27/02/2021

La biodiversité des poissons d'eau douce à l'Anthropocène (Su et al 2021)

Les cours d’eau abritent une riche biodiversité en poissons, avec près de 18 000 espèces recensées, soit un quart des vertébrés. Une équipe de scientifiques menée par des laboratoires français a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte le nombre d’espèces (diversité taxonomique), le nombre de fonctions (diversité fonctionnelle) et les liens de parenté entre espèces (diversité phylogénétique). Dans un article de la revue Science, ils montrent que plus de 50 % des 2 456 cours d’eau analysés ont eu leurs faunes de poissons fortement modifiées par les activités humaines. L'Europe est la première concernée par cette tendance déjà ancienne. Environ 14 % de cours d’eau étudiés restent peu impactés et ils n’abritent que 22 % des espèces de poissons d’eau douce du globe. Certains résultats de cette étude vont à l'encontre d'idées reçues en montrant que les diversités spécifique, fonctionnelle ou phylogénétique se sont plutôt accrues localement dans une majorité de rivières, du fait des introductions d'espèces, alors que les différences entre bassins ont décru. La biodiversité évolue et, à l'Anthropocène, le facteur humain en est désormais un agent incontournable. Ces travaux ont des conséquences sur les choix en restauration écologique, car l'idée de "restaurer" un état antérieur du vivant aquatique paraît de plus en plus naïve ou impraticable.

Plus une zone tend vers le rouge foncé, plus sa biodiversité de poisson a été modifiée. Extrait de Su et al 2021, art cit

Une équipe de scientifiques menée par Sébastien Brosse, professeur à l’université Toulouse III – Paul Sabatier, laboratoire Évolution et diversité biologique (CNRS/Université Toulouse III - Paul Sabatier/IRD), a développé un nouvel indicateur de biodiversité prenant en compte ses différentes dimensions et l'a appliqué à l'analyse globale de l'évolution des poissons d'eau douce. Leur résultat vient d'être publié dans la revue Science

Les rivières et les lacs couvrent moins de 1% de la surface de la Terre mais ils représentent une biodiversité importante, dont près de 18 000 espèces de poissons. Ces poissons d'eau douce jouent des rôles dans le fonctionnement des écosystèmes par la production de biomasse, la régulation des réseaux trophiques et la contribution aux cycles des nutriments. Ils participent aussi au bien-être humain en tant que ressources alimentaires et à travers des activités récréatives ou culturelles.

Depuis des siècles, parfois des millénaires, les populations humaines ont affecté la biodiversité des poissons de diverses manières : l'extraction par la pêche, l'introduction d'espèces non indigènes, le changement des régimes d'écoulement par fragmentation (barrage), la pollution des sols et des eaux, la modification du climat et des habitats. "Ces impacts anthropiques directs et indirects ont conduit à une modification de la composition des espèces locales, soulignent les chercheurs. Cependant, la biodiversité ne se limite pas aux composantes purement taxonomiques, mais comprend également les diversités fonctionnelles et phylogénétiques."

Les chercheurs ont mis au point un indice de changement cumulatif des dimensions de la biodiversité. Ce schéma résume le calcul :
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Il y a 3 indices de richesse au sein d'un bassin (local) et 3 indice de dissimilarité entre les bassins (régional), sous l'angle taxonomique (nombre d'espèces), fonctionnel (nombre de fonctions des espèces) et phylogénétique (nombre de lignages différents). Plus la valeur de l'indice est élevée, plus on observe de différences entre l'état historique et l'état actuel de la biodiversité des poissons.

Ces cartes montrent les calculs de l'indice sur la Terre, en entrant dans le détail des composantes. 
Extrait de Su et al 2021, art cit.

Les chercheurs soulignent : "À l'exception de quelques rivières dans la partie nord des royaumes paléarctique et néarctique, la biodiversité des poissons n'a pas diminué dans la plupart des rivières. Cela diffère nettement des résultats récents documentant le déclin des ressources vivantes en eau douce à l'échelle locale (c.-à-d.> 1 à 10 km de tronçon fluvial) dans certains de ces bassins fluviaux. Fait intéressant, nous rapportons une tendance inverse chez les poissons d'eau douce pour la richesse taxonomique, fonctionnelle et phylogénétique locale dans plus de la moitié des rivières du monde. Cette augmentation de la diversité locale s'explique principalement par les introductions humaines d'espèces qui compensent voire dépassent les extinctions dans la plupart des rivières. Parmi les 10 682 espèces de poissons considérées, 170 espèces de poissons ont disparu dans un bassin fluvial, mais ce nombre pourrait être sous-estimé en raison du délai entre l'extinction effective et les rapports d'extinction publiés. En outre, 23% des espèces de poissons d'eau douce sont actuellement considérées comme menacées, et certaines d'entre elles pourraient disparaître dans un proche avenir."

Si la richesse locale de biodiversité augmente, le phénomène est contraire pour la diverité réginale, qui tend à devenir uniforme : "Outre l'augmentation globale de la richesse des assemblages de poissons dans les bassins fluviaux, l'homogénéisation biotique - une tendance générale à la baisse de la dissimilarité biologique entre les bassins fluviaux - semble omniprésente dans tous les fleuves du monde. La dissimilarité fonctionnelle était la facette la plus touchée, avec une diminution dans 84,6% des rivières, alors que la dissimilarité taxonomique et la dissimilarité phylogénique ont diminué dans seulement 58% et 35% des rivières, respectivement. L'écart entre l'évolution de la diversité fonctionnelle et les modifications de la diversité taxonomique et phylogénétique provient principalement de l'origine non indigène des espèces introduites dans les rivières. Les espèces transférées d'une rivière vers des bassins voisins favorisent des pertes de dissemblance car elles sont déjà indigènes dans de nombreuses rivières de la même écozone, et sont souvent fonctionnellement et phylogénétiquement proche d'autres espèces locales. En revanche, les espèces exotiques (c'est-à-dire provenant d'autres écozones) sont moins fréquemment introduites, et leur histoire évolutive divergente avec les espèces indigènes a conduit à une dissemblance phylogénétique accrue de leurs rivières receveuses."

Discssion
L'article de Guohuan Su et de ses collègues est intéressant à plusieurs titres.

D'abord, il rappelle qu'il existe de nombreuses manières de mesurer la biodiversité. La plus commune consiste à s'interroger sur le nombre total d'espèces. Mais elle n'est pas la seule car cette richesse spécifique ne dit pas si les espèces accomplissent ou non les mêmes fonctions dans les milieux, ni si les assemblages d'espèces offrent une diversité génétique permettant au vivant de résister plus facilement à des pressions de sélection dans l'évolution.

Ensuite, cette étude montre que l'Anthropocène est une réalité : partout où il y a eu expansion démographique des humains et développement économique moderne, les milieux ont déjà considérablement évolué. Au demeurant, on le voit dans une des figures de l'article, où les corrélats des évolutions les plus marquées de la biodiversité sont montrés. Voici l'extrait pour la zone paléarctique (Eurasie, où se situe donc la France):


Le premier corrélat en vert est l'indicateur FPT qui signifie empreinte humaine à travers l'économie et l'industrialisation. Le suivant est la taille des bassins (RBA en hachuré gris) et ensuite la fragmentation par barrage (DOF en bleu). 

Enfin, l'évolution de la biodiversité des poissons d'eau douce est plus complexe que le schéma d'effondrement souvent entendu dans les médias. Dans les zones peuplées et développées comme l'Europe et l'Asie, la richesse taxonomique, fonctionnelle ou phylogénétique a localement augmenté plus que diminué dans un plus grand nombre de bassins. Cela tient notamment à l'introduction de nouvelles espèces, parfois dans des nouveaux milieux où ces espèces sont adaptées. En revanche, dans la même zone, la dissimilarité taxonomique et fonctionnelle entre les bassins a baissé : ils sont plus riches en leur sein mais aussi plus uniformes entre eux. Le schéma est plus variable selon les régions pour la dissimilarité phylogénétique. On notera que c'est une étude "à grande maille" : l'analyse détaillée de tous les habitats d'un bassin peut éventuellement révéler des diversités locales échappant aux synthèses, avec par exemple des espèces endémiques rares, mais non éteintes. Cela dépend également de la qualité d'échantillonnage des poissons. Le remplacement de la pêche électrique de contrôle par l'ADN environnemental circulant dans l'eau (plus puissant en détection) pourra peut-être amené des évolutions des données, et donc des modèles. 

Pour conclure, il est manifeste que la biodiversité évolue rapidement avec l'activité humaine. Parfois en "négatif", comme les extinctions locales ou globales d'une espèce, parfois en "positif" comme l'ajout d'espèces à des milieux, voire la spéciation à partir d'un lignage séparé qui divergera de la population mère au fil des générations. Le schéma de l'écologie a longtemps été qu'il existe une nature stable, à l'équilibre. Eventuellement que l'on pourrait revenir facilement à l'équilibre antérieur si une action humaine l'a changé. Mais nous découvrons que la nature est en équilibre dynamique plutôt instable, et que l'humain fait pleinement partie de l'équation, induisant des transformations massives et rapides. Il paraît donc nécessaire d'adopter d'autres représentations de la nature, et de se poser d'autres questions sur les natures que nous voulons pour demain : nature comme naturalité (respect d'un écosystème peu modifié), nature comme fonctionnalité (respect des conditions de reproduction et évolution du vivant), nature comme service écosystémique (respect des besoins humains en lien à la nature), nature comme construction sociale (reconfiguration de la nature selon des choix collectifs). Ces options sont davantage philosophiques ou politiques que scientifiques. Elles ne sont pas en soi exclusives les unes des autres, et une seule d'entre elles n'a probablement pas vocation à s'appliquer uniformément à l'ensemble des milieux aquatiques et humides.

Référence : Su et al (2021), Human impacts on global freshwater fish biodiversity, Science, 371, 835–838

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25/02/2021

L'administration doit être au service de la modernisation et non de la destruction des ouvrages en rivière

La nouvelle sanction du ministère de l'écologie pour excès de pouvoir dans le domaine de la continuité des rivières est en train de raviver la colère des associations de riverains en lutte pour défendre leur cadre de vie. Il y a un ras le bol généralisé face à au blocage de certains fonctionnaires de ministère, d'agences de l'eau, de DDT-M, d'OFB ou de syndicats qui persistent à vouloir dénigrer et détruire les ouvrages hydrauliques au lieu d'accomplir leur devoir de service public pour des solutions constructives. A l'occasion du vote de la loi Climat et résilience, qui comporte des articles sur les hydrosystèmes, sur l'économie locale et sur l'énergie renouvelable, la coordination nationale eaux & rivières humaines (CNERH) appelle les parlementaires à apaiser la situation et à mettre fin au désordre permanent autour des questions de continuité écologique. La loi doit indiquer clairement que le rôle de l'administration est d'accompagner la modernisation des ouvrages hydrauliques au service de l'économie et de l'écologie. Pas de faire pression financière ou réglementaire pour leur destruction au nom d'une idéologie de la rivière sauvage et de l'humain chassé de la nature. 




Le 15 février 2021, examinant la plainte déposée par les syndicats et fédérations de moulins, riverains, étangs, hydro-électriciens, le conseil d’Etat a annulé de décret du 3 août 2019 qui donnait une définition abusive de l’obstacle à la continuité écologique. C’était, encore, un excès de pouvoir de l’administration dans l’interprétation de la loi sur l’eau de 2006.

Plusieurs autres contentieux ont été gagnés depuis 5 ans par les défenseurs du patrimoine hydraulique français et par les producteurs d’énergie hydraulique décarbonée. Deux autres demandes d’annulation visant des textes ministériels sur la continuité écologique sont déjà en cours d’examen au conseil d’Etat, contre la création abusive de régime à deux vitesses de rivières, non prévu dans la loi de 2006 (circulaire du 30 avril 2019) et contre l’incitation à détruire moulins ou étangs sur simple déclaration sans étude d’impact (décret du 30 juin 2020). 

L’administration du ministère de l’écologie a prétendu qu’elle menait une « politique apaisée » de continuité écologique. Ce n’est manifestement pas le cas. Ce contentieux perdu par elle en est la preuve.

Depuis 10 ans, des milliers de sites de moulins, d’étangs, de plans d’eau et de centrales hydro-électriques ont été détruits, et asséchés. Cela continue aujourd’hui. C’est une perte de ressource en eau, de biotopes aquatiques et humides, de production d’énergie propre, de mémoire culturelle et sociale.

Soucieuse de participer au débat démocratique, la CNERH a indiqué plusieurs évolutions possibles de la loi Climat et résilience qui doit être examinée à compter du 8 mars 2021. La CNERH demande solennellement aux parlementaires de voter 
• une protection forte du patrimoine hydraulique français, héritage culturel et paysager auquel sont attachés des millions de riverains, 
• une protection forte de tous les milieux en eau, incluant expressément ceux créés par les humains, face au péril climatique et à la perte de biodiversité,
• une incitation forte à équiper en hydro-électricité les ouvrages qui peuvent l’être, afin de tenir nos engagements de transition bas-carbone.

Moulins, étangs, plans d’eau, entreprises hydro-électriques sont prêts à participer à l’effort national pour que la France respecte les obligations de la directive européenne sur l’eau de 2000, atteigne l’objectif de réduction de 55% d’émission CO2 en 2030 par rapport à 1990, réussisse sa stratégie nationale de biodiversité.

23/02/2021

Sur la Risle, on cadenasse les vannes des moulins

La préfecture de l'Orne a pris un arrêté contesté obligeant les ouvrages hydrauliques de la Risle à tenir toutes leurs vannes ouvertes, même hors période de crue. Ce qui a pour effet de vider biefs et retenues. Non seulement l'administration n'écoute pas les objections de l'association locale, mais des propriétaires ont eu la mauvaise surprise de découvrir que des cadenas ont été posés sur certaines vannes, pour empêcher toute action. Nous n'aurons jamais une continuité apaisée si les services de l'Etat et des syndicats de rivière persistent à harceler les ouvrages hydrauliques et à refuser de mettre les moyens pour un traitement au cas par cas de chaque ouvrage.


Le 13 novembre 2020, la préfecture de l'Orne a pris un arrêté exigeant d'ouvrir jusqu'à fin mars toutes les vannes des ouvrages hydrauliques sur la Risle. La motivation était un risque d'inondation, mais aussi de manière sous-jacente la restauration de continuité écologique. Or, ouvrir en permanence les vannes des ouvrages a pour effet hors crue de vider les biefs et les retenues. De plus, c'est contraire au respect de la consistance légale autorisée de chaque ouvrage, il faudrait une justification au cas par cas d'un risque inondation. Enfin, la succession des retenues et des biefs a pour effet de "tamponner" les crues de l'amont vers l'aval, au lieu que l'eau file à toute vitesse et augmente les risques en zone aval. D'ailleurs, il est aujourd'hui admis que des débordements latéraux sont bénéfiques pour la gestion de crue, la rétention d'eau et la biodiversité, si bien sûr ils n'affectent pas des tiers.

L'association les Amis des moulin 61, présidée par André Quiblier, a déposé un recours gracieux contre cette mesure jugée excessive de la préfecture de l'Orne. 

Voici un extrait des argument de l'association : 
"Il n’est pas de notre volonté de contester que  des mesures exceptionnelles s’imposent lors des crues de la rivière Risle mais nous insistons sur le fait qu’au-delà même de la violation des règlements d’eau existants et du droit d’usage attaché à la propriété de ces moulins, cet arrêté a pour conséquence de bouleverser le régime des eaux de la Risle tel qu’il existe  depuis des siècles, avec deux conséquences majeures :  accélération de la vitesse d’écoulement des eaux et abaissement des lignes d’eau. 
Ces effets ont pour conséquence : 
- d’exonder de nombreuses berges en amont des ouvrages et de provoquer  des processus d’érosion sur ces linéaires qui en étaient dépourvus autrefois entraînant chute d’arbres, effondrement de berge, entraînement des terres arables, déchaussement d’ouvrages d’art dont les moulins eux-mêmes,
- d’assécher des zones humides de bordure, plan d’eau ou étangs dont l’existence repose sur la permanence des niveaux d’eau existants, 
- de réduire la capacité de la rivière à recharger les nappes phréatiques d’accompagnement en période hivernale, 
- de détruire d’importants faciès d’écoulement lentiques abritant une faune et une flore spécifiques  alors que la loi impose de « préserver ces mêmes milieux » et non de les bouleverser,
- d’aggraver le régime de crue à l’aval, puisque l’eau moins retenue arrive à la fois plus vite et en plus grand volume vers ces zones aval du bassin.
Ces effets,  en cascade,  sont  tous absolument contraires aux différents enjeux légaux établis par l’article L211-1 du Code de l’environnement."

Non seulement les services du préfet n'ont pas donné suite à ce recours gracieux en retirant l'arrêté litigieux, mais certains propriétaires d'ouvrages sur la Risle ont eu la désagréable surprise de constater que des cadenas ont été posés sans aucune autorisation sur les mécanismes des vannes de certains moulins, afin d'empêcher leur gestion! L'affaire est en cours d'examen par l'association pour vérifier qui a pris cette initiative et quelles suites judiciaires peuvent être données le cas échéant. 

La continuité n'est toujours pas "apaisée": les préfectures persistent à harceler les ouvrages avec des a priori négatifs, à tenir des discours contradictoires sur la gestion des crues et des zones humides latérales (dont font partie les biefs), à chercher des solutions simplistes,  à refuser de mettre le personnel et les moyens financiers pour traiter dignement et efficacement la continuité écologique de chaque ouvrage au cas par cas. 

Nous demandons aux parlementaires de constater ces troubles publics persistants et de les faire cesser en assurant une protection des ouvrages et de leurs milieux dans la loi

20/02/2021

"La protection de la biodiversité ne peut plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles", Christian Lévêque

Dans une note très stimulante publiée par la Fondation pour l'innovation politique (Fondapol), l'écologue et hydrobiologiste Christian Lévêque suggère aux décideurs de repenser les orientations des politiques de biodiversité au regard notamment de l'évolution des connaissances en sciences naturelles et en sciences sociales. Le droit de l'environnement a été conçu sur le paradigme ancien d'une nature séparée de l'Homme, une nature qu'il faudrait protéger en accentuant cette séparation et en faisant des aires sauvages coupées de tout. Mais les progrès de la science et notamment de l'écologie montrent qu'il est en fait impossible de séparer l'humain du non-humain, d'isoler la nature de la société et de l'histoire. Le droit de l'environnement et en particulier de la biodiversité, fondé en France sur un idéal jacobin de normes homogènes de naturalité imposées par l'Etat central, doit donc évoluer. Et les métriques de la biodiversité doivent intégrer la réalité des évolutions du vivant sous l'influence humaine, pas uniquement les extinctions et risques d'extinction, mais aussi les transformations non réversibles et la création de nouveaux écosystèmes issus de l'histoire multimillénaire de notre espèce. 



Extraits de la note de Christian Lévêque

"En 2014, le chercheur Jacques Tassin faisait le constat suivant : «On traîne une vision obsolète de la nature, aujourd’hui décalée avec la réalité de notre monde et de notre savoir. Même si la science révèle toujours davantage qu’il n’y a ni équilibre ni ordre dans la nature, que le hasard y joue à plein et que tout n’y est que perpétuel changement, rien n’y fait. On en reste toujours attaché à cette idée, héritée du romantisme allemand, d’une nature fonctionnant comme un Tout, à l’image d’un organisme vivant dont il nous reviendrait de préserver l’intégrité et la santé

Des situations hétérogènes
C’est un fait que les activités humaines ont une influence sur la biodiversité, au même titre que les feux de forêt, les tsunamis, les sécheresses, les éruptions volcaniques ou les alternances de périodes climatiques telles que l’Europe les a vécues. Il est tout aussi exact que, selon des critères éthiques, certaines activités conduisent à la destruction d’un héritage de l’évolution et qu’il est nécessaire d’y prêter attention. Mais la question de la protection de la biodiversité se pose différemment selon les régions du monde, lesquelles n’ont pas la même histoire climatique et évolutive et qui en sont à des degrés d’anthropisation très différents. À ce titre, la biodiversité européenne, qui a connu plusieurs cycles de glaciation et une forte emprise des civilisations agricoles depuis des millénaires, n’est pas comparable à celle de la forêt de Bornéo ni à celle de la forêt amazonienne. Tenir des discours globalisants et généraux sur l’érosion de la biodiversité et sa protection n’est donc pas correct. Même en France, les problèmes ne sont pas comparables entre la Bretagne et la Corse ou entre la Guyane et la Réunion. Ces situations conjoncturelles nécessitent d’envisager des politiques adaptées aux contextes régionaux. Par analogie avec la génétique, chaque région a son «empreinte écologique» dont il faut tenir compte.

Anticiper les réponses à apporter par une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux
Nous vivons dans un pays où la nature que nous aimons est une nature anthropisée. Comme l’analysait déjà fort bien Serge Moscovici en 1972, nous sommes passés «d’une nature qui nous a faits à une nature que nous faisons». La question est alors de savoir comment gérer cette nature anthropisée dans un contexte de changement global, où les usages des ressources et des systèmes écologiques se modifient, où le climat se réchauffe, où les espèces voyagent, où nos sociétés occidentales accordent plus d’importance qu’autrefois à leur cadre de vie et à la protection de la nature, etc. Pour compliquer les choses, nous savons que les nombreux aléas associés à ces facteurs de forçage 52 rendent toute prévision bien difficile.
Que vont devenir nos bocages si nous mangeons moins de viande et si l’élevage périclite ? Si la forêt regagne du terrain et que l’urbanisation grignote nos territoires, que deviendront les espèces de milieu ouvert ? Si, comme l’envisagent certaines études, la pluviométrie diminue sur une grande partie de l’Hexagone alors que l’évapotranspiration augmente en raison de l’élévation de la température, que vont devenir les zones humides dont la protection est devenue un enjeu national et qui sont particulièrement sensibles aux bilans hydriques ? Va-t-on laisser faire la nature ? Ou allons-nous essayer de les maintenir en eau ? Et, dans ce cas, comment procéder ? De même, on peut probablement anticiper le fait que certains de nos cours d’eau vont devenir intermittents, comme c’est le cas actuellement pour certains cours d’eau d’Europe du Sud.
Nombre de projets pèchent par un manque d’anticipation. Les réponses nécessitent une diversité d’approches adaptées aux contextes écologiques locaux et aux diverses attentes de la société. Il faut adopter une démarche qui fasse appel à l’intelligence collective et se garder d’un certain jacobinisme qui est de mise actuellement. Comme l’écrit Sylvie Brunel : «Pour construire des solutions durables, il faut changer de regard. Ne pas accabler, mais proposer. Ne pas dresser d’intolérables constats en blâmant des boucs émissaires tous trouvés, mais puiser dans la géographie des éléments de comparaison et d’analyse qui permettent de trouver les bonnes solutions.»

Les aires protégées ne sont pas la solution universelle
La gestion doit être tournée vers l’avenir et non pas vers le passé, avec la réelle difficulté de se donner des objectifs réalistes. Le futur est à construire, mais sur quelles bases ? La biodiversité est loin d’être un simple objet naturaliste. La gestion de la biodiversité doit alors prendre en compte de nombreux critères, notamment des critères culturels et émotionnels, voire passionnels ou mystiques.
Si l’on s’inscrit dans une perspective écocentrée de protection de la biodiversité, considérée essentiellement comme un objet naturaliste, alors il faudrait créer de plus en plus de zones protégées dans lesquelles l’homme serait exclu et laisser, selon l’expression consacrée, la nature «reprendre ses droits». C’est ce que certains suggèrent sous l’appellation de «naturalité» (wilderness), expression qui valorise la nature spontanée, indépendante des activités humaines. C’est une option clairement affichée par certaines ONG qui réclament de plus en plus de mesures protectionnistes. C’est aussi celle que reprend à son compte le One Planet Summit, qui affiche dans sa feuille de route vouloir transformer 30% des terres en espaces protégés.
Le principe des aires protégées peut faire partie d’une gestion d’ensemble de la biodiversité. Ainsi, les aires protégées marines ont fait preuve de leur efficacité dans la gestion de la biodiversité et des ressources marines et des aires protégées terrestres peuvent se justifier pour protéger des espèces endémiques. Mais il est difficile de penser qu’on puisse en faire une politique généralisée. L’une des raisons, notamment en milieu terrestre, tient aux changements susceptibles d’intervenir avec le réchauffement climatique. Ainsi, avec une remontée du niveau marin d’un mètre, la moitié de la réserve naturelle de l’estuaire de la Seine serait sous les eaux, et elle disparaîtrait totalement si le niveau marin remontait de deux mètres.
Quant aux zones humides, ce sont des milieux labiles sensibles aux modifications de la pluviométrie qui peuvent rapidement disparaître si la sécheresse devient chronique dans certaines régions. Sans compter que les changements de température entraînent des modifications dans l’aire de répartition des espèces.
L'extension des surfaces protégées ne va pas sans poser des problèmes sociaux, trop souvent passés sous silence. Car il faut alors résoudre l’équation suivante : comment augmenter la surface des aires protégées dans des pays où la croissance démographique est forte et où la demande en espaces agricoles s’accroît en proportion ? Que faire alors des populations humaines qui ne peuvent pas être considérées comme un simple facteur d’ajustement et qui vont se concentrer dans des zones de plus en plus restreintes ? Les politiques de mise en place des parcs nationaux africains donnent à réfléchir. On peut, de manière incantatoire, regretter la croissance démographique, mais elle existe et on ne sait pas la gérer. La Chine et l’Inde s’y sont essayées, avec un succès pour le moins mitigé.
En revanche, si l’on s’inscrit dans la perspective de développement durable, de bien-être humain ou, plus précisément, d’une coconstruction à avantages réciproques pour l’humanité et la biodiversité, alors il faut nécessairement rechercher des compromis. Dans ce cadre, différentes pistes sont possibles. Par exemple, le choix de privilégier l’échelle territoriale avec le souci d’adapter les actions à mener au contexte local semble préférable à des politiques centralisées et normatives qui gomment les spécificités. Il faut pour cela accepter que les objectifs et les priorités puissent différer selon les territoires, ce qui implique une décentralisation des politiques environnementales.

Pour un droit de l’environnement flexible et réactif
Dans ce contexte, la voie qui semble s’imposer est celle d’une gestion adaptative, c’est-à-dire apprendre en faisant, agir en utilisant les informations de nature scientifique mais aussi les connaissances empiriques et les expériences accumulées. C’est l’antithèse de la gestion jacobine et normative telle que nous la pratiquons le plus souvent.
Il n’en reste pas moins que si l’on se fixe des objectifs, il faut aussi accepter de modifier le cap selon les circonstances. Et il faudrait pour cela une législation flexible et réactive. Or le droit de l’environnement actuel s’applique difficilement à des situations évolutives par essence.
La nature se voit protégée mais contrainte à demeurer en l’état car on n’a pas imaginé qu’elle pouvait changer spontanément. En l’absence de réflexion sur les futurs possibles, cela conduit inéluctablement à bloquer de nombreux projets de développement sur la base de principes périmés. Or nombre de sites d’intérêt pour la conservation de la nature et labellisés en tant que tels sont des sites anthropisés, à l’exemple de ces «nouveaux écosystèmes» que sont la Camargue, la forêt des Landes ou le lac du Der- Chantecoq cités dans notre étude.
La protection de la biodiversité ne peut donc plus faire abstraction des dimensions économiques, sociales et culturelles, et de leur intégration dans les politiques d’aménagement du territoire, de développement économique et de cadre de vie des habitants. Autrement dit, la gestion de la biodiversité n’est pas seulement l’apanage de spécialistes des sciences de la nature ou de mouvements militants, elle concerne aussi l’ensemble des citoyens quant aux décisions à prendre à l’échelle territoriale, compte tenu des autres enjeux qui en découlent. Il faut gérer la nature ou la «piloter» en fonction d’objectifs que nous aurons définis, sur des bases concrètes et pragmatiques, et non pas sur des bases théoriques, voire idéologiques. Il faut ici prendre garde à ne pas tomber dans l’illusion du «se réconcilier» avec la nature : celle-ci ne cherche pas à négocier car elle fonctionne sans but préconçu. Laisser la nature reprendre ses droits, c’est en réalité se mettre à sa merci.
Pour sensibiliser les citoyens à la protection de la biodiversité, nous avons besoin d’objectifs réalistes et concrets, ainsi que d’une vision plus positive de nos rapports à la nature. Sans pour autant éluder le fait que nous exerçons des pressions jugées négatives sur la nature, il serait bon de mieux valoriser les situations qui nous paraissent exemplaires et qui pourraient servir de références dans nos projets de gestion et de restauration, en l’absence d’une hypothétique référence que l’on ne peut pas définir objectivement. Nous devrions aussi, pour définir des politiques, nous appuyer sur les faits, non pas sur des croyances. En d’autres termes, «il ne s’agit pas de privilégier la nature au détriment de l’homme, mais de travailler de façon à rendre compatibles usages et préservation des écosystèmes».

Source : Lévêque C (2021), Reconquérir la biodiversité, mais laquelle?, février 2021, Fondapol,  64 pages.

17/02/2021

Le conseil d'Etat vient de prononcer l'illégalité d'une approche radicale et hors-sol de l'écologie des rivières

En censurant le gouvernement sur la continuité écologique, le conseil d'Etat va plus loin qu'une simple décision technique. La plus haute autorité administrative rappelle au ministère de l'écologie et à son administration que la loi sur l'eau de 2006 n'a jamais validé l'idée d'une rivière rendue sauvage par destruction ou interdiction des ouvrages hydrauliques. Au-delà du décret de 2019, c'est donc une vision punitive et radicale de l'écologie qui vient d'être censurée. Les politiques doivent reprendre ce dossier en main pour définir une écologie de conciliation, adaptée aux différents enjeux de la rivière, posant la hiérarchie des actions publiques. Et c'est urgent : la France qui détruit ses moulins et assèche ses étangs ne respecte ni la directive européenne sur l'eau, ni les objectifs européens sur le climat et l'énergie...


Si l'on ramène à sa plus simple expression la décision du conseil d'Etat le 15 février 2021, que dit-elle ?

Même dans les rivières à plus forte protection de la fonction de continuité écologique (liste 1), nous pouvons construire des barrages. A fortiori, nous pouvons restaurer un ouvrage ancien existant. A fortiori encore, nous pouvons faire tout cela dans des rivières moins réglementées.

Cela ne signifie pas construire ou restaurer n'importe comment, mais en respectant des dispositions qui permettent à des poissons migrateurs de circuler, et en veillant à ce que l'activité sédimentaire de l'amont vers l'aval soit suffisante.

La décision du conseil d'Etat n'est pas seulement la censure du gouvernement pour excès de pouvoir sur un point technique : c'est un rappel sévère et sec de l'esprit et de la lettre de la loi sur l'eau de 2006.
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui "gèlerait" l'état des rivières du pays pour en faire une nature inviolable. 
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui exigerait le retour de la rivière sauvage sans humain comme objectif.
  • Jamais les députés et sénateurs n'ont voté une loi qui donnerait un blanc-seing à la destruction des moulins, des forges, des étangs, des barrages et du patrimoine hydraulique du pays.
Une chose est mal perçue par le public et par de nombreux élus : la rivière a été, depuis 10 ans, le terrain discret du développement de discours et de choix écologiques radicaux, allant bien au-delà de la loi, choix au terme desquels nous pourrions et devrions revenir à un état antérieur de la nature en effaçant toute présence humaine. Un tel discours n'est pas tenu pour d'autres milieux, où l'on prend soin de concilier la biodiversité ou la fonctionnalité écologique avec les usages humains. Si des zones sont hyper-protégées et livrées à la seule vie sauvage, c'est dans certains coeurs de parcs nationaux qui ne sont quasiment pas peuplés et qui ont été assez peu transformés depuis la déprise rurale du 19e siècle. Mais ce n'est certainement pas un choix routinier, comme on a essayé de l'imposer sur des dizaines de milliers de kilomètres de rivière. Et ce n'est certainement pas un choix qui autorise à démolir le patrimoine en place.

Les ouvrages hydrauliques ont concentré cette charge symbolique, victime expiatoire des partisans de la "renaturation" brutale : la pelleteuse qui détruit ces bâtis souvent centenaires, voire millénaires est censée incarner le triomphe du retour de la nature par exclusion de l'humain. 

Cette vision-là, partagée dans sa radicalité par certains administratifs et par des ONG, a échoué socialement, politiquement et juridiquement. Elle est aussi une impasse intellectuelle. Il faut donc revenir à une autre écologie de la rivière

C'est d'autant plus nécessaire que pendant la casse des moulins, étangs et barrages, la France échoue largement à tenir les objectifs de la directive cadre européenne sur l'eau comme elle échoue à tenir les objectifs climatiques de l'Accord de Paris

15/02/2021

Le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique, nouvelle déroute de l'administration

L'association Hydrauxois et ses consoeurs - FFAM, FDMF, FHE, EAF, ARF, Union des étangs de France - viennent de remporter une victoire juridique décisive contre la direction eau et biodiversité (DEB) du ministère de l'écologie: le conseil d'Etat annule la redéfinition de l'obstacle à la continuité écologique imposée par le décret du 3 août 2019. Au terme de cette manoeuvre de la DEB, tout devenait un obstacle à la continuité écologique, il était impossible de construire un barrage ou de réparer une chaussée de moulin ou d'étang sur une rivière classée au titre de la continuité écologique. Mais ce décret des hauts fonctionnaires de l'écologie était entaché d'illégalité et se trouve annulé : le conseil d'Etat exige d'examiner les ouvrages au cas par cas et refuse de les interdire a priori (même en liste 1) s'ils sont conformes à la circulation des poissons et sédiments. Dans le même arrêt, le conseil d'Etat déboute la fédération de pêche FNPF et France Nature Environnement de leur requête contre la prise en compte des rivières à débits atypiques. Explications.

Par décret du 3 août 2019, le ministère de la Transition écologique et solidaire avait entrepris de redéfinir l'obstacle à la continuité écologique de manière très extensive. Nous avions souligné dès sa parution le caractère grotesque de cette nouvelle définition, faisant qu'un barrage naturel d'embâcles ou de castors deviendrait un problème selon cet excès manifeste de pouvoir venant de la haute administration. Plus concrètement, ce décret visait à empêcher la construction d'une centrale hydro-électrique, même si le barrage est conçu pour laisser circuler des poissons et des sédiments. Pareillement, il devenait impossible de restaurer une chaussée de moulin ou d'étang qui aurait été ébréchée jadis. Plusieurs propriétaires (dont un membre de l'association Hydrauxois) se sont déjà vus opposer le nouvel article R 214-109 code environnement issu de ce décret de 2019, cela afin d'interdire leurs projets de relance de sites.

Le conseil d'Etat vient d'annuler le décret du ministère de l'écologie, qui était bel et bien un excès de pouvoir. Un de plus.

La motivation avancée par le conseil d'Etat est simple :

"En interdisant, de manière générale, la réalisation, sur les cours d’eau classés au titre du 1° du I de l’article L. 214-17, de tout seuil ou barrage en lit mineur de cours d’eau atteignant ou dépassant le seuil d’autorisation du 2° de la rubrique 3.1.1.0 de la nomenclature annexée à l’article R. 214-1, alors que la loi prévoit que l’interdiction de nouveaux ouvrages s’applique uniquement si, au terme d’une appréciation au cas par cas, ces ouvrages constituent un obstacle à la continuité écologique, l’article 1er du décret attaqué méconnaît les dispositions législatives applicables."

Cela signifie donc que la continuité écologique telle que définie par la loi, en particulier par l'article L 214-17 CE, renvoie à des propriétés fonctionnelles précises (sur les poissons, les sédiments) qui s'apprécient au cas par cas, mais non à un interdit de principe.

C'est une défaite juridique notable pour les tenants de la "rivière sauvage" essayant depuis des années de surinterpréter la loi sur l'eau de 2006 et de diaboliser l'existence même de l'ouvrage hydraulique humain, vu comme un problème en soi.

Nous reviendrons dans un prochain message sur la signification politique de cette décision du conseil d'Etat, alors que les parlementaires examinent la loi Climat et résilience devant comporter des mesures sur les hydrosystèmes et sur les énergies renouvelables. 

D'ores et déjà : un grand merci aux adhérents et aux soutiens de notre association, qui nous aident par leurs cotisations à mener ce travail de protection des ouvrages hydrauliques et de promotion d'une écologie raisonnée des cours d'eau. Deux autres contentieux sont en cours d'examen au conseil d'Etat, contre le décret scélérat du 30 juin 2020 autorisant la destruction d'ouvrages et de milieux sur simple déclaration, contre la circulaire du 30 avril 2019 de continuité dite "apaisée" créant un régime à nos yeux illégal de rivière prioritaire. 

Le combat continue !

Voici les premières explications de Me Jean-François Remy, avocat de l'association.

"Par décision rendue ce jour sur une requête introduite par mon Cabinet pour le compte notamment de France Hydro Electricité, de la Fédération Française des Associations de Sauvegarde des Moulins – FFAM, de la Fédération des Moulins des France – FDMF, de l’Association des Riverains de France – ARF et d’Hydrauxois, le Conseil d’Etat vient d’annuler l’article 1er du décret ministériel du 3 août 2019, qui avait durci la définition de l’obstacle à la continuité écologique prévue à l’article R 214-109 du Code de l’environnement.

Pour mémoire, à compter de la date d’entrée en vigueur de ce décret porté par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité/Ministère de la Transition Ecologique et Solidaire, étaient notamment considérés comme un obstacle à la continuité écologique, dont la construction est interdite sur un cours d’eau classée en Liste 1 au titre de l’article L 214-17 du Code de l’environnement :

- Tout ouvrage en lit mineur d’un cours d’eau d’une hauteur supérieure à 50 cm, qu’il barre ou non l’ensemble de la largeur du cours d’eau, à la seule exception des ouvrages à construire pour la sécurisation des terrains de montagne pour lesquels il n’existe pas d’alternative,

- Tout ouvrage de prise d’eau ne restituant à l’aval que le débit réservé ou débit minimum biologique une majeure partie de l’année,

- Toute remise en état d’un barrage de prise d’eau fondé en titre notamment, dont l’état actuel pouvait être considéré comme ne faisant plus obstacle à la continuité écologique.

Ce décret condamnait une part majeure du potentiel de développement de l’énergie hydraulique en sites nouveaux et en rénovation sur des sites existants, dont une grande part est située sur les cours d’eau classés en Liste 1, et par ailleurs condamnait un nombre conséquent de moulins anciens à une démolition « naturelle » et inéluctable de leurs ouvrages dont la remise en état était interdite.

Conformément à ce que nous avions soutenu en requête, le Conseil d’Etat a notamment retenu que le Gouvernement ne pouvait valablement considérer :

- Qu’un ouvrage en lit mineur présentant une hauteur de 50 cm au moins est nécessairement un obstacle à la continuité écologique au sens de l’article L 214-17 du Code de l’environnement.

Rappelant ses décisions adoptées au titre des deux précédentes tentatives de définition restrictive de la continuité écologique réalisées par circulaires ministérielles partiellement annulées de 2010 et 2013, le Conseil d’Etat confirme qu’un tel critère absolu ne peut légalement être retenu, la loi ainsi que les débats parlementaires prévoyant que le critère d’obstacle à la continuité écologique doit être apprécié au cas par cas.

A ce titre, la méconnaissance par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité de la loi, de la volonté du législateur et enfin de la jurisprudence du Conseil d’Etat est santionnée.

- Que la restitution à l’aval d’un ouvrage de prise d’eau du seul débit réservé ou débit minimum biologique serait nécessairement un obstacle à la continuité écologique, dans la mesure où – précisément – le débit minimum biologique prévu à l’article L 214-18 du Code de l’environnement a pour objet de permettre de garantir la vie, la circulation et la reproduction du poisson.

A ce titre, la méconnaissance de la loi par la Direction de l’Eau et de la Biodiversité est également sanctionnée.

L’ensemble de ces dispositions étant liées, le Conseil d’Etat annule dans le même temps le II. de l’article R 214-109 du Code de l’environnement qui concernait la remise en état des barrage de prise d’eau fondés en titre.

Cette décision, qui est sans recours, est d’application immédiate.

Dans ces conditions :

- Les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement modifiées par le décret du 3 août 2019 cessent de produire effet à compter de ce jour.

- Toute décision administrative fondée sur les dispositions de l’article R 214-109 du Code de l’environnement en vigueur depuis le 3 août 2019 et jusqu’à ce jour est entachée d’illégalité, son annulation pouvant être sollicitée devant le juge administratif si le délai de contestation court toujours ou encore si un recours a déjà été engagé.

Dans les autres cas (délai de recours dépassé ou recours déjà jugé définitivement), il est possible de saisir le Préfet d’une demande de retrait de la décision qui serait fondée sur ces dispositions  au visa de l’article L 243-2 du Code des relations entre le public et l’administration.

- Il est à nouveau possible de déposer une demande d’autorisation environnementale pour la création et/ou la modification d’un ouvrage hydraulique sur un cours d’eau classé en Liste 1, sous réserve que le projet ne soit pas de nature à constituer un obstacle à la continuité écologique, cette existence d’un obstacle à la continuité écologique devant à nouveau donner lieu à une appréciation au cas par cas.

Pour conclure, il est précisé que le recours formé par la Fédération Nationale de Pêche ainsi que France Nature Environnement, qui visait l’article 2 du décret (création d’un nouveau cas de cours d’eau atypique pour les cours d’eau de type méditerranéens) est quant à lui rejeté." 

Référence : Conseil d'Etat, arrêt nos 435026, 435036, 435060, 435182, 438369, décision du 15 février 2021

Dans la Vienne, l'argent public sert à assécher les étangs et plans d'eau

Pour satisfaire le dogme de la continuité écologique, l'Établissement public territorial du bassin de la Vienne verse des subventions publiques aux propriétaires volontaires pour supprimer leurs étangs. Pourtant, la littérature scientifique montre que les réseaux de plans d'eau sont favorables à la biodiversité et rendent des dizaines de services écosystémiques. Pourquoi la gestion de l'eau et du vivant est-elle obsédée par la question de la continuité et du retour de l'écoulement rapide? Est-ce une démarche scientifique, un choix d'intérêt général, une mode intellectuelle ou une requête de certains lobbies? N'avons-nous pas mieux à faire de l'argent du contribuable qu'assécher des milieux aquatiques à l'heure du changement climatique, de la transition énergétique et de la nécessité de développer des circuits-courts en économie?


On dénombre 24.500 étangs sur le périmètre du bassin de la Vienne, dont 4.900 dans le département de la Vienne. L'EPTB Vienne propose, à partir de ce mois de février 2021, d'apporter une aide financière de 1.000 à 2.000 € aux propriétaires d'étangs de plus de 500 m2, souhaitant supprimer leur plan d'eau (voir cet article, voir la plaquette de l'EPTB).

Les citoyens l'ignorent souvent, mais cette stratégie d'assèchement des étangs et plans d'eau est une vieille obsession de la puissance publique en France. Voici plusieurs siècles, on nommait "dessicateurs" ceux qui souhaitaient voir disparaître marais et étangs, des zones humides suspectées d'être improductives et malsaines (voir Abad 2006Morera 2011, Derex 2017). On estime que 80 à 90% des zones humides naturelles ont ainsi été asséchées par des drainages et canalisations au fil des derniers siècles, avec le soutien de l'Etat ou de pouvoirs publics locaux. Les zones humides artificielles des étangs et plans d'eau créés par les humains vont-elles connaître à leur tour ce triste destin? Que restera-t-il comme milieu en eau sur les bassins si nous en éliminons les retenues, canaux et diversions? Quand la rivière exutoire "sans obstacle" se dépêchera d'emporter l'eau vers l'aval, sans que chaque bassin profite pleinement de cette eau, aurons-nous une meilleure situation pour la société et pour le vivant? 

Le problème, c'est qu'il existe désormais une littérature scientifique de plus en plus abondante démontrant que les plans d'eau, étangs et lacs peu profonds ont des effets positifs sur la biodiversité, sur la préservation de la ressource, sur l'épuration et de manière générale sur les services écosystémiques rendus à la société. Nous publions ci-dessous quelques exemples de publication de recherche de ces dix dernières années. 

La question est donc la suivante : l'EPTB de la Vienne a-t-il procédé à une étude scientifique sérieuse de ces milieux aquatiques avant de dépenser l'argent public à les détruire? A-t-on comparé sur le terrain la rétention d'eau d'un plan d'eau et de la même zone sans plan d'eau en situation de sécheresse météorologique? A-t-on mesuré la densité, la biomasse et la diversité locale (alpha), de bassin (bêta) et régionale (gamma) des végétaux, des insectes, des mammifères, des oiseaux, des amphibiens attachés aux plans d'eau, et pas seulement de certains poissons d'eau vive? 

La recherche affirme que les réseaux de plans d'eau ont aussi de nombreux effets bénéfiques pour le vivant et la société

Les lacs et plans d'eau peu profonds rendent jusqu'à 39 services écosystémiques à la société (Janssen et al 2020)
Une recherche passant en revue la littérature scientifique montre que les plans d'eau peu profonds (lacs, étangs) peuvent rendre jusqu'à 39 services écosystémiques différents aux riverains, incluant la protection de biodiversité, l'épuration de l'eau, la régulation des débits ou les loisirs. Ces services écosystémiques varient selon les différents états stables que peuvent prendre ces plans d'eau dans leur cycle de vie, en particulier leur niveau trophique (charge en nutriments). Même des milieux eutrophes conservent des intérêts environnementaux. "Les services écosystémiques des lacs peu profonds que nous avons identifiés pourraient être liés à 10 objectifs du développement durable (ODD) différents, notamment la faim zéro (ODD 2), l'eau propre et l'assainissement (ODD 6), les villes et communautés durables (ODD 11) et l'action climatique (ODD13)".

Les réservoirs d'eau alpins, milieux artificiels aidant à conserver la biodiversité (Fait et al 2020)
Une équipe scientifique suisse montre que les réservoirs artificiels d'eau dans les montagnes alpines servent aussi de refuge à la biodiversité, en l'occurrence celle des libellules et des coléoptères aquatiques. Le changement climatique peut rendre ces équipements précieux pour le vivant. Loin d'opposer le naturel à l'artificiel, ces chercheurs soulignent que nous devons plutôt réfléchir à des règles de gestion écologique de plans d'eau d'origine humaine. "Ces plans d'eau peuvent être encore améliorés par certaines mesures respectueuses de la nature pour maximiser les avantages pour la biodiversité, notamment la revégétalisation des marges ou la création d'étangs adjacents. L'ingénierie écologique doit être innovante et promouvoir la biodiversité d'eau douce dans les réservoirs artificiels."

La valeur écologique des petits plans d'eau doit être reconnue et préservée (Bolpagni et al 2019)
Etangs, lacs, plans d'eau, canaux, tourbières, mares, marais... de nombreux petits systèmes d'eau lentiques et stagnants sont présents dans les bassins versants, nourris tantôt par les pluies, les nappes ou les cours d'eau. Ils attirent moins l'attention que les rivières et grands lacs : pourtant, leur apport en écologie est essentiel, notamment dans les bassins versants impactés par l'agriculture ou l'urbanisation. Ce passage en revue de la littérature scientifique récente (2004-2018) souligne le rôle de ces petits plans d'eau dans la biodiversité, l'épuration des polluants, le refuge face au changement climatique. Les chercheurs appellent à une évolution de la directive-cadre européenne sur l'eau pour intégrer cette réalité dans la gestion publique. "Il est maintenant généralement admis que l’échelle du bassin versant est l’échelle spatiale (unique) appropriée de l’intervention de restauration lorsqu’un rétablissement durable d’un écosystème dégradé est visé. À cette échelle, les petits plans d'eau apparaissent comme l'un des composants les plus importants de la régulation de l'équilibre de l'eau et des flux de matières, en particulier des cycles du carbone et des éléments nutritifs, ainsi que du contrôle des pesticides et des polluants par purification biologique".

Une zone humide naturelle évapore davantage qu'un étang, contrairement aux idées reçues (Al Domany et al 2020)
Cette étude de quatre chercheurs de l'université d'Orléans sur un site à étang artificiel et zone humide naturelle du Limousin montre que le bilan hydrique d'un étang en terme d'évaporation est meilleur que celui de la zone humide. Les scientifiques soulignent que leur observation va à l'encontre des discours tenus par certains gestionnaires publics de l'eau, qui militent aujourd'hui pour la destruction des retenues et canaux au nom de la continuité écologique, de la renaturation ou du changement climatique. "En termes de politique française de l’eau et d’aménagement du territoire limousin, la préconisation d’effacer les étangs en arguant de leurs effets supposément négatifs dont la diminution de la ressource en eau mérite donc d’être fortement nuancée et de s’appuyer sur plus de données scientifiques rigoureuses."

Plans d'eau et canaux contribuent fortement à la biodiversité végétale (Bubíková et Hrivnák 2018)
A partir de 100 points de mesure dans un bassin versant, concernant des milieux aquatiques naturels aussi bien qu'artificiels, deux chercheurs slovaques montrent que les plans d'eau et canaux hébergent une forte biodiversité végétale. "Le nombre le plus élevé d'espèces au niveau local et régional a été trouvé dans les plans d'eau et les canaux. Les petits cours d'eau sont les habitats ayant la plus faible diversité locale et régionale, et le plus petit nombre d'espèces uniques ou sur la liste rouge (..) aucune des mesures de diversité utilisées n'a montré de différence statistiquement significative entre les types d'habitats. Ainsi, nous pouvons affirmer que tous les types de plans d'eau contribuent à la diversité des macrophytes à un degré comparable à l'échelle générale dans le paysage d'Europe centrale."

Mares, étangs et plans d'eau doivent être intégrés dans la gestion des bassins hydrographiques (Hill et al 2018)
Une équipe de 11 chercheurs appelle à une prise en compte urgente des mares, étangs et petits plans d'eau dans la politique des milieux aquatiques. Au cours des années 2000, la recherche a montré que ces milieux, souvent moins présents à l'esprit des gestionnaires et décideurs que les rivières et les lacs, abritent pourtant une biodiversité plus importante par unité de surface. "La contribution significative des trame de mares et étangs à la biodiversité aquatique locale et régionale peut être attribuée à (i) les petits bassins individuels de chaque système, produisant des conditions environnementales idiosyncratiques et une complexité de l'habitat, conduisant à l'hétérogénéité de l'habitat à l'échelle du paysage (Davies et al 2008), (ii) la valeur des plans d'eau anthropiques (par exemple mares de fermes) pour augmenter la superficie d'habitats aquatiques disponible pour la vie sauvage, (iii) la fourniture d'habitats de refuge pour les communautés aquatiques, en particulier quand les zones humides naturelles ont été largement converties en fermes ou rizières (Takamura 2012, Chester & Robson 2013)"

Les étangs piscicoles à barrage éliminent les pesticides (Gaillard et al 2016)
Une équipe de chercheurs lorrains montre que les étangs construits par barrage sur un cours d'eau sont efficaces pour éliminer des pesticides, avec des taux pouvant atteindre 100% sur certaines molécules. Cette efficacité pourrait être supérieure à celle des zones humides reconstruites, en raison d'un temps de résidence hydraulique plus long. "En vue de maintenir la continuité écologique des cours d'eau, la suppression des barrages est actuellement promue. Avant que des actions en ce sens soient entreprises, une meilleure connaissance de l'influence de ces masses d'eau sur la ressource, incluant la qualité de l'eau, est nécessaire"

Etudier et protéger la biodiversité des étangs piscicoles (Wezel et al 2014)
Les eaux lentes ou stagnantes sont-elles si défavorables au vivant? Pas dans le cas des étangs piscicoles de la Dombes, dont les chercheurs ont montré l'existence d'une biodiversité d'intérêt à l'échelle régionale, avec parfois la présence d'espèces menacées. Les libellules contribuent le plus fortement à la biodiversité régionale (41%), les amphibiens et macrophytes le moins (16 à 18%)."Dans l'ensemble, la richesse spécifique pour un seul étang ou au niveau de la région (alpha et gamma respectivement) semble être relativement élevée pour l'ensemble des groupes étudiés, bien que l'on ait une situation de masses d'eau riches en nutriments (...) Certains étangs abritent un grand nombre d'espèces peu fréquentes et quelques espèces en danger, indiquant que la conservation de la biodiversité des étangs piscicoles doit être définie à échelle régionale".

Les masses d'eau d'origine anthropique servent aussi de refuges à la biodiversité (Chester et Robson 2013)
Deux chercheurs ont procédé à un passage en revue de la littérature scientifique récente et internationale sur les masses d'eau artificielles, en milieu rural comme urbain. Il en résulte que l'origine artificielle des plans d'eau, canaux et autres hydrosystèmes issus de l'action humaine ne les empêche pas d'héberger de la biodiversité, en particulier de servir parfois de refuges à des espèces endémiques. Les auteurs appellent les gestionnaires à se montrer plus attentifs à ces masses d'eau et à identifier les propriétés qui favorisent leur rôle de refuge. "Les masses d'eau artificielles doivent être gérés en même temps que les plans d'eau naturels environnants en tant que mosaïque d'habitats pour les espèces d'eau douce. Il convient de prêter attention aux schémas de biodiversité bêta dans les masses d'eau."

La biodiversité négligée des fossés, mares, étangs et lacs (Davies et al 2008)
Un travail mené par 5 chercheurs anglais dans un paysage agricole ordinaire a montré que les mares, les lacs et les étangs abritent autant et parfois davantage d'espèces de plantes et d'insectes, notamment des espèces plus rares. Même les fossés ne sont pas à négliger comme zones de refuge ou de croissance de certaines espèces. "Ces types de petites masses d'eau ont souvent été oubliées dans la protection de biodiversité et bénéficient rarement des statuts de protection accordés à des masses d'eau plus importantes. Les résultats de cette étude, confortés par d'autres travaux de biodiversité comparative incluant des petites masses d'eau, suggèrent que cela peut être un oubli considérable et une opportunité manquée. En particulier, la contribution remarquable des petites masses d'eau à la biodiversité aquatique régionale signifie qu'ils peuvent avoir un rôle dans la stratégie de protection des biotes aquatiques".

11/02/2021

Aux sources de la Seine, on tourne la page de la casse brutale et absurde des ouvrages en rivière

Après dix ans de harcèlement des ouvrages hydrauliques en vue de les faire disparaître, la nouvelle équipe du syndicat Sequana, dirigée par Philippe Vincent, entend tourner la page de la continuité écologique destructrice pour ouvrir celle de la continuité "apaisée". Nombre de chantiers avaient fait disparaître des chutes, retenues, étangs et biefs de ce magnifique pays en tête du bassin de la Seine. Or, les ouvrages hydrauliques, remontant aux cisterciens du Moyen Âge pour les plus anciens, présentent de formidables atouts pour le développement durable du territoire, qui vient d'être en partie intégré au parc national des forêts de Champagne et Bourgogne. 


Photo extraite du journal Le Châtillonnais et l'Auxois, droits réservés. 

Dans son édition du 4 février 2021, le journal le Châtillonais et l'Auxois publie un entretien avec Philippe Vincent, le nouveau président du syndicat (Epage) Sequana. Cet établissement regroupe 126 communes de Côte d'Or, Yonne et Haute-Marne en charge de la gestion des cours d'eau et milieux aquatiques du bassin versant amont de la Seine, qui s'étend des sources de la Seine jusqu'à la limite avec le département de l'Aube.

Les associations Hydrauxois et Arpohc, suivies de consoeurs comme l'association des riverains de Chamesson, ont eu des rapports difficiles avec Sequana comme avec d'autres syndicats en tête de bassin bourguignonne de la Seine et de l'Yonne. 

L'agence de l'eau Seine-Normandie, la DDT et l'Office français de la biodiversité (ex Onema) ont mené dès le début des années 2010 une campagne agressive visant expressément à la destruction des ouvrages hydrauliques. Loin de s'y opposer, la précédente équipe du syndicat adoptait ce discours sans esprit critique, voire avec une volonté de renaturation et ré-ensauvagement des milieux allant très au-delà des termes de la loi. La même chose fut observée avec le syndicat SMBVA sur l'Armançon, plus au sud du département de la Côte d'Or. La dimension historique et énergétique des ouvrages était négligée, leurs milieux en eau n'ont fait l'objet d'aucune étude sérieuse de biodiversité hors le seul prisme des poissons migrateurs et rhéophiles. Les propriétaires se sont vus offrir des ponts d'or public pour détruire les ouvrages et assécher les biefs (jusqu'à 100% de prise en charge, avec divers travaux d'aménagement en sus) alors qu'ils étaient l'objet d'une instruction hostile et de subventions très faibles voire nulles s'ils désiraient conserver les ouvrages hydrauliques, les retenues et les biefs en eau. Sur les bassins de la Seine et de l'Ource, de nombreux ouvrages ont été détruits à contre-coeur, car c'était la seule solution financée. Mais c'est aussi sur ce bassin que Gilles Bouqueton et sa compagne, soutenus par nos associations et par une cagnotte de citoyens donateurs, ont obtenu après 7 ans de lutte obstinée une victoire décisive au conseil d'Etat en 2019 (arrêt moulin du Boeuf). Les conseillers ont condamné sur toute la ligne des pressions illégale menées par les représentants du ministère de l'écologie. 


Cela relève aujourd'hui du passé, en tout cas pour ce qui est de la politique syndicale. La nouvelle équipe de l'Epage Sequana entend désormais prendre au mot la "continuité apaisée" telle qu'elle est officiellement promue par le ministère de l'écologie. Et l'apaisement signifie que l'on ne regarde plus les moulins, forges et étangs comme des adversaires de l'écologie, mais comme des partenaires du territoire.

Le président de Sequana précise ainsi :"Les effacements d'ouvrages sont liés à une politique environnementale. La loi qui régit ces actions n'oblige pas l'effacement mais l'aménagement pour respecter la continuité écologique et les débits minimums biologiques. Un ouvrage n'ayant plus aucun usage pourrait effectivement être supprimé. Mais il faut être très prudent. Un ouvrage quel qu'il soit a eu une utilité et aujourd'hui avec les assecs de ces dernières années, toutes les retenues d'eau auront une action sur l'écoulement de nos cours d'eau et donc une préservation de la ressource. Autre point important souvent négligé, la prise en compte des aspects patrimoniaux et sociétaux, paysager et historiques concernant ces ouvrages, mais également tous les monuments, lavoirs... au fil de l'eau qui fait que notre territoire est aujourd'hui Parc National".

Il entend également rouvrir le dossier de certaines dépenses votées par la précédente équipe, mais ne correspondant pas à l'intérêt général du Châtillonnais et à la protection de la ressource en eau : "Aujourd'hui, nous avons une problématique importante liée à l'effacement de l'étang de Rochefort-sur-Brevon. Le propriétaire vient d'accepter l'effacement, la commune semble d'accord, mais nous pensons que cet argent public serait mieux investi dans l'alimentation du réseau d'eau potable que dans ce projet sur un bien privé aux bénéfices discutables en termes de continuité écologique. Nous allons revenir très rapidement sur ce sujet".

Rappelons qu'à Rochefort-sur-Brevon, véritable petit joyau du patrimoine sidérurgique du Châtillonnais, le syndicat Sequana proposait de dépenser 80 000 euros d'argent public pour détruire des radiers de vannages et réduire considérablement la superficie de l'étang, cela alors que l'aménageur reconnaissait que la rivière Brevon présente des éperons rocheux naturels qui la rendent de toute façon infranchissable aux poissons... Pourquoi cette gabegie? Pourquoi l'administration avait-elle classée la rivière en 2012 en "liste 2" au titre de la continuité écologique? Ce sont toutes ces incohérences qui excèdent les riverains, alors que l'argent public est si rare et que l'eau renvoie à de multiples enjeux d'intérêt général. 

Les associations félicitent la nouvelle équipe du syndicat Sequana, et entendent mobiliser les propriétaires d'ouvrages hydrauliques au service des projets de territoire. Face à la sévérité croissante des assecs comme à la brutalité des crues, à la nécessité de développer l'énergie locale bas-carbone, au besoin de protéger les milieux aquatiques et les zones humides, beaucoup de travail nous attend. Les moulins, forges, étangs et plans d'eau du territoire sont des atouts à valoriser, en particulier avec le création du parc national des forêts des Champagne et Bourgogne, impliquant un tourisme de qualité et de proximité à inventer. 

07/02/2021

Des barrages en rivières alpines et pré-alpines ont des effets intéressants sur la température et les invertébrés (Petruzziello et al 2021)

Une équipe de chercheurs italiens a comparé des tronçons de rivières alpines et pré-alpines selon la présence ou l'absence de barrages. Contrairement aux idées reçues, les barrages réservoirs de tête de bassin ont montré des conditions favorables au maintien d'une température fraîche et à la diversité biologique des familles de macro-invertébrés. Cet effet ne se retrouve pas pour les barrages au fil de l'eau, dont l'impact est cependant faible car leur température reste proche de celle des tronçons naturels. Les ouvrages (réservoir ou fil de l'eau) tendent aussi à augmenter la productivité trophique et disponibilité des matériaux organiques. Etudier les milieux sans préjugé sur leur caractère "sauvage" ou "modifié" permet d'objectiver les réalités et de prendre les bonnes décisions à leur sujet. On espère que l'administration française de l'eau se convertira à cette démarche, au lieu d'instruire à charge le dossier des ouvrages hydrauliques... 



Les zones étudiées et comparées dans l'étude, sur les rivières Goglio et Sanguigno (Lombardie), de l'amont vers l'aval. Extrait de Petruziello et al 2021, art cit

L'étude d'Antonio Petruzziello et de ses collègues a été réalisée dans les vallées alpines du Goglio dans le nord de l'Italie. Le Sanguigno est le principal affluent gauche du Goglio. Les deux cours d'eau ont été sélectionnés car ils diffèrent principalement par la présence de réservoirs de haute altitude : le Goglio se caractérise par la présence de cinq réservoirs qui régulent le débit, tandis que le régime d'écoulement de Sanguigno est considéré comme "vierge" (il sert dans la recherche comme système de référence). Les réservoirs de haute altitude sont utilisés à des fins hydroélectriques et ne libèrent qu'un débit environnemental minimum dans le Goglio. En aval du confluent de Goglio et Sanguigno, les activités anthropiques dans le bassin versant deviennent plus importantes, avec la présence de peuplements urbains et de centrales hydroélectriques au fil de l'eau. La diversité des 7 sites étudiés de l'amont avers l'aval permet donc diverses comparaisons : zone vierge, zone à réservoir seul, zone à centrale au fil de l'eau et activités humaines, zone avec très peu de pollutions sur le versant (amont) et zone avec davantage de pollutions (aval). 

Nous traduisons ici la conclusion des chercheurs, qui ont étudié la température, l'hydrologie, les débris organiques et les macro-invertébrés des différentes zones : 

"La présence de centrales hydroélectriques (réservoirs de haute altitude ou centrales au fil de l'eau) modifie l'écosystème fluvial au regard de tous les aspects étudiés dans cette étude: composition des communautés de macroinvertébrés, dégradation de la matière organique et régime thermique.

Les communautés de macroinvertébrés qui habitent des sites vierges sont généralement moins diversifiées que dans d'autres sites et plus spécialisées pour les environnements hautement rhéophiles en raison de la forte influence des événements à haut débit. Dans notre étude de cas, le tronçon soumis à l'effet de barrage à haute altitude a montré les meilleures conditions pour la plupart des familles de macroinvertébrés en raison de l'abondance de nourriture (en particulier particules grossières de matière organique CPOM et bois mort) et la réduction du stress dû aux événements de débit élevé. Nous n'avons identifié aucune famille qui pourrait être considérée comme représentative de conditions non perturbées. Le manque observé de taxons représentatifs pour les sites non perturbés pourrait également être dû à la résolution taxonomique grossière (c'est-à-dire au niveau de la famille) et l'identification au niveau de la sous-famille pourrait avoir produit des réponses spécifiques différentes. Cela mettrait en évidence l'importance d'une résolution systématique et la nécessité de développer des mesures à échelle de communautés capables d'évaluer correctement ce type d'altérations.

Les communautés de macroinvertébrés dans le tronçon soumis à des altérations hydrologiques et chimiques ont été caractérisées par l'abondance de familles qui peuvent tolérer des conditions perturbées telles que les Leuctridae, Limoniidae et Simuliidae, soulignant que, comme souvent rapporté dans la littérature, les altérations dues aux charges polluantes anthropiques sont plus faciles à identifier que les altérations dues aux altérations hydrologiques.

La disponibilité de la matière organique est positivement affectée par les barrages à haute altitude. Dans les sites vierges, les sacs de feuilles étaient souvent retirés du lit de la rivière, ce qui réduisait la disponibilité de cette source de nourriture pour la communauté des macroinvertébrés. À l'inverse, les processus de dégradation ne semblaient être que légèrement modifiés par la présence du réservoir de haute altitude car les mailles et le temps de séjour étaient les deux seuls facteurs ayant un effet significatif sur les taux de rupture. De plus, nos résultats soulignent que l'apport estival de CPOM dans les cours d'eau de tête de bassin peut être une source alimentaire importante, comparable à l'apport hivernal de feuilles récemment tombées. Cela peut être d'une grande importance dans les sites vierges où les effets d'événements à haut débit raccourcissent le temps de séjour de la matière organique.

Le régime thermique est profondément modifié par les barrages à haute altitude et moins influencé par les conditions météorologiques. Les conséquences écologiques des altérations thermiques doivent être spécifiquement étudiées, en particulier avec des expériences de mésocosme ou des études de cas idéales qui permettent de démêler l'effet du régime thermique et du régime d'écoulement sur les populations biologiques. Ces altérations rendent les tronçons de cours d'eau moins soumis aux effets du changement climatique et surtout aux canicules qui deviennent de plus en plus fréquentes et intenses dans les milieux alpins et pré-alpins. Les réservoirs atténuent l'influence atmosphérique sur la température de l'eau des cours d'eau tandis que les sites au fil de l'eau la renforcent dans les tronçons détournés. Là où ces deux altérations étaient présentes, le régime thermique du cours d'eau était plus similaire à celui naturel que les tronçons soumis à un seul type d'altération et profondément influencés par les conditions météorologiques.

Cette recherche a fourni des éléments pour une meilleure compréhension de l'impact des retenues fluviales sur la structure et le fonctionnement des écosystèmes fluviaux. Ces éléments peuvent être d'une grande utilité dans la planification des stratégies de gestion visant à protéger la qualité environnementale des cours d'eau affectés par la présence de centrales hydroélectriques, avec une référence particulière à l'importance croissante du changement climatique."

Ce schéma montre les variations de température des tronçons. 


On observe que les tronçons de cours d'eau bénéficiant de lâcher d'eau des barrages ont des conditions plus fraîches en été (mais moins froides en hiver).

Ce schéma montre la répartition des familles d'invertébrés aquatiques selon les tronçons. 


Comme l'exposent les chercheurs dans l'abstract de leur travail, "les tronçons altérés par des réservoirs de haute altitude ont les meilleures conditions pour la plupart des familles de macro-invertébrés en raison de conditions de débit plus stables".

Discussion
Une rivière modifiée par des ouvrages hydrauliques ne montre pas les mêmes propriétés chimiques, physiques et biologiques qu'une rivière non modifiée. Mais au-delà de ce constat trivial, est-ce un problème pour le vivant ou pour la société? Peut-on se contenter de généralités en présumant que toute modification est mauvaise car s'écartant d'une référence naturelle? Quelles sont les conséquences de nos choix sur les ouvrages dans une période marquée par un changement thermique et hydrologique rapide en lien au réchauffement climatique? 

La réponse à ces questions n'est pas tranchée, contrairement à ce qu'affirment en France des administrations et des lobbies ayant décidé que les ouvrages hydrauliques représentaient un problème majeur et justifiaient une politique de destruction sur argent public, contrairement au choix pluriséculaire d'aménager les cours d'eau. La manière dont la société juge les ouvrages hydrauliques dépend étroitement des métriques que l'on choisit pour les étudier. Si ces métriques sont conçues dès le départ pour calculer une différence entre un milieu naturel et un milieu modifié, puis pour qualifier de "mauvaise" cette différence, alors de toute évidence, on conclura très souvent que l'ouvrage est "mauvais". Si ces métriques sont neutres de jugement, si elles actent que la nature est aussi bien formée de zones vierges que de zones modifiées par les humains, si elles intègrent tous les paramètres par lesquels une société évalue son environnement et des riverains leur cadre de vie (non seulement écologiques, mais aussi sociaux et économiques), alors on s'obligera à observer les différences sans préjugé et à débattre démocratiquement de leur intérêt.

Référence : Petruzziello A et al (2021), Effects of high-altitude reservoirs on the structure and function of lotic ecosystems: a case study in Italy, Hydrobiologia, epub, doi.org/10.1007/s10750-020-04510-9

03/02/2021

L'Etat français condamné pour préjudice du fait de son action climatique insuffisante

Des associations regroupées sous le label l'Affaire du siècle, soutenues par 2,3 millions de citoyens, ont engagé un contentieux contre l'Etat français pour son incapacité à tenir les objectifs climatiques des lois et traités signés par lui. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Si le jugement de première instance doit encore être confirmé jusqu'au conseil d'Etat, c'est déjà une excellente nouvelle pour les associations de protection des ouvrages hydrauliques menacés de destruction et pour les syndicats d'hydro-électricité: les entraves à la relance énergétique voire les démantèlements de sites producteurs par des administrations sous la tutelle du ministère de l'écologie pourront être poursuivies en justice sur cette base nouvelle. La priorité donnée au climat signifie que la destruction du patrimoine hydraulique, de son potentiel énergétique et de ses milieux aquatiques doit cesser.


En mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France ont introduit des requêtes contentieuses afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations (voir notre précédent article).

Dans son jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal souligne d'abord que "le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi", en rappelant les conclusions du GIEC et de  l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Le retard pris dans la baisse des émissions carbone accentue des impacts attendus :  accélération de la perte de masse des glaciers, aggravation de l’érosion côtière, risques de submersion, augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans - "risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française".

Le tribunal note ensuite que par ses engagements internationaux (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, accord de Paris), européens (Paquet énergie climat) et nationaux (Charte de l'environnement dans la Constitution, diverses lois de programmation énergétique), l'Etat s'est engagé lui-même à des objectifs contraignants:
"Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine." 
Le tribunal souligne que la France ne respecte pas les objectifs carbone qu'elle s'est fixée sur la période 2015-2018, le fait de fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux à horizon 2030 n'étant pas de nature à justifier le non-respect des engagements déjà actés :
"la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué". 
Au final, les juges retiennent que :
  • l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
  • les demandes de réparation pécuniaire des associations sont rejetées,
  • la réparation en nature du préjudice écologique est retenue, un supplément d’instruction est cependant prononcé, assorti d’un délai de deux mois fin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation,
  • le préjudice moral est reconnu avec versement de la somme d’un euro demandée par chacune des requérantes.
Notre commentaire
L'Etat français souffre d'un problème manifeste : il passe son temps à s'engager avec une haute ambition sur tous les sujets à la fois, en supposant que "l'intendance suivra" et que des moyens permettront de poursuivre tous ses objectifs en même temps. Pas de réflexion à long terme, pas de priorité, une accumulation de traités, directives, lois et règlements dans tous les sens. Au bout d'un moment, cette manière de gouverner ne tient plus et cogne dans le mur de la réalité : l'Etat est tenu par les actes auxquels il appose sa signature, il est l'objet de contentieux venant tant de l'Union européenne que de ses propres citoyens s'il ne respecte pas ses engagements. 

Dans le cas du climat, notre association et toutes ses consoeurs soulignent depuis 10 ans l'erreur manifeste et l'aberration intellectuelle consistant à mener une politique de démantèlement des barrages et usines hydro-électriques, de destruction et assèchement des retenues et des canaux, alors même que la prévention du réchauffement climatique et l'adaptation à ses effets exigent tout le contraire : préserver les ouvrages, équiper les ouvrages en production énergétique, améliorer les ouvrages en gestion de l'eau. 

Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine phase de transition énergétique et adaptation climatique est devenu inaudible et illégitime. Nous appelons toutes nos consoeurs associatives et syndicales, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique. A la lueur de cette jurisprudence nouvelle, nous appelons également les fédérations nationales de moulins, les associations nationales de riverains et les syndicats de petite hydro-électricité à envisager avec nous l'ouverture d'un contentieux contre le ministère de la transition écologique et solidaire, dont les arbitrages sur les ouvrages en rivière aggravent la crise climatique et mènent à des résultats que le tribunal administratif de Paris vient de condamner. 

Source : jugements n°1904967, 1904668, 1904972, 1904976/4-1 du tribunal administratif de Paris, 3 février 2021