27/12/2020

La France reste dépendante à 70% de l'énergie fossile, mais elle détruit ses barrages hydro-électriques

L'Union européenne vient de décider de baisser d'ici 2030 de 55% les émissions carbone par rapport à 1990. Dix ans pour une inflexion majeure... mais en 20 ans, la France a baissé de 20% seulement ces émissions, sans compter le carbone importé qui a augmenté dans l'intervalle. Aujourd'hui, 70% de la consommation énergétique finale en France provient encore du pétrole, du gaz ou du charbon, trois sources fossiles de gaz à effet de serre. Pour tenir les objectifs climat, il faut donc changer de braquet, cesser de croire que nous avons le temps ou le choix, arrêter de se payer de mots et de faire des discours non suivis d'effets. En particulier, il est urgent de retirer le dossier de l'hydro-électricité à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie, car cette administration détruit depuis 10 ans le potentiel de production des seuils et barrages en rivière tout en faisant tout pour décourager la relance des petits sites. Une attitude qui peut conduire à la condamnation de l'Etat français, au vu des contentieux en justice climatique qui fleurissent depuis 5 ans. 

Le 18 décembre 2020, l'Union européenne et les 27 États-membres ont soumis à la Convention-cadre des Nations unies sur les changements climatiques (Ccnucc) leurs nouveaux plans d'action climatique, appelés "contributions nationales déterminées" au titre de l'Accord de Paris. Le Conseil européen a adopté un nouvel objectif de réduction des émissions de gaz à effet de serre de l'UE d'au moins 55 % d'ici 2030 par rapport aux niveaux de 1990 (contre -40 % précédemment), afin d'atteindre en 2050 la neutralité carbone. Cette décision doit être inscrite dans la législation européenne.

Mais la France est-elle en situation de tenir de tels engagements? 

Dans son rapport annuel 2020, le Haut conseil pour le climat (HCC) rappelle que "les quatre principaux secteurs émetteurs [de carbone] demeurent le transport (30 %) puis l’agriculture, le bâtiment et l’industrie (entre 18 et 20 % chacun). Les retards accumulés du transport et du bâtiment sont ceux qui pèsent le plus dans les déficits carbone des années passées."

L’empreinte carbone de la France s’élève selon le HCC à 749 Mt éqCO2, soit 11,5 t éqCO2 par habitant. Avec des émissions territoriales s’élevant à 445 Mt éqCO2, soit 6,7 t éqCO2 par habitant, l’empreinte carbone de la France est donc environ 70 % plus élevée que ses seules émissions sur le sol: s'y ajoutent les émissions importées (304 Mt éqCO2), qui ont fortement augmenté depuis 30 ans. 

La réalité : 70% de l'énergie qui fait tourner le pays est toujours fossile
Si l'on regarde la consommation territoriale d'énergie en France, hors importation donc, on s'aperçoit que le mix énergétique reste carboné à 70 % :



Part des sources d'énergie dans la consommation finale en France.
Source des données : services statistiques du gouvernement, 2020.

Nous sommes donc très loin de la neutralité carbone, très loin également de 55% de baisse des émissions par rapport à 1990. Pour y parvenir, il faut avancer sur les postes de transport, chauffage, industrie et agriculture. Cela passe nécessairement par une forte hausse de la production électrique, soit pour produire de l'électricité, soit pour produire des dérivés secondaires comme l'hydrogène (par électrolyseur).

Comme le montre le graphique ci-dessus, la totalité du parc installé nucléaire, hydraulique solaire, éolien ne produit en fait que 20% de l'énergie finale consommée, alors même qu'il faut encore en changer 70%. Ni le soleil, ni le vent, ni la biomasse, ni l'eau, ni l'atome ne peuvent à eux seuls, chacun pris isolément, produire cette quantité. Et le modèle de la grande centrale du 20e siècle ne suffit pas davantage à tenir les objectifs, ce sont des dizaines de milliers de sites modestes et décentralisés de production qui doivent émerger au cours des trois prochaines décennies.

Des contentieux climatiques qui fleurissent, car les citoyens exigent des actes
Les objectifs climatiques ne sont pas seulement une question politique, mais aussi une question juridique puisque les traités internationaux et les directives européennes obligent l'Etat français.

En conséquence de l'accord de Paris, les contentieux climatiques contre les Etats (parfois contre des entreprises) se multiplient. La judiciarisation des actions relatives au changement climatique est un phénomène mondial, comme l'a souligné le Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), dans son rapport The Status of Climate change litigation : a global review (mai 2017). En 2018, plus de 1.000 contentieux en matière climatique étaient ainsi recensés dans le monde, répartis sur 25 pays. 

En Europe, la Cour de justice de l'Union Européenne (arrêt du 13 août 2018) a jugé recevable la plainte des familles contre le Parlement européen et le Conseil de l'Union européenne, plainte soutenant que l'objectif climatique 2030 est inadéquat et invoquant une violation des droits. Au Pays-Bas, 886 citoyens néerlandais ont intenté une action contre leur pays. La Cour suprême des Pays-Bas a rejeté (20 décembre 2019) le pourvoi de l'État néerlandais contre la décision d'appel lui ordonnant de réduire les émissions de gaz à effet de serre d'au moins 25 % d'ici fin 2020, par rapport à 1990. 

En France, quatre associations (l'Affaire du siècle) ont lancé en 2019 une action contre l'Etat pour carence fautive dans sa politique climatique, avec le soutien en ligne de plus de deux millions de personnes. Le litige est encours d'examen par la justice.

La France a gelé l'hydro-électricité en raison de l'idéologie anti-barrage de son administration de l'eau
Dans ce contexte de retard et d'urgence à décarboner la consommation énergétique du pays restant à 70% fossile, la position défendue par les gouvernements sur l'hydro-électricité est intenable. La gestion de ce dossier a été confiée pour les petites puissances de moins de 500 kW (sans doute 50 000 sites équipables en France dont 25 000 de moulins) à la direction eau et biodiversité du ministère de l'écologie. Non seulement cette direction n'a pas de culture énergétique, mais son obsession est de détruire le maximum d'ouvrages permettant de produire de l'hydro-électricité et, pour ceux qui ne sont pas détruits, d'opposer des procédures et des exigences rendant impossibles les chantiers. Même dans le domaine des grands barrages, le gouvernement a décidé de détruire deux ouvrages EDF en état de fonctionnement sur la Sélune. Soit 50 millions € d'argent public à faire disparaître une source d'énergie locale bas-carbone.

Si nous étions en avance sur nos objectifs climatiques, ou si nous avions des perspectives d'une source d'énergie abondante, bon marché, à échelle pour remplacer les 70% fossile de notre consommation, une telle position pourrait au moins se justifier par une latitude pour choisir les énergies que nous voulons développer. Mais ce n'est pas le cas du tout. 

Bloquer le développement de l'hydro-électricité et pire encore détruire le potentiel hydro-électrique déjà en place pour faire plaisir au lobby de la pêche au saumon ou au lobby naturaliste désirant ré-ensauvager la France est une faute. L'administration doit incessamment changer de doctrine, d'autant que les parlementaires ont encore rappelé par la loi énergie-climat de 2019 que "pour répondre à l’urgence écologique et climatique, la politique énergétique nationale a pour objectifs (..) d’encourager la production d’énergie hydraulique, notamment la petite hydroélectricité". Les fonctionnaires eau et biodiversité doivent appliquer les lois votées par les élus des citoyens, et non tenter de les contourner pour poursuivre les objectifs internes de leur administration. Plus largement, l'Etat français doit cesse sa politique de gribouille où l'action publique poursuit des objectifs contradictoires et couvre des choix arbitraires. 

25/12/2020

Les moulins alimentent les sols, aquifères et zones humides lors des saisons pluvieuses

Sur certains bassins versants, les biefs des moulins forment les dernières annexes hydrauliques de la rivière en lit majeur. Ces canaux sont le lieu d'échanges d'eau toute l'année. En saison pluvieuse, l'eau excédentaire s'y diffuse, gorge les sols et aquifères, nourrit des zones humides. Une connaissance et une gestion de ces phénomènes peuvent avoir des rôles très bénéfiques pour le stockage de l'eau d'hiver et pour l'amélioration des habitats du vivant aquatique. Le monde des moulins doit documenter sur site ces phénomènes actuellement ignorés de l'expertise publique, pour demander qu'ils soient étudiés plus systématiquement dans le cadre de la gestion de l'eau en phase d'adaptation au changement climatique.


La saison des pluies est revenue. Mais où vont ces précipitations? Si le ruissellement superficiel ne permet pas de stocker, l'eau file rapidement dans la rivière, qui l'amène vers l'océan. Cette eau non retenue ne sera pas disponible à la prochaine saison sèche. Ces dernières années ont montré que de nombreuses régions de France subissent des sécheresses importantes, dont il est probable qu'elles deviendront plus intenses et plus fréquentes dans les décennies à venir.

Pour remplir les nappes alluviales du lit majeur de la rivière et les nappes libres dans les aquifères du sous-sol, il faut donc retenir l'eau et non chercher à accélérer son écoulement dans la rivière, puis vers la mer.

Parmi les aménagements qui aident cette rétention, on compte notamment les moulins, leur retenues et leurs biefs. Le cas est particulièrement favorable si le moulin est aménagé et géré pour optimiser cette fonction de rétention d'eau.

Ce schéma montre le principe de stockage en surface et sol de l'eau autour d'un système de moulin.



Les pluies d'hiver permettent d'observer le phénomène de surface. En voici un exemple sur un site.


Bief se gorgeant d'eau les jours de crue.


Débordement de déversoir


Mouille sur sol saturé.


Mares en pied de bief.

Nous incitons les propriétaires de moulins (ou étangs et plans d'eau) à documenter les cycles de l'eau sur leur site. Les associations et fédérations doivent demander aux services de l'Etat de procéder à des études hydrologiques et écologiques de ces réalités, qui sont actuellement totalement négligées. Il existe des dizaines de milliers de moulins (davantage d'étangs et plans d'eau), ce qui représente un linéaire non négligeable de biefs. Sur certaines rivières, les réseaux de biefs de moulins dérivés par leurs ouvrages forment les dernières annexes hydrauliques du lit majeur en lit majeur, en raison des incisions de lits et rehausses de berges, des drainages agricoles, des artificialisations urbaines.

23/12/2020

Les fragmentations des rivières par assecs baissent la biodiversité aquatique (Gauthier et al 2020)

Une étude menée sur des ruisseaux de têtes de bassin versant dans le Massif central et le Jura montre que les tronçons intermittents ont une moindre biodiversité alpha et bêta. Les assecs à répétition liés au changement climatique risquent de réduire la diversité du vivant sur les cours d'eau par ailleurs peu impactés par des pollutions physico-chimiques. Cette pression doit être anticipée, notamment quand on fait des choix limitant la rétention d'eau superficielle et souterraine dans les bassins versants. 


Les hydro-écologues se demandent comment évoluent les peuplements biologiques des ruisseaux et rivières de tête de bassin versant. Les assemblages d'espèces tiennent-ils à la nature du réseau hydrologique (hypothèse du filtrage environnemental local, notamment le caractère "dendritique" des réseaux de cours d'eau, ayant tendance à créer des isolats)? Ou résultent-ils aussi des comportements de dispersion des espèces? 

Un moyen d'analyser le rôle de la circulation-dispersion est d'observer la biodiversité dans des zones fragmentées par des assecs (rivières intermittentes à barrières hydriques) en comparaison à des zones non fragmentées (rivières pérennes). Maïlys Gauthier et cinq collègues ont ainsi analysé deux systèmes de tête de bassin versant en France, dans le Massif Central et dans le Jura.

Dix réseaux de têtes de bassin fragmentés par des épisodes d'assecs naturels ont été sélectionnés dans deux zones différentes au plan biogéographique. Ces zones amont ont été choisies selon plusieurs règles: une taille maximale de bassin versant de 200 km2; un ordre maximum de Strahler de 3 pour le tronçon le plus en aval; la présence d'au moins quatre tronçons intermittents; des conditions physico-chimiques intactes (non perturbées par activités humaines adjacentes).

Voici le résumé de leur recherche :

"1. La dispersion, définie comme le mouvement d'individus entre les communautés locales dans un paysage, est un déterminant régional central de la dynamique des métacommunautés dans les écosystèmes. Alors que la fragmentation des écosystèmes naturels et anthropiques peut limiter la dispersion, les tentatives précédentes pour mesurer ces limitations ont été confrontées à une dépendance considérable au contexte, en raison d'une combinaison d'étendue spatiale, de variabilité environnementale associée, du large éventail des modes de dispersion, des capacités des organismes et de variation des topologies de réseau. Par conséquent, le rôle joué par la dispersion par rapport au filtrage environnemental local dans l'explication de la dynamique des métacommunautés reste incertain dans les écosystèmes dendritiques fragmentés.

2. Nous avons quantifié les composantes de la diversité α et β des métacommunautés d'invertébrés dans 10 réseaux de ruisseaux d'amont fragmentés et avons testé l'hypothèse que la dispersion est le principal déterminant de l'organisation de la biodiversité dans ces écosystèmes dynamiques et spatialement contraints.

3. La diversité alpha était beaucoup plus faible dans les tronçons intermittents que pérennes, même longtemps après la remise en eau, ce qui indique un effet dominant du dessèchement, y compris un effet hérité sur les communautés locales.

4. La diversitébêta n'a jamais été corrélée avec les distances environnementales, mais expliquée principalement par les distances spatiales expliquant la fragmentation du réseau fluvial. La proportion d'imbrication de la diversité β était considérable et reflétait des différences de composition où les communautés des tronçons intermittents étaient des sous-ensembles de tronçons pérennes.

5. Dans l'ensemble, ces résultats indiquent que la dispersion est le principal processus qui façonne la dynamique des métacommunautés dans ces 10 réseaux de cours d'eau d'amont, où les communautés locales subissent régulièrement des événements d'extinction et de recolonisation. Cela remet en question les conceptions antérieures selon lesquelles le filtrage de l'environnement local est le principal moteur des métacommunautés d'amont.

6. Les réseaux de rivières devenant de plus en plus fragmentés en raison du changement global, nos résultats suggèrent que certains écosystèmes d'eau douce actuellement alimentés par filtrage de l'environnement local pourraient progressivement devenir limités en termes de dispersion. Dans cette perspective, le passage d'un régime d'écoulement pérenne à un régime d'écoulement intermittent représente des seuils écologiques à ne pas franchir pour éviter de mettre en péril la biodiversité des rivières, leur intégrité fonctionnelle et les services écosystémiques qu'ils fournissent à la société."

Ce graphique montre la diversité alpha (sur site), qui est dans la quasi-totalité des cas plus élevée sur les tronçons pérennes (point noir) que sur les tronçons intermittents (triangle gris), cela avant comme après un épisode d'assec.



Discussion
Les auteurs n'ont pas analysé si les tronçons de leur étude disposaient de barrières naturelles ou anthropiques (seuils, cascades, chaussées, digues) ni si des lames d'eau étaient localement maintenues en été par des réservoirs (étangs, plans d'eau, retenues, biefs de moulins, etc). Il serait nécessaire d'étudier cette variable aussi, qui peut agir dans deux sens antagonistes : freiner la recolonisation depuis l'aval, mais aussi limiter l'extinction lors des assecs et donc favoriser la recolonisation depuis les zones de meilleure survie. Nous manquons terriblement de ces données de terrain sur le rôle complexe des ouvrages en lien à la totalité de la biodiversité et à sa dynamique. 

Référence : Gauthier M et al (2020), Fragmentation promotes the role of dispersal in determining 10 intermittent headwater stream metacommunities, Freshwater Biology, 65, 2169– 2185

19/12/2020

Les moulins à eau et leurs artisans, pionniers de la révolution industrielle anglaise

Trois économistes (Karine van der Beek, Joel Mokyr et Assaf Sarid) revisitent l'histoire de la révolution industrielle en Angleterre. Ils observent que les moulins à eau, véritables usines des sociétés pré-industrielles, avaient vu l'émergence progressive d'une classe d'artisans qualifiés, polyvalents, qui ont formé le capital humain indispensable au développement du machinisme moderne.



Voici le résumé de leur travail : "Cet article examine l'effet de l'adoption précoce de la technologie sur l'évolution du capital humain et sur l'industrialisation, dans le contexte de la révolution industrielle britannique. Il montre que les artisans de chantier (wrights), un groupe d'artisans mécaniciens hautement qualifiés, qui se sont spécialisés dans les machines à eau entre 1710 et 1750, ont été assez persistants dans le temps et ont évolué au début du Moyen-Âge, en réponse à l'adoption de la technologie de l'énergie hydraulique, dont l'étude Domesday Book a fait état pour la première fois en 1086. En outre, nos résultats suggèrent qu'à leur tour, la disponibilité d'infrastructures physiques et d'artisans hautement qualifiés dans les endroits qui ont adopté les moulins à eau au Moyen Âge a conjointement été un facteur majeur dans la détermination de la localisation de l'industrie anglaise depuis la fin du XIIIe siècle, jusqu'à la veille de la révolution industrielle."

Voici leur conclusion :

"Les résultats présentés ci-dessus confirment l'hypothèse qu'à la veille de la première révolution industrielle, la répartition spatiale des artisans mécaniquement qualifiés était le résultat d'un processus persistant, qui a commencé au début du Moyen Âge, lorsque les moulins à eau (inventés à l'époque romaine) sont devenuq largement utiliséq. Comme Marc Bloch (1966) l'a dit de façon mémorable, à l'époque de Charlemagne en Gaule et du Domesday Book en Angleterre, «pour tous ceux qui ont des oreilles pour entendre, [ces régions] bruissent de la musique de la roue du moulin." Les exigences techniques liées à la construction de ces moulins ont joué un rôle clé dans la formation d'artisans qualifiés. À leur tour, les artisans mécaniquement qualifiés formés comme artisans du bois aidaient d'autres industries qui pouvaient utiliser l'énergie hydraulique pour prospérer. Cet article présente un test de la persévérance que ces compétences ont engendrée.

Nous mettons ainsi en évidence un segment restreint mais significatif des meilleurs artisans anglais, à savoir les mécaniciens de chantier et les ingénieurs. La présence de conditions géographiques qui ont favorisé la construction de moulins à eau engagés dans la meunerie a créé une classe de mécaniciens de chantier hautement qualifiés dont les compétences se sont répercutées sur les industries de la laine et du fer. La prédominance de ces industries était une première étape dans la voie de l'Angleterre devenant nation industrielle. Ce n'est pas un hasard si le terme «moulin» est devenu synonyme de «usine» dans les premiers stades de la révolution industrielle, car le rôle des moulins à eau dans la fabrication textile est resté central pendant de nombreuses décennies au XVIIIe et au début du XIXe siècle, avant qu'ils ne soient finalement remplacés par la vapeur.

Ces schémas de localisation ont-ils eu une importance quelconque dans ce qui s'est passé après 1750? L'importance de l'industrie de la laine dans la révolution industrielle a été traditionnellement éclipsée par la croissance spectaculaire de l'industrie du coton, mais il ne faut pas oublier que la laine a continué de croître pendant la révolution industrielle à un rythme plus que respectable et que "l'industrie de la laine ne s'est pas laissée éclipser" (Jenkins et Ponting, 1982, p. 296). Bon nombre des avancées technologiques du coton se sont répercutées sur la laine et vice versa, et les deux industries ont grandement bénéficié du haut niveau de compétence des artisans et mécaniciens britanniques (Kelly, Mokyr et Ó Gráda, 2019). Les mécaniciens de chantier étaient une composante substantielle de cette classe, mais bien d'autres aussi: les horlogers, les rectifieuses, les colliers, les serruriers, les fabricants de jouets, les ferronniers, les fabricants d'instruments et de nombreux fabricants de biens de consommation haut de gamme ont tous joué un rôle.

Nous nous empressons d'ajouter qu'il n'y a pas eu de cartographie simple entre la préexistence d'une main-d'œuvre hautement qualifiée et l'accélération du progrès technologique pendant la révolution industrielle. Les Midlands et Londres ont pu transformer ces compétences en une croissance rapide. Mais les zones traditionnelles de fabrication de la laine dans le West Country et l'East Anglia ont fini par céder lentement leur base industrielle au Yorkshire. Comme l'a souligné Jones (2010, p.8), l'échec du Sud anglais à s'industrialiser peut paraître surprenant. Plus que toute autre chose, ils ont peut-être suivi les règles de la spécialisation régionale car la baisse des coûts de transport et l'intégration du marché ont dépassé les aptitudes traditionnelles de la fabrication de la laine dans ces domaines. Comme l'observe Jones (2010, p. 66), malgré son déclin relatif, l'industrie de la laine du Gloucestershire était tout à fait capable de se mécaniser.

En fin de compte, nos recherches contribuent à restaurer la place du capital humain dans le leadership technologique britannique. Pour voir cela, nous devons nous débarrasser de l'habitude moderne de considérer le capital humain en termes «modernes» de scolarisation et d'alphabétisation, ou même en termes de conditionnement social que les établissements d'enseignement de cette époque ont inculqué à leurs élèves. Nous devrions plutôt nous pencher sur les talents tacites, les compétences techniques transmises de maître à apprenti par le biais de contacts personnels informels. Le grand historien de la technologie pendant la révolution industrielle, John R. Harris, s'en est rendu compte lorsqu'il a noté que "tant de connaissances étaient insufflées par l'ouvrier dans l'atmosphère de suie où il vivait plutôt que consciemment apprises" (Harris, 1992, p. 30). Il en va de même pour les mécaniciens de chantier britanniques, dont certains se sont transformés et ont formé une classe d’ingénieurs en mécanique au XIXe siècle. Le rôle crucial des techniciens formés mécaniquement dans la révolution industrielle, et donc dans le grand enrichissement (MacLeod et Nuvolari, 2009) dans son ensemble, mérite largement notre reconnaissance."

Source : Karine van der Beek, Joel Mokyr et Assaf Sarid (2020), The wheels of change: technology adoption, millwrights, and persistence in britain’s industrialization, Discussion Paper DP14138, première pub. novembre 2019, révision décembre 2020, Centre for Economic Policy Research

18/12/2020

Protéger reptiles et amphibiens plutôt que casser moulins et étangs

Les citoyens peuvent voter en ligne jusqu'à ce soir pour qualifier un projet de biodiversité porté par des associations. Le projet mis en première place sur le site du ministère consiste à créer des films de propagande sur la destruction des ouvrages de rivières. Nous préférons pour notre part un autre projet, bien plus constructif pour le vivant, qui consiste à améliorer connaissance et protection des reptiles et amphibiens. Ceux-ci sont d'ailleurs mis en péril quand on assèche des retenues, étangs, plans d'eau, canaux et biefs. A vous de voter!



L'administration de l'écologie (OFB, agences de l'eau, DREAL, régions) propose un concours national de vote citoyen sur des projets pour la biodiversité.

Le premier projet mis en avant sur le site vise la "promotion de l'efficacité de la politique de continuité écologique et de restauration de la biodiversité de la France par la réalisation d'un ensemble des vidéos grand public, destinées à la diffusion nationale et internationale, et organisation d’une série d'évènements à partir de ces modules pour sensibiliser les élus, les décideurs et les citoyens."

Autant dire : faire des films de propagande à la gloire de la casse des ouvrages hydrauliques, le porteur de ce projet (ERN) étant un militant de longue date de la destruction des patrimoines de l'eau.

Etant donné les sommes considérables d'argent public déjà dépensées pour cette politique de continuité écologique dont les résultats sont très critiqués par les citoyens, nous préférons soutenir pour notre part le projet n°3 : la constitution d’un réseau national SOS serpents, tortues et grenouilles et l’élaboration d’outils et supports de communication, de formation et de sensibilisation à destination du grand public et des structures impliquées dans une démarche de médiation faune sauvage.

Le vote s'arrête ce soir, à vos claviers et écrans. Lien pour voter.

17/12/2020

Avec 1,2 million de barrières, les rivières européennes sont des écosystèmes massivement transformés par la société humaine (Belletti et al 2020)

Une recherche venant d'être publiée dans la revue Nature montre que les rivières de 36 pays européens sont fragmentées par au moins 1,2 million de barrières à l'écoulement, soit en moyenne 0,74 obstacle par kilomètre (ou un obstacle tous les 1350 mètres). Les auteurs en tirent la conclusion que l'on devrait supprimer le maximum de ces ouvrages, notamment les plus modestes ayant perdu leur fonction d'origine comme les moulins. On ne peut qu'exprimer notre désaccord total avec cette orientation, mal informée de nombreux autres travaux de recherche sur l'appropriation de ces ouvrages par les riverains et sur l'émergence de nouveaux écosystèmes anthropiques, outre les besoins massifs de transition énergétique bas-carbone en Europe. Mais surtout, cette recherche doit mener le législateur et le gestionnaire à sa conclusion la plus évidente: les rivières européennes sont des socio-écosystèmes co-construits par les humains au fil des siècles. Cette nouvelle nature est notre réalité, et l'action publique ne doit plus être guidée par l'idée naïve d'une sorte de retour en arrière. Ce qui ne signifie pas tout conserver en l'état, bien sûr, mais simplement ajuster les choix publics aux évolutions du vivant, aux attentes des riverains et aux besoins reconnus comme d'intérêt par la société.

Densités de barrières sur les rivières européennes, estimées par modèle, extrait de Belletti et al 2020, art.cit. 

Le programme Amber (Adaptive management of barriers in Europe ; "gestion adaptative des obstacles en Europe"), notamment financé la Commission européenne, vient de publier dans la revue Nature un résultat de son travail sous forme d'atlas estimant les barrières à l'écoulement en Europe. L'étude est signée par vingt chercheurs avec pour premier auteur Barbara Belletti, spécialiste en géomorphologie au CNRS et à l’université de Lyon.

Voici le résumé de leur recherche :

"Les rivières abritent une des plus riches biodiversité de la planète et fournissent des services écosystémiques essentiels à la société, mais elles sont souvent fragmentées par des obstacles à la libre circulation. En Europe, les tentatives de quantifier la connectivité fluviale ont été entravées par l'absence d'une base de données harmonisée sur les barrières. Nous montrons ici qu'il y a au moins 1,2 million de barrières sur les eaux intérieures de 36 pays européens (avec une densité moyenne de 0,74 barrières par kilomètre), dont 68% sont des structures de moins de deux mètres de hauteur, souvent négligées. Des enquêtes standardisées sur 2 715 kilomètres de longueur de cours d'eau pour 147 rivières indiquent que les registres existants sous-estiment le nombre d'obstacles d'environ 61%. Les densités de barrières les plus élevées se produisent dans les rivières fortement modifiées d'Europe centrale et les plus faibles densités de barrières se produisent dans les zones alpines les plus reculées et les moins peuplées. Dans toute l'Europe, les principaux prédicteurs de la densité des barrières sont la pression agricole, la densité des passages routiers de traversée de l'eau, l'étendue des eaux de surface et l'altitude. On trouve encore des rivières relativement non fragmentées dans les Balkans, les États baltes et certaines parties de la Scandinavie et du sud de l'Europe, mais elles nécessitent une protection urgente contre les projets de construction de barrages. Nos conclusions pourraient éclairer la mise en œuvre de la stratégie de l’UE pour la biodiversité, qui vise à reconnecter 25 000 kilomètres de rivières d’Europe d’ici à 2030, mais y parvenir nécessitera un changement de paradigme dans la restauration des rivières qui reconnaisse les impacts généralisés causés par les petits obstacles."

Il est à noter que la France et les Pays-Bas figurent comme les 2 pays dont les estimations d'obstacles sur les rivières sont les plus abouties (en France grâce au référentiel des obstacles à l'écoulement lancé dans les années 2000 par l'Onema). 

En France, sur 183 373 km de rivière (donc à l'exclusion du petit chevelu deux fois plus important), on compte 63932 obstacles dont 8744 barrages, 36855 seuils, 346 écluses, 5915 buses, 357 gués, 4512 rampes et 5231 autres ou inconnus.

Dans leur introduction, les chercheurs soulignent : "sans barrages, déversoirs, gués et autres structures dans le cours d'eau, il est difficile d'imaginer de prélever de l'eau, de produire de l'énergie hydroélectrique, de contrôler les inondations, de transporter des marchandises ou même simplement de traverser des cours d'eau."

Pourtant, ils ne se privent pas de donner en conclusion un point de vue plus politique sur ce qu'il faudrait faire de certains de ces ouvrages:

"Pour reconnecter les rivières, des informations sont nécessaires sur l'utilisation actuelle et le statut juridique des barrières, étant donné que beaucoup ne sont plus utilisées et pourraient être supprimées. Dans certaines régions d'Europe, par exemple, de nombreux déversoirs ont été construits pour desservir d'anciens moulins à eau, qui ont ensuite été abandonnés. Compte tenu de l'élan actuel vers l'élimination des obstacles et la restauration de la connectivité fluviale, il serait logique de commencer par des structures obsolètes et petites (<5 m), qui constituent la majorité des barrières en Europe. La suppression des petites barrières sera probablement plus facile et moins coûteuse que la suppression des infrastructures plus grandes, et probablement aussi mieux acceptée par les acteurs locaux, dont le soutien est essentiel pour restaurer la connectivité fluviale. Cependant, la suppression des anciennes barrières n'augmentera pas la connectivité si davantage de barrières sont construites ailleurs. Les taux actuels de fragmentation devraient être stoppés, ce qui peut nécessiter une réévaluation critique de la durabilité et la promotion des développements micro-hydroélectriques par rapport à l'alternative consistant à améliorer l'efficacité des barrages existants."

Discussion
Le premier enseignement de ce travail est que les rivières européennes sont une réalité massivement anthropisée. Ce ne sont plus dans la majorité des cas des systèmes "naturels", mais des systèmes "socio-naturels", c'est-à-dire des réalités physiques, chimiques et biologiques qui ont été lentement modifiées par des usages humains de l'espace. Il est alors très étonnant que le classement des masses d'eau souhaité par la directive cadre européenne (DCE 2000) n'ait pas conclu que 80 ou 90% des fleuves et rivières du continent sont des système "fortement modifiés", comme la nomenclature juridique de la DCE permet de le reconnaître. Nous devons en informer le législateur et le gestionnaire, afin qu'à l'issue du dernier cycle de la DCE (2021-2027), on acte enfin la réalité telle qu'elle est.

L'idée défendue par les auteurs en conclusion qu'il serait plus économique de supprimer 1,1 million de petites barrières est assez mal informée (en tout état de cause, elle n'est pas chiffrée). En fait, comme le montre l'expérience française en la matière, les effacements ou aménagements d'ouvrages sont rapidement coûteux lorsqu'ils ne sont pas bâclés. Il faut en effet tenir compte du droit des tiers dans les changements d'écoulement induits, mais aussi compenser diverses pertes hydrologiques et écologiques (mise à sec de retenues, canaux, puits, remobilisation sédimentaire problématique, fragilisation de bâtis et de berges, etc.). Du même coup, le bilan réel en gain et perte de ces opérations n'est pas fait. Un ouvrage n'ayant plus son usage ancien n'est pas forcément un ouvrage ayant perdu toute fonction ou tout service écosystémique 

Certains biologistes et écologues nous ont habitués à l'expression d'une sorte d'"impérialisme disciplinaire" en matière de conservation des espèces et des habitats : dès lors qu'un phénomène représente un "impact sur la nature", sa suppression serait souhaitable sans qu'il soit nécessaire de trop problématiser cette position. Cet article s'y inscrit en partie, mais il est quand même ennuyeux d'avoir une cécité aux travaux des autres sciences et disciplines académiques. Si Barbara Belletti et ses collègues s'étaient enquis des recherches menées en géographie, sociologie, histoire, humanités, économie, ils auraient par exemple observé que loin d'être vus comme vestiges sans usage du passé ou barrières à migrateur ou pièges à sédiments, les ouvrages hydrauliques font l'objet de diverses formes d'appropriation. Plus largement, ils auraient observé que la nature perçue et vécue du riverain n'est pas forcément la nature fonctionnelle ou idéale de l'écologue et du biologiste. Ou bien encore qu'au sein de l'écologie (comme discipline scientifique), les avis peuvent diverger sur les nouveaux écosystèmes créés par les humains — dans le cas aquatique, beaucoup de ces nouveaux écosystèmes (lacs, étangs, plans d'eau, canaux, biefs) sont justement créés par des ouvrages hydrauliques. Une synthèse de plus de 100 recherches scientifiques récentes sur ces sujets a récemment été faite, et un livre collectif d'universitaires nuançant beaucoup le concept de la continuité / discontinuité écologique est paru en 2020. 

La notion de barrière ou obstacle à l'écoulement a certainement du sens pour le géomorphologue (à condition de ne pas oublier les nombreuses barrières naturelles des embâcles, castors, chutes ou cascades), mais elle est par elle-même assez pauvre, au sens où elle réduit son objet à un seul angle de spécialité disciplinaire: chaque rivière n'est pas représentée par tous les humains comme ce qu'elle devrait être dans un idéal géomorphologique de naturalité, chaque ouvrage n'est pas davantage réductible à sa dimension d'obstacle à un écoulement, un sédiment ou un poisson. Nous espérons donc que des approches un peu plus complexes et pluridisciplinaires vont continuer à progresser dans la discussion académique et le débat démocratique. 

Référence : Belletti B et al (2020), More than one million barriers fragment Europe’s rivers, Nature, 588, 436–441

14/12/2020

Les silures dévorent les grandes aloses de la Garonne (Boulêtreau et al 2020)

Jadis, les saumons, aloses et autres migrateurs formaient les poissons de plus grande taille (avec le brochet) dans leur milieu d'eau douce. Mais ce n'est plus le cas avec l'introduction du silure, une espèce venue du Danube qui s'est étendue en Europe occidentale et méridionale. Une étude de chercheurs français menée sur la Garonne montre que ces poissons-chats géants consomment des grandes aloses, et qu'ils sont capables de repérer le comportement particulier de frai de ce migrateur pour profiter d'opportunités alimentaires. On peut certes essayer de réguler le silure dans nos eaux. Mais cela doit nourrir aussi une réflexion sur les objectifs de conservation des poissons migrateurs, qui ne rencontrent plus du tout à l'Anthropocène les conditions de leur expansion maximale voici quelques millénaires, en raison de causes multiples dont la plupart ne vont pas disparaître à court terme. 


Le silure européen Silurus glanis fait partie des 20 plus gros poissons d'eau douce au monde, et c'est le plus gros poisson d'Europe (jusqu'à 2,7 m de longueur totale, deux fois plus que des prédateurs indigènes en France comme le brochet). Sa taille extrême en a fait une espèce populaire pour les pêcheurs sportifs, ce qui a entraîné leur introduction intentionnelle dans certains pays d'Europe de l'Ouest et du Sud.

Mais comme toute espèce introduite, le silure a des effets sur les assemblages d'espèces qui pré-existent à son arrivée dans les rivières. 

De nombreuses espèces de poissons dites "anadromes" migrent entre l'eau de mer et l'eau douce pour frayer. Elle sont généralement protégées de la prédation par d'autres poissons lors de leur migration vers l'amont par leur grande taille à l'âge adulte. Mais les introductions et invasions de nouvelles espèces ont perturbé cette règle ayant émergé de l'évolution, car certaines espèces de poissons prédateurs sont plus grandes que les migrateurs. Dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, l'établissement du silure Silurus glanis expose les poissons anadromes adultes à la prédation en augmentant le seuil de taille corporelle auquel les proies deviennent invulnérables. 

Stéphanie Boulêtreau et ses collègues ont analysé le comportement de prédation du silure sur les grandes aloses (Alose alosa), un poisson migrateur jadis commun en Europe, mais aujourd'hui menacé.

Voici le résumé de leur travail : 

"Le silure Silurus glanis est un grand prédateur opportuniste non indigène capable de développer une stratégie de chasse en réponse aux proies nouvellement disponibles là où il a été introduit. La migration de proies anadromes reproductrices comme la grande alose Alosa alosa pourrait représenter cette ressource alimentaire disponible et riche en énergie. Ici, nous rapportons un comportement impressionnant de chasse au silure lors de la reproduction de l'alose dans l'une des principales frayères d'Europe (Garonne, sud-ouest de la France). 

La reproduction de l'alose se compose d'au moins un mâle et une femelle nageant côte à côte, battant la surface de l'eau avec leur queue, ce qui produit un bruit d'éclaboussement audible depuis la rive du fleuve. Le comportement de chasse du silure lors de la reproduction de l'alose a été étudié, la nuit, pendant les mois de printemps, en utilisant à la fois une enquête auditive et vidéo. Simultanément, des individus de poisson-chat ont été pêchés pour analyser le contenu de leur estomac. 

Le silure a perturbé 12% des 1024 actes de frai nocturnes que nous avons entendus, et cette proportion est passée à 37% parmi les 129 actes de frai lorsqu'elle est estimée avec un enregistrement par caméra en basse lumière. Les analyses du contenu stomacal de 251 gros silure (longueur du corps > 128 cm) capturés dans le même tronçon de rivière) ont révélé que l'alose représentait 88,5% des proies identifiées dans le régime alimentaire du silure. 

Ces travaux démontrent que la prédation du silure doit être considérée comme un facteur important de mortalité des aloses. Dans un contexte d'extension de l'aire de répartition européenne du silure dans les eaux douces d'Europe occidentale et méridionale, ce nouvel impact trophique, avec d'autres précédemment décrits pour le saumon ou la lamproie, doit être pris en compte dans les plans européens de conservation des espèces anadromes."

Discussion
Ces travaux confirment d'autres recherches faites dans les eaux françaises sur la prédation des saumons remontants par les silures. Ils soulignent les causes multifactorielles de déclin des migrateurs : outre des barrières physiques, ceux-ci sont confrontés à la pollution, la surpêche et le braconnage, la prédation par de nouvelles espèces, le changement climatique et ses effets océaniques comme fluviaux. 

La stratégie évolutive de la migration permet des gains alimentaires (croissance dans un milieu favorable) mais elle est coûteuse, puisque les animaux y ayant recours parcourent de longue distance, ce qui représente une dépense en énergie et une exposition à divers risques. Le changement progressif des conditions des rivières et des océans à l'Anthropocène est particulièrement défavorable à ces espèces. Cela suggère que si les stratégies de conservation de ces migrateurs visent à juste titre à éviter l'extinction des espèces, elles auront sans doute le plus grand mal à revenir aux quantités d'individus observées avant l'ère moderne. Une discussion des objectifs des politiques publiques en ce domaine serait bienvenue.

Référence : Boulêtreau S et al (2020), ‘The giants’ feast’’: predation of the large introduced European catfish on spawning migrating allis shads, Aquatic Ecology, doi.org/10.1007/s10452-020-09811-8

A lire en complément

11/12/2020

La gestion des étangs piscicoles est appréciée par l'avifaune (Boyer et Bourguemestre 2020)

Le fuligule milouin est une espèce de canard qui a connu une expansion dans les étangs européens à compter de la fin du 19e siècle. Mais l'anatidé a amorcé un déclin à partir des années 1980 et il est considéré comme vulnérable. Un travail de recherche sur les étangs de la Brenne montre que ces plans d'eau sont des habitats d'autant plus favorables qu'ils sont activement gérés, ce qui augmente la productivité piscicole et trophique favorable aux fuligules. C'est un bon exemple de l'évolution de la biodiversité dans les nouveaux écosystèmes créés par les humains. Et une incitation supplémentaire à ne pas opposer sommairement milieux naturels et milieux artificiels, ni biodiversité endémique et biodiversité acquise.


Fuligule mâle, par Neil Phillip (Flickr, CC BY 2.0)

Le fuligule milouin Aythya ferina est un canard plongeur (Anatidés) européen, classé comme espèce vulnérable. Il offre un exemple d'adaptation réussie à un habitat artificiel: le système d'étangs piscicoles. Le fuligule s'est installé à la fin du 19e siècle dans des complexes d'étangs du sud de la Bohême, puis s'est étendu sur une large aire vers le sud-ouest de l'Europe. La hausse du nombre de ses hivernages a été attribuée aux progrès de l'aquaculture dans les systèmes d'étang européens. Mais à partir de la fin des années 1970, un déclin à long terme a commencé dans de nombreuses aires européennes. Il y a donc un besoin d'information sur les facteurs clés affectant l'abondance et le succès de reproduction de cette espèce. Les étangs piscicoles constituent aujourd'hui l'un des habitats les plus couramment utilisés dans de nombreux pays (France, Allemagne, Pologne, République Tchèque), mais la gestion de la pisciculture est susceptible d'affecter positivement ou négativement la vie du fuligule milouin.

Jöel Broyer (OFB, DRAS-Pôle ECLA) et François Bourguemestre (Fédération des chasseurs Indre) ont analysé l'évolution du fuligule milouin dans les étangs de la Brenne. Voici le résumé de leur travail : 

"Les étangs piscicoles constituent un habitat de reproduction majeur pour le fuligule milouin Aythya ferina en Europe. Cette étude a exploré les causes possibles de son déclin récent, en décrivant les conséquences des diverses options de gestion des étangs en Brenne, dans le centre de la France. La densité des couples et le rapport nichée/couple ont été décrits dans un échantillon d'étang soumis à diverses pratiques de gestion, au début des années 2000 et, encore une fois, une décennie plus tard. L'influence de la gestion des étangs sur ces variables a été étudiée par des comparaisons de modèles. 

Au début des années 2000, 69,5% des étangs étudiés étaient fertilisés par les pisciculteurs. Des densités de couples de fuligule milouin plus élevées ont été observées chez ceux qui se nourrissaient artificiellement de la carpe et le rapport nichée/couple était positivement lié à la densité de la biomasse des poissons, à condition que la densité des couples ne soit pas trop élevée. Une décennie plus tard, seuls 25% des étangs étudiés restaient fertilisés. La densité des paires de fuligule milouin était positivement corrélée à la densité de la biomasse des poissons. Mais des ratios nichée/couple plus faibles ont été enregistrés dans les étangs avec alimentation artificielle de la carpe, en raison du fait qu'une densité de couples plus élevée n'y a pas conduit à une augmentation de la densité des couvées. Entre les deux périodes d'étude, le nombre de couples est resté stable dans l'échantillon, mais le rapport nichée/couple a diminué, passant de 0,84 à 0,71. 

Nos résultats soutiennent l'idée que les conditions de l'habitat qui permettent une productivité élevée des poissons étaient également attrayantes pour les couples de fuligules. Ils suggèrent l'hypothèse que la fertilisation des étangs pour améliorer la productivité primaire et, par conséquent, la biomasse des poissons, peut également favoriser le succès de la reproduction des fuligules. Il faut cependant garder à l'esprit que, même avec une gestion active de la pisciculture, la densité de la biomasse des poissons dans les étangs français reste généralement modérée par rapport à celles d'Europe centrale. L'étude n'a révélé aucun effet de la gestion de la chasse puisque l'alimentation de la sauvagine, la lutte contre les prédateurs ou le lâcher de canards colverts n'ont pas influencé de manière significative l'utilisation des étangs par les couples de fuligule ni le rapport nichée/couple".

Ce travail confirme d'autres résultats obtenus par les auteurs en Dombes, Forez ou Brenne (voir par exemple Boyer et al 2015), montrant l'importance de la gestion piscicole des étangs sur la reproduction des Anatidés. La biomasse piscicole et l’état trophique de productivité de l’écosystème sont des facteurs limitants pour les oiseaux.

Référence : Boyer J, Bourguemestre F (2020), Common pochard Aythya ferina breeding density and fishpond management in central France, Wildlife Biology, wlb.00592

09/12/2020

Six députés demandent à Barbara Pompili quand son administration va enfin cesser la casse absurde des moulins et étangs français

Bien loin d'être "apaisée", la continuité écologique nourrit le feu roulant des questions des parlementaires au gouvernement. Six députés, dont quatre de la majorité, s'étonnent ces dernières semaines que le gouvernement ait fait passer le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la mise à sec des biefs, des canaux, des étangs, des retenues avec destruction des ouvrages sur simple déclaration, sans enquête publique auprès des riverains, sans étude d'impact sur chaque site. Ils font observer que ces ouvrages et ces milieux issus de notre histoire représentent des réserves d'eau, des biotopes pour le vivant, un potentiel hydro-électrique très bas carbone, un patrimoine historique, culturel et paysager. Il serait temps que les bureaucraties ayant programmé la casse du patrimoine français de l'eau reconnaissent explicitement leur erreur d'appréciation, mais aussi que la loi reprécise les contours de la continuité écologique en vue de mettre fin à 10 ans de contentieux permanents.  Il est possible de faire progresser la circulation des poissons par des mesures non destructrices, sans céder à l'horizon intégriste et minoritaire d'une rivière "sauvage" qui serait purgée de toute trace humaine. Il est surtout nécessaire et urgent de recentrer la politique publique de l'eau sur les enjeux apparaissant comme essentiels aux citoyens : prévention du réchauffement climatique par équipement en énergie décarbonée, réduction des pollutions chimiques, gestion des crues et sécheresses frappant de plus en plus durement les territoires, respect des cadres de vie appréciés et de la démocratie locale.


Question N° 34366 de M. Olivier Dassault (Les Républicains - Oise )
M. Olivier Dassault attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur l'effacement et l'aménagement des barrages des moulins prévus dans le décret n° 2020-828 du 30 juin 2020. La démolition des aménagements hydrauliques, qui ont pour certains, plusieurs centaines d'années, est devenue la solution retenue par l'Office de la biodiversité, sans tenir compte des répercussions topographiques, ni des phénomènes de vases communicants. Il s'agit d'une mesure qui entraîne peu à peu l'assèchement de lits dans les environs des ouvrages démantelés. La destruction des digues et des moulins opérée sans études d'impact ni enquêtes publiques met aussi en péril la biodiversité et ne facilite aucunement la libre circulation des poissons migrateurs. Il lui demande donc si des dispositions seront prises rapidement pour supprimer cette réglementation qui va à l'encontre du patrimoine et des milieux aquatiques ruraux.

Question N° 33900 de M. Philippe Chassaing (La République en Marche - Dordogne )
M. Philippe Chassaing appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 (complété par un arrêté du même jour) modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Ce texte dispose que tous les travaux visant à la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques et de la continuité écologique relèvent désormais de la simple déclaration (et non plus de l'autorisation) avec, pour corollaire, de rendre obsolètes les études d'impact environnemental et social, les enquêtes publiques, ainsi que l'information des citoyens et des collectifs de riverains. L'incidence directe est qu'il pourrait être procédé plus facilement à la destruction des milieux en eaux d'origine anthropique, c'est-à-dire façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau, etc.), sans prendre en considération leur rôle écologique (conservation des biotopes qui se sont constitués dans ces milieux), touristique et patrimonial (les 60 000 moulins de France représentant le troisième patrimoine du pays). En effet, les moulins, qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine local, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, risquent d'être condamnés à terme. Alors que le processus d'autorisation et d'enquête publique contradictoire consiste précisément en une procédure d'organisation de la démocratie consultative et délibérative, sa suppression devrait logiquement générer de l'insécurité juridique. Outre le manque d'information sur les projets qui pourraient voir le jour dans leur département, les associations et les élus locaux craignent de ne plus pouvoir former de recours contentieux contre les arrêtés autorisant la destruction des « obstacles à la continuité écologique » dans les cours d'eau. Tandis que la circulaire du 30 avril 2019 relative à « la mise en œuvre du plan d'action pour une politique apaisée de restauration de la continuité écologique des cours d'eau » n'a, semble-t-il, guère apaisé les inquiétudes des élus et des collectifs de riverains, ces derniers contestent aujourd'hui les dispositions réglementaires visant à passer outre la concertation locale et réclament une transition écologique qui soit non pas punitive, mais « participative » et raisonnée, appliquée au cas par cas, au plus près du terrain, avec le concours de tous les acteurs locaux et dans l'intérêt commun du territoire. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité du décret susmentionné et si elle entend donner suite aux demandes des groupements d'élus et des associations de défense du patrimoine meunier de retirer - ou à tout le moins d'amender - ce texte.

Question N° 33720 de M. Grégory Besson-Moreau (La République en Marche - Aube )
M. Grégory Besson-Moreau alerte Mme la ministre de la transition écologique sur la question de l'avenir des moulins à eau. Le 30 juin 2020, le précédent Premier ministre a accéléré le processus de destruction des moulins en eau en autorisant par décret le passage d'un régime d'autorisation à un régime de déclaration concernant les démolitions des barrages des moulins. Cette démarche est censée favoriser la préservation de certaines espèces aquatiques et ainsi présenter des vertus en matière de biodiversité sur le long terme. Or, aucune étude d'impact n'a pour le moment démontré l'utilité de ce changement de paradigme sur l'ensemble du territoire. De la même manière, ces moulins à eau, pour beaucoup vestiges de l'époque médiévale, possèdent un potentiel non négligeable en matière d'hydroélectricité. De plus, les aménagements demandés pour leur maintien sont particulièrement onéreux pour les propriétaires et les subventions accordées insuffisantes. Enfin, les moulins à eau ont un rôle prépondérant en matière d'irrigation des plans d'eau. Il conviendrait alors de s'intéresser aux véritables raisons qui menacent aujourd'hui notre faune aquatique et non de pénaliser les propriétaires de moulins à eau, acteurs séculaires de l'équilibre entre l'activité humaine et la préservation de l'environnement. Aussi, il demande si le Gouvernement entend revenir sur cette décision et entreprendre une concertation visant à déboucher sur une solution respectueuse de l'environnement, de nos traditions et de notre patrimoine historique.

Question N° 32890 de M. Vincent Descoeur (Les Républicains - Cantal)
M. Vincent Descoeur appelle l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur les conséquences du décret n° 2020-828 du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau. Tous travaux ayant pour unique objet, la restauration des fonctionnalités naturelles des milieux aquatiques pourront être menés sans autorisation, sur simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique. Il pourra être ainsi procédé facilement à la destruction de tous les milieux aquatiques façonnés par l'homme au cours de l'histoire (biefs, canaux, étangs, plans d'eau). Ceci aura un impact sur l'environnement (avec notamment la destruction des biotopes qui se sont créés dans ces milieux) ainsi que sur le patrimoine. En effet, les moulins qui contribuent à la richesse des paysages et du patrimoine culturel et industriel français, lorsqu'ils seront privés des cours d'eau qui les alimentent, seront condamnés à terme. L'objet sur lequel repose le décret, celui de la « restauration des fonctions naturelles » est infondé. En effet, dans quelle mesure peut-on déterminer si telle fonction est naturelle ou pas sans qu'une étude d'impact ne soit menée ? Ces lieux forgés à la fois par la nature et par l'homme avaient trouvé un équilibre qui va être désormais profondément remis en question. Aussi, il lui demande des précisions sur la finalité d'un tel décret et s'il entend donner suite aux demandes des associations de défense du patrimoine des moulins de retirer ce texte.

Question N° 32702 de Mme Sophie Beaudouin-Hubiere (La République en Marche - Haute-Vienne )
Mme Sophie Beaudouin-Hubiere attire l'attention de Mme la secrétaire d'État auprès de la ministre de la transition écologique, chargée de la biodiversité, sur la gestion du patrimoine hydraulique français. En effet, un arrêté du 30 juin 2020 a facilité la destruction des retenues d'eau : une simple déclaration, sans étude d'impact ni enquête publique, est nécessaire. Cela alors que les réserves d'eau s'avèrent primordiales en période de sécheresse pour les poissons, pour la vie aquatique, pour la nappe phréatique, pour les réserves en cas d'incendie. Si la destruction a été partiellement justifiée par la nécessité de permettre « la libre circulation des poissons migrateurs », il apparaît que nombre de moulins, y compris les plus anciens, comprennent des passes, chaussées ou échelles à poissons. De même, la politique menée par les agences de l'eau, qui subventionnent intégralement la destruction des barrages de moulins et surfacturent aux propriétaires les aménagements pour les poissons, pose question. Ainsi, elle souhaiterait savoir si elle compte annuler l'arrêté du 30 juin 2020 et plus largement, quelles actions elle compte mener pour protéger les réserves d'eau.

Question N° 32492 de M. Christophe Jerretie (Mouvement Démocrate (MoDem) et Démocrates apparentés - Corrèze)
M. Christophe Jerretie attire l'attention de Mme la ministre de la transition écologique sur la question de la préservation et de la sauvegarde des moulins à eau. La loi du 30 décembre 2006 sur l'eau et les milieux aquatiques prévoit que les ouvrages hydrauliques doivent être « gérés, entretenus et équipés » par leurs propriétaires selon des règles définies par l'autorité administrative. En réalité, les agences de l'eau programment de plus en plus de destructions d'ouvrages hydrauliques. En simplifiant les procédures administratives, le décret du 30 juin 2020 modifiant la nomenclature et la procédure en matière de police de l'eau permet aux agences de l'eau de continuer plus facilement l'arasement des barrages, faisant ainsi réagir des associations voulant protéger le patrimoine hydraulique français. Cette multiplication des destructions est faite au nom de la continuité écologique et du respect d'une directive-cadre de l'Union européenne visant à améliorer la qualité de l'eau datant de 2000. En effet, les 60 000 ouvrages hydrauliques français seraient des obstacles mettant en péril la continuité écologique des espèces et des sédiments entre les cours d'eau. Néanmoins, les bienfaits en matière de biodiversité de cette politique de destruction sont contestés : les zones humides, qui regroupent une part importante de la faune et de la flore des cours d'eau pourraient être menacées par ces destructions. En conséquence, des milliers d'écosystèmes se retrouveraient en danger par la destruction indirecte de milieux de vie. Des espèces risquent même de disparaître : c'est le cas de la salamandre tachetée qui pourrait voir son habitat s'assécher durant les années à venir. De plus, détruire des moulins revient à détruire un patrimoine qui pourrait s'avérer fort utile en produisant hydroélectricité et farine. À l'heure où la production d'hydroélectricité est mise en valeur (par la loi du 9 novembre 2018 relative à l'énergie et au climat et par celle relative à la transition énergétique pour la croissance verte du 17 août 2015) et où de plus en plus d'associations se plaignent de voir leur patrimoine hydraulique détruit sans même être consultées par les agences de l'eau, il souhaiterait savoir si le Gouvernement souhaite faire évoluer sa politique de destruction des ouvrages hydrauliques et de continuité écologique en la rendant plus favorable au patrimoine français et à la production d'hydroélectricité.

07/12/2020

Diffuser et utiliser la carte des 25 000 sites français que l'on peut relancer en petite hydro-électricité

Les politiques publiques de prévention du réchauffement climatique accusent des retards, et les Etats sont de plus en plus souvent condamnés devant les cours de justice pour cette raison. En France, nous souffrons notamment d'une mauvaise prise en compte de la petite hydro-électricité, car la direction de l'eau du ministère de l'écologie et son administration ont pris la décision absurde de décourager les relances des moulins par des demandes ingérables, pire encore de détruire ces sites au lieu de les préserver et d'inciter à les équiper. Les associations doivent utiliser la cartographie des sites anciens équipables mise au point par le projet européen RESTOR HYDRO pour saisir les préfets et les élus de la nécessité d'intégrer la relance des petits ouvrages hydrauliques dans tous les schémas et contrats de transition écologique (SRADDET, SAGE, SDAGE, CRTE). 


Le projet européen RESTOR HYDRO a mené dans les années 2010 une évaluation de l’état et du potentiel de restauration de la petite hydroélectricité dans les 27 pays européens. C'est un premier diagnostic, portant notamment sur les sites de moulins, forges, et anciennes usines à eau (voir notre recension de Punys et al 2019).

La carte d'estimation des sites équipables en France est disponible à cette adresse. On peut zoomer sur chaque territoire, ce qui en fait un média d'information très utile. 

Nous souhaitons que cet outil de prise en compte des moulins et autres sites équipables en petite hydro-électricité soit désormais systématiquement intégré :

- dans les schéma régionaux d'aménagement, de développement durable et d'égalité des territoires (SRADDET), qui ont vocation à développer les énergies renouvelables de chaque région,

- dans les schémas d'aménagement et de gestion des eaux (SAGE local, SDAGE de bassin), qui ont vocation à informer les décideurs et citoyens des potentiels énergétiques des cours d'eau,

- dans les contrats territoriaux de relance et de transition écologique (CRTE), qui ont vocation à réduire les émissions carbone de chaque territoire.

Les associations ont vocation à informer les décideurs locaux en utilisant cette cartographie RESTOR HYDRO, mais aussi à l'améliorer par leur connaissance du terrain. A ce sujet, il serait utile que les structures porteuses du projet RESTOR HYDRO mettent les données brutes à disposition en format géolocalisé, afin de permettre une démarche participative (mise à jour et enrichissement des données) ainsi qu'un croisement avec d'autres formats géographiques SIG, pour montrer plus facilement les potentiels par bassins versants ou par régions.

Carte RESTOR HYDRO du potentiel de petite hydro-électricité


A télécharger : Les moulins au service de la transition, le dossier complet (pdf), un document de synthèse pour informer les élus et décideurs des territoires. Les moulins, forges, usines à eau sont présents dans tout le pays, jouissent d'une bonne acceptabilité sociale du fait de leur présence ancienne et offrent des opportunités de déployer une énergie bas-carbone à faible impact environnemental. La transition bien comprise commence par le ré-usage de ce qui est disponible localement et demande peu d'efforts pour être relancé.

04/12/2020

Les stations d'épuration laisseraient passer plus de 100 molécules toxiques dans les eaux françaises (Aemig et al 2021)

Si les années 1980 et suivantes ont vu se développer la lutte contre les nitrates et phosphates, encore inachevée dans plusieurs régions, on commence seulement à mesurer les volumes de micropolluants circulant dans les eaux en France. Dans la première étude de ce genre pour quantifier les contaminants à échelle du pays, les chercheurs ont identifié en sortie de station d'épuration 94 molécules organiques pouvant avoir des effets toxiques sur la santé humaine (88 écotoxiques), 15 molécules inorganiques pouvant avoir une toxicité humaine (19 écotoxiques), pour un total de près de 147 tonnes. Les stations d'épuration ne sont pas prévues pour traiter ces contaminants d'origines très diverses : pesticides, médicaments humains et vétérinaires, hormones, hydrocarbures, métaux lourds, composés de synthèse. L'effet de cette charge toxique sur les milieux aquatiques est très mal documenté à ce jour, malgré leur hausse constante depuis l'après-guerre. Il serait temps que les gestionnaires français de l'eau, au lieu de détruire maladivement des moulins et étangs d'Ancien Régime comme soi-disant pinacle écologique de la rivière "sauvage", s'intéressent sérieusement au dossier de la pollution ainsi qu'à la santé des humains comme à celle des milieux.


Quentin Aemig, Arnaud Hélias et Dominique Patureau (INRAE, ITAP Montpellier, ELSA Montpellier) ont pour la première fois en France tenté de quantifier les micropolluants rejetés par les stations d’épuration. Selon leur modélisation, les 5 milliards de mètres cubes d’eau qui sortent chaque année de ces stations comporteraient environ 147 tonnes de micropolluants.

Voici le résumé de leur travail :
"Les micropolluants émis par les activités humaines représentent une menace potentielle pour notre santé et notre environnement aquatique. Des milliers de substances actives sont utilisées et vont à la STEP via les eaux usées. Pendant le traitement de l'eau, une élimination incomplète se produit. Les effluents rejetés dans l'environnement contiennent encore une partie des micropolluants présents dans les effluents. Ici, nous avons étudié les impacts potentiels sur la santé humaine et le milieu aquatique du rejet de 261 micropolluants organiques et de 25 micropolluants inorganiques à l'échelle de la France. Les données ont été recueillies à partir d'enquêtes nationales, de rapports, d'articles et de travaux de doctorat. Le modèle USE-tox ® a été utilisé pour évaluer les impacts potentiels. Les impacts sur la santé humaine ont été estimés pour 94 micropolluants organiques et 15 inorganiques et sur le milieu aquatique pour 88 micropolluants organiques et 19 inorganiques, soulignant le manque de concentration et de données toxicologiques dans la littérature. Certains hydrocarbures aromatiques polycycliques et pesticides ainsi que l'As et le Zn ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur la santé humaine. Certains pesticides, le PCB 101, la βE2, l'Al, le Fe et le  Cu ont montré les impacts potentiels les plus élevés sur l'environnement aquatique."

Ce schéma résume les molécules organiques et inorganiques étudiées (liste des substances, nombre de substances avec au moins une concentration détectable, nombre de substances dépassant la limite de détection dans plus de 10% des prélèvements, substances à toxicité humaine ou environnementale). 




Voici leur conclusion :

"Les impacts potentiels totaux sur la santé humaine ont varié entre 3 et 14 et 761 à 904 DALY [Disability Adjusted Life Year = cumul année de vie perdue] pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques. Les impacts potentiels totaux sur l'environnement aquatique ont varié entre 18 et 22 et 2 408 à 3 407 milliards de PDF.m3.j [Potentially Disappeared Fraction potentielle d'espèces disparues d'un volume) pour les micropolluants respectivement organiques et inorganiques.

Pour la toxicité et l'écotoxicité, les impacts potentiels ont été calculés avec un petit nombre de molécules par rapport à celles qui avaient été sélectionnées. Cela a mis en évidence le manque de données de concentration et de facteurs de caractérisation. La connaissance réelle des effets des micropolluants sur la santé humaine et l'environnement aquatique est limitée.

Nos études ont soulevé la question de la solution pour réduire les impacts des micropolluants organiques sur la santé humaine et l'environnement aquatique. La réduction ou l'interdiction d'utilisation est préférée en France; ici, nous avons mis en évidence que les micropolluants omniprésents (HAP), interdits (PCB) ou naturels (hormone) sont toujours présents dans les effluents et ont contribué à l'impact calculé signifiant que cette solution n'est pas appropriée pour tous les micropolluants. Les traitements tertiaires sont un autre moyen de réduire les rejets dans l'environnement, mais nous devons savoir s'ils sont suffisants pour réduire les micropolluants ayant les impacts les plus élevés et des études pour prouver que les produits de dégradation, le cas échéant, ne sont pas plus toxiques que les composés d'origine. De plus, on peut également s'interroger sur le coût impliqué par l'ajout de traitements tertiaires: il faut savoir si les options de traitement tertiaire disponibles sont efficaces pour éliminer les micropolluants et si elles sont rentables compte tenu de leur coût et de la diminution de l'impact. Nos résultats ont soulevé des questions sur les impacts des micropolluants inorganiques; en effet, ils sont naturellement présents dans l'eau, la plupart des concentrations dans les effluents des stations d'épuration sont proches des concentrations en rivière mais les impacts estimés montraient un risque élevé en raison de ces substances.

USETox® est basé uniquement sur des données de toxicité chronique et ne tient pas compte des perturbations endocriniennes. De plus, les effets des nanomatériaux, des microplastiques, des gènes de résistance, etc. n'ont pas été pris en compte par cette méthode mais peuvent représenter un impact important sur la santé humaine et l'environnement aquatique. Cependant, cette méthode pourrait être utilisée pour comparer différents scénarii: ajout de traitement tertiaire, réduction des émissions à la source, etc. Ici, comme première étape d'estimation des impacts potentiels, nous nous concentrons sur les valeurs de masse moyennes à l'échelle de la France. On sait qu'il existe une variation spatiale et temporelle des émissions de micropolluants (Lindim et al., 2019); une perspective est d'utiliser ce type de méthode à l'échelle du bassin versant, en considérant d'autres émissions provenant de l'agriculture ou des industries."
Parmi les substances les plus nocives pour les humains, 8 représentent seulement 4 % de la masse totale des 94 micropolluants, mais 94 % de leur impact potentiel. Elles se composent de quatre hydrocarbures aromatiques polycycliques (HAP), du dicofol (insecticide organochloré interdit depuis 2010), d’un retardateur de flammes (banni depuis 2004) ainsi que de deux anti-inflammatoires. Du côté de la faune aquatique, les cinq substances ayant le plus d’effet représentent 2 % du total des flux, mais comptent pour 99 % de l’impact. La cyperméthrine (un insecticide), un PCB, un type d’œstrogène naturel (ßE2), l’amoxicilline (un antibiotique) se révèlent comme les plus dommageables.

Discussion
Les pollutions des cours d'eau et des nappes restent mal évaluées, en raison du très grand nombre de substances chimiques (plusieurs dizaines de milliers) qui sont utilisées dans l'agriculture et l'industrie. Bien que présentes en faibles doses, ces molécules peuvent être toxiques dans certains cas, et leurs effets cumulés sont quasi-impossibles à estimer sur l'ensemble des organismes cibles présents dans les rivières et les plans d'eau. 

Ces résultats sont aussi très inquiétants pour la capacité de la France à respecter la directive cadre européenne sur l'eau, dont l'échéance ultime de résultat est fixée en 2027. Plus des deux-tiers des rivières sont en mauvais état chimique, notamment en raison des HAP et des pesticides. Mais les mesures de routine faites dans le cadre de l'évaluation DCE sont loin de comptabiliser toutes les molécules à effet toxique. 

Il est navrant que l'argent public de l'eau continue d'être dilapidé en France dans des mesures absurdes, comme la destruction des ouvrages anciens (moulins, étangs, plans d'eau), alors que la restauration de la qualité chimique de l'eau n'est toujours pas à portée de vue. Les administrations n'ayant pas été capables de hiérarchiser les enjeux et les priorités pour la société porteront une lourde responsabilité en ce domaine. 

01/12/2020

Guide de la continuité écologique et des rivières prioritaires

Après de grands retards et de nombreuses critiques, la réforme ratée de continuité écologique a donné lieu à la définition de rivières et d'ouvrages prioritaires. Nous publions la conférence Hydrauxois donnée à ce sujet, ainsi que la mise à jour du guide des propriétaires d'ouvrages hydrauliques pour répondre aux exigences de l'article L 214-17 du code de l'environnement. Attention, le droit est précis: pour ne pas se mettre en défaut tous les moulins, forges, étangs et plans d'eau concernés par un classement en liste 2 doivent lire attentivement le guide et agir en conséquence. Ne rien faire aujourd'hui, c'est se préparer des ennuis pour demain. 





Les points essentiels à retenir :

- la priorisation des rivières est sans base légale, c'est une décision purement interne de l'administration faussement présentée comme une solution, 

- tous les ouvrages classés en liste 2 restent soumis aux obligations de la loi, tous les ouvrages pourront donc être attaqués par des tiers (ou déclarés "non régulièrement installés" par l'Etat) s'ils ne sont pas en conformité à la continuité écologique au terme du délai légal (délai de 5 ans prorogé une fois, donc travaux avant 2022 ou 2023 selon les bassins),

- nous ne voulons pas de ces diversions, mais l'application de la loi : des solutions de continuité respectant la consistance légale des ouvrages (pas de destruction) et indemnisant les travaux à coût exorbitant (pas de charge publique sur le dos de particuliers),

- si cette mise en conformité est impossible dans les délais pour manque de temps ou d'argent, alors il faut soit réviser la loi (modifier l'article L 214-17 CE posant tant de problèmes depuis 2006) soit réviser la liste de classement en liste 2 pour revenir à des périmètres raisonnables,

- nous appelons tous les maîtres d'ouvrage à se coordonner sur les rivières liste 2, à opposer le même discours aux administrations et syndicats, à saisir leur parlementaire pour que le ministère de l'écologie cesse ses dérives et ses dénis pour trouver de vraies solutions.

Pour rappel : l'association Hydrauxois a demandé au conseil d'Etat l'annulation du processus de priorisation, car il crée des inégalités des citoyens devant la loi et, in fine, ne respecte pas les termes de cette loi en suggérant que les délais légaux ne seront pas respectés. Nous voulons que le ministère de l'écologie et le parlement actent sans détour l'échec de la réforme telle qu'elle été menée par l'administration, pour définir des solutions réellement pérennes.