Les faits
Une société a demandé au tribunal administratif de Toulouse d'annuler l'arrêté du préfet de l'Ariège du 28 octobre 2014 déclarant un moulin déchu de son droit fondé en titre, de reconnaître le droit fondé en titre attaché au moulin et de fixer sa consistance légale à 67 KW.
La procédure
Par un jugement n°1405931 du 20 janvier 2017, le tribunal administratif de Toulouse a annulé l'arrêté préfectoral du 28 octobre 2014 et reconnu le droit fondé en titre du moulin. Mais le ministère de la transition écologique et solidaire a fait appel.
Le jugement
La cour d'appel note que le déchaussement d'une partie du barrage par une crue n'empêche pas sa reconstruction et que les autres éléments nécessaires à l'usage de l'eau sont tous présents :
"Il résulte de l'instruction, et notamment du dossier établi par un bureau d'études et remis par la société au préfet en vue de l'établissement de la consistance légale du droit d'eau et de la déclaration des travaux nécessaires à la remise en eau du moulin, qu'après la crue de 1996, le barrage, d'une longueur initiale de 21,35 mètres, a été détruit dans sa partie aval sur un linéaire de 11 mètres et que la vanne de prise d'eau a disparu, de sorte que le Saurat a retrouvé son cours naturel et que le canal d'amenée a été en partie comblé. Il résulte toutefois également de l'instruction et notamment du dossier présenté par la société, que l'ouvrage de prise d'eau peut être restauré par la reconstruction des 11 mètres détruits, par l'installation d'une vanne d'entrée et d'une vanne de décharge et par une légère reprise de la crête de la partie subsistante du barrage. Il n'est par ailleurs pas contesté qu'ainsi qu'il est indiqué dans le dossier de la société, le tracé du canal d'amenée, d'une longueur de 255 mètres, est encore nettement marqué, que les bajoyers maçonnés de ce canal d'amenée, présents sur une longueur de 165 mètres, le reste du canal étant simplement creusé dans le terrain naturel, sont en place, que le canal de fuite est également en état, que le tracé du chenal de décharge est lui aussi visible, que la remise en eau ne nécessitera d'un curage des canaux, une restauration du fond et un retalutage et que l'une des deux roues à aubes présentes dans l'usine est encore en place. Dans ces conditions, comme l'a jugé le tribunal, et alors même qu'environ la moitié de l'ouvrage de prise d'eau doit être reconstruit et que l'exploitant projette de restaurer le bâtiment de l'usine, de refaire le bassin de mise en charge situé à l'amont immédiat de l'usine et d'installer une vis hydrodynamique, il ne peut être considéré que les dégradations subies par le moulin, quel que soit le coût des réparations, impliquent la reconstruction complète des éléments essentiels de l'ouvrage et qu'elles caractériseraient un état de ruine permettant de justifier la perte du droit fondé en titre."
Le juge note aussi qu'un précédent arrêté préfectoral de 1939 ayant limité l'autorisation dans le temps ne peut être opposé, car le caractère perpétuel du droit d'eau a préséance :
"L'installation a fait l'objet d'un arrêté préfectoral du 13 juillet 1939 qui prévoit une durée d'autorisation d'exploitation de 75 ans expirant le 13 juillet 2014 et pour une puissance maximale de 67 KW. L'article 19 de cet arrêté prévoyait que l'administration pouvait prononcer la déchéance de l'autorisation si l'exploitation cessait pendant cinq ans. Mais ainsi que l'ont estimé les premiers juges, en se fondant également sur les dispositions de l'arrêté du 13 juillet 1939 qui fixaient une durée d'utilisation du droit à 75 ans alors que le droit fondé en titre n'est pas limité dans le temps, le préfet de l'Ariège a entaché sa décision d'une erreur de droit."Au final, "le ministre n'est pas fondé à soutenir que c'est à tort que le tribunal a annulé l'arrêté du 28 octobre 2014, a reconnu l'existence du droit fondé en titre du moulin (...) et a fixé sa consistance légale".
Ici, le propriétaire du moulin ne s'en est pas laissé conter. Il avait les moyens psychologiques et économiques de résister à ce qu'il percevait à raison comme une erreur d'appréciation voire un abus de pouvoir. Mais combien de maîtres d'ouvrage isolés, connaissant mal le droit, croyant naïvement que l'autorité publique est sincère, ont été soumis à de telles pressions et ont abandonné, perdant et leur droit d'eau et leur ouvrage hydraulique dans la foulée? Toutes les associations locales doivent proposer une aide juridique aux moulins et autres ouvrages de leur rivière, afin de faire cesser ce genre de dérive et d'opposer un front uni aux administrations de l'eau. En particulier sur les cours d'eau classées en liste 2 au titre de la continuité écologique, où tous les ouvrages doivent être au bon niveau d'information par rapport à la loi, aux administrations, aux syndicats de bassin et aux fédérations de pêche.
Référence : CAA de Bordeaux, arrêt N°18BX00755, 16 juin 2020
LA question à laquelle il n'est pas répondue c'est pourquoi en 1939 l'administration avait pris un arrêté... A l'époque, le droit d'eau avait probablement été contesté et s'il existait, ne devait pas atteindre 67kW. On voit que, grâce à l'administration de 1939, le juge ne s'est pas posé la question de la consistance de l'installation avant la Révolution (ce n'est pas le seul exemple en la matière). Cela étant, pour qui connait le Saurat, le Vicdessos, l'Oriége, la Courbière, l'Aston... 67 kW cela fait doucement rigoler : la prochaine crue viendra remettre les pendules à l'heure ... on est en pleine guerre picrocholine ... Quant à la vis d'Archimède j'espère pour les propriétaires qu'ils n'habiterons pas sur place vue le boucan que cela fait.
RépondreSupprimerMerci de refaire le jugement, mais c'est à cela que sert la justice. Nous suggérons aux fonctionnaires essayant de détruire les droits d'eau des ouvrages puis les ouvrages eux-mêmes, d'arrêter les "guerres picrocholines" sans lesquelles il n'y aurait pas tant de contentieux et conflits.
SupprimerOn ne comprend pas cet acharnement du ministère de la transition écologique et solidaire à vouloir obtenir à tout prix l'extinction de droits fondés en titre en allant à l'encontre d'une jurisprudence parfaitement claire et constante de la justice administrative sur la notion de "ruine des ouvrages". Cet arrêt de la CAA de Bordeaux est dans la ligne de la jurisprudence du Conseil d'Etat et aurait pu être rédigé à l'avance pour ce qui concerne l'absence d'état de ruine qui aurait entraîné la perte du droit fondé en titre. L'argent public pourrait être mieux utilisé pàar le ministère que dans des procédures perdues d'avance.
RépondreSupprimerNous l'avons vu à l'oeuvre dans un département dont nous couvrons de près le terrain (89) : certains fonctionnaires cassent en rafale des droits d'eau en se disant que les propriétaires ne sauront pas quoi faire, et que même si 2 sur 10 se rebiffent, cela fera toujours 8 droits d'eau cassés (cela de moins à gérer pour des services qui ont peu d personnels et de plus en plus de missions).
SupprimerD'où l'intérêt d'associations actives partout afin d'identifier ces pratiques à la source, de s'en plaindre au préfet et aux parlementaires. Et bien sûr d'ester en justice.
Le problème persistera tant que la direction eau et biodiversité du ministère n'aura pas recadré expressément les pratiques de ses services. Là c'est l'inverse, certains hauts fonctionnaires inamovibles de la DEB poussent au conflit depuis 10 ans, en ayant comme philosophie la rivière sans ouvrage. Il y a aussi une certaine démission des politiques, hélas : quand l'administration foire un programme, on doit normalement en tirer les conséquences, admettre que la politique publique a été mal préparée et confier le dossier à d'autres. Sauf si nous sommes dans un régime où une administration non élue fixe les normes à la place des représentants des citoyens démissionnaires de leur vigilance démocratique...