible, s’attachent à privilégier les solutions, dans l’ordre de priorité suivant : - l’effacement, notamment pour les ouvrages transversaux abandonnés ou sans usages avérés ; - l’arasement partiel d’ouvrage et l’aménagement d’ouvertures, de petits seuils de substitution franchissables par conceptionProjet de SDAGE Loire-Bretagne
La solution d’effacement total des ouvrages transversaux est, dans la plupart des cas, la plus efficace et la plus durable, car elle garantit la transparence migratoire pour toutes les espèces, la pérennité des résultats, ainsi que la récupération d’habitats fonctionnels et d’écoulements libres ; elle doit donc être privilégiée.Projet de SDAGE Rhin-Meuse
Préconiser, lorsque cela est possible, un abaissement, voire un effacement complet des ouvrages (barrages, seuils, digues, protections de berges, etc.) existants en zone de mobilité, assorti d’une étude des effets directs et indirects des actions envisagées sur le cours d’eau et sur son bassin versant.Par ailleurs, plusieurs agences de l'eau prévoient d'adopter des indicateurs dénués de bases scientifiques sérieuses, comme le taux d'étagement ou le taux de fractionnement.
Nous en tirons deux conclusions.
- Les experts administratifs des agences de bassin agissent désormais explicitement comme des fonctionnaires militants n'en faisant qu'à leur tête et manipulant les normes en absence de toute légitimité démocratique à le faire, cela alors que la loi française n'a jamais envisagé l'effacement des ouvrages, mais leur gestion, entretien et équipement. On pouvait encore dans les années 2000 plaider l'ignorance et la bonne foi. Mais en 2020, après une décennie de contestations, d'échanges, d'envois d'argumentaires, d'intervention de scientifiques, de protestations des parlementaires, de réformes de la loi indiquant que les ouvrages ont de la valeur, de contentieux devant les tribunaux, il faut en tirer la conclusion qui s'impose : une fraction de l'appareil administratif poursuit un agenda purement idéologique sur cette question des ouvrages en rivière, en parfait mépris des citoyens concernés par le sujet et des lanceurs d'alerte. Nous en tirerons pour notre part les conséquences sur la manière dont il faudra demain désigner et traiter cette fraction militante des agences de l'eau si les arbitrages ne changent pas.
- Les acteurs nationaux des moulins et riverains ayant participé au processus de continuité dite "apaisée" (FFAM, FMDF, ARF) sont eux aussi appelés à tirer les conséquences des manipulations et doubles discours de l'Etat (car ce sont bien les représentants de l'Etat au sein des agences qui préparent les textes). La direction de l'eau et de la biodiversité fait toujours la même chose depuis 10 ans : considérer les représentants des ouvrages comme négligeables par rapport aux lobbies formant la clientèle de la direction centrale du ministère (DEB), enterrer les rapports d'audit qui la gênent (CGEDD 2012, CGEDD 2016), ignorer les interpellations innombrables des parlementaires, contourner les évolutions de la loi, ne pas un changer un iota du dogme central, à savoir que le bon ouvrage est l'ouvrage qui n'existe plus. Les acteurs nationaux des moulins et riverains doivent choisir : soit on défend les ouvrages, ce qui demande une dénonciation de l'abus de pouvoir permanent de l'administration de l'eau sur ce thème, soit on négocie leur destruction avec l'Etat, ce qui poserait évidemment question sur la raison d'être et la représentativité de ces acteurs.
La coordination nationale Eaux & rivières humaines engage pour sa part une saisine des préfets de bassin et des directions d'agences pour demander le retrait de ces mesures scandaleuses de prime à la destruction, en attendant la saisine du juge si cette demande n'est pas suivie d'effets. Et elle prépare chacune de ses associations à l'engagement de futurs contentieux de terrain contre les représentants de ces agences — qui ne seront évidemment pas les bienvenus au bord des biefs, retenues et plans d'eau s'ils y apportent encore un message de prime à la destruction.
L'association Hydrauxois a toujours respecté les autres acteurs des rivières aménagées, toujours souhaité (et participé à) des démarches unitaires et transversales comme celle de l'appel au moratoire sur les destructions d'ouvrages, entre 2015 et 2017. Nous arrivons à un tournant : si le décret scélérat du 30 juin 2020 n'est pas annulé (et ne fait pas l'objet d'une stratégie de réponse judiciaire sur le terrain en cas d'échec de l'annulation au conseil d'Etat), si ces projets de SDAGE passent dans leur état actuel, alors le rouleau compresseur de l'Etat effacera ouvrage par ouvrage le patrimoine hydraulique français, avec leurs services sociaux et écosystémiques associés. Nous ne serons jamais les complices de cette infamie, nous y résisterons aussi longtemps que nous en aurons l'énergie et les moyens, nous défendrons les cadres de vie menacés aux cotés de leurs riverains. Nous appelons chaque acteur à prendre la mesure de ses responsabilités, en particulier ceux qui prétendent à une représentation nationale de ces ouvrages menacés partout, et hélas déjà détruits sur de nombreuses rivières martyres qui ont été livrées aux casseurs.
Nous avons déjà exposé les besoins, auxquels nous essayons de répondre dans la limite de notre bénévolat et des dons de nos adhérents : informer en permanence les parlementaires des enjeux et des dérives en cours, exprimer une tolérance zéro au plan juridique et organiser des contentieux sur les textes ou chantiers ne respectant pas la loi, offrir des aides juridiques standardisées à chaque ouvrage objet de chantage et d'abus de pouvoir, interpeller régulièrement des préfets de département et de bassin, exiger de participer aux choix techniques des agences sur les ouvrages... ce travail est-il fait par les acteurs nationaux, oui ou non?
22/07/2020
Un dossier de 100 références scientifiques pour faire connaître et protéger les ouvrages hydrauliques et leurs milieux
Un dossier complet de 8 chapitres thématiques et 100 références scientifiques avec citation des chercheurs vient d'être publié par la coordination nationale Eaux & rivières humaines. Ce travail démontre que la politique de destruction des ouvrages hydrauliques en France - plus largement la restauration écologique - a été légitimée par une expertise ayant écarté et ignoré un grand nombre de travaux de recherche. La technocratie de l'eau, de la pêche et de la biodiversité ne repose pas sur "le savoir", comme elle le prétend, mais sur une sélection de certains savoirs visant à conforter l'idéologie publique du moment, et abonder quelques-unes de ses clientèles. Ce document d'information libre d'usage doit être téléchargé par les propriétaires, les riverains et les associations, pour être diffusé massivement aux élus locaux ou nationaux, aux techniciens de bureaux d'études et de syndicats de rivières, aux agents OFB et fédérations de pêche, aux autorités administratives. Nous devons exiger désormais des expertises des ouvrages et des rivières menées selon les angles de toutes les disciplines de la recherche, sur tous les paramètres pertinents.
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Extrait de l'introduction.
On entend ici par ouvrage hydraulique les seuils, déversoirs, vannages, barrages, digues qui modifient l’écoulement et la rétention de l’eau. Ces ouvrages définissent des milieux en eau : mares, étangs, petits plans d’eau, retenues, lacs, rigoles, biefs, canaux. Ils peuvent être associés à des zones humides annexes, notamment en raison des remontées locales de nappes ou des débordements intermittents.
La recherche scientifique française et européenne est active sur ces ouvrages, même si les petits ouvrages (privilégiés dans cette revue) sont encore peu analysés par rapport aux grands barrages. Cette recherche concerne l’hydrologie, l’écologie, la limnologie, la biologie. Mais aussi les sciences sociales et humaines de l’eau et de la restauration écologique. Les chercheurs comme les experts ne se fondent pas forcément sur les mêmes paradigmes pour juger des rivières et de leurs aménagements: l’enjeu est multidisciplinaire.
Les conclusions de cette recherche montrent la diversité et la complexité des analyses de la rivière aménagée. Nous l’exposons par une sélection d’une centaine de publications scientifiques parues dans la décennie écoulée.
Les travaux de recherche recensés dans ce dossier démontrent les points suivants :
Ces conclusions exigent donc une redéfinition de certains choix publics sur l’eau en France, en particulier ceux de la continuité écologique en long et de la politique préférentielle de destruction des ouvrages hydrauliques.
Certaines prescriptions de cette politique sur de grands bassins hydrographiques vont avoir des effets négatifs sur la biodiversité, sur la ressource en eau, sur l’adaptation au changement climatique. En outre, elles ignorent la dimension sociale et démocratique des choix sur les rivières aménagées, comme la nécessaire confrontation des expertises et des disciplines de recherche.
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A utiliser en complément
Voici quelques semaines, la CNERH a également édité un guide multi-critères d'instruction pour les opérations en rivière modifiant les ouvrages hydrauliques et leurs milieux. Ce guide, opposable aux préfectures, syndicats, fédérations de pêcheurs, bureaux d'études et autres acteurs, est complémentaire du dossier scientifique. La science a démontré divers intérêts écologiques, hydrologiques, culturels et sociétaux associés aux ouvrages hydrauliques, ainsi que divers problèmes pouvant faire suite à leur destruction: toute intervention sur ces ouvrages doit donc être étudiée sérieusement et complètement, non bâclée en copier-coller au profit d'une approche limitée à quelques enjeux. Outre les impératifs de connaissance non biaisée des milieux sur lesquels on intervient, il y a des enjeux de droit: les destructions de milieux, les dols par informations incomplètes ou les remises en cause des droits des tiers peuvent faire l'objet de plaintes. Allez à ce lien pour télécharger ce guide.
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Extrait de l'introduction.
100 travaux récents de la recherche française et européenne sur les ouvrages hydrauliques, en particulier les petits ouvrages, sur la restauration écologique des rivières et sur les nouveaux écosystèmes de nos bassins versants.
On entend ici par ouvrage hydraulique les seuils, déversoirs, vannages, barrages, digues qui modifient l’écoulement et la rétention de l’eau. Ces ouvrages définissent des milieux en eau : mares, étangs, petits plans d’eau, retenues, lacs, rigoles, biefs, canaux. Ils peuvent être associés à des zones humides annexes, notamment en raison des remontées locales de nappes ou des débordements intermittents.
La recherche scientifique française et européenne est active sur ces ouvrages, même si les petits ouvrages (privilégiés dans cette revue) sont encore peu analysés par rapport aux grands barrages. Cette recherche concerne l’hydrologie, l’écologie, la limnologie, la biologie. Mais aussi les sciences sociales et humaines de l’eau et de la restauration écologique. Les chercheurs comme les experts ne se fondent pas forcément sur les mêmes paradigmes pour juger des rivières et de leurs aménagements: l’enjeu est multidisciplinaire.
Les conclusions de cette recherche montrent la diversité et la complexité des analyses de la rivière aménagée. Nous l’exposons par une sélection d’une centaine de publications scientifiques parues dans la décennie écoulée.
Les travaux de recherche recensés dans ce dossier démontrent les points suivants :
- Les milieux créés par les ouvrages hébergent de la biodiversité.
- La biodiversité des bassins versants évolue depuis des millénaires sous influence humaine, dans le cadre d’une « socio-nature », rendant illusoire la définition administrative d’un « état de référence ».
- Les ouvrages anciens et de petites dimensions ont souvent des impacts faibles à nuls sur le transit des sédiments ou la circulation des poissons grands migrateurs.
- Les ouvrages, en particulier les chaines d’ouvrages de type moulins et étangs, assurent une retenue d’eau sur les bassins (surface, nappe), leur disparition altérant ce service environnemental.
- Les pollutions et les usages des sols du bassin versant ont des effets beaucoup plus marqués sur la dégradation de l’eau que la morphologie du lit.
- Au sein de la morphologie, les densités de barrages ont des effets faibles à nuls sur la qualité de l’eau et des milieux, voire un certain nombre d’effets positifs mesurés dans divers travaux (dépollution et hausse de biodiversité bêta du bassin en particulier).
- La restauration écologique, et en particulier morphologique, des rivières est confrontée à des résultats incertains, parfois des échecs.
- Les effacements d’ouvrages hydrauliques ont parfois des effets négatifs avérés : incision des lits, pertes de milieux (zones humides, ripisylves), pollutions, disparition d’aménités culturelles.
- Les politiques de rivières sont en déficit de reconnaissance des aspirations des citoyens et des dimensions multiples de l’eau, avec certaines expertises qui ont des biais manifestes mais sont mises en avant sans débat par les gestionnaires.
- Les résultats en écologie aquatique sont contextes-dépendants (contingents) et cela interdit de faire des prescriptions généralistes sur les ouvrages et leurs milieux, le cas par cas (vue intégrée par site, par rivière, par bassin) étant une absolue nécessité pour ne pas engager des résultats négatifs.
Ces conclusions exigent donc une redéfinition de certains choix publics sur l’eau en France, en particulier ceux de la continuité écologique en long et de la politique préférentielle de destruction des ouvrages hydrauliques.
Certaines prescriptions de cette politique sur de grands bassins hydrographiques vont avoir des effets négatifs sur la biodiversité, sur la ressource en eau, sur l’adaptation au changement climatique. En outre, elles ignorent la dimension sociale et démocratique des choix sur les rivières aménagées, comme la nécessaire confrontation des expertises et des disciplines de recherche.
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A utiliser en complément
Voici quelques semaines, la CNERH a également édité un guide multi-critères d'instruction pour les opérations en rivière modifiant les ouvrages hydrauliques et leurs milieux. Ce guide, opposable aux préfectures, syndicats, fédérations de pêcheurs, bureaux d'études et autres acteurs, est complémentaire du dossier scientifique. La science a démontré divers intérêts écologiques, hydrologiques, culturels et sociétaux associés aux ouvrages hydrauliques, ainsi que divers problèmes pouvant faire suite à leur destruction: toute intervention sur ces ouvrages doit donc être étudiée sérieusement et complètement, non bâclée en copier-coller au profit d'une approche limitée à quelques enjeux. Outre les impératifs de connaissance non biaisée des milieux sur lesquels on intervient, il y a des enjeux de droit: les destructions de milieux, les dols par informations incomplètes ou les remises en cause des droits des tiers peuvent faire l'objet de plaintes. Allez à ce lien pour télécharger ce guide.
21/07/2020
Analyse critique du démantèlement des ouvrages hydrauliques en France et aux Etats-Unis (Drapier 2019)
La thèse de Ludovic Drapier compare les démantèlements d'ouvrages hydrauliques sur différents terrains situés en Normandie (Sélune dans la Manche, Orne) et sur la côte Est des États-Unis (Mousam dans le Maine, Musconetcong dans le New Jersey, Wood-Pawcatuck dans le Rhode Island). Ses analyses très intéressantes confirment des traits que nous avions relevés empiriquement dans la politique française de continuité écologique, ici mise en contraste avec les choix nord-américains : rapport fréquent de contrainte règlementaire sur des propriétaires isolés et peu de projets inclusifs à échelle des tronçons ou bassins, centrage sur l'écologie au sens naturaliste et indifférence relative aux attentes sociales, place prépondérante des usagers pêcheurs dans les choix sur la rivière. Il y a tous les ingrédients pour expliquer le déraillement d'une réforme qui a été conçue dans des cercles trop restreints du pouvoir administratif et de ses clientèles, puis a voulu s'imposer uniformément à des propriétaires et riverains ayant des visions bien plus diverses de leurs rivières, leurs patrimoines et leurs usages.
Combinant des entretiens semi-directifs avec les porteurs des projets et des habitants, une enquête par questionnaires auprès des riverains, une synthèse de la littérature internationale consacrée au sujet, la méthodologie choisie par Ludovic Drapier rend compte de la diversité des points de vue autour de la rivière. Elle analyse aussi les rapports de pouvoir qui s'expriment dans la mise en oeuvre de la continuité écologique:
"— Comment la connaissance sur l’eau est-elle construite? Ce questionnement mène à une réflexion sur les rapports de pouvoir qui fondent les définitions de l’eau et la manière dont cette connaissance varie dans l’espace et dans le temps (cf. Linton (2010), Bouleau (2014) ou Fernandez (2014)) ;
— Comment l’eau internalise-t-elle les relations sociales, de pouvoir et la technologie ? L’objectif est de centrer l’attention sur les structures de pouvoir, les relations sociales et la manière dont ces éléments participent à la (re)production d’une certaine instance de l’eau."
Les sciences humaines et sociales de l'eau (géographie, political ecology) mobilisées dans l'approche de cette thèse s'intéressent notamment aux discours de légitimation des acteurs, qui avancent certaines informations, certaines expertises, certaines visions et certains ressentis pour bâtir des "modèles de rivière".
Voici quelques extraits des conclusions des différents chapitres de la thèse (les intertitres sont de notre fait).
Des acteurs publics omniprésents, les pêcheurs en usagers privilégiés
"Le premier constat que l’on peut tirer est l’omniprésence des acteurs publics dans les projets, et ce dans les deux pays. Si cette représentation importante est cohérente en France au vue de l’instauration de la restauration de la continuité au cœur de la politique de gestion de l’eau, elle peut apparaître comme plus surprenante aux États-Unis. Pourtant, l’absence de législation contraignante sur ce sujet ne prévient pas la suppression d’un grand nombre d’ouvrages par des institutions publiques. Ces dernières s’appuient sur une grande diversité de textes réglementaires et de grandes orientations afin d’intervenir sur ces aspects.
Le deuxième point à souligner est la prépondérance de ce que nous avons qualifié de «monde de la pêche». En effet, dans les deux pays, les groupes en charge des pêcheurs ou de la ressource en poissons, occupent une place majeure dans les projets. En particulier, le poids de ces acteurs révèle les poissons migrateurs en tant qu’acteurs eux mêmes. Par leurs conditions biologiques de migrateurs, ils contraignent dans une certaine mesure leurs gestionnaires à développer des stratégies de restauration de leur habitats.
Enfin, si les acteurs publics jouent un rôle majeur, les États-Unis se démarquent par le rôle des associations du point de vue opérationnel, stratégique et politique. Elles mènent des actions de communication autour de la restauration de la continuité, ont développé une expertise technique à même de les positionner en tant que porteurs de projets ou simplement en appui, et travaillent également à faire évoluer la législation. Les associations françaises sont bien moins engagées et se reposent sur l’existence d’une réglementation pour que des projets aboutissent."
En France, une pression de la règlementation et un face-à-face avec le propriétaire isolé
"Tandis que les objectifs poursuivis et assumés sont les mêmes, la construction des projets renvoie elle à des logiques différentes. Bien qu’il ne faille pas tomber dans la caricature opposant une démarche top-down en France à une démarche bottom-up aux États-Unis, les cas d’études observés suggèrent des modèles opposés. Dans les deux pays, il existe une volonté nationale de restaurer la continuité des rivières. Cependant sa mise en œuvre locale fait appel à des processus profondément différents.
Les processus aboutissant à l’effacement des barrages en France contournent les outils territoriaux existants de gestion de l’eau. Cela conduit à une situation de négociation entre les porteurs de l’opération, qui s’inscrivent dans un projet d’envergure nationale, et le propriétaire de l’ouvrage. Cette base étroite dans la prise de décision ne permet pas de faire émerger des projets considérant les échelles en dehors du celle de chenal. De ce fait, le projet écologique ne peut réellement changer de dimension.
Outre-Atlantique, la réalisation du projet repose avant tout sur l’existence d’acteurs locaux à même de porter le projet autour desquels gravite une coalition de partenaires. Ce mode de fonctionnement découle de l’absence d’une réglementation précise gouvernant ces questions ainsi que de l’éclatement des sources de financement des opérations. Dans les deux cas, il y a eu, de la part du porteur du projet a, un effort important de publicisation du projet, notamment envers la communauté locale, même si l’intensité et les modalités de celle-ci peuvent varier en fonction des territoires et des acteurs en présence.
De l’analyse des cas non-conflictuels, nous proposons une lecture en termes de potentiels conflictuels. Dans la mesure où les projets français sont guidés par une réglementation contraignante, un rapport de force s’installe entre les propriétaires et les représentants de l’institution. Ce rapport, loin d’être équitable, est caractérisé par une domination, à la fois en termes juridiques et financiers, par les acteurs promouvant la restauration. Au contraire, l’absence de dispositions réglementaires tend davantage à la construction de projets par contractualisation entre l’ensemble des acteurs, y compris le propriétaire aux États-Unis. Le potentiel conflictuel semble plus important en Normandie au regard de la pression importante mise sur les propriétaires en ce qui concerne la mise en conformité de leurs ouvrages ainsi la difficulté d’inscrire le projet écologique dans un projet négocié par l’ensemble des acteurs du territoire. Le contexte nord-américain semble lui se caractériser par une prise en charge souvent concomitante des dimensions écologique et territoriale au sein des projets de démantèlement."
Une moindre prise en compte des avis des habitants en France
"Le sentiment d’avoir pu s’exprimer dans le cadre des projets est bien plus faible sur les trois cas normands qu’il ne l’est sur les sites américains. Malgré des singularités propres à chaque projet, l’analyse comparée des questionnaires renforce le constat d’une prise en compte et d’une considération profondément différente des habitants dans le cadre des projets de démantèlement."
Limiter les conflits en travaillant à la « connectivité sociale » des rivières
"L’enjeu de concerner les citoyens tient également à des considérations spatiales et ma- térielles : celles de l’accès à la rivière. En effet, le concernement ne peut qu’advenir qu’à la condition de l’établissement d’une relation régulière des citoyens aux cours d’eau. M. Kondolf et P. Pinto (2017) proposent la notion de connectivité sociale des rivières (« social connectivity ») afin d’appréhender les multiples dimensions (longitudinale, latérale, verti- cale) et modalités (visuelle, physique) par lesquelles les habitants entrent physiquement en interaction avec les rivières. Par exemple, sur la Vire, le chemin de halage qui longe le fleuve a été remobilisé en chemin de promenade dans le cadre de la promotion du tourisme vert, permettant alors aux promeneurs d’expérimenter cette continuité longitudinale (Germaine, 2017). Ironiquement, les projets de restauration de la continuité écologique sur le fleuve mettent directement en péril l’existence de cette connectivité sociale longitudinale dans la mesure où l’abaissement du niveau de l’eau suite à l’effacement de certains ouvrages viendrait mettre à mal la stabilité des berges et donc du sentier de promenade. D’ailleurs, les seuils constituent souvent également des espaces supports de développe- ment de la connectivité sociale des rivières. Sur l’Orne, les nombreux seuils qui existent encore servent de lieux de récréation et de détente pour les habitants ou les touristes de passage, et des aires de pique-nique ont été créés à proximité (figure 10.2). De la même manière outre-Atlantique, nombreux sont les témoignages d’utilisation des seuils comme espaces d’apprentissage de la baignade ou lieux de récréation pour les enfants (Fox et al., 2016). Il s’agit alors de tirer parti de ces configurations spatiales, et de ces usages parfois officieux, pour promouvoir une reconnexion des citoyens aux rivières au lieu de considérer les ouvrages uniquement au prisme de la continuité écologique."
Référence : Ludovic Drapier. Approche géographique comparée du démantèlement des seuils et des barrages sur les deux rives de l’Atlantique : projet écologique, politiques publiques et riverains (Sélune, Orne, Musconetcong, Wood-Pawcatuck, Mousam). Géographie. Université Paris Est, 2019. Français. tel- 02519110
Autres thèses à lire sur ce thème
Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)
La continuité écologique en France, une mise en oeuvre semée d'obstacles (Perrin 2018)
La continuité écologique au miroir de ses acteurs et observateurs (De Coninck 2015)
Paysages de rivière aménagée, l'Orne, extrait de Drapier 2019, thèse citée.
"— Comment la connaissance sur l’eau est-elle construite? Ce questionnement mène à une réflexion sur les rapports de pouvoir qui fondent les définitions de l’eau et la manière dont cette connaissance varie dans l’espace et dans le temps (cf. Linton (2010), Bouleau (2014) ou Fernandez (2014)) ;
— Comment l’eau internalise-t-elle les relations sociales, de pouvoir et la technologie ? L’objectif est de centrer l’attention sur les structures de pouvoir, les relations sociales et la manière dont ces éléments participent à la (re)production d’une certaine instance de l’eau."
Les sciences humaines et sociales de l'eau (géographie, political ecology) mobilisées dans l'approche de cette thèse s'intéressent notamment aux discours de légitimation des acteurs, qui avancent certaines informations, certaines expertises, certaines visions et certains ressentis pour bâtir des "modèles de rivière".
Exemple de "modèles de rivière" mis en évidence par l'étude, extrait de Drapier 2019, thèse citée. Cliquer pour agrandir.
Des acteurs publics omniprésents, les pêcheurs en usagers privilégiés
"Le premier constat que l’on peut tirer est l’omniprésence des acteurs publics dans les projets, et ce dans les deux pays. Si cette représentation importante est cohérente en France au vue de l’instauration de la restauration de la continuité au cœur de la politique de gestion de l’eau, elle peut apparaître comme plus surprenante aux États-Unis. Pourtant, l’absence de législation contraignante sur ce sujet ne prévient pas la suppression d’un grand nombre d’ouvrages par des institutions publiques. Ces dernières s’appuient sur une grande diversité de textes réglementaires et de grandes orientations afin d’intervenir sur ces aspects.
Le deuxième point à souligner est la prépondérance de ce que nous avons qualifié de «monde de la pêche». En effet, dans les deux pays, les groupes en charge des pêcheurs ou de la ressource en poissons, occupent une place majeure dans les projets. En particulier, le poids de ces acteurs révèle les poissons migrateurs en tant qu’acteurs eux mêmes. Par leurs conditions biologiques de migrateurs, ils contraignent dans une certaine mesure leurs gestionnaires à développer des stratégies de restauration de leur habitats.
Enfin, si les acteurs publics jouent un rôle majeur, les États-Unis se démarquent par le rôle des associations du point de vue opérationnel, stratégique et politique. Elles mènent des actions de communication autour de la restauration de la continuité, ont développé une expertise technique à même de les positionner en tant que porteurs de projets ou simplement en appui, et travaillent également à faire évoluer la législation. Les associations françaises sont bien moins engagées et se reposent sur l’existence d’une réglementation pour que des projets aboutissent."
En France, une pression de la règlementation et un face-à-face avec le propriétaire isolé
"Tandis que les objectifs poursuivis et assumés sont les mêmes, la construction des projets renvoie elle à des logiques différentes. Bien qu’il ne faille pas tomber dans la caricature opposant une démarche top-down en France à une démarche bottom-up aux États-Unis, les cas d’études observés suggèrent des modèles opposés. Dans les deux pays, il existe une volonté nationale de restaurer la continuité des rivières. Cependant sa mise en œuvre locale fait appel à des processus profondément différents.
Les processus aboutissant à l’effacement des barrages en France contournent les outils territoriaux existants de gestion de l’eau. Cela conduit à une situation de négociation entre les porteurs de l’opération, qui s’inscrivent dans un projet d’envergure nationale, et le propriétaire de l’ouvrage. Cette base étroite dans la prise de décision ne permet pas de faire émerger des projets considérant les échelles en dehors du celle de chenal. De ce fait, le projet écologique ne peut réellement changer de dimension.
Outre-Atlantique, la réalisation du projet repose avant tout sur l’existence d’acteurs locaux à même de porter le projet autour desquels gravite une coalition de partenaires. Ce mode de fonctionnement découle de l’absence d’une réglementation précise gouvernant ces questions ainsi que de l’éclatement des sources de financement des opérations. Dans les deux cas, il y a eu, de la part du porteur du projet a, un effort important de publicisation du projet, notamment envers la communauté locale, même si l’intensité et les modalités de celle-ci peuvent varier en fonction des territoires et des acteurs en présence.
De l’analyse des cas non-conflictuels, nous proposons une lecture en termes de potentiels conflictuels. Dans la mesure où les projets français sont guidés par une réglementation contraignante, un rapport de force s’installe entre les propriétaires et les représentants de l’institution. Ce rapport, loin d’être équitable, est caractérisé par une domination, à la fois en termes juridiques et financiers, par les acteurs promouvant la restauration. Au contraire, l’absence de dispositions réglementaires tend davantage à la construction de projets par contractualisation entre l’ensemble des acteurs, y compris le propriétaire aux États-Unis. Le potentiel conflictuel semble plus important en Normandie au regard de la pression importante mise sur les propriétaires en ce qui concerne la mise en conformité de leurs ouvrages ainsi la difficulté d’inscrire le projet écologique dans un projet négocié par l’ensemble des acteurs du territoire. Le contexte nord-américain semble lui se caractériser par une prise en charge souvent concomitante des dimensions écologique et territoriale au sein des projets de démantèlement."
Une moindre prise en compte des avis des habitants en France
"Le sentiment d’avoir pu s’exprimer dans le cadre des projets est bien plus faible sur les trois cas normands qu’il ne l’est sur les sites américains. Malgré des singularités propres à chaque projet, l’analyse comparée des questionnaires renforce le constat d’une prise en compte et d’une considération profondément différente des habitants dans le cadre des projets de démantèlement."
Limiter les conflits en travaillant à la « connectivité sociale » des rivières
"L’enjeu de concerner les citoyens tient également à des considérations spatiales et ma- térielles : celles de l’accès à la rivière. En effet, le concernement ne peut qu’advenir qu’à la condition de l’établissement d’une relation régulière des citoyens aux cours d’eau. M. Kondolf et P. Pinto (2017) proposent la notion de connectivité sociale des rivières (« social connectivity ») afin d’appréhender les multiples dimensions (longitudinale, latérale, verti- cale) et modalités (visuelle, physique) par lesquelles les habitants entrent physiquement en interaction avec les rivières. Par exemple, sur la Vire, le chemin de halage qui longe le fleuve a été remobilisé en chemin de promenade dans le cadre de la promotion du tourisme vert, permettant alors aux promeneurs d’expérimenter cette continuité longitudinale (Germaine, 2017). Ironiquement, les projets de restauration de la continuité écologique sur le fleuve mettent directement en péril l’existence de cette connectivité sociale longitudinale dans la mesure où l’abaissement du niveau de l’eau suite à l’effacement de certains ouvrages viendrait mettre à mal la stabilité des berges et donc du sentier de promenade. D’ailleurs, les seuils constituent souvent également des espaces supports de développe- ment de la connectivité sociale des rivières. Sur l’Orne, les nombreux seuils qui existent encore servent de lieux de récréation et de détente pour les habitants ou les touristes de passage, et des aires de pique-nique ont été créés à proximité (figure 10.2). De la même manière outre-Atlantique, nombreux sont les témoignages d’utilisation des seuils comme espaces d’apprentissage de la baignade ou lieux de récréation pour les enfants (Fox et al., 2016). Il s’agit alors de tirer parti de ces configurations spatiales, et de ces usages parfois officieux, pour promouvoir une reconnexion des citoyens aux rivières au lieu de considérer les ouvrages uniquement au prisme de la continuité écologique."
Référence : Ludovic Drapier. Approche géographique comparée du démantèlement des seuils et des barrages sur les deux rives de l’Atlantique : projet écologique, politiques publiques et riverains (Sélune, Orne, Musconetcong, Wood-Pawcatuck, Mousam). Géographie. Université Paris Est, 2019. Français. tel- 02519110
Autres thèses à lire sur ce thème
Combler les lacunes des connaissances dans la restauration de rivière (Zingraff-Hamed 2018)
La continuité écologique en France, une mise en oeuvre semée d'obstacles (Perrin 2018)
La continuité écologique au miroir de ses acteurs et observateurs (De Coninck 2015)
20/07/2020
Lobby pêche et syndicat de rivière détruisent les seuils du Dessoubre sur argent public
Voici 3 ans, nous avions analysé la littérature disponible en ligne sur le Dessoubre pour montrer que les seuils anciens n'y représentent pas d'impact notoire, contrairement aux pollutions dont Jean Verneaux documentait déjà les effets dans les années 1970. Avec la continuité écologique "apaisée" (sic), on attendait un gel des opérations inutiles et coûteuses consistant à détruire sur argent public ces ouvrages hydrauliques, dont la présence pluriséculaire n'avait jamais empêché les rivières comtoises de devenir des références en populations salmonicoles. Mais il n'en est rien, puisque la presse annonce la poursuite cet été des opérations de démolition sur ce bassin, aux seuils Fleurey et Neuf-Gouffre. Syndicat de rivière et fédération de pêcheurs continuent donc de gâcher l'argent de l'écologie aquatique à une épuration culturelle et paysagère des rivières ne modifiant en rien les causes majeures de leur dégradation. Quant au Dessoubre réchauffé et pollué, nous verrons comment évolue sa population de truite.
Le dossier d'autorisation est un modèle du genre, en matière de novlangue. Dans la rubrique "impacts sur le paysage et le patrimoine culturel", on apprend ainsi que "le dérasement du seuil de Fleurey sera soigné" (ouf) et que "l’impact de cet aménagement est neutre" (sic). Heureusement que le ministère de la culture et le ministère de l'écologie dialoguent depuis que la continuité écologique est "apaisée" et "multicritères". Mais on est rassuré : "le projet aura une incidence positive pour les pratiquants de la pêche sur tout le tronçon du Dessoubre restauré". Du moins est-ce la prédiction de ce rapport d'un bureau d'études ne faisant que copier-coller les mêmes généralités sans preuve d'un chantier l'autre. Au rythme où la France baisse son bilan carbone - notamment en détruisant des ouvrages hydrauliques au lieu de les équiper en énergie propre -, l'écotype des rivières et leur hydrologie devraient connaître des bouleversements majeurs en l'espace de quelques décennies.
Le dossier d'autorisation est un modèle du genre, en matière de novlangue. Dans la rubrique "impacts sur le paysage et le patrimoine culturel", on apprend ainsi que "le dérasement du seuil de Fleurey sera soigné" (ouf) et que "l’impact de cet aménagement est neutre" (sic). Heureusement que le ministère de la culture et le ministère de l'écologie dialoguent depuis que la continuité écologique est "apaisée" et "multicritères". Mais on est rassuré : "le projet aura une incidence positive pour les pratiquants de la pêche sur tout le tronçon du Dessoubre restauré". Du moins est-ce la prédiction de ce rapport d'un bureau d'études ne faisant que copier-coller les mêmes généralités sans preuve d'un chantier l'autre. Au rythme où la France baisse son bilan carbone - notamment en détruisant des ouvrages hydrauliques au lieu de les équiper en énergie propre -, l'écotype des rivières et leur hydrologie devraient connaître des bouleversements majeurs en l'espace de quelques décennies.
18/07/2020
La fragmentation des habitats prédit moins la biodiversité que la quantité de ces habitats (Watling et al 2020)
L'importance donnée à la connectivité ou continuité écologique des milieux a-t-elle été exagérée? C'est la conclusion que l'on peut tirer du travail de 18 chercheurs venant de paraître. Ayant ré-analysé 35 études internationales portant sur 5675 espèces de 8 groupes taxonomiques (dont des amphibiens), ils montrent que la fragmentation de l'habitat ne prédit pas la biodiversité des aires étudiées, le facteur discriminant de la densité d'espèces étant la quantité totale d'habitat disponible, même s'il est fragmenté. Les chercheurs concluent que dans les politiques de conservation écologique, il faut préserver le maximum d'habitat d'intérêt, même petit et isolé, plutôt que privilégier les seuls habitats continus au prétexte de leur continuité. Ce travail renforce plusieurs autres études parues depuis 7 ans, renversant plusieurs décennies de présupposés en faveur de la défragmentation de milieux. Si la poursuite des recherches confirme ces résultats, il faudra réviser totalement la philosophie de certaines mesures comme les Trames verte et bleue en France: elles ont été construites par centrage sur la continuité écologique, et dans le cas de la Trame bleue, elles font parfois disparaître certains habitats.
Dans la seconde moitié du 20e siècle a émergé l'idée que la fragmentation des milieux (discontinuités écologiques) est une cause importante de disparition des espèces et de baisse de la biodiversité. Mais depuis les années 2010, cette hypothèse est remise en question, notamment sur les milieux terrestres. La cause en est la difficulté à distinguer entre fragmentation et disparition d'habitats : quand on dit qu'un milieu a été fragmenté, c'est généralement qu'une partie de ce milieu a été artificialisée (par exemple, la construction de routes ou l'apparition de cultures dans un milieu forestier à l'origine). Mais le problème est-il alors dans la fragmentation en elle-même, ou simplement dans la disparition de parties de l'habitat, sans lien particulier au caractère discontinu du milieu?
Lenore Farhig et ses équipes ont déjà publié des travaux montrant que le facteur fragmentation est sans importance par rapport au facteur perte d'habitat (voir Fahrig 2017, 2019). Une nouvelle recherche publiée par 18 scientifiques appuie ces conclusions.
Ce schéma permet de comprendre les hypothèses à tester :
dans un paysage local (défini par le cercle), on a une certaine densité d'espèces (le carré noir). Mais les habitats au sein du paysage sont différents : un seul grand habitat continu (cercle a), la même surface d'habitat mais discontinue (cercle b), un petit habitat continu (cercle c), la même surface mais en habitat discontinu (cercle d).
D'après l'hypothèse de la fragmentation comme impact, les cercles a et c sont censés avoir davantage d'espèces que les cercles b et d. D'après l'hypothèse alternative des chercheurs (appelée hypothèse de la quantité d'habitat), les cercles a et b et les cercles c et d ont les mêmes densités d'espèces, ce qui compte est la quantité d'habitat disponible davantage que leur continuité (donc a et b auront davantage d'espèces que c et d).
Les études confirment l'hypothèse de la qualité d'habitat disponible. Voici le résumé de la recherche:
"Des décennies de recherche suggèrent que la richesse en espèces dépend des caractéristiques spatiales des parcelles d'habitat, en particulier de leur taille et de leur isolement. En revanche, l'hypothèse de la quantité d'habitat prédit que
(1) la richesse en espèces dans des parcelles de taille fixe (densité d'espèces) est plus fortement et positivement liée à la quantité d'habitat autour de la parcelle qu'à la taille des parcelles ou à l'isolement;
(2) la quantité d'habitat prédit mieux la densité des espèces que la taille des parcelles et l'isolement combinés,
(3) il n'y a aucun effet de la fragmentation de l'habitat en soi sur la densité des espèces et
(4) la taille des parcelles et les effets d'isolement ne deviennent pas plus forts avec la diminution de la quantité d'habitat.
Les données sur huit groupes taxonomiques provenant de 35 études dans le monde corroborent ces prévisions. La conservation de la densité des espèces nécessite de minimiser la perte d'habitat, quelle que soit la configuration des parcelles dans lesquelles cet habitat est contenu."
Plus en détail, la fragmentation est non seulement sans effet significatif par rapport à la quantité d'habitat, mais dans certains cas associée à un gain de densité d'espèces :
Dans le domaine aquatique (et non terrestre comme cette étude), la continuité écologique (en long) a été valorisée selon deux angles assez différents: la fragmentation serait mauvaise pour des poissons spécialisés migrateurs (qui rencontrent des obstacles impossibles à franchir) et elle serait mauvaise en soi car produisant des habitats séparés. Si le premier angle reste exact (un poisson ne peut pas franchir un grand barrage), le second paraît désormais plus douteux. D'autres travaux ont montré qu'à l'échelle de l'évolution, la fragmentation est productrice de la biodiversité des poissons d'eau douce (Tedesco et al 2017) et des analyses de biodiversité ne montrent pas de lien clair à la densité de barrage à diverses échelles des bassins (Van Looy et al 2014, Kuczynski et al 2018).
Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique en long par destruction de barrage entraîne aussi des destructions d'habitats en place : quand on efface un ouvrage hydraulique, on fait souvent disparaître une retenue, un canal de dérivation (bief) et donc on baisse toutes choses égales par ailleurs la surface en eau disponible pour le vivant. En ce cas, le choix a toute chance d'être mauvais pour la capacité d'accueil des espèces de milieux aquatiques ou humides, lesquelles ne se résument évidemment pas à la petite fraction du vivant que représentent des poissons spécialisés ayant besoin de migration. Cela ne signifie pas que la protection de ces poissons migrateurs est sans objet, en particulier quand l'espèce est menacée. Mais les choix de conservation devraient prendre en compte la globalité des milieux et espèces, pas juste l'optimisation pour certains taxons. Au demeurant, l'importance historique donnée aux poissons migrateurs ne doit pas tant à l'écologie qu'à l'halieutique et à l'existence d'usagers pêcheurs ayant attiré l'attention du gestionnaire sur cette cible particulière de l'action publique (par exemple Thomas et Germaine 2018).
Enfin, la nature des habitats concernés et des biodiversités analysées est à débattre : le milieu lentique ou quasi-lentique d'une retenue n'est pas le milieu lotique (courant) de la rivière. Les espèces adaptées au milieu lotique sont certes pénalisées localement par le changement de milieu, mais d'autres colonisent la retenue à laquelle elles sont mieux adaptées. On doit donc s'interroger sur l'échelle spatiale du bilan de biodiversité (Primack et al 2018), sur le choix de focaliser ou non sur des espèces endémiques (Schlaepfer 2018) ou encore le bilan réel en espèces des mesures (Neeson et al 2018).
Au final, l'écologie est une science qui connaît aujourd'hui un grand dynamisme, notamment grâce à l'acquisition de données massives sur les milieux et espèces, analysables en systèmes d'information géographique. Il peut en résulter des remises en question de paradigmes antérieurs, ce qui est le lot commun de la science. Méfions-nous des "fossilisations" gestionnaires où une strate des connaissances passées est érigée en principe intangible parce que l'on recherche des idées simples face à des réalités complexes. Comme l'écologie devient une politique publique, et que la restauration écologique de milieux gagne des fonds importants, il s'agit d'être en phase avec les conclusions de la recherche.
Référence : Watling JI et al (2020), Support for the habitat amount hypothesis from a global synthesis of species density studies, Ecology Letters, 23, 4, 674-681
Dans la seconde moitié du 20e siècle a émergé l'idée que la fragmentation des milieux (discontinuités écologiques) est une cause importante de disparition des espèces et de baisse de la biodiversité. Mais depuis les années 2010, cette hypothèse est remise en question, notamment sur les milieux terrestres. La cause en est la difficulté à distinguer entre fragmentation et disparition d'habitats : quand on dit qu'un milieu a été fragmenté, c'est généralement qu'une partie de ce milieu a été artificialisée (par exemple, la construction de routes ou l'apparition de cultures dans un milieu forestier à l'origine). Mais le problème est-il alors dans la fragmentation en elle-même, ou simplement dans la disparition de parties de l'habitat, sans lien particulier au caractère discontinu du milieu?
Lenore Farhig et ses équipes ont déjà publié des travaux montrant que le facteur fragmentation est sans importance par rapport au facteur perte d'habitat (voir Fahrig 2017, 2019). Une nouvelle recherche publiée par 18 scientifiques appuie ces conclusions.
Ce schéma permet de comprendre les hypothèses à tester :
dans un paysage local (défini par le cercle), on a une certaine densité d'espèces (le carré noir). Mais les habitats au sein du paysage sont différents : un seul grand habitat continu (cercle a), la même surface d'habitat mais discontinue (cercle b), un petit habitat continu (cercle c), la même surface mais en habitat discontinu (cercle d).
D'après l'hypothèse de la fragmentation comme impact, les cercles a et c sont censés avoir davantage d'espèces que les cercles b et d. D'après l'hypothèse alternative des chercheurs (appelée hypothèse de la quantité d'habitat), les cercles a et b et les cercles c et d ont les mêmes densités d'espèces, ce qui compte est la quantité d'habitat disponible davantage que leur continuité (donc a et b auront davantage d'espèces que c et d).
Les études confirment l'hypothèse de la qualité d'habitat disponible. Voici le résumé de la recherche:
"Des décennies de recherche suggèrent que la richesse en espèces dépend des caractéristiques spatiales des parcelles d'habitat, en particulier de leur taille et de leur isolement. En revanche, l'hypothèse de la quantité d'habitat prédit que
(1) la richesse en espèces dans des parcelles de taille fixe (densité d'espèces) est plus fortement et positivement liée à la quantité d'habitat autour de la parcelle qu'à la taille des parcelles ou à l'isolement;
(2) la quantité d'habitat prédit mieux la densité des espèces que la taille des parcelles et l'isolement combinés,
(3) il n'y a aucun effet de la fragmentation de l'habitat en soi sur la densité des espèces et
(4) la taille des parcelles et les effets d'isolement ne deviennent pas plus forts avec la diminution de la quantité d'habitat.
Les données sur huit groupes taxonomiques provenant de 35 études dans le monde corroborent ces prévisions. La conservation de la densité des espèces nécessite de minimiser la perte d'habitat, quelle que soit la configuration des parcelles dans lesquelles cet habitat est contenu."
Plus en détail, la fragmentation est non seulement sans effet significatif par rapport à la quantité d'habitat, mais dans certains cas associée à un gain de densité d'espèces :
"Nous n'avons trouvé aucune preuve d'effets négatifs cohérents de la fragmentation en soi sur la densité des espèces. La fragmentation en soi n'était pas incluse dans le modèle le plus plausible de densité des espèces dans plus de 85% des études examinées (29 sur 33 études). Dans les quatre études avec un effet détectable de la fragmentation en soi sur la densité des espèces, cet effet était positif (études 12, 14 et 15, toutes sur les plantes de la forêt atlantique du Brésil et étude 24 sur les amphibiens et les reptiles au Mexique). Ce résultat est globalement cohérent avec un examen des réponses à la fragmentation en soi (Fahrig 2017). Bien que nous ne disposions pas de données à partir desquelles nous pouvons déduire le ou les mécanismes sous-jacents à ces réponses à la fragmentation en soi, de nombreuses possibilités existent (voir la figure 3 dans Fahrig et al.2019), y compris les effets de bord positifs ou négatifs, la réduction ou l'amélioration du succès du mouvement et un risque réduit de perturbations spatialement autocorrélées. Cependant, étant donné que la fragmentation en soi n'était que rarement incluse dans certains modèles, il semble que ces mécanismes n'ont généralement pas d'effets importants sur le nombre d'espèces dans les placettes d'échantillonnage. Nos résultats soulignent la valeur de l'hypothèse de la quantité d'habitat en tant que modèle nul par rapport auquel les mécanismes de fragmentation de l'habitat (Fletcher et al.2018) peuvent être comparés. Les études devraient d'abord contrôler la quantité d'habitat avant d'invoquer des mécanismes alternatifs pour expliquer les changements dans la densité des espèces dans les paysages fragmentés (Fahrig 2003)."Les chercheurs concluent sur la nécessité de réviser les politiques de conservation écologique en attachant d'abord de l'importance à la préservation des habitats (continus ou discontinus) pour le vivant:
"Les humains ont modifié plus de 40% de la superficie terrestre de la Terre (Barnosky et al. 2012), ce qui rend de plus en plus important l'identification d'actions de conservation pragmatiques qui atténuent la perte de biodiversité. L'hypothèse de que quantité d'habitat implique que pour maintenir la densité des espèces (diversité alpha), tout l'habitat est précieux pour la conservation, qu'il se trouve dans une petite parcelle ou isolée. Les stratégies de conservation telles que la restauration de l'habitat (Bernal et al.2018) et le paiement de services écosystémiques qui n'offrent des avantages qu'aux propriétaires fonciers préservant de grandes parcelles sapent la valeur cumulative économique et écologique des petites parcelles d'habitat (Banks-Leite et al.2012, Hern andez - Ruedas et al.2014). Préserver et restaurer autant d'habitat que possible est le meilleur moyen de minimiser les pertes d'espèces."Discussion
Dans le domaine aquatique (et non terrestre comme cette étude), la continuité écologique (en long) a été valorisée selon deux angles assez différents: la fragmentation serait mauvaise pour des poissons spécialisés migrateurs (qui rencontrent des obstacles impossibles à franchir) et elle serait mauvaise en soi car produisant des habitats séparés. Si le premier angle reste exact (un poisson ne peut pas franchir un grand barrage), le second paraît désormais plus douteux. D'autres travaux ont montré qu'à l'échelle de l'évolution, la fragmentation est productrice de la biodiversité des poissons d'eau douce (Tedesco et al 2017) et des analyses de biodiversité ne montrent pas de lien clair à la densité de barrage à diverses échelles des bassins (Van Looy et al 2014, Kuczynski et al 2018).
Par ailleurs, la mise en oeuvre de la continuité écologique en long par destruction de barrage entraîne aussi des destructions d'habitats en place : quand on efface un ouvrage hydraulique, on fait souvent disparaître une retenue, un canal de dérivation (bief) et donc on baisse toutes choses égales par ailleurs la surface en eau disponible pour le vivant. En ce cas, le choix a toute chance d'être mauvais pour la capacité d'accueil des espèces de milieux aquatiques ou humides, lesquelles ne se résument évidemment pas à la petite fraction du vivant que représentent des poissons spécialisés ayant besoin de migration. Cela ne signifie pas que la protection de ces poissons migrateurs est sans objet, en particulier quand l'espèce est menacée. Mais les choix de conservation devraient prendre en compte la globalité des milieux et espèces, pas juste l'optimisation pour certains taxons. Au demeurant, l'importance historique donnée aux poissons migrateurs ne doit pas tant à l'écologie qu'à l'halieutique et à l'existence d'usagers pêcheurs ayant attiré l'attention du gestionnaire sur cette cible particulière de l'action publique (par exemple Thomas et Germaine 2018).
Enfin, la nature des habitats concernés et des biodiversités analysées est à débattre : le milieu lentique ou quasi-lentique d'une retenue n'est pas le milieu lotique (courant) de la rivière. Les espèces adaptées au milieu lotique sont certes pénalisées localement par le changement de milieu, mais d'autres colonisent la retenue à laquelle elles sont mieux adaptées. On doit donc s'interroger sur l'échelle spatiale du bilan de biodiversité (Primack et al 2018), sur le choix de focaliser ou non sur des espèces endémiques (Schlaepfer 2018) ou encore le bilan réel en espèces des mesures (Neeson et al 2018).
Au final, l'écologie est une science qui connaît aujourd'hui un grand dynamisme, notamment grâce à l'acquisition de données massives sur les milieux et espèces, analysables en systèmes d'information géographique. Il peut en résulter des remises en question de paradigmes antérieurs, ce qui est le lot commun de la science. Méfions-nous des "fossilisations" gestionnaires où une strate des connaissances passées est érigée en principe intangible parce que l'on recherche des idées simples face à des réalités complexes. Comme l'écologie devient une politique publique, et que la restauration écologique de milieux gagne des fonds importants, il s'agit d'être en phase avec les conclusions de la recherche.
Référence : Watling JI et al (2020), Support for the habitat amount hypothesis from a global synthesis of species density studies, Ecology Letters, 23, 4, 674-681
16/07/2020
L'assèchement des étangs et marais, une politique publique (Dumont et Dumont 1845)
Assécher les eaux stagnantes, laisser filer les eaux courantes... ce programme est un fil directeur des aménagements du territoire mais aussi des politiques publiques en France depuis plusieurs siècles. Il est notamment à l'origine de la disparition de presque toutes les zones humides du pays, avec leur biodiversité. Nous publions un extrait d'un essai de deux publicistes du 19e siècle, Adrien Dumont et Aristide Dumont, permettant de comprendre l'idéal de santé publique et de la valorisation agricole qui présidait à cet objectif du point de vue de l'Etat et de ses hauts fonctionnaires. Egalement de comprendre la construction sociale et politique des paysages que nous connaissons — paysages réputés "naturels" au prix de notre ignorance de leur histoire longue. Même aujourd'hui, on trouve certaines réminiscences de cette période et de cet imaginaire dans la valorisation symbolique de l'eau courante, assimilée par divers acteurs à sa "qualité", en opposition à une eau stagnante que l'on suspecte d'être "dégradée".
Adrien Dumont (1813-1869), magistrat, avocat à la Cour de Paris, publiciste, et Aristide Dumont (1819-1902), ingénieur des Ponts et chaussées, ancien élève de l'école Polytechnique, ont publié en 1845 un ouvrage sur l'organisation légale des cours d'eau. Le document est intéressant pour l'histoire du droit, mais aussi pour l'histoire des institutions et la compréhension de la manière dont la haute fonction publique a de longue date orienté la gestion de la nature en France.
Les auteurs homonymes y expriment une idéologie administrative dominante à leur époque. Nous publions ici deux extraits représentatifs sur les marais et les étangs. Ces zones humides y sont dépréciées comme inutiles, de moindre rendement que l'agriculture, source d'insalubrité (épidémie, épizootie). Les marais doivent être desséchés pour les auteurs — ce qui correspond à une longue tradition. Cette doctrine sera poursuivie jusque dans les années 1980. Après le vote de la loi sur l'eau en 1992, le rapport du préfet Bernard (1994) constatera que les deux tiers des zones humides ont disparu en France entre la fin du 19e siècle et la fin du 20e siècle. Quant aux étangs, Dumont et Dumont se montrent à peine plus tolérants à leur égard que pour les marais. Ils regrettent que le préfet ne soit pas plus dirigiste dans leur création et leur interdiction, évoquant avec nostalgie la loi du 14 frimaire an II ordonnant que tous les étangs du pays soient mis à sec...
Extraits
Le mot marais s'applique aux lieux situés en fond de bassin, couverts d'eaux qui deviennent stagnantes faute de canaux d'écoulement.
La législation a toujours tendu à encourager le dessèchement des marais.
Ces desséchements - présentent, en effet, un double but d'intérêt public. En restituant à la culture de vastes terrains, ils détruisent une des causes qui nuisent à la santé des hommes et à la prospérité des végétaux.
Un édit du mois de janvier 1607 contenait quelques dispositions éminemment favorables aux dessèchements. Non seulement la noblesse et le clergé pouvaient sans déroger s'intéresser dans ces entreprises, mais encore on exemptait de tous droits les matériaux nécessaires à leur exécution. Les terres desséchées devenaient nobles, n'étaient frappées d'aucun impôt pendant vingt ans , et les étrangers qui venaient se fixer sur les terrains. assainis étaient naturalisés de plein droit.
Dans le système des lois les plus anciennes, la moitié du fonds desséché était délaissée à l'entrepreneur du dessèchement; peu importait qu'il convînt au propriétaire de garder la totalité de ses terres, que l'amélioration n'eût été que d'une très-légère importance, cette inflexible proportion de la moitié ne se modifiait par aucun motif de convenance,
par aucune règle de justice. Les nombreuses difficultés survenues entre les concessionnaires de desséchement et les propriétaires de marais, ayant forcé d'avoir recours à d'autres moyens, on autorisa les entrepreneurs à exproprier les propriétaires à la charge de leur payer le prix des marais; mais il n'était que trop évident que cette expropriation heurtait directement toutes les habitudes , tous les droits de la propriété. D'ailleurs , cette faculté donnec t aux entrepreneurs n'était pas toujours pour eux un encouragement, car ils se trouvaient dans la nécessité de dépenser de grands capitaux au moment même Oll ils avaient besoin de toutes leurs ressources pour l'exécution des travaux.
L'assemblée nationale considéra les desséchements comme une mesure très-essentielle, et la loi du 5 janvier 1791 fut la preuve de toute sa sollicitude à cet égard ; mais cette loi ayant consacré de nouveau le principe de l'expropriation préalable, resta sans exécution, soit par l'effet du système vicieux qu'elle avait adopté, soit à cause des grands événements politiques qui la suivirent.
Cette législation exigeait d'autant plus une réforme qu'elle se lie intimement à l'intérêt général, à la santé, à la vie des hommes , et à l'accroissement des produits du territoire.
La loi du 16 septembre 1807 a été substituée à celle de 1791. Aujourd'hui, les entrepreneurs ne deviennent pas plus propriétaires d'une partie du terrain assaini qu'ils n'ont le pouvoir d'exproprier les marais à dessécher.
(...) Quoi qu'il en soit, il existe encore en France 800,000 hectares de marais ; c''est la quatre-vingt-septième partie du territoire ; ces terrains une fois assainis sont d'une qualité excellente, et on peut facilement en obtenir un revenu moyen de 100 fr. Supposons donc ces marais desséchés, et notre revenu agricole s'accroît immédiatement d'une somme de 80 millions; qui représente un capital de 2 milliards 500 millions. Si à cet accroissement de richesse on ajoute tous les avantages sanitaires qui doivent résulter des dessèchements, on aura la mesure de toute l'importance que le législateur doit y attacher. (...)
On appelle étang un amas d'eau réuni dans un terrain dont la partie inférieure est fermée par une digue ou une chaussée et dans lequel on nourrit ordinairement du poisson.
Sous l'empire des coutumes il était généralement permis de faire, de son autorité privée, des étangs sur son héritage, pourvu qu'on n'entreprît point sur les chemins ni sur les droits d'autrui.
Le projet du code rural apportait une restriction à cette liberté en prescrivant l'autorisation préalable du préfet dans le cas où la superficie de l'étang excéderait cinquante hectares, ou si la chaussée, quelle que fût la superficie de l'étang, devait être placée sur ou contre un chemin public. Dans cette double hypothèse le préfet était chargé de consulter le conseil municipal et les propriétaires intéressés.
Ce projet n'ayant pas été adopté, les étangs restent placés sous les règles du droit commun, en sorte que chacun a la faculté d'en établir sur son terrain à la seule condition de s'adresser au préfet pour faire fixer la hauteur de la chaussée ou du déversoir et de prendre des mesures telles que le gonflement des eaux ne puisse porter préjudice aux propriétaires supérieurs et que leur écoulement ait lieu sans nuire à ceux dont les fonds sont situés en aval.
Il est à regretter que l'autorisation de l'administration ne soit pas nécessaire pour l'établissement des étangs dont les émanations occasionnent trop souvent dans nos campagnes des maladies épizootiques; d'ailleurs ils occupent une étendue de terrain qui, livrée à la culture, donnerait de nouveaux éléments de prospérité à l'industrie agricole.
L'assemblée nationale avait compris combien la destruction des étangs est commandée dans l'intérêt de la salubrité et de l'agriculture. Aussi a-t-elle rendu une loi spéciale (Voy. la loi du 11 sept. 1792) pour autoriser les conseils généraux (aujourd'hui les préfets) à ordonner cette destruction , sur la demande formelle des conseils généraux des communes, et d'après les avis des administrateurs du district, lorsque les étangs peuvent occasionner, par la stagnation de leurs eaux, des maladies épidémiques ou épizootiques, ou que par leur position ils sont sujets à des inondations qui envahissent et ravagent les propriétés inférieures.
Bientôt le législateur fit un pas de plus. L'existence de cette sorte de propriété lui parut incompatible avec le salut des habitants et, par une loi du 14 frimaire an II, il ordonna que, sauf quelques exceptions, tous les étangs seraient mis à sec, sous peine de confiscation au profit des citoyens non propriétaires des communes où sont situés lesdits étangs.
Le sol des étangs desséchés devait être ensemencé en grains de mars ou planté en légumes propres à la subsistance de l'homme.
Mais cette dernière loi fut malheureusement rapportée par une autre du 13 messidor an III.
Cette nouvelle loi chargea les administrateurs du département de faire reconnaître par des agents les moyens de faire prospérer l'agriculture, et de rendre l'air plus salubre, dans les contrées connues ci-devant sous les noms de Sologne, Bresse et Brenne; d'y faire cesser, ainsi que dans toutes les autres parties de la république, les abus résultant de l'élévation des eaux pour le service des moulins; de donner aux rivières obstruées et encombrées un libre cours; d'indiquer les mesures les plus efficaces pour ordonner et faire maintenir les lois de police, tant sur le cours des eaux d'étangs que des marais qui se forment annuellement; d'ouvrir notamment dans les trois contrées ci-dessus désignées des canaux de navigation pour le tout être présenté au plus tard dans le délai de trois mois à la convention, et être statué par elle sur les mesures les plus efficaces pour chaque contrée.
Source : Dumont Adrien, Dumont Aristide (1845), De l'organisation légale des cours d'eau sous le triple point de vue de l'endiguement, de l'irrigation et du desséchement, ou Traité des endiguements, des alluvions naturelles et artificielles, des irrigations...: avec la jurisprudence, suivi d'un exposé de la législation lombarde, L. Mathias, paris, 535 p.
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La mémoire des fleuves et rivières (Lévêque 2019)
Mille ans d'histoire des zones humides
Adrien Dumont (1813-1869), magistrat, avocat à la Cour de Paris, publiciste, et Aristide Dumont (1819-1902), ingénieur des Ponts et chaussées, ancien élève de l'école Polytechnique, ont publié en 1845 un ouvrage sur l'organisation légale des cours d'eau. Le document est intéressant pour l'histoire du droit, mais aussi pour l'histoire des institutions et la compréhension de la manière dont la haute fonction publique a de longue date orienté la gestion de la nature en France.
Les auteurs homonymes y expriment une idéologie administrative dominante à leur époque. Nous publions ici deux extraits représentatifs sur les marais et les étangs. Ces zones humides y sont dépréciées comme inutiles, de moindre rendement que l'agriculture, source d'insalubrité (épidémie, épizootie). Les marais doivent être desséchés pour les auteurs — ce qui correspond à une longue tradition. Cette doctrine sera poursuivie jusque dans les années 1980. Après le vote de la loi sur l'eau en 1992, le rapport du préfet Bernard (1994) constatera que les deux tiers des zones humides ont disparu en France entre la fin du 19e siècle et la fin du 20e siècle. Quant aux étangs, Dumont et Dumont se montrent à peine plus tolérants à leur égard que pour les marais. Ils regrettent que le préfet ne soit pas plus dirigiste dans leur création et leur interdiction, évoquant avec nostalgie la loi du 14 frimaire an II ordonnant que tous les étangs du pays soient mis à sec...
Extraits
Le mot marais s'applique aux lieux situés en fond de bassin, couverts d'eaux qui deviennent stagnantes faute de canaux d'écoulement.
La législation a toujours tendu à encourager le dessèchement des marais.
Ces desséchements - présentent, en effet, un double but d'intérêt public. En restituant à la culture de vastes terrains, ils détruisent une des causes qui nuisent à la santé des hommes et à la prospérité des végétaux.
Un édit du mois de janvier 1607 contenait quelques dispositions éminemment favorables aux dessèchements. Non seulement la noblesse et le clergé pouvaient sans déroger s'intéresser dans ces entreprises, mais encore on exemptait de tous droits les matériaux nécessaires à leur exécution. Les terres desséchées devenaient nobles, n'étaient frappées d'aucun impôt pendant vingt ans , et les étrangers qui venaient se fixer sur les terrains. assainis étaient naturalisés de plein droit.
Dans le système des lois les plus anciennes, la moitié du fonds desséché était délaissée à l'entrepreneur du dessèchement; peu importait qu'il convînt au propriétaire de garder la totalité de ses terres, que l'amélioration n'eût été que d'une très-légère importance, cette inflexible proportion de la moitié ne se modifiait par aucun motif de convenance,
par aucune règle de justice. Les nombreuses difficultés survenues entre les concessionnaires de desséchement et les propriétaires de marais, ayant forcé d'avoir recours à d'autres moyens, on autorisa les entrepreneurs à exproprier les propriétaires à la charge de leur payer le prix des marais; mais il n'était que trop évident que cette expropriation heurtait directement toutes les habitudes , tous les droits de la propriété. D'ailleurs , cette faculté donnec t aux entrepreneurs n'était pas toujours pour eux un encouragement, car ils se trouvaient dans la nécessité de dépenser de grands capitaux au moment même Oll ils avaient besoin de toutes leurs ressources pour l'exécution des travaux.
L'assemblée nationale considéra les desséchements comme une mesure très-essentielle, et la loi du 5 janvier 1791 fut la preuve de toute sa sollicitude à cet égard ; mais cette loi ayant consacré de nouveau le principe de l'expropriation préalable, resta sans exécution, soit par l'effet du système vicieux qu'elle avait adopté, soit à cause des grands événements politiques qui la suivirent.
Cette législation exigeait d'autant plus une réforme qu'elle se lie intimement à l'intérêt général, à la santé, à la vie des hommes , et à l'accroissement des produits du territoire.
La loi du 16 septembre 1807 a été substituée à celle de 1791. Aujourd'hui, les entrepreneurs ne deviennent pas plus propriétaires d'une partie du terrain assaini qu'ils n'ont le pouvoir d'exproprier les marais à dessécher.
(...) Quoi qu'il en soit, il existe encore en France 800,000 hectares de marais ; c''est la quatre-vingt-septième partie du territoire ; ces terrains une fois assainis sont d'une qualité excellente, et on peut facilement en obtenir un revenu moyen de 100 fr. Supposons donc ces marais desséchés, et notre revenu agricole s'accroît immédiatement d'une somme de 80 millions; qui représente un capital de 2 milliards 500 millions. Si à cet accroissement de richesse on ajoute tous les avantages sanitaires qui doivent résulter des dessèchements, on aura la mesure de toute l'importance que le législateur doit y attacher. (...)
On appelle étang un amas d'eau réuni dans un terrain dont la partie inférieure est fermée par une digue ou une chaussée et dans lequel on nourrit ordinairement du poisson.
Sous l'empire des coutumes il était généralement permis de faire, de son autorité privée, des étangs sur son héritage, pourvu qu'on n'entreprît point sur les chemins ni sur les droits d'autrui.
Le projet du code rural apportait une restriction à cette liberté en prescrivant l'autorisation préalable du préfet dans le cas où la superficie de l'étang excéderait cinquante hectares, ou si la chaussée, quelle que fût la superficie de l'étang, devait être placée sur ou contre un chemin public. Dans cette double hypothèse le préfet était chargé de consulter le conseil municipal et les propriétaires intéressés.
Ce projet n'ayant pas été adopté, les étangs restent placés sous les règles du droit commun, en sorte que chacun a la faculté d'en établir sur son terrain à la seule condition de s'adresser au préfet pour faire fixer la hauteur de la chaussée ou du déversoir et de prendre des mesures telles que le gonflement des eaux ne puisse porter préjudice aux propriétaires supérieurs et que leur écoulement ait lieu sans nuire à ceux dont les fonds sont situés en aval.
Il est à regretter que l'autorisation de l'administration ne soit pas nécessaire pour l'établissement des étangs dont les émanations occasionnent trop souvent dans nos campagnes des maladies épizootiques; d'ailleurs ils occupent une étendue de terrain qui, livrée à la culture, donnerait de nouveaux éléments de prospérité à l'industrie agricole.
L'assemblée nationale avait compris combien la destruction des étangs est commandée dans l'intérêt de la salubrité et de l'agriculture. Aussi a-t-elle rendu une loi spéciale (Voy. la loi du 11 sept. 1792) pour autoriser les conseils généraux (aujourd'hui les préfets) à ordonner cette destruction , sur la demande formelle des conseils généraux des communes, et d'après les avis des administrateurs du district, lorsque les étangs peuvent occasionner, par la stagnation de leurs eaux, des maladies épidémiques ou épizootiques, ou que par leur position ils sont sujets à des inondations qui envahissent et ravagent les propriétés inférieures.
Bientôt le législateur fit un pas de plus. L'existence de cette sorte de propriété lui parut incompatible avec le salut des habitants et, par une loi du 14 frimaire an II, il ordonna que, sauf quelques exceptions, tous les étangs seraient mis à sec, sous peine de confiscation au profit des citoyens non propriétaires des communes où sont situés lesdits étangs.
Le sol des étangs desséchés devait être ensemencé en grains de mars ou planté en légumes propres à la subsistance de l'homme.
Mais cette dernière loi fut malheureusement rapportée par une autre du 13 messidor an III.
Cette nouvelle loi chargea les administrateurs du département de faire reconnaître par des agents les moyens de faire prospérer l'agriculture, et de rendre l'air plus salubre, dans les contrées connues ci-devant sous les noms de Sologne, Bresse et Brenne; d'y faire cesser, ainsi que dans toutes les autres parties de la république, les abus résultant de l'élévation des eaux pour le service des moulins; de donner aux rivières obstruées et encombrées un libre cours; d'indiquer les mesures les plus efficaces pour ordonner et faire maintenir les lois de police, tant sur le cours des eaux d'étangs que des marais qui se forment annuellement; d'ouvrir notamment dans les trois contrées ci-dessus désignées des canaux de navigation pour le tout être présenté au plus tard dans le délai de trois mois à la convention, et être statué par elle sur les mesures les plus efficaces pour chaque contrée.
Source : Dumont Adrien, Dumont Aristide (1845), De l'organisation légale des cours d'eau sous le triple point de vue de l'endiguement, de l'irrigation et du desséchement, ou Traité des endiguements, des alluvions naturelles et artificielles, des irrigations...: avec la jurisprudence, suivi d'un exposé de la législation lombarde, L. Mathias, paris, 535 p.
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