Une équipe de chercheurs montre que si les nitrates et phosphates ont régressé dans les années 1980 et 1990, les progrès semblent avoir ralenti depuis les années 2000 dans le bassin de Seine. La cause est de moins en moins des pollutions ponctuelles ou l'élevage, mais des sources diffuses, notamment en lien à certaines pratiques de l'agriculture intensive. Par ailleurs, la meilleure prise en compte des pesticides montre qu'ils dégradent la qualité d'au moins 25% des eaux de surface et 61% des eaux souterraines en Seine-Normandie. Un sujet qui préoccupe de plus en plus les citoyens, et qui peut devenir plus problématique pour l'eau potable avec les vagues de sécheresse entraînant une moindre dilution des polluants.
Gabrielle Bouleau et cinq co-auteurs, membres passés ou présents du comité scientifique de l'agence de l'eau Seine-Normandie, analysent dans un numéro spécial de la revue Water Alternatives l'échec de la réduction des pollutions diffuses après l'adoption de la directive cadre sur l'eau (DCE 2000).
Voici le résumé de leur travail :
"Les parties prenantes européennes engagées dans la lutte contre l'eutrophisation de la mer du Nord ont salué trois innovations de la directive-cadre sur l'eau: une approche plus holistique de la qualité, le caractère contraignant des objectifs de la DCE et une plus grande participation du public. Vingt ans plus tard, cependant, il y a eu des progrès décevants dans la réduction de la pollution diffuse. Dans le bassin de la Seine, la présence de l'élevage est faible; pourtant le bassin est soumis à une pollution diffuse importante due à l'agriculture. Cet article rapporte notre étude de ce cas; nous examinons la littérature sur la politique de mise en œuvre de la DCE afin d'identifier les causes physiques et sociales de cette incapacité à réduire la pollution diffuse. Nous montrons que les nitrates, le phosphore et les pesticides qui affectent les eaux souterraines, de surface et marines sont attribuables à des changements structurels dans la production agricole plutôt qu'à des pratiques agricoles inefficaces. Nous décrivons comment une série d'instruments conçus pour lutter contre les origines agricoles diffuses des polluants ont eu peu d'effet. Nous identifions les principaux obstacles à l'amélioration comme étant la dispersion du public ciblé et la dispersion des bénéfices, compte tenu de la nature actuelle de la légitimité dans l'Union européenne. Ce cas illustre le fait que la production agricole intensive a un impact sur la qualité de l'eau bien au-delà du problème de l'excès de fumier provenant de l'élevage."
Le constat est d'abord fait qu'après la régression des nitrates et des phosphates dans les années 1980 et 1990, les progrès ont été ralentis et non accélérés après l'adoption de la directive cadre européenne sur l'eau en 2000. Concernant la charge en phosphates et nitrates, on l'estime à 1000-2000 tonnes par an pour les phosphates, 93 000 tonnes par an pour les nitrates. Dans 82% des cas, la source des nitrates est diffuse et non ponctuelle (dans 50% des cas pour les phosphates).
Par ailleurs, les pollutions par pesticides sont davantage prises en compte.
Cette image montre par exemple la pollution des captages AEP par les pesticides. La dégradation des aquifères par les pesticides concernent 61% des sites du bassin Seine-Normandie (25% des eaux de surface).
A paramètres constants, l'état chimique des masses d'eau (toutes confondues) avait progressé de 38 à 41% entre 2004 et 2019, ce qui est modeste, mais en incluant la nouvelle obligation de prendre en considération 14 pesticides, le chiffre a chuté à 32%, donc une régression en réalité, quand on affine les mesures. Encore cette estimation est-elle conservatrice : la DCE obligeait à suivre 5 pesticides jusqu'en 2012, puis 14 pesticides, mais il y a plusieurs centaines de principes actifs à effets toxiques qui circulent dans les eaux. Pas uniquement issus de l'agriculture au demeurant (polluants médicamenteux, industriels, domestiques).
La conclusion des auteurs :
"Le bassin de la Seine a bénéficié d'objectifs ambitieux au niveau national, d'une réduction réussie de la pollution ponctuelle et d'une compréhension scientifique de la dynamique du bassin. Des mécanismes de contrôle plus stricts pour l'utilisation d'engrais sont mis en œuvre au niveau des exploitations en vertu de la directive sur les nitrates et de la politique agricole commune (Commission européenne, 2019d: 148). Les condamnations pendantes de la France pour non-respect de la directive sur les nitrates ont conduit les experts gouvernementaux à suggérer le transfert du système wallon Nitrawal, qui rend obligatoire la mesure des résidus d'azote dans le sol et prévoit des sanctions en cas d'excédents (Barthod et al. ., 2019); grâce à ce système, l'administration agricole deviendrait responsable des nitrates. Une telle mise en œuvre réussie de la directive sur les nitrates marquerait néanmoins un retour à une approche plus sectorielle et moins holistique; il est également trompeur de se concentrer uniquement sur les rejets existants de nitrates. L'abandon de l'élevage extensif dans les prairies ouvre une voie à l'urbanisation et à l'intensification agricole; cela entraînerait la régression des zones humides et des prairies, qui représentent une grande partie des nitrates évités du bassin. De plus, si seul le problème des nitrates était résolu, la pollution par les pesticides et les phosphates continuerait. Compte tenu du temps de séjour de ces substances toxiques dans les eaux souterraines, la tolérance politique actuelle de ces rejets est susceptible d'entraîner des coûts supplémentaires pour la production d'eau potable et la protection des écosystèmes à l'avenir. Cependant, la préoccupation du public pour la qualité des eaux souterraines est restée faible jusqu'à présent. Avec le changement climatique, de plus en plus de communes de France sont confrontées à des pénuries estivales d'eau potable. Si la concentration de pesticides ou de nitrates augmente alors que la dilution devient plus difficile, on peut s'attendre à une plus grande implication du public dans la question. Eau de Paris, le service public d'eau qui approvisionne la région parisienne en eau potable, a récemment commencé à tenter de répondre à ces problèmes en proposant des contrats préférentiels aux agriculteurs qui se convertissent à l'agriculture biologique".
Référence : Bouleau G et al (2020), Despite great expectations in the Seine River Basin, the WFD did not reduce diffuse pollution, Water Alternatives, 13, 3, 534-555
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