Une équipe de chercheurs a étudié sur une rivière belge l'efficacité des passes à poissons pour les barbeaux et les chevesnes, qui ne sont pas les grands migrateurs cibles de la continuité écologique, mais qui sont néanmoins mobiles et peuvent coloniser des bassins versants. Leur résultat montre un très bon taux de passage pour les passes de type rampes en enrochement, un peu moins bon pour les autres. Le fait que les individus réussissant un passage parviennent aussi à franchir des passes plus amont suggère qu'ils ont un comportement plus mobile ou moins sédentaire que d'autres. Les espèces ne seraient donc pas des ensembles homogènes au plan du comportement migratoire des individus, un trait déjà observé par la recherche scientifique. Au final, c'est le rapport entre coût économique des passes et bénéfice écologique de circulation de certains poissons qui doit être caractérisé.
Les sites étudiés in Ovidio et al 2020, art cit.
Les passes à poissons étudiées dans ce travail sont situées dans le cours aval de la Vesdre, un affluent de l'Ourthe dans le bassin de la Meuse, en Belgique. La Vesdre est une rivière à lit de gravier avec un débit interannuel médian de 11,4 m3/s et un bassin versant de 702 km2. Elle est longue de 72 km et sa source est située à 626 m d'altitude, avec une pente moyenne de 7,8%. Avant le 18e siècle, la Vesdre avait d'importantes populations d'espèces rhéophiles, notamment le saumon atlantique, la truite de mer et l'anguille européenne. Jusqu'à la fin du 19e siècle, le cours d'eau a été fragmenté et très pollué en raison du développement des industries lainières. Le cours principal de la Vesdre a été dépollué progressivement et il est aujourd'hui encore fragmenté par vingt-sept barrières artificielles et un barrage-réservoir. Dans l'ensemble du la rivière, les paramètres physico-chimiques et les communautés dominantes de macro-invertébrés sont actuellement révélateurs d'une bonne qualité de l'eau. La qualité chimique ayant été traitée, se pose donc la question de l'amélioration fonctionnelle et morphologique, notamment de la continuité en long.
Michaël Ovidio (université de Liège) et ses collègues ont souhaité examiné l'efficacité des passes à poissons construites sur la Vesdre, en faisant le choix de deux espèces de poissons potamodromes n'étant pas à proprement parler des migrateurs, les barbeaux et les chevesnes. Les poissons migrant sur des longues distances comme le saumon ou l'anguille ont aussi développé dans l'évolution des capacités avancées de franchissement d'obstacles, naturels ou artificiels (puissance de saut et de nage pour le saumon, capacité de reptation sur parois assez verticales pour l'anguille). Ce n'est pas forcément le cas d'autres d'espèces. Or, il peut être intéressant de favoriser la diversité des populations de poissons en différents points de la rivière, sans se limiter aux grands migrateurs.
Voici les résultats du suivi radiométrique des barbeaux et chevesnes:
"Trente-huit barbeaux (Barbus barbus; moyenne: 508 mm, 2133 g) et sept chevesnes (Squalius cephalus; moyenne: 372 mm, 935 g) ont été capturés par la pêche électrique en surveillance des passes à poissons et ont été équipés par des étiquettes RFID et / ou radio-émetteurs. Ils ont été transférés en aval de trois passes migratoires différentes (bassins de type naturel, rampe en enrochement et bassins de type technique). Des antennes de détection connectées à des récepteurs automatiques ont été placées en aval et en amont de chaque passe migratoire pour évaluer la vitesse d'approche, les efficacités de passage globales et ajustées, les retards de passage, la température, les dates et la période. Les meilleures performances de passage et les meilleurs délais de passage ont été observés pour la passe migratoire de la rampe en enrochement (88%; 9 h temps médian pour passer) par rapport aux structures à bassins (47 et 73%; 94 et 144 h de temps médian pour passer, respectivement). L'efficacité de passage globale était de 18,2 et 29,4% pour deux passes successives et de 18,2% pour trois passes. Les passages se sont produits principalement pendant les périodes d'obscurité à des températures médianes de 14°C (barbeau) et 12,3°C (chevesne), et dans des conditions d'écoulement très variables. Cette étude a mis en évidence le taux de réussite du rétablissement de la continuité écologique de la Vesdre grâce à la construction d'ouvrages de passage à poissons améliorés."
Les chercheurs précisent que les poissons ayant réussi à franchir un obstacle tendent aussi à réussir rapidement le franchissement des autres : "Fait intéressant, les individus qui ont réussi à passer deux ou trois passes successives l'ont fait dans un laps de temps très limité (48 h), ce qui peut être le résultat de l'expression de personnalités comportementales, avec l'existence potentielle d'indices plus proactifs / intrépides (Conrad et al 2011; Renardy et al 2020) et/ou reflètent simplement une motivation physiologique plus élevée pour atteindre la zone de frai."
Enfin, dans leur conclusion, les auteurs de l'étude observent qu'il reste des inconnus pour évaluer le rapport coût-avantage des ces investissements écologiques : "La relation entre le coût et l'avantage écologique est un point de considération important pour les projets de restauration des rivières, mais une question est difficile à se poser: combien d'individus doivent traverser une passe migratoire pour atteindre les objectifs écologiques et assurer la viabilité de la population (Birnie-Gauvin et al.2019)? On peut raisonnablement penser que des performances de passage faibles ou moyennes constituent une amélioration (effets de flux génique, reconnexion de métapopulation) par rapport à l'absence de connexions, mais il est encore compliqué d'évaluer le gain démographique pour une population issu de l'amélioration ou de la restauration du passage des poissons. On en sait relativement peu sur l'effet de la restauration du continuum longitudinal pour les poissons de rivière, en particulier dans les habitats dégradés et réhabilités, malgré son importance cruciale pour la distribution des espèces, le renouvellement des espèces et la recolonisation (Tummers et al 2016)."
Discussion
Nos voisin belges semblent avancer pour le moment sur la question de la continuité écologique avec davantage de prudence et de sagesse que les gestionnaires publics français. On observe ainsi que c'est après avoir supprimé les pollutions chimiques des cours d'eau que l'amélioration de la circulation des espèces ou de la morphologie des lits y est envisagée. On observe également que la destruction des ouvrages en vue de la renaturation n'est pas l'option que l'on tente d'imposer aux maîtres d'ouvrage et aux riverains. Mickael Ovidio et d'autres collègues avaient démontré dans un précédent travail que les ouvrages anciens des moulins ne représentaient pas des obstacles majeurs pour la migration de truites et d'ombres (Ovidio et al 2007).
Il est à peu près acquis que les gestionnaires publics ne parviendront pas à contraindre à la destruction de tous les ouvrages des rivières, tant en raison de leur attachement exprimé par les populations locales qu'en raison des services écosystémiques qui leur sont attachés. Il serait donc temps de sortir du logiciel de la renaturation ou du re-ensauvegment, qui mobilise une bonne part des fonds en recherche appliquée de restauration écologique, pour examiner les solutions de franchissement apportant des bénéfices à des compartiments biologiques, notamment les poissons, tout en préservant les avantages des sites. Cela fait partie de la "continuité apaisée" : montrer que l'on se dirige vers une écologie sociale inclusive acceptant la nature hybride des cours d'eau, et non que l'on se braque sur une écologie étatique punitive du retour forcé à une hypothétique nature sauvage sans humain.
Référence : Ovido M et al (2020), Evaluation of the performance of successive multispecies improved fishways to reconnect a rehabilitated river, Wetlands Ecology and Management, 28, 641–654
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