Des associations regroupées sous le label l'Affaire du siècle, soutenues par 2,3 millions de citoyens, ont engagé un contentieux contre l'Etat français pour son incapacité à tenir les objectifs climatiques des lois et traités signés par lui. Par un jugement du 3 février 2021, le tribunal administratif de Paris reconnaît l’existence d’un préjudice écologique lié au changement climatique. Il juge que la carence partielle de l’Etat français à respecter les objectifs qu’il s’est fixés en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre engage sa responsabilité. Si le jugement de première instance doit encore être confirmé jusqu'au conseil d'Etat, c'est déjà une excellente nouvelle pour les associations de protection des ouvrages hydrauliques menacés de destruction et pour les syndicats d'hydro-électricité: les entraves à la relance énergétique voire les démantèlements de sites producteurs par des administrations sous la tutelle du ministère de l'écologie pourront être poursuivies en justice sur cette base nouvelle. La priorité donnée au climat signifie que la destruction du patrimoine hydraulique, de son potentiel énergétique et de ses milieux aquatiques doit cesser.
En mars 2019, les associations Oxfam France, Notre Affaire à tous, Fondation pour la Nature et l’Homme, Greenpeace France ont introduit des requêtes contentieuses afin de faire reconnaître la carence de l’Etat français dans la lutte contre le changement climatique, d’obtenir sa condamnation à réparer le préjudice écologique et de mettre un terme aux manquements de l’Etat à ses obligations (voir notre précédent article).
Dans son jugement rendu le 3 février 2021, le tribunal souligne d'abord que "le préjudice écologique invoqué par les associations requérantes doit être regardé comme établi", en rappelant les conclusions du GIEC et de l’Observatoire national sur les effets du réchauffement climatique. Le retard pris dans la baisse des émissions carbone accentue des impacts attendus : accélération de la perte de masse des glaciers, aggravation de l’érosion côtière, risques de submersion, augmentation des phénomènes climatiques extrêmes, tels que les canicules, les sécheresses, les incendies de forêts, les précipitations extrêmes, les inondations et les ouragans - "risques auxquels sont exposés de manière forte 62 % de la population française".
Le tribunal note ensuite que par ses engagements internationaux (convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques, accord de Paris), européens (Paquet énergie climat) et nationaux (Charte de l'environnement dans la Constitution, diverses lois de programmation énergétique), l'Etat s'est engagé lui-même à des objectifs contraignants:
"Il résulte de ces stipulations et dispositions que l’État français, qui a reconnu l’existence d’une « urgence » à lutter contre le dérèglement climatique en cours, a également reconnu sa capacité à agir effectivement sur ce phénomène pour en limiter les causes et en atténuer les conséquences néfastes. À cet effet, il a choisi de souscrire à des engagements internationaux et, à l’échelle nationale, d’exercer son pouvoir de réglementation, notamment en menant une politique publique de réduction des émissions de gaz à effet de serre émis depuis le territoire national, par laquelle il s’est engagé à atteindre, à des échéances précises et successives, un certain nombre d’objectifs dans ce domaine."
Le tribunal souligne que la France ne respecte pas les objectifs carbone qu'elle s'est fixée sur la période 2015-2018, le fait de fixer de nouveaux objectifs plus ambitieux à horizon 2030 n'étant pas de nature à justifier le non-respect des engagements déjà actés :
"la circonstance que l’État pourrait atteindre les objectifs de réduction des émissions de gaz à effet de serre de 40 % en 2030 par rapport à leur niveau de 1990 et de neutralité carbone à l’horizon 2050 n’est pas de nature à l’exonérer de sa responsabilité dès lors que le non-respect de la trajectoire qu’il s’est fixée pour atteindre ces objectifs engendre des émissions supplémentaires de gaz à effet de serre, qui se cumuleront avec les précédentes et produiront des effets pendant toute la durée de vie de ces gaz dans l’atmosphère, soit environ 100 ans, aggravant ainsi le préjudice écologique invoqué".
Au final, les juges retiennent que :
- l’Etat doit être regardé comme responsable d’une partie du préjudice dès lors qu’il n’a pas respecté ses engagements en matière de réduction des émissions de gaz à effet de serre,
- les demandes de réparation pécuniaire des associations sont rejetées,
- la réparation en nature du préjudice écologique est retenue, un supplément d’instruction est cependant prononcé, assorti d’un délai de deux mois fin de déterminer les mesures devant être ordonnées à l’Etat pour réparer le préjudice causé ou prévenir son aggravation,
- le préjudice moral est reconnu avec versement de la somme d’un euro demandée par chacune des requérantes.
Notre commentaire
L'Etat français souffre d'un problème manifeste : il passe son temps à s'engager avec une haute ambition sur tous les sujets à la fois, en supposant que "l'intendance suivra" et que des moyens permettront de poursuivre tous ses objectifs en même temps. Pas de réflexion à long terme, pas de priorité, une accumulation de traités, directives, lois et règlements dans tous les sens. Au bout d'un moment, cette manière de gouverner ne tient plus et cogne dans le mur de la réalité : l'Etat est tenu par les actes auxquels il appose sa signature, il est l'objet de contentieux venant tant de l'Union européenne que de ses propres citoyens s'il ne respecte pas ses engagements.
Dans le cas du climat, notre association et toutes ses consoeurs soulignent depuis 10 ans l'erreur manifeste et l'aberration intellectuelle consistant à mener une politique de démantèlement des barrages et usines hydro-électriques, de destruction et assèchement des retenues et des canaux, alors même que la prévention du réchauffement climatique et l'adaptation à ses effets exigent tout le contraire : préserver les ouvrages, équiper les ouvrages en production énergétique, améliorer les ouvrages en gestion de l'eau.
Un Etat qui détruit le patrimoine hydraulique et le potentiel hydro-électrique de son pays en pleine phase de transition énergétique et adaptation climatique est devenu inaudible et illégitime. Nous appelons toutes nos consoeurs associatives et syndicales, tous les collectifs riverains, tous nos adhérents et sympathisants à s'engager pour la protection de sites hydrauliques menacés, à développer des projets de relances énergétiques et à promouvoir des rivières durables dans le cadre de la transition écologique. A la lueur de cette jurisprudence nouvelle, nous appelons également les fédérations nationales de moulins, les associations nationales de riverains et les syndicats de petite hydro-électricité à envisager avec nous l'ouverture d'un contentieux contre le ministère de la transition écologique et solidaire, dont les arbitrages sur les ouvrages en rivière aggravent la crise climatique et mènent à des résultats que le tribunal administratif de Paris vient de condamner.
Source : jugements n°1904967, 1904668, 1904972, 1904976/4-1 du tribunal administratif de Paris, 3 février 2021
Bravo pour cette information utile pour nos affaires de moulins mais inutilisable tant que tous les recours ne seront pas épuisés. Plus l'Etat casse du moulin et plus il va à contresens de ce qu"il préconisa par ailleurs :
RépondreSupprimerPlan d'action pour une politique apaisée de restauration
de la continuité écologique
- Action 4 -
Éléments destinés à faciliter la mise en œuvre de solutions techniques
proportionnées aux différents enjeux
Extrait des pages 11 et 12/25 :
2.4 Éléments de diagnostic économique et énergétique
(hydroélectricité)
2.4.2 Diagnostic énergétique
L'hydroélectricité est une filière essentielle pour l’atteinte des engagements français en matière de développement des énergies renouvelables. Elle constitue la première source de production d’électricité renouvelable, importante à la fois pour le système électrique national et le développement économique local. Le maintien et le développement de cette ressource, dans le respect des enjeux environnementaux, est indispensable pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux que notre pays s’est fixé.
Plan d'action pour une politique apaisée de restauration
de la continuité écologique
- Action 4 -
Éléments destinés à faciliter la mise en œuvre de solutions techniques
proportionnées aux différents enjeux
Extrait des pages 11 et 12/25 :
2.4 Éléments de diagnostic économique et énergétique
(hydroélectricité)
2.4.2 Diagnostic énergétique
L'hydroélectricité est une filière essentielle pour l’atteinte des engagements français en matière de développement des énergies renouvelables. Elle constitue la première source de production d’électricité renouvelable, importante à la fois pour le système électrique national et le développement économique local. Le maintien et le développement de cette ressource, dans le respect des enjeux environnementaux, est indispensable pour atteindre les objectifs énergétiques et climatiques ambitieux que notre pays s’est fixé.
Bonjour
SupprimerMerci de ce retour.
Jusqu'à présent, nous observons les faits suivants:
- les services de l'Etat et des établissements publics eau & biodiversité détruisent des sites de production hydro-électrique en état de fonctionnement (barrages de la Sélune, centrale de Pont-Audemer, etc.),
- les services de l'Etat et des établissements publics eau & biodiversité donnent une instruction favorable à la destruction des ouvrages répartiteurs et biefs de moulins et petites centrales, ouvrages indispensables à leur production hydro-électrique,
- les services de l'Etat et des établissements publics eau & biodiversité donnent une instruction défavorable à la relance énergtéique des sites en exigeant des propriétiares des dépenses aberrantes qui représentent l'équivalent de décennies de production,
- les services de l'Etat et des établissements publics eau & biodiversité assèchent des retenues, plans d'eau, étangs, lacs, biefs, canaux, zones humides annexes.
A ce jour, les documents relatifs à la "continuité apaisée" sont des bouts de papier sans effet observable sur le terrain. Nous avons toujours ici des dossiers en cours de menaces de casse, de pressions pour refuser la relance, d'absence d'égalité de finacement dans les solutions de continuité, etc.
Les faits rappelés ci-dessus sont démontrables par des milliers de documents de l'Etat et des établissements publics, de témoignages des propriétaires et riverains. Ils sont pour nous constitutifs d'un préjudice écologique grave à la France, tant pour le climat que pour la préservation de la ressource en eau. En particulier, ces faits sont tous de nature à aggraver le bilan carbone du pays, donc à contrevenir à nos engagements européens et internationaux.
Nous pensons donc qu'il est temps d'attaquer en justice les responsbales de ce préjudice, outre nos contentieux déjà ouverts au conseil d'Etat sur des textes particuliers du ministère de l'écologie.
Ces responsables ne sont pas seulement les ministres successifs de l'écologie, mais aussi les hauts fonctionnaires à l'origine des instructions à leurs amdinistrations. Car il est aussi temps que les citoyens comprenent ce que sont les centres de décision de leur pays : ce qui se passe au parlement est une chose, ce qui se passe dans les cabinets ministériels et directions ministérielles une autre chose. Dans le second cas, nous sommes dans l'opacité de la haute administration et des grands lobbies. C'est cela qu'il faut aussi amener au grand jour afin que la vie démocratique ne soit pas anesthésiée ni divertie.